vendredi 20 juin 2008

LES JARDINS DE LA MEMOIRE


Jean Pélégri

Le jardin de l’Indépendance

Le poème Le jardin de l’indépendance existe dans une version au brouillon et plus courte qui s’intitulait Le cerisier, avec noté au crayon au-dessus Le jardin. La seconde version définitive comporte cinq strophes qui complètent la première.

Ecrit à Alger le 3 juillet 1962 - ( pour que le bonheur participe à la joie. )

On ne présentera personne
On entrera à pas légers
On ira sous le cerisier
Dans l’odeur du géranium

Il y aura dans l’air des fumées
Des cris d’enfants dans les impasses
Tout se dissoudra dans l’espace
Comme la menthe dans le thé

On respirera le rosier
On parlera à mots légers
Et dans l’ombre du cerisier
Chacun se dira : c’est l’été

On se passera les cerises
Dans les grands paniers d’osier
Quelqu’un pensera à la brise
Qui souffle l’été sur les blés

Il y aura une odeur de jasmin
Des rires de femmes entre les branches
Elles viendront au fond du jardin
Tenant la jarre sur les hanches

Ce sera le soir sur la baie
Le ciel changera le cyprès
Les nuages seront orangés
Chacun pensera : c’est la paix

On entendra un air de danse
On parlera de l’Algérie
Des Aurès de la Kabylie
On regardera en silence

Un arbre vert contre un mur blanc
Puis une étoile vers l’orient
La lune en son premier quartier
Aux cinq branches du cerisier

On se posera des questions
Celles de l’homme et des saisons
On parlera du lendemain
Et l’un dira pour tous ses frères :

Quand on a partagé la terre
On peut partager le jardin



Ce texte a été publié dans le recueil Les deux Jean Jean Sénac l’homme soleil Jean Pélégri l’homme caillou, Correspondance 1962-1973 Poèmes inédits textes réunis par D.Le Boucher Co-Ed. Chèvre Feuille étoilée et Ed. Barzakh, Montpellier, Alger, 2002.


***
Jean Pélégri

Il existe de ce poème trois versions différentes manuscrites ainsi qu’une version dactylographiée et corrigée de la main de Jean Pélégri. Le texte qui suit est la version finale.

Retour à Alger
Ou l’Algérie au naturel

Alger, mai 63

Des rues sans
mitraillettes
Un ciel sans
hélicoptères

C’est la paix

Les rues rendues
au peuple le ciel
au soleil

C’est la justice

Chaque chose
retrouvant
son sens
sa racine

C’est l’anebdou
le commencement

Là où les murs
disaient : Tuez
il est écrit :
Donnez
Plantez

Là où coulait
le sang
pousse l’arbre
le sourire

Le peuple a retrouvé
sa stature les hommes
leur regard le géranium
son odeur

Car l’on sait
aujourd’hui
que l’arbre témoigne
d’un homme
que la forêt témoigne
d’un peuple

Témoignera

On disait Maison-Carrée
Cela semblait le nom
d’une prison
d’une maison d’arrêt
On disait Maison-Blanche

En pensant à Henri Kréa
On dit Dar-el-Beïda

Ed-dar c’est plus
qu’une maison
c’est une demeure

Les murs
les devantures
les façades
les murs et même les arbres
ont retrouvé
leur arabesque
le signe et
l’ornement

Les murs
et même les arbres
ont retrouvé
leur écriture

naturelle

Le géranium lui
n’a point changé
Avec ses étoiles
rouges
ou blanches
ses feuilles vertes
le géranium n’a pas changé
Il a seulement pris
une odeur
nationale

L’Algérie n’est plus
cette bande
littorale
ce cordon de vignes
ces villes sans contrepoids

cet îlot en équilibre
que la mer
remuait

Des drapeaux s’agitent
dans la brise marine
C’est l’Algérie
guérie
qui retrouve
ses couleurs
La brise s’arrêtera
à dix heures
Elle reviendra
le soir

La mer n’est plus
ce lieu d’exil
ce lieu d’oubli

Elle a retrouvé
au bout du môle
son caractère
de frontière

naturelle

C’est la montagne
en creux
sa moulure

L’Algérie dans le crépuscule
mauve
semble se souvenir

de son avenir

Car au fond
dans la brume
il y a
toujours

la montagne
le bastion
la grande pierre
ancestrale
le lieu du sang
le lieu des sources
la grande Pierre
sans usure
Mais aujourd’hui
la montagne
répond

Aujourd’hui
on sait
même au bout du môle
qu’il y a
derrière
jusqu’aux sables
jusqu’au silence
tout un pays occupé de moisson
tout un peuple qui s’invente

On sait

C’est l’anebdou
le commencement



Ce texte a été publié sous ses trois versions dans le recueil Jean Pélégri le poète Les mots de l’amitié textes et poèmes inédits réunis par D.Le Boucher Ed. Les Cahiers des Diables bleus, Paris 2007.

1 commentaire:

Zineb a dit…

salut,
j'ai beaucoup aimé ce poème,ces trois versions sont jolies,mais je veux seulement savoir l'auteur de ce poème.
à bientôt;).