lundi 20 septembre 2010

DIB: Au-dessus de l’innommable




Avec Les Terrasses d’Orsol , 1985, Mohammed Dib inaugurait sa « Trilogie nordique », balisant des rivages étendus dédiés à l’onirisme et au mythe. Suivront : Le sommeil d’Eve (1989) et Neiges de marbre (1990. Au lendemain de l’indépendance, le romancier rompait avec la narration réaliste et l’effet de réel avec « Cours sur la rive sauvage » (Seuil, 1964). balisent des rivages encore plus étendues dédiées à l’onirisme et au mythe. A première vue, la trame du roman ne semble pas complexe. Eid, un ancien universitaire, au sortir d’une convalescence, est désigné par les autorités d son pays pour une mission officieuse : s’installer à Jarbher, métropole lointaine. Il doit expédier divers rapports relatifs à des domaines en négociation avec son pays. Eid, le personnage principal en même temps que narrateur, découvre un monde où matière et sentiments sont en parfaite symbiose. Abondance des produits, splendeur de l’architecture, élégance des hôtes participent à donner l’impression du « meilleur des mondes », une sorte d’âge d’or qui émerveille le « chargé de mission ». Ainsi Jarbher ignore les dissensions et les turbulences qui sont le lot d’autres communautés. Mais, à la faveur d’une incursion inopinée, l’apparent équilibre est ébranlé et Eid se retrouve précipité dans une insoutenable torture mentale. Il découvre dans un gouffre de l’océan des sauriens au comportement presque humain. Au-dessus du gouffre, les Jaberhois vaquent dans une indifférence coupable à leurs occupations. Le gouffre n’est en fait qu’une sorte de miroir renversé où il lit le rêve de la vie qu’il lui reste à mener. Une voix hors champ, sorte de double omniscient du narrateur envahit le texte. Quête de soi, effroi de l’âge … Eid est confronté à « l’innommable ». le prix du secret à peine affleuré coûte une « ratonnade » à Eid. Le danger est donc de succomber à une lecture réductrice. Le roman n’exclut pas l’allégorie, et brasse polyphonie de motifs. Une œuvre d’art n’échappe pas à la dure empreinte du réel..Les Terrasses d’Orsol un simulacre des pouvoirs de la parole (et Dib n’est-il pas poète avant tout ?) .Eid, ce « héros » sans grande bravoure, hormis le courage de poser des questions dérangeantes pour son entourage est seul à avoir des « visions » infernales, à entendre des « voix » . Il « ne savait pas ce qu’il cherchait mais il savait ce qu’il avait trouvé. Il le savait mais n’osait pas se l’avouer dans le secret de son cœur , n’osait pas se le dire en conscience ». C’est un simulacre des pouvoirs de la parole- et Dib n’est-il pas poète avant tout ?-. C’est par le renoncement et le supplice-rêvé ou vécu ailleurs- qu’il recouvre son identité réelle. Enfin revenu des labyrinthes, transfiguré grâce à Aëlle la femme-oiseau . Des paroles obscures, heurtées l’assaillent et s’énoncent dans un redoutable cérémonial de la Parole révélée : « Par les cavales haletantes, par les cavales bondissantes, par les cavales…du matin…et les empreintes de leurs sabots…en vérité l’homme est ingrat envers…il en porte témoignage…il ne sait pas qu’à l’heure où les tombes vomiront leurs entrailles et les cœurs leurs secrets… ». Fin des temps ou signes précurseurs ? Qui sont ces êtres étranges dans la fosse ? Les Harragas n’étaient pas encore nés, les Sans-papiers n’étaient pas encore pourchassés dans la forteresse Europe et la crise économique n’était pas encore mondiale, poussant des ouvriers licenciés à menacer de faire exploser leur usine. L’ordre social ne serait-il qu’un gouffre propitiatoire ? « Le bonheur d’un homme c’est un autre homme qui l’assure et qui l’acquitte », conclut Dib.

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