dimanche 24 janvier 2010

Que pèse une vitre qu’on brise ?





ABDELMADJID KAOUAH
Que pèse une vitre qu’on brise ? Fragments 1972-2008







Nous sommes là d’où, même nous,
Nous n’avons aucune nouvelle de nous-mêmes
Ghâlib

*
Là où s’effacent les chemins, où s’achève le silence, j’invente le désespoir, l’esprit qui me conçoit, la main qui me dessine, l’œil qui me découvre. J’invente l’ami qui m’invente, mon semblable ; et la femme, mon contraire, tour que je couronne d’oriflammes, muraille que mon écume assaille, ville dévastée qui renaît lentement sous la domination des yeux.
Contre le silence et le vacarme, j’invente la Parole, liberté qui s’invente elle-même et m’invente, chaque jour .

Octavio Paz






Le laboureur du verbe *

Par Djamal Amrani

Lorsque Abdelmadjid Kaouah vient à vous, à la suite d’une longue séparation, il manifeste une émotion souriante à laquelle on ne peut résister. La cordialité qu’il met aux retrouvailles, la gentillesse qui émane de lui, la chaleur de sa parole, autant de signes qui font de ce poète un être fraternel.
J’ai désiré les mots
À l’image de mes amitiés
Et des soirs bavards
Qui aident les oiseaux…

Il y a dans son visage (à la barbe chenue) une invite permanente à l’échange amical, voire à la confidence. Dès l’abord, bien plus des vicissitudes que traverse le pays, il vous parle de poésie. Comme si ce type de recherches que pratiquent encore chez nous quelques élus, revêtaient une quelconque importance aux yeux de la multitude. C’est que Kaouah est poète jusque dans la chair de son cœur. Presque trop poète, oserai-je prétendre, l’envie me montant à la tête.
Tandis que j’écris ces lignes, j’entrouvre son recueil Par quelle main retenir le vent. À tous les coups, une vision de nature s’impose, tout juste et non moins transcendée. On croirait que son regard possède le pouvoir de saisir le détail qui fait mouche et qui, grâce à un art – ô combien subtil ! – s’élargit, s’approfondit, prend une allure inattendue pour en définitive, nous donner un frisson délectable, une sorte de jouissance provoquée par des accords qui tintent au plus intime de soi :

Je plante mon arbre
là où l’eau broie la chevelure du soleil
écartelé entre deux ateliers de violence
et c’est l’amour sur les chemins parallèles
des hommes
Homme de ce jour
La pluie n’est que silence
Qui trompe son entourage
Un nuage de bruit
Qui pénètre par tes yeux

Ce qui me touche particulièrement en Kaouah, c’est son sens intime de la nature. Il la vit au long des heures, des jours, des saisons ; il célèbre les liens qui unissent l’homme aux éléments du monde : ciel et terre, bêtes et plantes, sources et demeures.

Il repose sa flûte sur la croupe d’un nuage
Et récité son présent aux bêtes
Qui s’aiment dans les buissons
Aux approches de l’aube
Il escalade la haute tension
Pour hurler à son peuple
La mort du jasmin

Ma vive admiration pour les très brèves stances de Par quelle main retenir le vent s’explique peut-être par mon goût de l’extrême concision du langage, y voyant une sorte de limite à atteindre, où le mot acquiert un surcroît d’éclat, où chante le silence, où la phrase se tait, rompue, où toutes les valeurs semblent renversées.
Et ce que j’aime encore dans les poèmes de Kaouah, c’est qu’il ne suit aucun autre chemin que celui, à flanc d’abîme, qui nous conduit d’un itinéraire toujours plus difficile, où la parole Poétique exige un air toujours plus pur, une plus haute solitude- sans référence à toute autre poésie.

Où il n’est plus question
Que de vos corps allongés face
à la mer
comme des rames ayant bien servi
[…]
L’arrière mémoire
Où l’on va nu
Pour ne pas effrayer les oiseaux

Sa constance dans l’arpentage d’un même domaine naturel, la symbiose que l’on redécouvre toujours entre l’être et l’environnement, une harmonie gracieuse, voilà qui mérite qu’on s’attache à cette poésie d’une fracture personnelle. Kaouah n’est un chercheur des formes, le message ici impose l’écriture et c’est en ce sens que je parle d’harmonie. Souvent le poème ne capte qu’un instant furtif, un éclair de vie, un reflet qui passe.

Le bonheur nous l’inventons
Au ras de nos brûlures
A la crête de nos feux d’artifice clandestins
Ou encore :
Vous avez entendu son chant
Il est passé à l’aube
A tracé sur vos portes un signe clair
Voyageur de l’espérance ouvrière

La pensée et la démarche kaouatiennes s’inscrivent tout entières dans l’exploration et l’écoute : – coquelicot de la victoire / rouge blessure du peuple – dont les sourdes résonances se retrouvent à chaque page d’un beau livre qui sait toucher l’esprit et le cœur. Lieu ouvert, Par quelle main retenir le vent se lit comme une patiente leçon sur un chemin qui, sans artifice et avec le naturel d’une source, nous ramène toujours vers l’homme. Pénétrant avec pudeur dans le domaine de notre destinée, Kaouah garde presque « magiquement » cette distance, jamais silencieuse, d’un regard dont la lucidité n’est pas dénuée de tendresse.
D.A.

____________
*In El Watan, octobre 1994






Vigilant sortilège


« J’écris pour ou ceux qui ont pu sauver
De l’ombre et du commun naufrage
Un coin secret pour leur étoile
Un clair hublot dans leurs nuages »
Messaour BOULANOUAR



C’est ici
que nous nous sommes donnés
rendez-vous
dans le vaste bouillonnement
des foules désemparées



sur toute l’étendue de la terre
on se débarrasse du surplus
on enterre sur l’autre versant du mensonge

fragile sentinelle
accablé de silences
entre l’oued et les remparts
un homme habite les remparts


que nous étions-nous promis
une suite de stridences
une séance de morsures

un bonheur à toute épreuve
quelques lambeaux de tendresse
par saison divorcée
et par inadvertance nous voici réunis


te voici à contre miroir
éclats bris saccades
te voici réduit à l’épaisseur de tes insomnies

te voici blessure sans miroir
déployé sur l’étendue de tes orgueils désaccordés


miroir sans désir
d’où s’égoutte le sang
des oiseaux désaxés
surpris par le simoun






Comme toi
Je parle à l’autre simulacre
De moi-même

Apprentis du hasard
Nous nous parlons
A contretemps
chacun dans ses vaines attentions
Ses demeures perméables
Au cœur de la Pyramide

A contre-courant
Nous convertissons le péril
En une mode de la conversation

Nous habitons en vérité ailleurs
Chacun à son compte
Le sang le sable nous servent
De paravents aux rumeurs















dans la rue
un peuple d’enfants
se tourmente au soir

entre les feuillages de nuit
un œil s’ouvre à sa détresse
les oiseaux se blottissent
sous les aisselles de cette femme
dont la caresse n’est songe de la nuit


un homme aux lèvres tuméfiées
referme ses fenêtres sur la nuit
et le blasphème









armés de ciseaux
armés de sentences

prêts

à cisailler ton soleil
à mutiler ma démence



Les cygnes dépérissent
Sur l’âpreté des latitudes
Un prince de l’amnésie
Se souvient de son empire



Lettre non oblitérée



La chair se développe selon le rire
Aux gestes obscurs du blé
L’harmonie se délie
Et la mer répare souvenirs
et silences

L’écorce a craqué

Au premier jour
Nous avions autour de nous
L’écume du mystère
L’histoire suivait son cours
Dans la recherche précipitée des galets
Nager n’était plus facile
Bientôt e fut le rite
La consécration des responsabilités
La sauvagerie n’étant plus utile dan nos jardins
Nos roses connaissent la sagesse de l’Orient

La paresse étonnée des kacidates

En voici le charme :

Tout d’abord intelligemment
Frotter de musc les miroirs
Libérer les esclaves du Soir
Après la prière finale
Taper insolemment des mains
Se laisser enrouler et se tordre dans la nuit
Et dans un sourire s’assoupir
Dans la splendeur tragique
des émeraudes de l’oubli


(Médéa, le 22 avril 1972)








Ode à Kateb Yacine


Ya kateb aktoub el mektoub
le reste n’et que sang nécessaire
pour survivre à la blessure d’idéal
et se conformer à la mystique de l’électron

chasseur de primes essentielles
rassasié de télégrammes apocryphes
tu connus le pouvoir des étangs

et de ce jour
voué aux luttes du Vautour
tu suicides ta chair
dans le remous des psaumes

le père eut beau réciter les versets
pour conjurer la possession
la mère rassembler les amulettes
la malin jaillissait sans cesse de toutes parts
en désespoir de cause
on fit venir les tolbas
ils essayèrent la calligraphie
et les signes humides


là-bas dans les étreintes des palmiers
le temps t’apprêtait ses apostrophes


toute une horde de psychiatres
accourut faire la cour
aux éclipses du désespoir
et quand on enterra de nuit Mozart
le Congo mobilisait ses cascades de crachats
le mot d’ordre s’élança de l’erg
aux frontières des éventails fatals



tu seras Veuf
prophétisait par intermittence
le Vautour


d’étranges courants écaillaient
le sommeil de la terre
tes frères transis
se bousculaient au foyer de
ta Bouche

l’Insecte inclinait
son ordre
et son venin

dans ta demeure de terre battue
le Vautour promenait
ses cohortes de feux-follets
se moquaient des tes kalems calcinés

les psychiatres décidèrent
pour consacrer ta folie
l’érection de Notre-Dame-d’Afrique

te voici à présent
dans un grand hôpital verdâtre
prenant ta revanche sur le Vautour
à présent vieilli cramoisi
traînant la patte dans un
long pyjama d’ennui
quémandant sa ration de mépris


quand les premiers hommes
tombèrent les murènes
s’ouvrirent les veines
le sang gicla jusqu’aux juke-boxes
éclaboussa l’opéra empaillée
et sema la panique dans Paris







la nuit est à celui
qui sait se mouvoir
comme cette femme virile
qui distribue le sel
et l’alarme au grand galop
sur la croupe de notre mémoire


là-bas sous les arcs-en ciel psychédéliques
qui avait fini par vaincre
le Vautour déloyal
ou cette femme aurorale


ya kateb aktoub el mektoub
scripteur inscrit le destin


le reste n’est que sang nécessaire

(Cercle-Taleb Abderrahmane, mai 1972)


















L’eau de la vie s’échappe
Par les rigoles du rire
Mêlée à la lessive du vendredi

L’Ancêtre n’est plus qu’un monument
Qui flatte ses orteils campagnards
De temps à autre il redécouvre
Les girations douloureuses
Du corps qui ne s’est jamais soumis

L’eau de la vie s’échappe
Par les rigoles du rire
l’Ancêtre n’est plus qu’un monument
Cerné de sexes tendus de colère


















Tu seras éloquence
Griffes familières
Gestes emphatiques

Et la censure aligne
Ses crachats vicieux
Dans la corbeille de mariage

















Rassure les veillées et les enfances
Les tombeaux aux arêtes coupantes
Les étreintes du passé l’arabesque du couchant
Mêlée à l’écume des lèvres

Rassure les veillées et les enfances
Par ce long corridor
Qui donne soudainement sur la forêt
Où nous n’avions rendez-vous

Sans hâte et sans rancune
dégaine de ta mémoire
Le rasoir fatal et fais jaillir l’amour
A la hauteur de tes reins

Et que tout s’achève sans bruit
A peine un frisson à ton front

















Taire les vents
Qui agitent les branches et les fruits

Livre e de sable
Et de tourments utiles
Les gestes d’un amour en question
et le poème mouvant
Qui conduit à sa franchise









Ne te trompe surtout pas d’étoile
sinon tu ne sauras plus
Boire à l’eau claire des jours
Ni retenir la soie des mains familières
Ni ordre au ciel des oranges

Ne te trompe pas de saison
Sinon tu seras absent
Aux noces tumultueuses
Aux labours des luttes
A la germination silencieuse de l’homme





Il a vendu ses yeux d’enfant
Pour échapper à la tribu

Depuis il écrit
En dormant en marchant
il écrit sur l’espace
De sa blessure

Il écrit à sa tribu
Comment il a perdu
Sa langue dans le pubis du port

II


Et l’enfant injustement
Lié aux nuages
S’écria
Malheur aux mots
A cette parole massive
Qui écrase ma nuque
A ces chiens bruyants
Qui s’abreuvent à mes veines




















A coups de poings et de nerfs
Refuser les rides et les compromis
Loin des miroirs et des sentiers étroits
S’accroupir seul sans double
Dans l’incendie de son cri
Que nul n’entende que nul ne vienne
cela importe peu quand le feu est à l’intérieur
comme une graine sûre qui attend sa saison

à coups de poings et de nerfs
refuser les rites et les codes
s’accomplir dans la clarté et la force
sortir dans la rue à a même heure que l’épi
mettre un chiffre précis sur chaque visage
pour tendre la main aux mains utiles
quand la mer viendra mordre les vitrines de la ville


et vivre chaque vérité au détour de la légende
pour ne jamais se figer dans une seule idée





















Grève générale
Les ouvriers ouvrent
de grosses pastèques
Sur l’arête des trottoirs

Grève générale
Les oiseaux vont et reviennent
De barricade en barricade
portant le désordre sur leurs becs

un désir velu
nage dans les dortoirs
de la ville qui s’étonne
du long cri noir
de ses rues

le minaret se replie
au cœur du silence
un dieu alcoolique
vomit le soleil
la pierre enfante
un poème séminal






















Tout cela nous le savons
cela que nous attendons
Coincés
entre l’âge
et une pensée
tout cela nous le savions
cela que nous attendions
puisque
nous avons grandi
une brassée d’algues
dans la bouche
mais c’est l’autre
qui chante
l’autre
qui capture le poisson
les mains
dans les poches
c’est l’autre
qui chante
sous cette pluie
d’ailleurs












La musique s’écoule
De ses narines
Il est le seigneur de l’immensité
Le rasoir à la main
il parachève ses avatars



















Chant funèbre pour un figuier

Père le figuier
Se défait de ses fruits
L’oued m’entraîne
Vers la ville

Notre terre est en flammes
Et l’orange se donne
Au bec des étourneaux

Père je rêve d’une femme de la ville
Quand je lève la tête vers le ciel
Je vois les talons pointus de ses chaussures
Percer la chair tendre de la lune

Son rire glisse sur l’herbe rare
et se jette dans mes bras
Père je rêve d’une femme de la ville
Chair accomplie comme fruit de saison
Nuage fécond come femelle ardente

Père je rêve d’une femme de la ville
Cuisses de néon aisselles d’alcool
Je rêve d’une femme de la ville
Qui tient dans son sourire la clef de la mer
Elle veille la ville au creux de l’écume
Et sa chevelure allume les feux de la nuit

Père je rêve d’une femme de la ville
Son désir est dur et ses gestes sanglants
et dans ses poings parfumés agonisent des oiseaux
Elle se donne dans une grande salle obscure
Où l’illusion s’invente une conscience

Père je sais que son étreinte est cruelle
Et sa robe de verre tranchant
Amis la mer prend source à son sexe
Son sexe de savoir jasmin fatal

Père le figuier
Se défait de ses fruits
L’oued m’entraîne
Vers la ville

Notre terre est en flammes
Et l’orange se donne
Au bec des étourneaux










Nedjma


Pour vous mordre
Pour vous marquer
Pour vous ouvrir
Au vieux secret

A la belle tradition
de l’étoile impitoyable
Qui traque les nonchalants
Les oublieux







Notre chance commune

Tourne et chancèle
Sur le glaive de l’habitude
ce n’et rien qu’un mot immobile
qui conçoit l’architecture
Et les manières du crépuscule












Argile


Insolence du poing noueux
Où vient éclater le rêve
En gerbes d’impudeur
O ma sœur
Visage englouti
Dans les palabres fétides
De la sagesse marchande
Une lame ricane
A l’orée de nos veines rebelles

Inscrite dans l’argile du doute
Notre commune blessure
Et l’espace d’un futur
Déjà trop étroit
Pour nos récoltes
de jasmin clandestin

Bouche-étoile
frappée de mutisme
tu élabores dans le silence
de ton corps à jamais fermé
aux morsures de la meute
une parole furieuse et durable


un seul tremblement des lèvres
et la nuit en effervescence
revient à la surface
de l’implacable exigence
qui nous réunit en ce lieu de feu
qui fait le chaque jour
au ras de ta blessure
au ras de notre certitude

l’oiseau des augures passe
la haine n’habitera pas
notre demeure
































Prélude marin

sur une suite de tableaux de Ali Silem des années 80





Ici l’eau a une fois pour toutes résolu le vieux dilemme : entre l’écume et les galets une subtile connivence règne.
Sereine la main accoste, libère ses exigences. Et les saisons succèdent aux saisons
Au rythme des peines nocturnes.
Le vent ameute les vivants. La main déliée commande le corps à corps.
La main libère les rumeurs
Bat le rappel des cycles élémentaires :
le vent ameute les vivants sous leur délicate apparence de fruits.
Corps éclatés à la crête du regard ils imposent leurs devoirs et leurs servitudes antérieurs.
Leur destin n’aura été qu’une longue patience épicée par un mystère de conciliations.

La main délibère et ordonne les obsessions après l’envoutement :
Voici la murène alif violent qui procède de la passion contrariée – ambigüité hermaphrodite -
Mène ses amours comme ses masques jusqu’aux confins de la cruauté.

Qui habite le silence et commerce avec les constellations déchues, les navires du maléfice ?

Voici la raie la tortueuse envie des naufrageurs. Elle prend amant à sa convenance et marque ses victimes de ses couleurs visqueuses.
Il est vain de résister à ses avances : à la première giration, les dés sont jetés et la démence installe ses motifs sur toute l’étendue des rivages.
Voici l’oursin écrin sauvage de la durée marine qui darde ses rayons dans l’opacité et l’adversité latente : dur au toucher il délimite de la vigueur de ses compagnons de circonstances.
Les autres – à l’état de fœtus – assouplissent leur animalité. Fauves baroques ils prolifèrent au large jusqu’à l’extrême limite de la force de leurs nageoires.
Ils voueront au alif un amour fatidique : de rocher en rocher ils inscriront l’empreinte de leur encombrante fascination.



La main imite et suscite
Les signes profus du sommeil aquatique.
La paresse redéploye faisceaux et encres habiles : l’onde est venue de loin – d’un pays fragile où s’épanouissent l’intuition et les incursions versatiles .
La distance des visages n’est pas la séparation des corps. Les roseaux attestent de la pudeur des accouplements.
L’écume redoute le baiser.
La blessure n’en sera que plus vraie - à mesure que la brume lèvera au large de la toile distendue, de toute la force d’une idée éperdue en sa mémoire : sombres croissants de l’héritage dilapidé

dans les dédales du blasphème.
De quelle façon affronter les diversions de cet hiver qui veut installer ses quartiers à la meilleure place du festin ?

La dévide et prolonge les angoisses et les frayeurs : au détour d’une esquisse le soleil rugit et s’esquive comme une bête blessée dans un tourbillon de détresses.
La main décide alors de battre en retraite.

L’eau aurait-elle en vain pactisé avec les étoiles ?

De proche en proche la main faite proie s’expose au venin.

L’écume redoute le baiser

Voici les lucioles : elles mettent le feu à portée de a main.
A mesure que les vivants – nos semblables – regagnent par étapes leurs humaines demeures.







Corps promis à la corruption
des écritures malignes
Chair suspendue au mât de misaine
Navire à l’encan et naufrage suprême
Le soleil s’ouvre les veines
par-dessus le jasmin dément



















Jour et nuit
Comme un animal amusé
Sous les ponts achevés
De sa paresse

Jour et nuit
A travers les rideaux de l’insomnie
Le museau de ses avatars
Humant les songes petit-bourgeois

Jour et nuit
A pleines pluie
Les traces d’une mémoire aux abois
Et ta chevelure tressée de patiences et de blessures





























Tes doigts crochus
Sur ma gorge ma peine
Tu as su choisir
Le meilleur cheval
Pour assaillir
Mes familiers
Mes semblables


Passent les jeunes filles
Avec leurs corbeilles de mimosas
Et de peignes féroces








Autant que possible
Ne jamais éviter à sa bouche
Les morsures des jours

Et surtout

Autant que possible
Ne jamais fermer les yeux
Que face à la brûlure juste du soleil








Comme autrefois le suicide de la beauté


I

Saisons du silence
Un mot et c’est l’absence
La parole qui s’arrache le cœur
Pour mieux respirer
Pour mieux terroriser
Un mot et c’est l’absence
Pensées à fleur d’eau et de verdure
La parole qui s’arrache le cœur
Pour mieux fendre sur elle-même
Torsades d’efforts
Pour percer un roc de silence
Qui marche ses terres
Le bruit et les gestes violents
Pour mettre au monde un reptile
Toutes les attitudes possibles de la vie
D’un souvenir
Convoquées dans la tiédeur de la mémoire

Des lambeaux de papier comme autrefois
Le suicide de la beauté
Les ébats de l’ennui officiel
Et les éclats du poème clandestin
Dans la fuite des galops et des feuilles
Le soleil en lacets de destin
Nos mains toujours tendues vers
Ce miroir glacé
Il est devant nous derrière nous
Ce sexe taciturne et douloureux






Quelques pas
Dans la décomposition des trottoirs
Un alphabet d’allumettes qui se plaît
A éclairer la naissance d’une tumeur
Un talisman foudroyé
Les yeux du gel

Pour tout cela
Il y a un remous qui plaide
Pour une goutte d’eau
Un oiseau qui attise sa surdité
L’aube attestée répandue en bave
Les images solides du jour
Qui se poussent pour mieux
Jouir du mensonge

Là-bas dans la forge des rancunes
Où les femmes agiles de notre enfance
Préparent le vieux bélier à la braise
Les étoiles chavirent dans la tragédie
Je suis le premier sous l’étendard
de la vase partout la vase
le temps et les herbes
envahissent les sources




II


au centre du champ
l’arbre flamboyant
et la fontaine étonnée
où grouillent les destinées
à la recherche de vertus de désirs de sacrifices
un peuple et un arc en ciel


III

Poissons que l’on se s’approche du cercle
pour partager l’énigme

autour planent des vertiges
lequel admettre dans le cercle
il parle reconnaissez-le

une moisson de signes aux ailes
hydravions antique

vous vous êtes accoutumés
à la cadence des naufragés
le reste investi en semence d’augure

votre chair s’apprête
à la fête du rythme obscur.


IV



Je vois déjà une race hardie
Rejoindre le cercle
Pour triompher du mystère
Croupes de joie
la soif des corps se moque
Des plaisirs anciens

Mais ce qui reste à connaître
C’est l’autre arbre
Solitaire et qui sert
De fanal aux insectes


V

Amis tapis sous la pierre
Et les heures
Nous avions recueillies ensemble
Une troupe de roses
Toutes égales dans le silence
toutes sobres dans la patience
l’absence de l’une
confirmait le présage
ah ! les saisons gémissent les os
ah ! le poignard est utile
répondent les cascades

et les moulins de la douleur
tournent et broient à volonté
le grain engrangé

amis tapis sous le temps
et la braise
voici les raisons d’être ardent
quand les feuilles répudient les caresses
quand les femmes promènent
leurs chevelures dans la nuit





VI


Un pouce de lueur
Les dès du matin
Un cri suivi d’un bruit de seau

Qui chevauche là-bas la margelle


Les vents nous attendent
Au miroir des vieilles filles
Les lèvres se maquillent

Le jour
Des paumes profondes
Dans une mine de songes

Le jour
Une colline calcinée
La rigueur de votre regard

Le jour
Une chevauchée sans complexe
Votre sourire emmailloté


Et par-derrière l’autre face de la lune
un cheval désaxé s’ébroue de désir
sans limite

le jour
une selle sans maître
et une montre sans but
et notre cœur qui ne bat plus
que de nuit












VII

Or ce soir c’est au théâtre des morts
D’accueillir notre amertume
D’être en retard d’un acte sur la vie
Quand nous prenons place dans notre existence
Minuit compte nos cicatrices
Tandis qu’un gros crapaud estropié
débite une tirade retombe sur ses fesses réjouies


et puis les rideaux de notre peau
se referment un épilogue de la haine




VIII

Pardonner
Facilité de l’insomnie
Et vous ne savez comment
Vous dérober aux stratagèmes

Pardonner
Paupières clouées
Dans le sang des lucioles

Avant la règle
Se raser le crâne
Se dépouiller de son écorce
Longuement s’essuyer les mains
Aux portes du cimetière

Explosion de l’éphémère
Elle
La symétrie des veines
Aussi droite que plante de serre
Blanche
Collier de lèvres sanguines

Et afin que vous soyez mortels
La brume ambiguë de la parole
Ecrasé dans le noyau de son corps







XIX

Sagesse des vitres
Jalousies du rêve

Notre passé est une maison de mutisme*et nous avons appris bien de choses
En fréquentant les oursins
Bien de tactiques
A revoir les doigts loin du cœur
Pour mettre un chiffre définitif
Sur le visage de ce soleil tuméfie
et ces écueils de tendre naufrage









Vigilant sortilège
Amis sous la braise
L’électricité de la terre est sur vos lèvres
Pour ébranler la certitude
Des saisons qui s’attardent
Princes du quotidien
Dont les doigts tressent sous terre
Les réseaux du pouvoir invisible
une poignée de silex friable
Pour confirmer l’épreuve
et confronter le basilic et le jasmin
Les corps familiers et précieux
Ce soir c’est heure de prière
Et d’offrandes
Un messager ruisselant
retrouve son peuple
Et ses sentences
l’esprit de l’exil
cendres et verdure


(Aïn-Taya )























Je sommeillais contre la rondeur
D’un mot
Quand soudain fendirent sur moi
La murène d’automne
La salamandre sagace
Neige et braise
Et la sagaie de Césaire

Etait-ce
L’épreuve des racines









































Au-delà
De toutes les fuites
De toutes les routes
De toutes les tristesses
De toutes les ombres
De toutes les acrobaties


Au-delà
Des cercles lancinant
Des plantes sévères

Au-delà
De tous les jeux aigus
Des hirondelles

Voici
L’heure arrachée terrassée
Comme une herbe mauvaise


























Les cités étouffées sous leur maquillage
Accouchent des serpents de métal
Les médahs désapprennent le chant
Pour dresser des procès-verbaux



Noces
Noces


L’espoir est viol
Notre dieu est une abeille
un œil de miel
Un cheval qui coupe
Son chemin
Sur la pierre du rêve
et guide les femmes vers leurs couches
Où les attendent des écureuils flamboyants

Et où aboie notre destin affamé


*


Je ramasse une feuille
Et j’inscris l’heure commencée
Le vent se lève et s’étire
Comme une femme fécondée
Dans une chambre sauvage



J’essuie de ma bouche
La poussière dérisoire














O.Paz



J’imagine ton sommeil dans ce royaume de pierre entre nuage et torrent
Des oiseaux à forme de lèvres s’écoutent tailler le cristal et l’argile
Des couples ignorant tout des interdits terrestres se saluent et s’aiment d’étrange manière
Tout autour d’eux sert à préciser leurs gestes
Oiseaux venus de tous les continents pour célébrer leurs noces permanentes
Oiseaux de mon pays aux ailes amères, le bec marqué aux armes de notre souterraine patience
Et tant d’autres encore venus apporter le salut de leurs peuples disparus
Oiseaux nourris de maïs et de musique
Dans ce royaume de pierre, homme déchu tu commandes
Aux herbes, au feu et à l’eau




Tu reçois dans cesse à tes banquets tropicaux des ambassadeurs apatrides
Dompteurs trahis, ils traînent derrière eux des fagots de racines foudroyées
Ils te visitent comme une première étape d’un long périple mais s’attardent
et s’oublient dans les labyrinthes de tes écritures tannées
de temps à autre tu ta lucidité comme un serpent serti de joyaux venimeux
et n’accorde à tous qu’une retraite possible : un abîme de soufre
une assurance pour une nouvelle naissance, une vie encore plus mortelle
mais moins nocturne.


























Là à mille lieues
De l’innocence et de la culpabilité
Trop fourbu pour veiller
Une vie à crédit

Juste à peine
Assez de faconde
Pour endormir les sentinelles
Et éviter les alouettes mégères

Encore tout en sueur
Revenu du corps
D’une femme de peine
A force de remous
De lames sagaces

Là où déjà trop
D’alibis affadissent
La chair d’un ciel à crédit

A belles dents
Je déchire les veines
De la poésie
Venin vestiges
D’une lunaison à crédit





























Bastos
Vingt cigarettes
Tout jute la dose journalière
Fumée familière des ouvriers agricoles endimanchés

Bastos
La toux spasmodique
Le bleu de chauffe de rigueur
Mains calleuses et dignité souterraine
au vent es prophéties marines
S’effeuillent les artichauts

Grand-père
Sur sa bicyclette
De ferme en ferme
Avec ses lettres analphabètes
A ses mollets une meute de chiens
Lui qui ne s’est pas remis des Dardanelles
Ni consolé des vapeurs de Stamboul


































A l’arbre promis
Les fruits ourdis
Avant l’heure convenue
A la parole s’égouttent
Les orgueils et les habitudes
Et-ce l’heure venue
De s’accrocher aux feuillages
Et déclarer son incontinence
Aux chats et aux passants










































Certes les alexandrins ne peuvent rien contre
Les destinées
Mais l’idée était belle
En une ultime enjambée
Commettre de jour dans un murmure
Lame et blessure
Dans la clameur de l’été







































C’est le vent qui questionne
L’impudence des corps
Décide de l’heure
Mais à vous l’immense vertige
la profération
et la faillite des prophéties

gracile était notre soleil
jeunesse corps inédits vagues divagations vacarmes vanités
c’est le mystère circulaire des parfums déchus

triste était notre soleil funèbre
vaines apostrophes

fou fol folle
extravagance imprudence excès
passion
boussole avoine oiseau bouffon

échec

le tour est joué
sans ordre alphabétique
corps cloués jours
plaies écorchures
entailles et puis craie
sillons et puis rigoles de sang






le tour est joué
dans le désordre
plaies écorchures



échec

ah quelle dérision un dictionnaire









El-Kheïr

Entre l’oued et la ville
Un homme habite les remparts

Fragile sentinelle
Accablé de silences
Il veille à perte de vue
Rumeurs et stridences de la ville

Entre la vie et la mort
Un veilleur habite en poésie

Dans ma mémoire
C’est comme un rempart
































A la façon de Prévert I


à Mustapha-Kamel, mon frère


qu’il est terrible
le bruit du silence
dans la tête de l’homme bavard

le paon oublieux
se nourrit d’étoiles baveuses
répand ses lumières à l’avenant
avant d’accourir à l’équarrissage

il est terrible
le bruit du silence
dans la tête de l’homme bavard


l’onde effleurée
ouvre ses coroles
caracole bégaie
et enserre le soleil
de ses menus sacrilèges

tel en a perdu la jambe
l’autre le cœur
et le troisième la raison

5 décembre 84/6avril 94 (El Manar, Sidi Fredj)


I


















I

La pierre
Buta contre l’arbre

Le passant sans se retourner
Fit don de ses yeux
Aux corbeaux

Longtemps après, on dit que c’était l’année du chien





II

Le sang à profusion
Aura jailli des peurs
Des matins étranglés

Combien de complices
Entourant les corbeaux
Honorèrent son supplice


Pauvres vérités
Pitoyables appétits


Sur les murs chaulés de blanc
Des femmes en noir
Apposèrent quelque talismans
Feuilles de laurier amer
En stigmates du règne de l’oubli














Les Sablons


Le scorpion décortique les soleils
O détresse des enfants entamés
Veine après veine forée
La scie corrodant l’acier
Avant l’archer suprême
La stupeur glacée
par degré recouverte de flocons


Soudain la poussière
Le bruit le galop
La noire cavalcade
De l’étalon sournois
Qui se cabre et frappe
Du sabot l’artère
Et la source et la demeure
Imperceptible chaos l’arabesque d’un sourire étouffé
Le scorpion dissèque les soleils
Je ne nomme que les êtres ordinaires
Dans les couloirs des Sablons
Cosmonautes de la leucémie
Qu’accompagnent dans leur bivouac
Detrez Cortázar Fanon

Je ne nomme que les enfants
Qui s’envolent des espaces stériles
Jusqu’à l’heure où les corneilles
Dans les jardins des Sablons
Annoncent l’amerrissage
Des petits cosmonautes de la leucémie

Le scorpion décortique les soleils
























Merci
Quel est ce feu qui nous délie
Du devoir de grimace

Et quelle eau en furie
Emportera les digues de l’imposture

Est-il vrai que les merles
Ont brûlé la politesse aux grives

C’est une fable à consoler
Les vieillards








































Marchands de quatre saisons
Frappé de gesticulation
Malades tout simplement
De peur du silence

Ils brûlent au grand jour
le secret de la tribu
La gloire des déchirures
Ils ravivent la plaie
Ils prennent les mots
Les rendent luisants
Comme des sous neufs


Et ils portent témoignage jusque là
Où il n’est nulle vie



































Nuées d’orgueil
Dans ce jeu où l’adolescence
Se moque des obstacles


Y a –t-il place à une aventure des corps
Qui ne soit pas une ruse de voisins












































Les oiseaux se tenant par les ailes
accompagnent la fragrance de son corps blanc
dans les draps du désir
et désignent d’un coup d’aile
la profondeur bleutée d’une entaille à vie







































Un fruit mûr
Dans une chambre amère
Dans la haute solitude

Et sitôt que je me ravise
Le doute débusque le soleil
Dans ses quartiers


A mieux comprendre
Tes yeux dans la nuit
Dans une solitude démodée



Et comme tu le sais
Il ne faut surtout en parler à personne
De cette soumission mortelle
Et de nos habitudes humaines

D’obscures syllabes
S’élancent de l’horizon natal
Corps écarlates
Incendie


Crois-tu que l’absence
Est déjà l’oubli






















I


Aux margelles de la démesure l’ombre les murmures
Et soudain le giclement
avant la métamorphose

A mille morsures confiée Dans l’empire insoumis
S’accouplent feuilles et couchant

Dans l’ordre des périples solaires continués en des domaines sanguinaires
Où poussent le sel livide les prophéties indécises

Qui t’installe soudain dans ce récitatif vengeur
Parmi des parures d’argile ?

II

A peine la pluie les abeilles par nuées
Sur les cimetières en tumulte
à peine des murmures
Des restes de pain moisi
Des fleurs rabougries
La poussière du vendredi
Et nos morts pour nous
Accompagner jusqu’au seuil
Des cimetières verdâtres

Et ce peu de parole
Dans le tourment de tombes

Au mitan des miroirs sans teint

Le sang
Le sang
La danse mortelle

Et tu aurais pu dire sortie du cimetière

Le sang
Le sang du hasard
Et Dieu par hasard
San désir
Sans nerfs
Sans paix
Dieux assoiffés
Tout à leur sanglant devoir





Etoile amnésique
qui hante les trottoirs
Le sexe chargé à mort
La poitrine haute de béton
Je remonte le long de tes signes
Jusqu’à la source qui égoutte
Les phases de ton apparition érotique
Et de ses masques














































Trop peu
ou trop fort

il n’est lieu
que pour la fable d’un baiser usé
à la margelle du désir






C’est tellement simple


C’est aux heures de brouillard
Que l’amour se faufile dans nos veines
Le sang remonte jusqu’aux épaules
Et rien n’arrête alors
Le tremblement des mains




























Vestiges

Par dévers l’éphémère
Romps les amarres
Et rends au soleil
En cette nuit échevelée
La ligne ruisselante
De ton corps épars

Et selon le soleil
Tire fort ta vie
Droit devant nos remords
Ma sœur


(Vaulx en Velin 8 juin 86)































Intermède







Un jour j’écrirai un long poème
Sans colère ni haine
Interminable poème tissé du sang de la peau
De l’eau, de l’air, du feu
De tant d’autres poèmes surgis de la nuit des temps
Des temps de pleine lumière
D’âges obscurs où seul le rythme des pieds de l’homme
Brisait en mille cristaux de bruit
Le silence de son existence
Un long un interminable poème
Chemin et sentiers
Tunnels et souterrains des longues peines humaines
Des cinq continents
Tambours d’alerte
Masques de mystère
Un long un inépuisable poème de misère
De poussière de sang de pus de sperme
Aux chevilles des montagnes
Le long de l’horizon
Aux quatre chemins du couchant
Paroles de braise et de cendre
Peintures de guerre
Tatouages de l’arc bandé
Sur les lèvres pulpeuses de la jeunesse en marche
Dans les cohortes utopiques
A la recherche de l’eau translucide
Dans les pâturages incendiés
Les oasis saignant de sel
une petite tortue pour seule boussole
l’hypothèque de l’amitié levée
par devers les simulations
et les simagrées du simoun














un jour de grande pitié de grande compassion
à l’heure où les chiens auront fini d’hurler
la mort du jasmin
giclera l’écriture sanglante du long
du ortueux poème du destin
bricolé de bribes et de bruissements à peine audible
et dans l’aride lumière de la vie
je l’étendrai comme une lessive miraculée
et je dirai regardez voici le poème que je n’ai pas écrit
sous la dictée des mots
aimez-le autant que
vous n’avez pas aimé Atila Josef
le suicidé de Budapest
et Youcef Sebti l’égorgé d’El-Harrach
à eux deux ils sont l’interminable
le terrible poème que je n’ai pas écrit
toujours sans haine mais encore un reste de colère
pour cet intermède entre deux millénaires


(4/04/06)

































Un poème de serres
Contre un poème de crocs
Le feu apprenant
A connaître l’eau

Et toi enfant de la mer
Tu vis sous l’empire
Du poème vampire







Maintenant pendant que tu t’élèves
Et ordonnes ta loi du sommeil
Contre la brûlure des yeux


Et m’invites dans ton alcôve
Ni moins loin ni plus proche

Je redoute
tes virginités réconciliées





















Rouge et noir
Equation à deux inconnues
Une mante religieuse essuie ses obsessions
Sur ma bouche

Indolente indifférente
aux similitudes du rythme
elle circule de vallée en prairie

noir et rouge
il n’y a pas de mesure
dans cette obsession








Le bonjour à ton corps
A la patience laiteuse
De ses grains d’étoile
Le bonjour à ton corps
Aux vibrations lactées
De tes sourcils dégainés

Le bonjour à ton corps
En grand voyage


Tu frôles les bûchers
Flamme et paroles
Dans ce grand matin de cueillette
Flamme sûre de tes victimes

Est-ce le lieu d’un propos clair













Ce soir j’entends distinctement tes pas
Les murmures des feuillages
Contre ta bouche deux mains
Prennent en chasse le silence

Est-il plus turbulent tourbillon
que les algues quand elles rencontrent les vagues
ainsi qu’un moulin broyant déroute et famine
au temps des transhumance humaines
vers le secret étranglé dans les limbes




et qui départagera dans la justesse
ces jardins sans eau et sans rire
comme des paupières refermées
sur un sommeil mortifère




































Résurrection
à Hamid T ibouchi



Là où s’achève la ligne
Dans un sourd piétinement
De veines et de poussières

Là où s’achève la ligne
La bienfaisante épée
Qui déchire de part en part
Les solitudes inavouées

Là où s’achève la ligne
Fragile lance brisée
Contre la gueule du jour

Accoste escorte
De tes menues existences
Jusqu’à la faillite ultime
La face ricanante du poème

Car tu ne peux
Qu’honorer la pluie




Après les appareils du froid
La lente a
Machination des couloirs
Borborygmes d’espoir cadavéreux
Tu redéployes le cri au crible
De la moindre poussière souveraine


Cette prière n’est pas la tienne
Le gel le soleil
T’ont confiée l’extrême blessure
Homme désemparé








A défaut de mémoire

Des lambeaux de repères
de lieux
La pluie en étincelles
Et la force de l’inertie
Imprimé au souvenir

A défaut de mémoire
Sous la peau
Un long tumulte
A quel credo vouer
Les lambeaux de cette mémoire
Sans avenir





































Anna Gréki

à Djamal Amrani de son vivant
(1930-2005)





Anna à date régulière
La fidélité te tisse
Pr colonnes économes
Un suaire circonstanciel


L’avenir est démesure
Et funérailles à bon marché

Femme citoyenne poète
Dans l’ordre de tes mondes
Quelle part de ta personne
Ouverte aux avalanches
N’a pas fini de s’achever

L’avenir est démesure
Et funérailles à bon marché

Mais Anna
Dis-moi
Le bonheur est-ce vraiment
Une question de patience























Shahrazade

Nous n’irons plus à Sinera
Ni à Barcelone ni encore moins à Beyrouth
Le soleil a sombré dans ses doutes
Le sang séché par les grandes routes
C’est à peine i l’on peut prononcer un serment

Nous n’irons plus à Sinera
Publie les vignes les signes
Les lunes les sourcils
Le sommeil dévide ses peurs

Nous n’irons plus à Sinera
Les hommes aiguisent leurs rancœurs
Il est à peine l’instant de pécher
et l’olivier réserve son pardon

Nous n’irons plus à Sinera
Ni à Barcelone ni encore moins à Beyrouth
Trop de cimetières nous enserrent
Et le ciel renonce à son salut

Nous n’irons plus à Sinera














La ligne noire









L'exil est rond
Un cercle, un anneau :
Tes pieds en font le tour,
Tu traverses la terre
Et ce n'est pas ta terre
Le jour s'éveille et
Ce n'est pas le tien
La nuit arrive :
Il manque tes étoiles.

Pablo Neruda









Automne



Ils se tenaient par la main
Et les murs les tenaient
Par-dessus leur sommeil
Un chiffre maléfique


En juillet les pastèques
S’ouvraient sous leurs mâchoires
Comme des femmes fébriles
Un jour las de l’automne
Ils mirent au bûcher
Leur destin




























Heure de Garonne

Le temps s’emboite
Aux chevilles des saisons
Conserver sauver
Feuillet feuilles coquilles coquillages
Une mémoire noueuse construit
Ses monts et ses montagnes

Chaque goute
Ajoute une odeur
Une empreinte

Sur une minuscule flaque d’eau
Tu remontes le cours oublieux
De tes diverses postures
Tes multiples impostures
Pour resurgir de l’autre flanc de l’Atlas
Parmi les mirages de l’armoise

Le simoun accélère
La cavalcade de tes ancêtres
Echoués dans un parking pétrifié

Conserver sauver
Archiver
Se lover dans une écorce
Pour retrouver la sève des acacias
Voici l’heure de la Garonne
Et de nulle part
Suspendu aux tessons
Des souvenirs des souvenirs

















Largitzen

A Pierre Koehl

Pierre,
Tu remontais l’oued,
Descendant du Sundgau.
De roche en roche,
De proche en proche,
Tu traquais le silence
Portant l’immense iceberg alsacien
Que tu cachais dans ta besace.
Voici le cri
Et voici l’empreinte ontologique
Que tu traques depuis ton enfance
Avec une dérisoire fronde.
A chaque avion qui passe
Au-dessus des frayeurs enfantines,
Il y a un faucon dont tu connais
l’espèce, les mœurs et la secrète tragédie.
Le long des rails disparus
la peste brune promenait ses victimes.
Et, Marlène coupait par les champs
tandis que les canons blessaient le Sundgau
Nathan Katz revenu
Depuis longtemps des camps
Déchiffrait dans la solitude
La résurrection d’un dialecte
Et de ses sifflements.

Pierre,
Par l’Ill
Et combien d’autres îles rêvées,
Tu allais par les chemins,
Braconneur pacifique,
Jusqu’au cœur des lauriers amers de Réghaïa,
Epelant l’alpahabet des écritures végétale.
Enfant éperdu,
Dans l’alchimie des végétations,
Tu défrichais ans recours au carbone
Les arabesques de leurs nostalgies.
Près d’un oued asséché par le simoun,
Au pays des Numides,
Traversé de part en part
Par les cavalcades mystiques
D’Abdelkader Ibn Mohieddine
Prince ténébreux dont le royaume
Tenait dans un galop,
Tu te frayais des trouées
Vers un buisson ardent
Survolé par des nuées d’oiseaux
Dont tu sais les alarmes et les sanglots.
Tu tresses de la paresse
Des gerbes aquatiques d’intelligence.
Et au détour d’une flaque
Tu remontes les mers,
Les merveilles.

Combien d’arbres
Te doivent la grâce retrouvée
De leurs ramures
Et à combien de feuillages
Dois-tu ton destin ?
Par la voie romaine
Qui traverse le monde ruiné
à l’intersection de Largitzen,
tu recomposes sans hâte
l’âtre des mémoires brouillées
Un rouge-gorge impudent
Surgit de la Kabylie blessée
Te lance au seuil de ta demeure
Un défi fraternel.
Crois-tu qu’Aïn-Taya
T’a oublié ?

Altkirch, 12-16 juin 1994


























Van Gogh





Les mâchoires de l’angoisse
Achèveront notre cœur
Et nous saluerons bien bas
Les arbres incandescents
Qui bordent la mémoire
De Vincent Van Gogh

Ce soleil menteur
Joue nos vies au poker
Sur la buée des vitres
L’hiver venu
Nous lisons de travers
Nos destins ébréchés


Longtemps
Van Gogh nous épouvanta
Nous avions peur de succomber
Loin des chemins de traverse



























Joë




« C’est l’hirondelle elle est blanche
Noir passant qu’en sais-tu »
J.Bousquet

Est-ce lui le mystique sauvage
ou son double qui nous accueillit
Sur un fauteuil roulant

Sur la place de Carcassonne balayée par le vent
Trois pharmaciennes avaient refusé avec élégance mes mandarines

Nous étions venus honorer le splendide infirme
Le marché pliait ses étals et le vent faisait danser
Les épluchures avec les crottes des chiens mélancoliques

Carcassonne ce dimanche-là
Etait grise froide percée par quelques rayons rageurs
Dans une maison en pierre bruissant d’épîtres
L’hôte invisible continuait couché
à humer les senteurs de l’Aude
Et à épuiser les généticiens du Texte




Il va immobile d’un point à l’autre de son être
C’est sa manière de vivre hors l’exil
Traduisant le silence en connaissances vespérales
Elle s’appelait Ginette comme un titre de chanson de Piaf
Elle possédait quelques clefs
De la maison de pierre et je suis le seul
peut-être à en témoigner
Joë Bousquet s’est levé de son lit
A repoussé le fauteuil roulant
Et a pris dans Ginette ses bras
Les généticiens du Texte n’en surent rien
Le colloque les avait terrassé



Carcassonne, novembre 97








ELEGIE POUR MOUNY

A.-Tu t'éloignes toujours davantage des vivants: bientôt ils vont
te rayer de leurs listes!
B.- C'est le seul moyen de partager le privilège des morts.
A.- Quel privilège ?
B.-Ne plus mourir.
NIETZSCHE


Mouny est morte
Cunhaus ce matin est blanc.
Traversé de rayons opalescents,
recroquevillé dans une ardeur glacée.
Tout engoncé dans les brumes de la Garonne
Mouny est morte
Terrassée à la télévision.
Elle s'est vengé la gueuse
lâchant la meute de ses paraboles.
Mouny est morte de l'avoir trop approchée
courtisée et brocardée parfois
c'est selon aimait-elle écrire
dans ses déclarations d'amour hebdomadaires
à la petite dame impavide
qui trône en grand appareil
dans les salons harassés d'ennui national
Mouny est morte
Je l'ai appris par satellite
En une petite ville d'Occitanie ;
un jour du Seigneur selon la télévision
et des couronnes de rois trop sucrées
j'ai entendu d'abord son nom

dans un faire-part en bois
(c’était en Tamazight cette fois
avant d'apercevoir sa photo
dans une lucarne noir et blanc
la Grande dame tenait un parapluie)
je n'ai d'abord pas bien compris
seulement qu'il était question d'une âme
promise à une vaste prairie
(et c'est peut-être à cet instant
que j'ai su définitivement que j'étais
amputé d'une langue à l’instar de mes hôtes occitans)

Mouny est morte
Mais un tel message n'est point parole apocryphe
à décrypter parabole à dérouler
ni encore moins une info exclusive

Comme à Athènes
de la déperdition
après la sentence contre
Socrate sur ses vieux jours
Notre Ile frappée par la peste
ne compte plus les dépouilles qui jonchent
ses orangeraies ses palmeraies acides
Il n’y avait donc aucun risque d'erreur
sur l'Unique et son double
Le culte des morts fonctionne à plein rendement
Guère de risque que son nom soit évoqué
pour autre chose qu'un décès
L'Unique rend l'hommage strict et ponctuel
aux artistes
quand, enfin, ils prennent la sortie
Et même si la datte se fait rare ou dispendieuse
Sandoq el adjab
la boite aux impostures
trouvera toujours de quoi dresser
une couronne de courants d'air
estampillée par le ministricule préposé
aux actes de décès
Vite un petit communiqué funéraire
pour ensevelir avant un éventuel démenti
un être à l'étroit ici bas
dans de vastes étendues
parti déjà ailleurs

La veille en vain j'ai appelé
le Veilleur de Sour
(au fait, compagnons de longue mémoire
dites-moi s'il hante encore la cité du génie
en contrebas de l'oued noir ?)
La veille en vain
j'ai appelé El-Kheir
pour lui demander des nouvelles du Grand Prêteur
avec lequel il vit en bonne compagnie
Mouny est morte
A quelle heure la gueuse
a-t-elle fondu
sur Mouny aux Amériques
Etait-ce à cinq du soir
comme chez Federico
je pense plutôt à une nouvelle de Tchékhov
mise en images par Mikhailkov
dans une lucarne noir et blanc
une Grande Dame au sourire pressé
tient penché un petit parapluie
Mouny est morte
dans la circulation babylonienne
Est-ce dans un square de Washington,
dans la circulation babylonienne
ou parmi les remparts des gazelles révolues
c'est plutôt au royaume du cinématographe
vertige d'ombres et cascades de sons
sur le beau navire de Fellini et Guilletta
qui lui souhaitent la bienvenue






Gazelle de Sour que je pleure en Occitanie
Depuis le commencement de cette élégie
l'orbe rougeoyante a vaincu les brumes épaisses de la Garonne
sur les tuiles rouges de Toulouse
quelques réverbérations de nostalgie
donnent aux larmes du cœur
un air plus léger
comme le sourire de la Grande dame
sous son petit parapluie
Mary Popins de mon pays
Mais Mouny est morte
Il y a des jours où tout
est comme du pipi de chat
comme disait Mouny
17 janvier 2000































Pas comptés d’Ulysse
Diadèmes mortifères
Les chrysanthèmes couronnent Collioure
Poussières de destin jetées sur la voie Domitia

A son atelier
Il malaxe la syntaxe avec des fureurs précolombiennes
Des lamentos républicains
Dans ses veines
Coule la source surhumaine
Où viennent s’abreuver
Les passants sans valise

L’Autun gouverne sans partage
Il reçoit la poésie
Et ses ambassadeurs apatrides
Sans lettres de créance

Seul le vent aux semelles
Comme dans une parodie rimbaldienne
Ponctue les distances
De la vallée de la Chevreuse
-reconnue comme dans un songe
Un roman picaresque
réécrit érotiquement
Avec un avatar de Milady ouvrant son corps
Dans une forêt noire-
Au royaume du sureau
Là où les frontières s’abolissent
Comme dans un songe de liberté
Et c’est peine perdue pour le tampon
Sur le passeport
Les douaniers sont momentanément en goguette
L’univers alémanique rebat cartes et frontières
Dans un vertige de lignes de fuite

Là où les frontières s’éclipsent
S’esquisse l’exil









I




Maqtaa erras

A J.C. XUEREB,


Tu reviens à la naissance
A l’heure la plus courte
Où la tête se coupe au destin
Tombe sans bruit
Et rebondit
Dans le cercle des énigmes humides
Comme une orange inouïe

Tu as le souvenir vague d’un monde
Où les images comme les plantes grimpent à l’assaut
De la brume marine
Comme une mémoire en se fortifiant de sel et d’iode
Vastes blessures avivées par le sirocco
Et le murmure ambigu d’une source
Qui brouille la brûlure d’un incendie vacillant sur les djebels
Petit secret des bergers véloces
Et des ouvriers agricoles qui ont désappris le dimanche


C’étaient de pauvres hères en quête de bontés
D’une patrie innommée
Ils firent de quelques plaines leur cosmologie

Tu retiens dans ta mémoire
L’odeur obsédante du chèvrefeuille
Le jasmin n’était pas encore métaphore
Et la poésie se dispensait de sémaphores










II



Le sel
A Nicole


Voilà j’ai atteint la rive noire
Là où le rêve n’a plus de miroir
Ni force pour traîner ses fourmis
Ses dérisoires mensonges et
Ses petites lâchetés en guise
De destin

La rive noire où il n’est plus de Mahatma
Ni de seigneur hautain
Pour répandre les épreuves
Le soleil se lève et se couche
Et la bouche essuie la bave des jours
Le sel est amer sur la table
Et en guise de vie nous redessinons
Les cerceaux boiteux de notre enfance


Voilà la rive noire
Est atteinte par petites brassées
A la cadence d’un survivant

La rive noire
C’est avant toute une saison
La saison mentale de tes premiers poèmes
Te voici à nouveau livré aux feuilles d’automne
La couronne des défaites
Le frémissement d’une chair envoûtée
Et tu sais que rien ne sert de se lamenter
Au seuil d’un nouvel avatar
Le bruit seul s’absente
Et tu ne sais si le chemin t’attend
Pour t’accompagner ou pour effacer
Les traces de ton destin
Ainsi septembre s’abat
Sur toi comme une proie







NAY






Entre le roseau et son maître
Il y a les mains le souffle
La distance la violence retenue
De l’eau lustrale des défunts





Dans la nuit ouverte
Le roseau se fait Kalam
Traçant de larges entailles sanglantes
Sur la chair retorse des lauriers-roses
Spectres luminescents habités par les lucioles

Le nay se garde
Et darde ses notes
Stridences et litanies
Son désespoir fondra
Faucon de l’extrême âme
Sur la première passante
La victime inaugurale de la noce
Des roses de sable et d’équivoque




Le maître s’entoure maintenant
D’une troupe de nains agiles
Qui grimpe au mitan de la nuit
Le festin déroule ses agapes
Le roseau se fait kalam
Oriflammes du levant aux pieds
Du maître chien couché dans sa torpeur
La braise est prête et le talisman
N’y pourra rien










A la première passante les bardes
Ouvrent la poitrine d’où s’envolent des songes de sel
Et de jasmins croisés
Sur des destriers domptés
Par la fulgurance du kalam

Commence alors le règne sans partage
du Nay































La corde bleue



Il suffit de peu
D’un nœud
Autour du cou
Dans la nuit noire
Pour faire faux bond aux apparences de la vie
Aux sentences de l’horloge routinière

C’était un grand bout de femme
Dure à la tâche
Eprise d’exactitude
Dans une maison dédiée aux herbes
Sans cesse repoussées et renaissantes sans cesse

Un oiseau invisible hantait
L’âme de la bonne dame
Au sourire obscur penchée sur son jardin et son mystère

Il suffit de peu
D’une somnolence entre nuit et jour
Pour contourner une existence furtive
La semaine avait été épouvantable
Un printemps fragile était au corps à corps avec son spleen

Je revenais de Suède où le ciel paraît si bas
le soleil si proche
Mais impuissant à dissiper le froid

Vous êtes de retour me lança la bonne dame
C’était sa dernière apparition de son sourire
Avant de s’évanouir dans le cercle noueux
Même le chien veuf n’y avait vu que du feu
La radio encore moins qui à tue-tête
Resta sourde à la petite flamme s’éteignant dans la nuit
Dans un jardin trop étroit pour un chagrin sans nom

La bonne dame en allée a-t-elle fait violence à elle-même
Ou à ce printemps perfide
Je ne connaissais même pas son prénom
Sinon une corde bleue
Comme une parenthèse dans un ciel
lourd de nuages équivoques
poursuivis par le vent d’autan









Des deux rives





Quelque part entre les hanches en transe
d’Elvis
Et les roucoulades nilotiques
d’Abdelhalim
Nous avons grandi
un improbable emblème
Entre les dents

Nous sommes de deux rives
De mille rivages
Des oursins nous avions dressés
Nos banquets solaires
Le printemps craquait sous nos lèvres
Comme une fève fraiche
Des femmes nous ne connaissions que la légende
leurs bouches brûlantes de souwak
Au sortir du bain
Nous guettions l’éclair d’une jambe
Sous le haïk coquin


Nous sommes de deux mensonges
De plaine et de montagne
De mer et de désert
De la ville et des hauts-plateaux
D’écume et d’alfa
Dans notre ignorance de la géographie
Et notre destin bureaucratisé

Quelques livres nous tenaient lieu d’univers
Quelques brassées d’odyssée
Dans nos petits villages
Aux églises-mosquées






Nous étions gais le dimanche
Autour de la meida
ignorant les croissants au beurre
au dessert nous avions Hugo
et sous le manteau Baudelaire







Kateb Yacine était l’égal d’un insigne footballeur
Nedjma était notre talisman







Nous étions de mille confluences
Dans l’uniformité de nos contradictoires espérances
Khouya frère était le mot de passe
Enfants nous nous le lancions à tue-tête
comme une balle ronde
Dans nos jeux sans stades
Avant l’ère du stérile slogan
- pour une vie meilleure-
Et la pénurie du savon







….



















SAHA DAHMANE !





Si tu savais Dahmane
Tu es une rengaine
Dans le ciel métisse de France
Un feu d’artifice par-dessus
La nostalgie l’exil
Dan les banlieues exsangues
Où les descendants des Numides
Sifflent la sève de leurs jours
Dans les cages d’escaliers

Si tu savais Dahmane
Au pays le chaâbi est hors de saison
Tant de têtes d’enfants sanglants
Ont roulent du Tassili
à la Casbah
pareilles à des oranges trop mûres
au marché d’El-Harrach

tu es parti avec ta rengaine
avant de connaître le hit parade
Saha Dahmane tu as fait de
Maison carrée une lucarne
Dans la grisaille de Paris

Tant pis pour les envieux
Et les regrets des gens du show bisness
Ils rêvent encore d’une rencontre
Au sommet avec Goldmann

Le mandole est en deuil
As-tu chanté à la mairie des Lilas ?
Brassens t’a-t-il croisé
Mais entre deux maçons
On ne parle pas de chansons












Une bonne truelle pour cimenter
Les étoiles éteintes et un dernier verre de thé
Pour faire la nique à la postérité

Mandole et truelle
Comme la vie est cruelle
Et ton chaâbi impayable

Dahmane
Qui a dit que tu étais mort ?







































Le glas et le tocsin


Les yeux les fronts
Le regard loin lancé flèche de lucidité
Dans les sillons de l’avenir infertile
Sentence des hommes tourmentés
Lorca Maïakovski Hikmet
qui leur a survécu
Frondaisons noirs nuages dans les ciels ennuyés
Poètes dans un monde à part
Combien proches au tournant des sèves des misères
Des masques des impostures
Veines fécondes de silence et de rumeurs
Convoyant les nuées de songes
D’étalons furieux sur les plages
Blanches les manèges de la mémoire
Sur les sables les soliloques

Lorca fracassé Maïakovski éclaté Essenine saignant
Dans une chambre d’hôtel dictant aux murs son utopie
Les sarments les charmes
Combien de témoins au moment ultime du sacrifice
Machado épuisé d’horizons et de cartes biseautés
S’achevant dans un râle aux pieds de sa mère
Dans la somnolence de Collioure

Un ministre bienveillant veille
sur vos chemins de croix et d’étoiles
Il donne une grande réception sous les chapiteaux
De son ministère régalien

Des masques
La commedia dell arte
Se dispense en stages
Les clowns reposent avec option
Les cadres
Et les actionnaires
Hikmet
Au port des allégresses brésiliennes
On lira le psaume des paysages humains
Antonio das mortes
Est à l’affiche d’une cinémathèque suédoise
Un quotidien libéral en fera une dépêche fraîche
Pour ses abonnés d’antan





Maïakovski
Lorca
Hikmet
Le tocsin et le glas
Neruda hante la terre de feu
Après maintes incarnations
De ramures en frondaisons
Par-dessus l’éternité de la United fruit compagnie
Dans mon pays les ancêtres redoublent de férocité
Après avoir découvert l’informatique
Quelques rumeurs
s’élèvent encore du Rhummel
Dans la nuit numide
passe le spectre de Kateb
Le Vautour
règne sans partage
Et Nedjma inconsolable
s’est enfermée dans son veuvage









































Madone


Par quelle ligne souterraine passe le sournois éclat des querelles algériennes ? Dans cet appartement d’une banlieue dite verte, je tourne en rond autour de prises et de fils inutiles.

A l’heure où les fenêtres ne sont encore que des cernes de brume, sonne soudain le téléphone. Un déclic imperceptible : la voix vient d’à peine de six cents kilomètres de loin. A vol d’oiseau. Peut-être le même oiseau aperçu hier, au crépuscule, sur fond de rougeurs felliniennes. C’est la voix d’un inconnu, un homme peiné qu’une Madone du crû crucifie jour et nuit.

Et le Christ c’est peut être lui. Homme de bien qu’on traîne dans la boue des journaux, exhibé à la vindicte des vaincus.

Avec son appareil photo, il fait des images crues malgré lui et qui attigent le chaland.
A présent il pleut derrière les vitres.
Un homme et une photo.

Dans un café basque, je me demande maintenant lequel des deux est abandonné des dieux.
































Harpies et autres opéras célèbres


( fantaisie)





La marge s’affiche au tableau
Où sont les outils la fenêtre
Et quel format donner à ce cœur
Carmen et autres chœurs
Opéras célèbres conduits autrefois par bizzet
Mis en fichier aujourd’hui
O Fortuna
D’un saut de page à l’autre
Bondit des steppes d’ Internet
Borodine et ses comparses







C’est l’heure du berger
Sur le clocher de Cugnaux
Or il semble qu’à l’instant
-Mais en quel fuseau horaire suis-je ? -
Que le glas a retenti ? Te deum on enterre Charpentier
Le maire a ceint la cocarde républicaine
Jésus était bien fils de Charpentier
-est-ce pour cela qu’il a mal fini
sur une croix
de bois d’olivier
Wolfang le bien-aimé eut droit à la fosse
de nuit et aux abois des chiens en rut !






Chut ! quelques chouettes répercutent en chœur
l’alléluia de ce brave Haendel toujours en retard d’un messie
alléluia ! la scène nuptiale a cédé la place aux enfers d’un Lully
qui a fait pipi et caché sous le drap d’un requiem de solde




o confutatis lacrimosa
excusez ce galimatias
la Gaâda de Béchar me poursuit
gel et sable
gerbes de stalactites
j’ai la mémoire calcaire
et la dent dure
gitan au mitan de l’orgueil


mais j’habite chez une harpie
qui au demeurant a de beaux restes
en dépit de l’oratorio tonitruant
qu’elle exhibe face aux frimas
et factures indigestes
elle avait du chien du temps où elle prenait
mon compte en banque domicilié
au diable vauvert
pour la flûte enchantée








et puis zut
vite Igor
un verre de vodka

avant que je m’enfonce dans les steppes
et malheur avec frère Mahler
pitié pour les femmes
et mea culpa encore une fois pour cette
fantaisie
de mauvais aloi






























Passages



« Seigneur
Je vous apporte
Intacte
Ma part de haine
Comptez !
Je n’ai rien dépensé. »
Mourad Bourboune

« ...le verbe
ce devrait être une patère
pour y suspendre
le silence
Hamid Tibouchi











Aïn-Taya provisoirement

Une cloche de deuil a sonné au seuil de l'exil
Et la tornade du matin a tonné vers la mer…
Tu marcheras le cœur au poing
Ton royaume sera la nostalgie
Ton langage la prison d'un exil

Fernando d’Almeida






I

Adieu l’oubli bonjour le souvenir

à Joëlle Hugot



Et si le poème
comme la pastèque
S’avérait perfide
Jouant son cœur
au poker menteur

Au souk le coutelas
est las comme les boniments
qui promettent douceur et mièvrerie

Le soleil a beau faire
son travail
l’eau ses pépins
et le crieur public
lancer ses avis funèbres

Au marché il y a plus
de femmes endeuillées
que d’enfants avides
de grappes de raisins

Ainsi s’écoule la vie le joug
le destin est indexé aux mercuriales

Le poème est comme
ces grosses pastèques
Trop tôt mûries
en champs pollués
à l’instar de ces libérations confisquées
Avant que lève le blé du sang
Seule la bave d’un crapaud -et ses avatars-
en grand apparat tétanise les écrans
et se confond à son néant






le poème comme une pastèque
peut ressembler à un ballon de chiffons
shooté à la mi-temps d’un mirage
Tandis que le poète en son linceul
espère encore une grâce
pour la patrie de ses illusions
le crieur public efface de ses cris
la vanité de ses murmures

Le poème et le poète se confondent
et la poussière recouvre leur trace
la nuit et le jour

- night and day-

s’entrechoquent sur la paroi
des souvenirs ensablés
en un sauvage oratorio
de chèvrefeuille et de murier

une maison à flanc de mémoire
une demeure face à la mer

que pèsent le bruit et la fureur
dans le regard d’un enfant emporté
par le vertige écumant d’une vague
l’oursin ouvrant son écrin

Et dans un petit village
comme la clef du grand large
le soleil enfin souverain
dans les yeux d’un enfant déposé
par la vague sur la rive occulte
de son rêve inaugural





II



Soleils croisés

A Jean-Claude



« Après notre passage le remous s’apaisera sans troubler les frondaisons de la rive »
J.C.XUREB





Soleils hargneux. Soleil cruel. Soleil jaloux. Soleil vengeur. Soleils ambigus de Camus.
Soleil de Sour. Soleil de Messaour. Loqueteux, embarrassé de sa propre audace sur les remparts désertés des gazelles, en prise avec le gel et les chardons.
Soleil de Baïnem, de la Pointe-Pescade. Soleil de Sénac. Poignard des poitrinaires et des promis aux oraisons à la sauvette. De Mozart à Bachir, juste un talisman sur la terre.
Soleils sonores
Soleils de la mémoire fourbue
A force de recoudre des lambeaux de souvenirs
Dévorés par les meutes lunaires.



Soleil d’Aïn-Taya
Fontaine tarie où les mouettes en deuil
Grises de leurs sarabandes convoient les vagues
Et les alarmes


Soleil de grand-père
Facteur auxiliaire partagé entre le rite colonial
Et les apaisements des tavernes
Petit -Poucet aux moustaches ottomanes
Résistant à sa façon presque par inadvertance
En oubliant sur les chemins boueux
Au cours de ses fantasques tournées
Quelques enveloppes
pour analphabètes parvenus
Soleil d’Aïn-Taya
Rondeurs de la mouna
Morsure de la coca
Festins de sardines grillées
A même la pierre
Au pied de P’tit Bouguin
Moïse de village
Veillant sur son domaine liquide
Soleils des flonflons
Recouvrant les stridences de la gégène
A l’auberge de la Dixième division de parachutistes
Et l’Oncle déclaré subitement fou
Entravé hurlant toujours (Houria)
un mot prohibé
à en croire l’empressement à l’escamoter




Soleil trouble d’Aïn-Taya
Quand l’Innommé ci-devant de la France libre
bardé de cocarde tricolore
Sportif ravi aux enchères de l’assimilation
S’exhibait en tennismen aristocratique
Sur le cours du village marin

vapeurs de l’anisette
Cendres et diamant
a-t-il trouvé l’apaisement
aux pieds du Canigou

ah ! Combien de Catalans
dansèrent-ils la sardane
Sur la place d’Aïn-Taya
à la mort du loup de l’Akfadou


Soleil dément
Je suis las de ton empire
Aboie et couches-toi
Passe dans le vent d’autun
Ah ! Le rire fraternel
de l’humble mécano Jacquot
Aux mains pleines de graisse et de glaçons
Rendant l’été moins inhumain
Et n’achevant aucune réparation
Aurai-t-il compris à l’instinct
La fin d’une fête bancale



III


La mer en arc-en ciel dans la mémoire
Voici le soleil qui culbute lentement
Comme un souvenir avalé par l’horizon

Le Rocher-Cogneur n’excite plus
Les muscles des jeunes gens
Ils traversent la mer à dos de scooter

Les mouettes tournent en rond
Ainsi que de vieilles personnes
Elles portent el deuil des algues

Le goudron et le plastique ont posé
Sur les vagues un cataplasme fatal
Les enfants étrennent leur asthme sur la plage

Aïn-Taya n’est plus qu’une métaphore
La jeunesse bronzée dévore ses rêves
Comme la mer ses rivages épouvantés

Tu vivais dans une crique
Avec les Djinns sur les falaises
Entre les frêles Graziella et Elvire

A quelques encablures – mais des siècles-
de la fougueuse Babel tu alliais en un pantoum
le sel et la phtisie décryptant le destin dans les nuages lamartiniens



IV



Nous émergions chaque matin de la mer
Le sel aux lèvres et l’écume dans les veines
Corps nerveux dédiées aux épreuves du sable
Le vent d’est était notre seul ennemi



Et notre unique horizon notre village flegmatique
De notre destin nous déchiffrions l’énigme
En quelques brassées
En quelques circonvolutions
De la mare au diable – une flaque de boue
Et de magie livresque-
Fontaine-fraîche
Entre vestige païen et Sanctuaire calcaire
Du Saint-Occulté
venaient les femmes consacrer
Force chandelles et vœux

Nous émergions de la mer
A chaque saison
Et c’était le même infini
Dans lequel nous plongions































Aïcha


Un bouquet d’arômes de sirops et d’épices
Envolés sur le nuage de l’usure
Des mâchoires fatiguées lasses
De mordre à l’ordre des jours
Pourtant belles sont encore les senteurs
Un confiture qui s’échappe de la mémoire
La mère accroupie dans la cuisine
L’orange forte dans une main
La râpe dans l’autre dans un combat à deux
Tandis que le sucre comme un vierge farouche
Se débat et se donne en mille replis secrets
Dans le chaudron à malice
C’est ainsi que la mère traçait les frontières
Des saisons d’un fruit à l’autre
Quand le marché s’ouvrait enfin aux humbles
Coings abricots poires oranges amères
Et parfois même la tomate venait à la rescousse
Pour boucler le trimestre
Le citron prenait sa revanche et trônait
En bourreau de circonstance
Imposant ses greffes vicieuses
Et sa bave fils prodigue impénitent
Prêt à toutes les compromissions
Et à tous les plaisirs fruités
Ah il m’en souvient de Aïcha
Et de ses miracles domestiques
Sur Cugnaux traînent derrière les aéronefs
Des parfums de confitures d’outre mémoire


















Meïda



à mes enfants rassemblés autour
de la meïda table ronde de la mémoire
cercle compact irrécusable de l’alliance
je dis
le poème lie délivre habille
les fils errants dans la nuit
de la tribu universelle

des rossignols des canaris, des merles, des fauvettes,
des mouettes folles jaillissant du Cap-Matifou
toutes les espèces ailées et roucoulantes
accompagnent de leurs chants aériens
les gisants et les meurtris
dans le Cauchemar national
le sang a tant coulé dans les rues
dans les ravins, les sentiers, les plaines,
à la pointe de l’Akfdou de Zbarbar, des jardins de Tibhéraïne
sur les ardoises, les tableaux, les hameaux, sur les plages

Dans notre pays imaginaire
le poème rassemble les hardes
de la tribu effarée
par le mystère du mal

ö mes enfants –
par ordre alphabétique
pour conjurer la jalousie du malin-
Chafia la miraculée et l’écho de son rire
Continué par-dessus la Méditerranée
Mériem la bien-nommée sur toutes les latitudes
Nayla flocon et tonnerre domestique
Yacine iconoclaste dont le labyrinthe des chiffres
Et voici par inadvertance
ma gerbe tressée entre deux rives
en une allure de poème inachevé
autour de la meïda de la mémoire
en cet automne d’exil et de rédemption
je dis
le poème est nu il dévêt délie et relie
dans le brouillard du midi universel


5 novembre 2001











Poésie pour parole


Comme chaque jour
Quelques minutes dédiées à la poésie
Prière perdue dans les dédales de l’abjection
Ne le réveillez pas trop tôt
Il dort le poète dans les bas-fonds de l’éternité
Feuilles de printemps d’automne
Dans son sommeil artificiel
Le diseur de sornettes
Exsude des nuages des flocons des larmes
Des caillots de sang des gouttes de sperme
Et par-dessus les tuiles l’ardoise la pierre
les hommes se délivrent des saisons
A chaque jour
Quelques brassées de jasmin
Sur la chair ouverte de l’opprimé
Du sel décapant sur les langues boursouflées
Croyez-moi il dort le poète au revers des somnolences
Parole d’homme






















Mandole


Ah ! la langue la parole comme une râpe obstinée
Toute à son travail sur la peau des jours
Oh ! la voix d’un chanteur les mains sur le mandole mâle
Retrouvant les chemins de l’Andalousie
Tandis que le vin à l’avenant coule par les pores des malandrins
Et que les ramiers convolent sous l’œil des censeurs
La râpe des jours nivelle nos vies et nos amours
Le chèvrefeuille a pris le deuil de notre avenir
Dans le cercle s’épuise la flamme du danseur solitaire
Pourquoi pourquoi tant d’émois en ce printemps gris
En terre occitane
Doumaz est au mandole et mon cœur comme une râpe
Lisse mémoire et souvenirs âpres
Le vin du minervois s’agite en vain
J’ai laissé mon cœur dans les roselières
D’Aïn-Taya et de sa mare au diable
Il n’y a que les mimosas qui soient semblables
Et la langue comme une râpe va son chemin faisant
Dans les tréfonds de la mémoire et de ses émois en ressac

***.









































Léonie Toulouse





J’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers exilés
Des buissons ardents de mimosas
Par printemps
Et un certain nombre d’arbres
Dont j’ignore le nom
Ils poussent d’ailleurs dans le jardin
Du voisin dont la femme porte
Une chevelure à la Monroe


C’est un homme mûr
disons dans la force de l’âge
qui jardine
Elle c’est apparemment une dame qui cultive sa jeunesse
Elle roule souvent dans une voiture rouge
Tandis que son homme soigne les figues lourdes de soleil


Autour de la clôture poussent à la diable
Le chèvrefeuille et le chiendent
Malgré les soins du voisin

Chez eux point de chien
La gente canine habite résidence de l’Odéon
Des immeubles à trois étages hantés par une colonie de pigeons
Les locataires préfèrent leurs cabots
Et s’indignent de l’impolitesse des ramiers
J’aime suivre les gesticulations élégantes de leurs brouhahas
Parfois ils rivalisent de vitesse avec les aéronefs de Franc-Cazals
La base militaire qui eut l’honneur d’accueillir
Le chef d’Etat d’une république provisoire
Venu serrer les mains des rescapés d’Azf






J’aime aussi suivre les pirouettes des Bélugas corpulents
Sur les toits de l’Odéon
Cependant que mes voisins promènent leurs chiens
Sur le gazon rachitique de notre résidence à loyer modéré
Sans taxe d’habitation bien comprise






Prudent je dis toujours à mes enfants : attention aux cacas
Et vigilants ils me rectifient toujours : papa, ce sont des crottes
Ils vont en maternelle
Et dire que quelques sceptiques doutent de l’école de la république
A leur âge, je confondais tous les excréments
Khra ! foi de Numide




J’habite rue Léonie Toulouse
Sur une plaque discrète- au point que mes amis
S’égarent et tardent à venir partager le couscous refroidi-
Il est écrit que c’est une poétesse d’Occitanie
Je crois à mon corps défendant que je suis le seul
A le savoir et à m’étonner
Au pays d’Isaudaure




Mais c’est promis
Le prochain printemps des poètes
On lui fera sa fête
E à l’occasion avec Bruno à la guitare
on tuera un grand bœuf
Après un thé fumant
Et quelques galettes salées
A l’ombre d’Eluard






Ainsi qu’en mon royaume
je parcours Léonie Toulouse
au son du piano de Satie
Vous savez le Belge
Le facétieux dadaïste que j’aurais
Aimé présenter
A la Marylin voisine.































Le Messie des Zakacias
In memoriam Nasser



Et l’on meurt soudain
Dans les escaliers
D’une marche escamotée
Comme d’un couteau surgi du néant
De la main d’un voisin
Avec lequel on jouait aux dominos

Mon frère n’était
Ni poète ni technologue

Un simple vivant qui luttait
Contre les glaucomes
et la nuit qui l’avait saisi
Dans ses prunelles d’outre-mémoire
Il apprivoisait le destin
D’une mauvaise lunaison au cerveau léguée
par un âpre ancêtre
et portait sans connaitre le cubisme
le masque mortel de Picasso

une marche escamotée
dans un escalier ténébreux
dans un hlm déglingué
a suffi
pour qu’il chute
dans le monde parallèle qui l’habitait

Mon frère n’était
poète ni technologue
un simple vivant qui s’asseyait sur une borne de
la Maison livide
et croyait au Messie

Il croyait au Mehdi- Attendu le bien-nommé
sur son noir étalon aux naseaux fumants
de retour de son occultation multiséculaire
piaffant dans la poussière et les sacs en plastique

le messie qui doit - murmure-t-on –
rendre justice aux petites gens
et faire fendre la graisse
des puissants du jour

Mon frère n’était ni poète
Ni un technologue encore moins un devin


Il faisait chaud ce jour de juin
Il est allé au bain turc
Il s’est désaltéré juste avant de glisser
Sur la marche escamotée.



Il est parti
Bien avant le retour du Mehdi
Ce dernier avait trop tardé
Trop de poussière, trop de sachets noirs, de détritus
D’acacias tordus meurtris
De sermons lénifiants
Dans la torpeur de la cité livide

c’est ainsi que l’on meurt
dans mon pays tout simplement
en prenant l’escalier
mon frère
et c’est ainsi que vont
les vies escamotées
juin 2004










ICI

à H.T.






Ici le soleil oscille comme un soupir
Echappé à la mémoire giboyeuse
Par parenthèses comme articulé
Par un dieu trop nourri
Qui caresse son ventre
Encore tout ébahi par le miracle de ses orteils
Un soleil enfariné comme un bébé de publicité
Dont les plis et les replis sont autant de pièges
A l’œil empressé de surprendre ses secrets


Ici le soleil étale ses promesses comme
Un chasseur embusqué à la lisière
De la forêt inviolée
Passent et repassent les volatiles paisibles les rapaces désarmés
Ils portent sur leurs ailes des reflets immuables
Ici le temps a toute l’éternité
Pour se reposer des siècles
D’ailleurs il se mesure à l’épaisseur des murs
A la grosseur des habitacles divers
Que les hommes se sont érigés
Tantôt pour conjurer leurs frayeurs
Tantôt pour célébrer les fastes de leurs soumissions
Et de leurs révoltes




Ici le soleil n’est pas une marque de fabrique
Une hérédité maléfique qui renvoie aux jugulaires
Aux spectres immémoriaux qui jettent les tribus les unes
Contres les autres
Cœurs et lames dégainés
Contre eux-mêmes
Contre une indicible âpre amertume
Dont elles ont fondée leurs signes distinctifs











Ici le ciel est un clavecin sournois
Qui percute la terre à juste mesure
Des palettes de nuances studieuses
Sur des toiles enceintes que seuls quelques rares
Etrangers font accoucher d’une violence iconoclaste
Mais de temps à autre le ciel ordonne les orages
En phrases à la Chateaubriand

Ici le soleil et le ciel
S’accordent comme un vieux couple lassé
De trop de caresses et de connivences
Ils vivent leurs désirs à crédit
Et leur mort

les Numides y scellent leurs passions

Entre ciel et soleil
Loin des ombres enturbannées
Et des chiens déments
Qui éperonnent leurs songes
Et leurs errances


Ici le ciel et le soleil
Se reposent de leurs passions
Dans le sacre de l’automne


































Clichés

Un Roumain avec un accordéon
au sortir de la Fnac
c’est comme un cliché
une cigarette demandée en espéranto
on se tâte et on a presque honte
de la donner sans l’offrir

Des clichés il y en a plein la vie

Une vieille dame avec un cabas
Qui demande l’heure à Esquirol
Avant de prendre son bus
Fait-il froid aujourd’hui
-naguère la neige étouffait les mimosas
Ah ! mon bon monsieur ils nous ont tellement
bricolé le ciel !

des clichés c’est comme la vie



Il arrive qu’on se parle par
Inadvertance
par impuissance










Protée



Protée défait promène son corps vermoulu
mi-homme d’occasion mi-démiurge de foire
c’est un monstre de rage
et de rêves alcooliques
guettant sournoisement la germination de l’univers
forçant à plein régime la nature
épris de belles plantes accortes
auxquelles il confie ses simagrées
cabotin domestique achevé par son mythe
et quand semble faillie la destinée dans la rumeur des jours
il resurgit par-devers la poussière des masques jaunis

qui est le matador
le taureau

il fait pitié lamentable comédien de théâtre de papier
peintre terrassé assis sur ses milliards
Racheté par une colombe estropiée
Elle caquette de temps à autre
En compagnie d’un ramier borgne
Et rappelle que la parole
Est un paradoxal mensonge
Par moment perpétuée
A la proue des tempêtes
Qui agitent les entrailles et clouent
Au firmament le songe
Et la terreur d’enfant abandonné
Devant les couleurs d’un horizon sanguinaire




Protée protèges-toi
Il fait froid en ces terres mélancoliques
Et les servantes corpulentes
Sont aujourd’hui chiennes de garde
-Et d’ennui

Ô Pablo figure abyssale de mort sondée
le taureau a mugi
Point barre












































TRIPTYQUE TIBOUCHI



I




Scott Fitzgerald et Hamid Tibouchi convoqués dan l’espace d’une même chronique ? Il faut convenir que le rapport est plus qu’hasardeux, voire saugrenu. Mais allez savoir comment certaines associations d’idées, de visages ou de sensations s’imposent à vous ? Au demeurant, il y a toujours, quelque part, un subtil déclic à l’origine d’une dérive. En l’occurrence, la diffusion de l’adaptation TV du roman Tendre est la nuit de Scott Fitzgerald, une flânerie répétée à travers les vers de Hamid Tibouchi : « finisse la nuit, que l’on dresse/ la forteresse des caresses »- et voici de quoi construire une cohabitation à première vue fantaisiste. Une manière comme une autre de justifier un parti-pris ... (extrait d’une chronique de presse)





II

L’amitié ne serait-elle qu’un accident de l’enfance, de ses premiers émois dans l’espace à la fois enclos et découvert, balisé et illimité.
Le voici l’enfant le rêveur, le doux bambin ou l’espiègle gamin qui joue des tours à la faune des copains ;
Il peut être bruyant, importun, escalader les arbres chétifs, faire voler en éclats leurs branchages.
Il peut tracer sans craie le cercle et inscrire sa volonté et dicter la règle du jeu aux autres, aux copains, plus tard aux voisins, aux riverains, aux passants à une nation.
L’enfance d’un chef sans moustache, juste parce qu’il sait le premier quels fruits cueillir sans se faire attraper, distancer la bande et se réjouir après l’escapade de ses déboires.

Mais l’enfant peut être silence, distance, discrétion et regards patients passant de l’hirondelle au galet, de l’insecte, la petite fourmi au nid fragile au bout du noyer, l’enfant c’est peut-être une gaule agité dans un matin de besoins au faîte de l’olivier.
La consomption d’une huile de la lampe comptée comme des sous en vue d’une noce sans cesse ajournée, parce qu’il a trop neigé ou parce que l’été a été implacable.
Ou parce que la promise n’est pas encore nubile et qu’on se méfie des nouveaux colporteurs de parole qui proclament que la poésie des anciens est caduque et proposent un nouvel alphabet...
Mais l’enfant, en ses postures diverses, se fortifie quelque que soit l’horizon vers lequel son regard se porte...
Il est déjà aux saisons de la clameur
ou du geste, de l’accueil, discret mais fertile comme la graine inattendue dans ses floraisons épanouies.
La chrysalide poursuit son travail obscur, minutieux, obsédant, maniaque remettant sans cesse à l’endroit les cours d’eau de la passion.






III

Une grande leçon de silence, d’humilité déployée entre les lignes, les haies, les barbelés du quotidien.
Neige et mimosas en hommage à un jongleur des mots saisi par une sanglante éternité.
Le compagnon s’est longtemps posé la question sur ce qui se cache derrière les mots : le jongleur en a-t-il percé le secret. Et de son extrême voyage ramera-t-il un jour la réponse. De retour des neuf étapes de la matrice.
Pour l’heure le Compagnon rassemble hors des toiles des chevalets des cimaises les pièces éparses de la fureur du taureau.
Cela ne ressemble en rien à une fable.
Seulement deux mains guidées par un obscur instinct qui vont avec sûreté légèreté droit au cœur du silence, et installent la royauté par signes minuscules.



Inachevé tryptique.
La parole s’éclipse parfois comme un acteur saisi par l’amnésie.
Nous lisons les poètes et frôlons les peintres.
Quand ils ne sont qu’un , nous appelons à la rescousse la musique.
Etale come une mer d’enfance, à peine liquide, translucide et vibrante de paresse.
Les rayons du soleil ricochent sur sa chair, elle semble mugir comme une bête prise de désir.
Taïk Kouk, le rut épique qui embrasait la nature alors que les parents cachaient sous d’épais tissus de pudeur la marmaille impudente.

Comme un acteur saisi d’amnésie, le poème se dérobe sous les pas du danseur. Il a juste bu à la source du village.
L’eau était claire, l’amphore gracile et l’isefra énigmatique.
Le rawi est passé ce matin très tôt, a dit son dictalame.
Puis simplement a tracé sur le front du premier enfant réveillé le signe du Bien.
Et le Bienfaisant est parti l’aurore à peine sur ses genoux.


L’Enfant a rejoint les rouges-gorges dan la profondeur des taillis.
C’était là où il avait rendez-vous avec la Nuit du destin ; depuis, il la guette et elle nourrit son rêve de furtives apparitions.
Ni poème ni peinture n’épuisent leurs noces anonymes.
Seule, la musique , en mer insondable , recueille quelques murmures de leurs ébats.



































Heamet

Lieu d’eau de sable et de sang
Alger ardeur cubique biseautée
Moule d’amour et de traquenards
J’allais écrire Cugnaux

Heamet la petite patrie
Selon l’Alsacien Nathan Katz
Où par ce printemps
une grappe d’enfants
Se rit des postures de l’exil
Yacine Nayla Jaurès
Karim Deborah Nafel, Sofia
Rayan Hugo
Et tant de prénoms particuliers
Pour destins singuliers
Mélangeant en en seul festin
L’éclat tellurique de l’enfance
Avant la blessure des regards
Simples passants dans l’histoire
D’une autre tribu imbue de son histoire

Lieu de soleil d’oranges et de nostalgie
Cugnaux est une mappemonde
Qui va plutôt bien et sans façon
A l’errance sereine
C’est comme un grand Luna Park
Où certains s’ébrouent et piaffent
Et d’autres regardent les paraphes





















Automne en huit

Les jours saignent
à la margelle de la mémoire
et en guise de signes de piste
jettent des brassées de tournesols
Novembre est un passeur d’alarmes
qui succède aux feuilles mortes

C’est une femme qui se moque des saisons
car elle y tient demeure
forge rougeoyante
des lèvres en gerbes
et en jets d’eau
au-dessus le ciel qui fait sa petite cuisine
entre confitures amères et cloches d’école
de son côté elle fait le ménage de la vie

elle soustrait et additionne à merci
les souci domestiques
et quand la nuit venue elle tire ses comptes
elle offre à ses enfants une alchimie si débonnaire
que derechef ils accostent sur l’île des vœux



C’est un anniversaire bien discret
- quoique au-dehors bien turbulent
brûlant de rages surnuméraires-
soupe de carottes et poisson maigre
mais c’est quand même l’anniversaire
de la gente dame que nous révérons et aimons




les enfants allument en huit
novembre la flamme
et rendent l’hommage
à la mère et la femme

c’est un anniversaire !

























Dessiné main
à Ju.

La vie est une cigarette
De la fumée entre deux lèvres

un paon énamouré
Un nuage fait le beau
Par-dessus les saisons

La vie à gouttes comptées
S’incurve et s’étale
S’accomplit et se décline à pas feutrés


Et soudain s’élance une longue échancrure
Comme un jasmin fou d’aurore
Par-dessus sur les peurs
Un fragile matin affûte ses émois
entre les cendriers prescrits
les coussins perfides
la fatigue des calendriers



Régulièrement
Un bus rouge se cabre à tous les arrêts
sa feuille de route
ne prévoit pas les encombrements
de destins en marge des stations

N’ayant cure des angoisses de ses passagers
Notre bus à quelques grèves près
Vrombit d’un point à l’autre
Comme une boule perdue
Ligne sinueuse en l’occurrence
Il n’a cure de l’angoisse de ses passagers
Faut-il le rappeler
Il ne s’encombre point de naufragés


Et les chiens domestiques
ont beau aboyer
Ils ne donnent de frissons
qu’aux bons bourgeois
Qui croient les posséder

Ah ! combien faut-il de Corot
Pour redessiner les contours d’une fatalité
Combien de Communes mises
Aux fosses de l’histoire
De murs imaginaires
et
De corps incandescents
Pour compter en mètres cubes de béton
La vacuité faite main à la chaîne

de proche en proche
une voiture poussive
entraîne ses passagers dans les ornières
D’un horizon recadré par une agence immobilière


La vie est un panneau
Une affiche violente
Entre deux rêves fonciers
Se dresse la demeure de l’éphémère
A tempérament insolvable




















A quelle heure précise agonisa Corot ?



J. en chemin
cultive la colère sur sa bicyclette
Un pinceau à la main et chaque matin
Elle recueille le chagrin posthume
De Corot et de ses émules









Et puis, n’est-ce pas , J. , le large est à quelques de pédales
De Basso Cambo

P.S. : D’ailleurs tu t’en vas à Nantes
Peut-être y croiseras-tu le spectre
De Barbara


























Wahran Wahran


Passant des nuits hâves
Quel est ce seigneur que tu implores
dans une suite éthylique
sur fond de trémolos électriques

Tu te joues de ta peine
déjoues la musique
Le gallal te poursuit comme une ombre
tu ne peux l’assumes
et consumes au comptoir de la mélancolie
Wahran est un songe
un accident de la géographie
et ta voix requinque les lions fatigués
de la cité batarde
Voici l’accordéon ailé de Blaoui
L’Enfant bègue ébloui aux portes des cantinas
Tu te repasses le film de Bakhta
De tes sœurs tisseuses de silence

Le gallal te poursuit
Come une ombre
Le raï se boit à crédit
Au comptoir de la mélancolie

Wahran Wahran
Est-ce en vain
Que le gallal comme un tocsin
Résonne au loin de la joie
















Sinera


Un soleil ambigu se lève sur Barcelone
Les bannières du matin repliés sur Mont Juic
Flottent comme des âmes épuisées par l’histoire
Sur la marina on ne sert plus que
Des tranches de pain au ketch up
L’huile d’olive s ‘écoule d’un Christ recouturé
Et sur les Remblas les sexes indéterminés
Font la fête et la nique aux perroquets africains
Corps ambivalents agités par la sardane mélancolique
Colomb sur son dais de pierre désigne sa vaine découverte
Les belles catalanes époussètent leurs frissons
Au sortir des boites de la nuit
Sur les murs du Rio Barrio éructe u chien à peu près andalou
La famille sacrée bruit de son inachèvement
Et Franco n’est plus qu’une croquemitaine
Pour effrayer les enfants attardés
Flamme blafarde Miro déteint hantant les ramblas
Au mercado les légumes se déplument
Sous les doigts des touristes énamourés
L’opéra dans un grand incendie donne Carmen
Tan disque que sur un banjo décrépit chante un marin damné
La longue litanie des naufragés de la méditerranée

O Paco ô Luis Ilach que de lâchetés par le petit matin
Qui ouvre son théâtre aux charlatans ?
miens amis catalans
Dites-moi où est le chemin fertile qui conduit
A la défunte Sinera
Le spectre d’Espiru rôde encore
sa nostalgie
Sur les hauteurs de Médéa
Robert et Marcelle
A la proue sur Chréa fraternelle
















L’oiseau plaintif

Est-ce encore cet oiseau plaintif
Qui fait rumeur dans tes veines
Ce flocon de peine
Echappé aux peignes de l’enfance

Le vent d’Autun aiguise sa colère
Sur les tuiles sanguinolentes
Tu avais la mer pour naissance
Elle te tient lieu de mémoire

Inséparable compagnon
Ton ombre m’étouffe
Ciel pesant de son vide
Sur l’usure de mes mots

Je n’ai même plus assez de colère
Pour naviguer d’un matin à l’autre
Ni braises à souffler par la nuit
Je vis sous l’empire d’un oiseau plaintif















La rose de Noël
à la manière de Prévert II

Je suis allé au marché
Acheter une rose rouge
Comme le sang
De mon amour
Une rose rouge qui aurait
Poussé sur un grenadier
Je suis allé au marché
Acheter une rose rouge
A offrir à l'Aimée
Au marché du village
On ne vend que des roses bien pâles
ligotées en bouquet
je me suis rabattu sur
une branche de mimosa
la seule qui soit à la taille
de ma bourse
quand une bonne dame
accéda à ma curieuse demande
et accepta le marché
je suis revenu du marché
une rose à la maison
la poche pleine
de bonbons pour les enfants

C'est FestiNoël
Il paraît que le père Noël
Arrivera en grande pompe
Place du marché
Restera-t-il une rose pour
Sa mystérieuse Aimée ?
C'est Noël au village
Naguère compère
Bertolt Brecht
Allait au marché aux esclaves
Gagner sa pitance d'exilé
C'était à Hollywood
aux temps des nazis



Au village place du marché
Amnesty distribue aussi des pensées
Pour la Tchétchénie lointaine
Un gros bouquet de roses rouges
Sur les ruines d'un pays viril

C'est Noël
Entendez le carillon
Il arrive le Père Noël
essoufflé avec sa hotte
débordant de dons
Mais aura-t-il une dernière rose
Pour son Aimée au foyer ?

Or au marché du village
On ne vend les roses
Que ligotées en bouquet















Françoy


Soleil latent d'hiver
Sur la Françoy
Les enfants épuisent les toboggans en bois
Le long du ruisselet artificiel
Des arbres dont j'ignore la carte d'identité
Courbent leurs épaules sous le ciel bleu glacial
Zébré de panaches supersoniques
Où sommes-nous soudain ?
Parmi la forêt d'émeraude
Aux cerfs mithridatisés ?
Sur quelle latitude balayée par une poignée
De Feuilles rescapées aux furies de Chronos ?


Où est le fracas du monde ?
Le boucan des enfants arrache
à cette fin d'après-midi de janvier
des sanglots d'été indien
et le murmure d'une flûte traversière invisible
(peut-être n'est-ce qu'un crissement de pneu)
s'insinue dans les oreilles
Soleil las d'une année ingambe
enjambant silence et stridences
je salue l'églantier abrupt cernée par l'enfance
il nous fera de gros glands la saison prochaine
pareils à de gros éclats de rire d'enfants
loin du fracas du monde
dans une Françoy aux toboggans ailés














Entre chien et chat
à Antoine Martin, ce poète qui restera un illustre comme tant d’autres aujourd’hui parce qu’ils ont commis le malheur de ne pas écrire un roman
Fella et Gaston se tiennent par la main
Sur les ponts de la mémoire
La lune a pris le deuil de nos années
Paris n’est plus une fête
Et nul roi n’abjure sur le parvis de Notre-Dame
Pour l’amour d’un trône
C’est par internet que les compagnons
De longue haleine inscrivent par la craie
Virtuelle leurs rendez-vous ratés
Fella et Gaston conspirent par-dessus Issy
La renaissance des poésies déconfites au seuil
Des siècles éperdus de nostalgie
Et de tabac de contrebande
Gaston congratule le visiteur pressé de Paris
Puis toilette sa majesté
Boulevard Serrurier
Fella fait la diva au jardin d’Issy
Faut-il être patient quand la mémoire
Exhale ses frondaisons andalouses
Dans la demeure fleurie d’un frère
Retrouvé entre espoir et parole ?

Fella et Gaston
Danseurs domestiques
Ces élus réunis de Baudelaire-
s’invitent de proche en proche
dans l’élégance d’un sonnet

Ô Seine de nos nostalgies d’outre-mer
Ce fut grand festin à Issy
Slim sans son ombre moustachue
Est venu impromptu nous porter des nouvelles de Mouny
Cécile et Mohammed
Les fiancés de l’île blanche






Merci au porteur de lumières têtues
Du premier mai
Oh !ce fut festin de musiques
Et de confraternité
Aujourd’hui c’est déjà
Une petite éternité
Entre Fella et Gaston
Entre chat et chien
















































Rapsodie en noir
à Wahid




Faut-il croire les porteurs de nouvelles
Vigiles et imprécateurs de souks croulant
Sous les sortilèges de bazar
D’un côté l’aède à la vielle
Raclant à même le sol
Les lointaines rapsodies hilalienes
De l’autre le garde champêtre
Rescapé d’une boucherie européenne
Dressant procès verbal aux chiffonniers
Il faut bien mériter de la patrie reconnaissante

Faut-il accueillir les cigognes
Porteuses de damnations
Elles fuient le nord et ses glaces
Pour fendre sur les têtes indigènes
Faussant la règle du jeu
Précipitant des nuées de poux
Sur les fils du soleil
Et livrant fourmis et prospérité
Aux enfants du Bien-aimé
Clame le rapsode en
en égregnant la légende
Sur la rahba de la bonne cité
d’Aumale
Les gazelles ont succombé avec la smala

Il n’y a plus de crieur public
C’est un tambour major qui annonce
La rupture du jeûne
sur les remparts
De Dirah souffle le sarsar
Et le bachagas redresse son burnous
Il reste bon musulman et distribue pieusement
Quelques chorbas à l’encan
A la salle Auzia Hercule se déchaîne
Il accomplit en technicolor ses douze travaux
Sur un air de ghaïta

Les porteurs de nouvelles hantent Dirah
Vêtus de gel fortifiés de seigle
Ils sont en embuscade dans une futaie
Où les anciens honoraient les rebelles
Ils écrasent dans leurs mains calleuses
les poux et la fable maléfique
ils commandent au sarsar
tandis que sur la rahba
le rapsode rapièce son médah

or les gazelles revenues d’extrême péril
ont le haut mal
autour des remparts pétrifiés
mais les ducs d’aujourd’hui promènent
burnous en poil de chameau
et costumes trois pièces
sur l’avenue de l’aln
la fable se décline
en euphémismes libéraux
les poux d’un côté et les fourmis de l’autre
sauf que les cigognes se font rares
dans le ciel numide
peuvent-elles décemment se dorer au soleil
quand les ruisseaux de coca cola
se mêlent aux flots de sang
des enfants écorchés à ciel ouvert


N’avons-nous pas érigé
Dit le rapsode usé
Sur les promontoires d’un songe
Un Moloch de béton impuissant

les anciens dieux ont toujours soif
Dans les bazars et leurs arcanes
Or leurs peuples furent barbaresques
Redoutables mais de noble flibuste
Tenant la dragée haute à l’armada
Sur le penon quelques mouettes attestent
Que Don Quichotte en servitude
Imagina ses moulins à vent de liberté

Mais Moloch ’est pas un moulin à vent
Et donne pas de bonne farine
Un rêve frelaté se survit de portable en portable
Momo ne promène plus son couffin
De Casbah en cinémathèque
Troublant
Une guerre des momies
Ou une zerda de femmes

Pinochet est toujours vivant
A l’heure où je l’écris
Il fait à plus de quatre vingt ans
Sa gymnastique quotidienne
nargue de sa sénilité
le peuple du Chili

Du poète
il n’en reste qu’une chanson désespérée
Un linceul et une petite pierre
Pour nos chansons d’amour oxydées

Qui voulait changer le monde
Et lequel a été changé par le monde
Les baudruches enflent à coups de chroniques
Les gisants de Hammam Meskhoutine
Restent impavides
dans les salons des Sheraton et Hilton réunis
on sable
le nouvel ordre universel

Quand
Jonas s’évadera-t-il du ventre noir de la baleine
mirage de l’étoile rouge


le médah est nu
vivre fatigue dit le poète
souffle le sersar
et muent les gazelles
nostalgie calligraphie
de poussière











La canebière selon J.F Savage
Il était une fois
Marseille
Un homme ivre- mort affalé
Sur l’asphalte de la Cannebière
Cela tombe sous le sens diriez-vous bonne gens
Du voyage éthylique

sinon
critique perspicace
du Prévert apocryphe
une femme affolée dans une cabine téléphonique
pleurant tous les larmes de son corps
par hypothèse sur un amour agonisant
et notre critique hypothétique n’hésite pas un instant
à débusquer un drame domestique

je ne sais rien de l’homme
ni de la femme
sinon qu’il faisait froid sur la Canebière
et que je fus l’hôte de Jean-Michel Savage
et que nous élevâmes force louanges
aux vignes du seigneur en Barbarie

Critique perspicace
je t’abandonne les étiquettes
les robes, les corps, les parfums
et les simagrées du vin
c’était un temps de bouillabaisse
où se mélangeait Zaccar et Dahra
dans un verre de Cahors















Christ maure

C’est un simple sourire
franc comme du froment
de l’ancien temps
sourire étincelant
pareil à un horizon
après l’averse

Le petit maure repose
dans une benne à ordure
Il a croisé son destin
dit-on en guise d’oraison



pas de Noël
Pour Larbi
Simplement un cercueil plombé
Pour la rive sans jouets
Des mottes de terre jetées
A ciel ouvert sur un ange lacéré

Larbi a rencontré au détour des Aubiers
L’Ogre des contes ancestraux
Au royaume du petit maure
Le père Noël n’existe pas
Et ici pour rire
on le traite de salaud

Etait-ce l’Ogre nécrophage
Un faux père Noël
Le destin
Dans une benne à ordures
En la bonne ville de Bordeaux
Un enfant d’ici d’ailleurs
Un petit Rimbaud sans voix
surpris par l’enfer
Se décompose
entre gel et Noël

Christ fils de Meriem
Reconnais-le avec effroi
Le petit maure
S’est trompé de sourire
Comme toi avec Judas
Mais ceci est une autre histoire



Amiens



Le tour du monde en une vie

Aïn-Taya-Amiens
C’est le même ciel
Sous lequel plient les destins

La pierre achoppe sur la parole
Tu marches dans un songe
C’est la Picardie


Ses cathédrales, ses beffrois hardis
Fantômes des rois
De voix à vif dans les nefs
C’est le cirque de la vie

Péronne alanguie
Somme somnolente
Ici l’été n’est que simulacre

Mais on y dévore à belle dents
Des ficelles et on trompe l’ennui

Flèches et blessures

Tiens voilà Jules qui passe
En ouvrant son parapluie
Une ombre le suit

Le tour du monde en une vie




















Nuit de l’être
à E mmanuel Hiriart



Ecrire par petites notes
Par touches invisibles
Comme un piano mécanique
Dans la nuit noire de l’être

Ecrire comme la neige
Sur la nature chloroformant
les oiseaux dans leurs nids
ébréchés avant de les étouffer
dans le mensonge de ses bienfaits

écrire par pointes sèches
comme dans un été africain
où se conjuguent insolence
et insolation à l’heure de la grande sieste
les femmes lourdes d’enfants
et les enfants affalés dans le patio
de la grande maison sans nom

écrire comme une vague
étincelante d’écume
balayant sable et algues
dans un grand tourbillon
par une échancrure de la mémoire


et plonger le miracle conjugué
du kharoub et de Chopin
puis enfin disparaître en un Haïku
dans les brumes de Ben Chicao
















La vivandière





Entre Esquirol et Basso Cambo
Elle lisait le Nouveau Testament
en petit format
Face à elle le Numide lisait
la gazette de la littérature postmoderne
Un poète -se réclamant des mânes
d’un Irlandais au prénom biblique-
y dissertait lui aussi des fins dernières
C’était, à vrai dire, moins tortueux et emphatique
que l’Ancien Testament

Ainsi la beauté se donne
dans le passage du temps
Il suffirait de se mettre à sa fenêtre
tout en croquant peut-être une pomme
- et pourquoi pas en fumant une cigarette
en se disant c’est la dernière ! -
Ensuite regarder l’orgie florentine
qu’improvise le ciel toulousain
par- dessus les remugles de la Garonne




Et puis penser très fort
à une vivandière des mots
dont les papiers écarlates
retranscrivent a capella
quelques rumeurs et échardes
du monde postmoderne
qui n’ont rien à envier
en matière dramatique
à celles des temps épuisés
et qui ont épuisés les hommes
son sourire est comme un tamis
économe de ses mots
elle fait la part de l’eau et du feu
elle fut afghane avant que les hirondelles de Kaboul
n’émigrent à dos de papier glacé





Il faisait nuit au terminus de Basso Cambo
le numide avait raté sa correspondance
Une voix lui proposa de l’accompagner
C’était la lectrice du Nouveau ou de l’Ancien Testament
Il ne savait plus
Auparavant une amie
lui avait offert
Il neige dans la nuit de Nazim Hikmet

Sa femme est venue le récupérer
dans la nuit
Et c’est ainsi que se conclut
Un jeudi littéraire








































Lourmarin

à Catherine Camus


Le soleil s’avance
Masqué par-dessus les remparts
Ils sont venus aux joutes
les frères torrides
Dévorés par l’histoire

Lui est resté comme enchaîné
à la terre dévoreuse
Nonchalant aristocrate de Belcourt
Gentlemen résistant
en combien de péripéties homériques
Raconter, retracer la trajectoire d’un footballeur
Ravi aux stades par la tuberculose
Et jeté sur les chemins de l’universel
Depuis Hydra haut très haut
Et loin très loin dans ce Paris glouton
-Ils y partent encore les enfants du soleil
Guidés pat une improbable boussole-

La mère la terre la justice
Les oliviers les chevaux
La grande maison,
Ecoutez
Est-ce Nedjma
qui appelle


Et puis était-ce
Electre
Iphigénie
Dans le soleil
Au cœur des palabres
La voix :
Y aura-t-il une justice sans amour

Seul le soleil
Cou coupé
Tipaza qui résonne encore des baisers
Donnés aux dieux
Un pauvre ouvrier agricole redu fou d’amour
L’étrange Arabe en sa majuscule crucifié




Survivra-t-il ce maigre poème
Avec le souvenir des pierres
Pour une tombe à deux
De amis instantanés
Venus en humble appareil
De Saint Brieuc où dort le père
Le premier homme
Celui dont Albert pouvait revendiquer
La paternité
Le cri irrépressible du hijo
En sa cave-vigie



Peut-être restera-t- elle cette photo
Sur l’étagère de mes livres d’exil

Sans manière































Divagations sur un zinc
à Patrice Fruchot



Il va neiger aujourd’hui. C’est bon pour les asthmatiques. Peu d’humidité.
Tiens, les enfants se tiennent mieux que les parents au zinc. Si Dieu le veut. Inchallah. « Déjà que les aime pas. Alors parler leur charabia ». J’ai des cheveux blancs et j’hésite sur le menu. Un Rapido en entrée. On verra Si Dieu le veut. Le Beauf pourra prendre en guise de dessert un joli melon tout rond. Faut pas lésiner sur l’addition ; »Y a pas plus con que cette religion de rats. Parole d’Houellebecq, certifiée par la Fallaci. Tant de résistance sans âge ni dentier.
Une pression s’il vous plaît ! C’et la fête du grand Pardon et de la Supercomplémentaire...
On ne peut pas jouer à chat perché. Le comptoir est si bas. La neige si molle au loin.
On peut varier la combinaison : un panaché en entrée, un rouge pour accompagner le fricassé ; Et puis encore un beau melon pour le dessert. Il paraît que c’est efficace contre la neurasthénie ;
Claudine, encore un panaché !
A quoi sert cet escabeau ; pardi pour la fête du Pardon ; Attention au bourdon de Khatchatourian ; Il vient du Levant.
Encore un coup de beaujolais ; Il est jeune, frais et fait frétiller la langue de morue. Qui aurait cru : il n’ya plus de melon depuis qu’il neige sur les Pyrénées ; Mais qui a lancé le caillou, J’avais pourtant prévenu les proximiers. Ils reviennent à l’assaut. Quelle époque, il n’y a plus de bons condés. Ceci expliquant cela, le sieur- Extrême n’a pas gagné...
de nouveaux dieux siègent en la bonne ville de Paris. Vaut-il toujours une messe.

A l’Hôtel de Ville, on poignarde encore comme du temps sanglant du Duc de Guise.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Il paraît que le coupable est un Sdf de surcroît homophobe.
Claudine, n’oublies pas mon melon ! Bien jaune, bien mûr, bien juteux.
C’est-il vrai que nos melons font grève.
Ils ne sont même pas syndiqués.






















Allegro Dorbhan


La vraie vie ressemblerait à un allegro vivace
Vif preste gracieux énamouré
Occupé de son cœur de ses yeux
Le sang qui remonte les veines
Comme une eau rare dans un jardin étriqué




Les heures précoces du matin
Assouplissent leur pesant cortège
Et la nuit du hublot domestique
Inscrit sur la buée quelques surprenantes promesses
Le sommeil des enfants dans leur chambre
Affleure mêlant son odeur à l’arôme du café auroral





Les numide habitent l’empire de la cyclothymie
De petites résurrections en renaissances
Ils assistent au bord des oueds asséchés
au spectacle de leur vie violente


**

La vraie vie ressemblerait à un allegro vivace
Au visage désormais d’éternel enfant de Dorbhan
Sur le cheval blanc des mémoires noueuses
Son sourire fait honte aux matins infanticides
D’un doigt aérien il trace au front de l’oubli
Des signes dont seuls ses enfants ont le secret

La vraie vie serait un allegro preste et incisif
Comme Mohamed à l’aide un dessin à la Charlot
Désarmant des pandores rétifs aux couples non conformes
Sur le cheval blanc des mémoires noueuses
Son sourire fait honte aux matins infanticides








BREMEN
à Nicole Bergot




De Barcelone à Brême
combien faut-il de langues
de babils de murmures
pour dresser une couronne de vers
à l'amie lointaine dans l'hiver
qui reconstruit en Allemagne
des murs de poèmes fraternels

avec Christel nous sommes allés
à la Böttcherstrasse pour surprendre
en son musée une amie de Rainer Maria Rilke
Bien pâle m’est alors apparut le conte de Grimm
et ses musiciens fuyant la mort à Brême

dans son costume noir sous verre reposait
le ténébreux amant de Paula Modersohn-Becker
c’était le poète selon la prophétie mensongère
qui donne encore à la vie un parfum d’outre-éternité

de Barcelone à Brême
le voyage se déroule entre deux musées
du premier à ciel ouvert s’élève un olivier catalan
sous l’œil sourcilleux de Juan Miro
tout près du second Sept Paresseux scandent
trois fois par jour le testament hanséatique
Anna Gréki femme des Aurès est morte
Au même âge que Paula la bien-aimée

Je vais de Brême à Barcelone
En escaladant la mémoire
Et par de longues escales algériennes
C’est ainsi que se tisse le poème
C’est ainsi que mûrit le fruit
Tant de rumeurs et de femmes
L’une tire les cartes
L’autre protège par ses talismans
et la dernière que je devine à peine
m’appelle à Sinéra















KAVALA (en pensant à Patrikios)

à Gérard Blua







« D’abord, il y eut la mer.
Je suis né entouré d’îles
Je suis une ile surgie le temps de voir
la lumière, dure comme la pierre
puis sombrer.
Les montagnes sont venues après.
Je les ai choisies.
Il fallait bien que je partage un peu le poids
écrasant ce pays depuis des siècles »
Titos Patrikios



I

Jaillira-t-il enfin de retour
Le noir étalon hagard
Dans le cercle moisi des errances souillées
Cheval de Troie estropié
Devant les remparts de nos vies
Dédiées à la mer au partage malencontreux
De nos songes fiancés au désespoir

Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu,
Une protubérance d’adolescence en manque
De tendresse
Nous sommes en attente
Dans la nuit accouchant
Sur la paille des impostures
Combien de Grecs ont-ils décidé
Le sacrifice d’Iphigénie
Et combien de casbahs ont-elles répondu
Au long cri de détresse
Des jeunes filles nubiles
A Aulis
Fracassées dans le silence du jasmin


II

Le noir étalon porteur d’ardeur
N’est plus qu’un canasson de cirque en faillite
Promis en bout de course aux équarrisseurs
De temps à autre perce de ses pupilles dévorées par la cataracte
Un semblant d’éclair
Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu
Et parmi tant de rivages helléniques
Il se peut qu’en saison précise
Se lève la brume sur la vieille natale demeure en bois vermoulu
Du souverain qui fit don de son turban au Sphinx d’Egypte
Peut-être était ce un avatar guerrier d’Œdipe
Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu
Quand j’aborde dans un fracas de lumières ioniques
Kavala et son cercle marin des poètes ressuscités


III



Autour de maître Patrikios
Et sous un grand arbre élancé
Etait-ce un peuplier
crissant de nostalgie
Se promènent invisibles les vivants définitifs
Cavafis Seféris Rítsos Elytis
Ils sont parmi nous infortunés glorieux
Revenus du purgatoire













Et l’enfant d’Eldjezaîr
Sœur jumelle de Kavala
saisit au vol la main fraternelle de Patrikios
Loin des bouzoukis corrompus
Le pain et les poissons rompus
Sous les auspices romains de Lucio Mariani
Nous voguons vers l’empire désarmé
De la poésie où chaque mot blesse
Pareil à un grenadier enchanté
Lucio invoque Ephèse
Et allume impénitent un cigare
Patrikios dans un sourire amusé
Evoque Eros et ses miracles méditerranéens
Et Yannis
Et quand les oracles eurent fini
D’illuminer la nuit mouvante de Kavala
On entendit au désert
Le son d’une sirène de bateau
le sanglot d’une harpe
et le ricanement d’un étalon
le parfum errant de Donatella
il pleuvait cette nuit-là
à Kavala
































Serial Killer

Camarade Pey
dieu n’est plus un chien qui aboie dans les arbres
Ce dieu est un serial killer qui abat à bout portant
Ses voisins frêles usagers du quotidien
C’est un tueur d’élite
Pas un matador en habits de lumière
Face
Aux taureaux de Guisando
Et à sa nostalgie

Ce dieu a un portable
Il téléphone en pcv au Shérif
Avant d’ajuster son fusil
Et d’étoiler de sang le front
Des passants de la 5è avenue

Ce dieu n’est pas un enfant
de la défunte Mésopotamie
C’est un soldat apeuré
qui solde ses comptes
Avec les obsessions de l’Amérique

Ce nouveau dieu écrira sans doute
dans les couloirs de la mort
un best-seller
Sur ses aventures de serial killer


Ce dieu n’est pas un chien qui aboie dans les arbres
Et c’est Baghdad en proie aux aboiements

24/10/02










« Il y a des morts qui sommeillent dans des chambres que vous bâtirez. Des morts qui visitent leur passé dans les lieux que vous démolissez. Des morts qui passent sur les ponts que vous construirez. Et il y a des morts qui éclairent la nuit des paillons, qui arrivent à l’aube pour prendre le thé avec vous, calmes tels que vos fusils les abandonnèrent. Laissez-donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts »
Mahmoud Darwich, Le dernier discours de l’homme rouge


Izet Srajlic
I

Une minute après minuit
selon des sources généralement bien informées
le Six milliardième humain
a surgi
des limbes de Sarajevo

C’est peut-être un nouveau coup
de Izet le facétieux
de Toulouse à force de cafés et de tabac
de paroles meurtries
il a fomenté ce petit miracle
de donner au monde agonisant
un autre Sarajlic

Quand le temps sera venu
où la poésie sera passée de mode
le fils de Fatima de Visoko
pourra faire un tour du côté
de la maison de Izet Srajlic
il trouvera dans le vent d’automne
son âme ayant pris la forme
d’un bouleau redessiné par Chagall

et même si en ce jour
il ne serait pas à prendre
avec des pincettes
il lui parlera de l’an 42
de ses vitres brisées
de l’amour de sa vie
de ses longs voyages

et enfin lui livrera
le vrai secret de la poésie
dans une tasse de café

le 13 octobre 99






II





Ainsi donc Izet
Tu nous as lâchés
Je l’apprends au hasard d’une lecture
Dans un bulletin voué à la poésie
Ou Serge
te dresse un tombeau
Tu es passé comme un cygne las des jours
Par un automne indien
Dans Toulouse entre deux trains
Au Ricochet
Tu as décoché Saravejo
De ta bouche de cendres
Le long feuilleton de tes cauchemars éveillés
Dans le silence gêné des bonnes volontés
Accourus ravir une étincelle de convivialité
Aux marges de la routine provinciale



Et j’ai lu le poème
De notre rencontre improvisée
Par deux contrebandiers de la parole
Je venais d’Alger
Et toi tu hantais même par ton absence
Les artères de Sarajevo

Notre maison de fortune résonne encore
De tes éclats sans protocole
Le couscous te donnait des hauts le cœur
Musulman, laïc – quel pari !-
Tu n’aimais que les cuisines syncrétiques
Sans trop d’artifice avec peu d’épices
A Buzzet le vin épandait ses murmures
Y avait-il place pour des sanglots
A la table de fraternels bavardages
Contre ton élégance
Il me souvient je ne sais pourquoi
des paons de Baya
De leurs meurtrissures naïves
De la grande geste nérudienne







Le monde avait changé
Les règles du poème chaviré
La mort tissait ses nouvelles lignes
Une parole maligne consacrait les linceuls
Izmet qu’est-ce qui t’a pris à jurer au pied d’un bouleau
Un amour éternel à une éphémère
Tu l’empêches de rejoindre la grande mer



Ainsi donc
Izmet
Tu rejoins le frère fusillé en quarante deux
Tu n’avais que quatorze ans
L’étoile rouge des partisans scintillait
au front d’une nouvelle nation
tu avais quatorze ans
l’âge où le malheur se saisit comme un faucon
d’un cœur évanescent
tu avais trop lu Maïakovski en recto
entends donc ta litanie
au seul des festins convenus

le monde a changé
et foin d’illusion lyrique
tu es resté définitivement l’enfant de douze ans
qui avait juré sur le bouleau
un amour sans fin
pour une femme

elle t’a laissé seul
dans Sarajevo
seul parmi les feuillets de livres inachevés
le bouleau à la vitre de la fenêtre
comme un regret
d’avoir trop aimé
aux temps des petites lâchetés

la mort tissait ses lignes
et tu le savais
entre deux trains
entre Strasbourg et Toulouse
et nous qui te tenions la corde












Ainsi donc Izet
Nous t’avons fâché
Dans cette ville ouverte
Sur le mensonge humain
bûcheron des phrases viriles
nous t’avons lâché

et à l’image de ta vie assumée
que vaut un tombeau de mots
devant le frêle bouleau bruissant
comme la femme aimée
sans rémission
à la fenêtre de ta demeure





O Izet Sarajlic
Je suis sûr que tu nous quittés
Dans une grande colère



Ce 27/01/03



























Loup où es-tu ?





Exil
Luxuriances
Adieu au loup
Parole obscurcie
Un enfant détaché
de ses paysages intérieurs s’en va
C’est l’enfant
Epoussetant le sel et le soleil
De sa courbe humaine


Le cœur s’arrêta sans fracas
Ce n’était plus un étalon écumant
A peine un grand enfant
Aux cheveux trop tôt blanchis
Qui savait retrouver son chemin
dans les épais brouillards nordiques




adieu au loup
à ses cris feutrés
à sa faim voluptueuse
ses mondes étagés




aux frontières hantées par les barbares en cravate
Dieu en vacances qui sourit de la comédie des hommes
et de la défaite de ses prophètes

adieu au loup en nœud papillon
captif sidéral de ses métaphores et de ses femmes
adieu au loup
le cœur s’arrêta sans fracas


c’était à peine un enfant
aux cheveux trop tôt blanchis
qui m’administra une leçon de poésie
que je déchiffre encore











































ADAGIO HAYET


Et c’était l’Adagio que je poursuivais
De l’assiduité d’un cœur brûlé au sel de la mer
Huilé à l’iode et au secret chagrin de l’oursin,
Je me perdais dans les sables du savoir


Et j’aimais aimais avec fureur
Avec maladresse
Mon Elvire de la Source aux Oiseaux
Elle apparaissait derrière le grillage d’un jardin
Enclos de jasmin et de chèvrefeuille
Dans le crépuscule souverain

Je plongeais la main entre les fils de fer
dégrafais son corsage
–ou était-ce elle qui avait précédé ma hâte-
Dans sa gorge et tenait son sein comme
Un chandelier flambant en vain

C'était l’Adagio que je caressais
Et je sais que c’est Mozart
-enterré de nuit sous quelques perfides
flambeaux suivi par les chiens-
Or je disais adieu à ma jeunesse
Elle avait la frêle forme évanouie de Hayet
Mais je poursuis ma vie aux pids de l’Adagio
dans le souvenir jalousé du chevrefeuille et du jasmin

Cugnaux le 19 mars 07
































La légende de la noia del Port de la Selva

« Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l’infini effara ton œil bleu » Rimbaud
-





Je referme ces feuillets
Sur une noyée
Ni lys ni nénuphars
Ni cavalier pâle
ni vents de Norvège
Ni le bel Arthur
pour accompagner le cortège
Un simple Numide
ému du soudain malheur

Un corps à l’eau
Enveloppé par un journal
Un départ une gare un autobus
Une jeune femme des frimas
Dans une ville de soleil
Pour décrypter les secrets du cinéma
Un visage un corps vif inconnu
Habitant sa jeunesse et son secret
Et voici le départ la frontière
l’entrée dans le mystère
des bleus à l’âme à la nuque
une âme erre en mer
le malheur le désarroi d’une mère
c’est la noyée de Port de la Selva
un entrefilet pour final
à l’aurore d’une vie
Ophélia survécut au fait-divers
Le grand Arthur fit cortège
A son soudain malheur
A défaut je referme ces feuillets
Sur l’énigme de Ninon












Ikhlas/Final ?


I

Ont-ils assez ri
De toi et de tant d’autres
Les prescripteurs les proscripteurs
Ceux qui tiennent la ligne droite
Les tenanciers du slogan
Agiles à grimer leur boursouflure
A fouler du talon le désarroi du prochain
Ont-ils assez moqué le niais
Qui tient son cœur à sécher
Au grand air des chemins sans repère
Ont-ils assez recouvert de poix
L’écume légère de nos jeunesses
les chemins clairs et fous
de la Grande promesse

ils ont la clé du froid
la science de la pertinence cynique
la mémoire sinueuse des marchandages


II

et nous
nous gardons un vieux secret
une fertile parole sans posologie
nous aimons toujours sans rire
les hommes et leurs chants
opprimés comprimés largués
sur une mer nuit sans étoile
entre deux frontières
sur une pâle bouée
pour noyer le destin
comme un chien enragé

est-ce la vague
est-ce cet increvable destin
qui s’esclaffe sous le ciel







Ithaque
Coalescence

à Pierre Colin

Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Antonio Machado


Ithaque s’épuise d’attente
Un palmier stérile a poussé ses bras
Au-delà du cercle permis
Le soleil va agitant la pourpre de ses bannières
Les mimosas languides
Et voici le sang de la saison
les amandiers têtus

De combien de narcisses se monnaient les regrets
Soudain
Un joueur de mandole se prend pour Ulysse
La poésie déambule ses énigmes
dans la cour des rois
et succombe à son reflet de paon

Le joueur de mandole s’épuise dans sa qacida
Splendeur nostalgique du soleil
Rhumel
jardins patients
frémissants sous les mains
imperceptible de leurs amants
enfin vainqueur
ou cabot
Un palmier stérile a poussé
dans la cour des rois

Ithaque s’épuise d’attente
Un joueur de mandole se prend pour Ulysse
Qui succombe le paon ou le poète
Ithaque
Tout passe
Coalescence
Le poème s’élance s’arase culbute
Dans les parois de la brume des mots
Ithaque est là ailleurs dans l’infini de la mémoire
Le poème se tord comme un mouchoir
Sur un quai de gare
Tout passe un train après l’autre
Un temps sur l’autre
Souvenirs à saute moutons
Qui de Sinera ou d’Ithaque
Abritera le poème dérisoire
De ta vie poème voué au cabotinage
Au large du mouvement perpétuel des simagrées
Quand se poseront à nouveau les cigognes

Sur mon village marin qui s’effrite aux vents d’Est
Là un joueur de mandole se prend pour Ulysse




30 avril- 8 mai 2009





























POSTFACE

Une poésie solide et belle
Par Michel COSEM








Les vrais poètes sont ceux qui savent parler à l’humanité toute entière avec des mots qui leur appartiennent et dont ils savent cultiver la saveur et l’originalité. Abdelmadjid Kaouah est de ceux-là et lorsqu’il parle de son expérience vécue il sait le faire avec retenue et intelligence ce qui en augmente la portée et le témoignage.
Dans « La Maison Livide » (1) il livre son expérience de cette façon simple et cela est bouleversant.
Il y a chez Abdelmadjid Kaouah un grand amour de la langue, une connaissance parfaite de l’écriture et de l’histoire de la poésie, ce qui fait de lui un poète francophone à part entière. Il est bien le compagnon de toute la poésie et non de tel ou tel poète. Ce que j’aime aussi beaucoup chez lui c’est son respect de la langue française, et cela est une source pour le lecteur de vraies découvertes et de vrai plaisir.
Je ne puis m’empêcher de penser à une réflexion d’un penseur occitan –Félix Castan – pour qui la langue du colonisateur devient un bien si précieux, pour le colonisé, non pour prendre sa revanche mais pour le dépasser. (2)
Le combat poétique apparaît ici dans sa totale évidence.
L’autre versant de Abdelmadjid Kaouah est son militantisme pour la poésie d’expression française. Son bel ouvrage « Poésie algérienne francophone contemporaine » (3) est un modèle du genre.
Ami de nombreux poètes, il a côtoyé ce qui se fait de mieux en ce domaine et contribue au renom et à l’écho des lettres françaises. Il écrit en particulier dans son étude préliminaire : « La poésie, loin d’être un exercice solitaire, doit participer aux affaires de la cité, à la transformation de la réalité et la construction d’un nouvel ordre social », ce qui est vrai pour tous les temps et tous les pays.
Ce qui plait aussi chez Abdelmadjid Kaouah c’est qu’il procède avec une bonhomie tranquille, un bon sens à toute épreuve, donnant à sa poésie solidité et beauté tout à la fois.




J’aime terminer cette courte présentation par un extrait de « Par quelle main retenir le vent » (4) :

J’ai désiré les mots
A l’image de mes amitiés
Et des soirs bavards
Qui aide les hommes
A comprendre les oiseaux
La sève des arbres
J’ai creusé les mots
Dans l’alphabet de la neige
Afin qu’ils ne soient pas définitifs

On être saurait être plus modeste et plus juste.








Michel Cosem



___________________
(1) Encres Vives, 1995
(2) Autre Temps, 2004
(3) L’écrivain, Kateb Yacine, Grand Prix Francophone de l’Académie Française, qualifiait la langue française de « butin de guerre » des Algériens.
(4) Noir & blanc, 2000.


Il faut voir derrière le miroir qui tient le miroir
Par Serge PEY


La poésie d’Abdelmadjid Kaouah se fait avec les os et le sang de l’air, les yeux de l’eau, les mains du feu. Partout où il y a de l’amour et de la lutte pour l’amour. La poésie de Kaouah est un chemin vers la liberté. Elle nous rappelle qu’il faut arriver au plus profond de soi, dans son lointain territoire intime pour soudain trouver l’autre et sa langue. La langue dans la langue, derrière la langue de la Parole, qui fait soudain la bouche qui dit. Le peuple algérien passe dans cette bouche. Tout le peuple. La poésie d’Abdelmadjid Kaouah est la poésie du peuple algérien lorsqu’il se rappellera. Lorsqu’il rassemblera sur ses mains en ronde le nombre exact des poètes exécutés par les fascistes du vide.
Kaouah dit à son peuple : « Il faut voir derrière le miroir qui tient le miroir ». Il dit aussi : « Pour voir il faut casser le miroir ».
Aujourd’hui, comme dit Kaouah, tous les poètes sont « les hommes d’un jour » et surtout quand l’Algérie ouvre son poème et le fusille ou lui tranche la gorge devant ses enfants ».

____________

(*) Avant-Propos à « La Maison Livide », éditions Encres Vives, 1995
Prix Claude-Sernet des Journées internationales de Poésie, Rodez, 95
















Figure du Minotaure(*)
par Emmanuel Hiriart

Tahar Djaout qui l’avait retenu dans son anthologie Les mots migrateurs écrivait que « ses poèmes tendent vers la plénitude et (…) laissent bien peu de choses hors de leur inventaire : il y circule de la révolte et des confidences d’amour, de la protestation et de l’espoir mais aussi tant de lumières douces qui font rêver, tant d’évocations d’arbres et de rochers, tant d’oiseaux annonciateurs de terres et de saisons heureuses… » . « Nous savons à présent/ que les oiseaux sont mortels/ dans les jungles de la morale ». » Le savoir est une bouche en convulsion/ et la mort a berné tout le monde/ elle se tord les hanches et rit des hommes ».
A Toulouse sa terre d’exil la lumière s’assombrit. La figure du Minotaure totem psychopathe ivre de violence hante les poèmes et la rue du Taur.
Dans la mémoire de l’exilé un jeu d’écho s’éveille entre les rives et les temps de la Méditerranée, entre la croisade des Albigeois et les égorgeurs de l’Algérie contemporaine. Reste l’espoir comme chez Hölderlin d’une lumière grecque originelle, Ulysse ou Orphée revenu de l’enfer découvrant « la simple la terrible pureté/d’exister – réfractaire/ à l’embouchure/ des oracles et des cataclysmes sous l’ironie lbératrice d’un ciel sans « rien d’immortel/ sinon l’absence/ dans la dérision/ des nuages ».
Reste l’amour fou pris dans la lumière douce amère du prisme verlainien : « je découvre une nouvelle/porteuse de soleil/ni tout à fait pareille/ni tout à fait dissemblable/ à l’Aimée ».



(*)Les soleils interdits, poètes algériens d’aujourd’hui, Poésie/première , juillet/octobre 2003