dimanche 17 novembre 2013

Camus : Une passion à l’algérienne

Chronique des deux rives par Abdelmadjid Kaouah Camus : Une passion à l’algérienne
Tout réussit à Camus, post-mortem, entre les deux rives. Une biographie bienveillante signée par le sulfureux Michel Onfray ("L'ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus", Flammarion, 2011). Celui-même qui récemment mit en pièces Freud. Le Panthéon avait été requis pour Camus par le Chef de l’Etat français en personne. Et moins tonitruante mais hautement symbolique, la toute dernière nouvelle est venue de son pays d’origine, l’Algérie. Selon une indiscrétion journalistique, la maison située à Dréan, ex-Mondovi, dans l’actuelle wilaya d’El-Tarf, qui a vu naître Albert Camus, est en passe de sortir de son anonymat. A l’occasion du 52e anniversaire de la mort de l’auteur de « L’Étranger » une plaque en marbre sera dévoilée et sur laquelle on pourra lire : “Ici est né l’écrivain Albert Camus, prix Nobel de littérature.” On remarquera la subtilité de l’inscription. Aucune référence directe à sa nationalité. Ni Français ni Algérien. C’est l’universalité de Camus qui est ainsi mise en avant par son titre de Nobel. La littérature serait donc la vraie patrie des écrivains, pourrait-on conclure. En fait la filiation de Camus, de son parcours, de son « Combat » et de ses prises de position n’a jamais cessé d’alimenter les points de vue les plus divers et les plus tranchés. Et la controverse et la polémique n’ont jamais cessé. Et c’est justement à cause d’une phrase ambigüe à propos des « évènements d’Algérie », selon l’expression consacrée à l’époque (avant que la représentation nationale française reconnaisse enfin que c’était une guerre) lors d’une fameuse conférence de presse…Camus une passion algérienne ou à l’algérienne avant tout. Dans une « Lettre ouverte », en 1959, Taleb Ahmed El-Ibrahimi s’était adressé en ces termes à Albert Camus qu’il avait bien connu : « Si vous n’êtes pas certes notre maître à penser, du moins représentez-vous notre modèle d’écriture. La beauté de la langue nous émouvait d’autant plus que nous vous considérions comme l’un des nôtres. Nous étions de surcroît fiers que ce fils de l’Algérie eût atteint, solitaire, le rocher du succès. Pour la première fois, nous disions-nous, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n’est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage du désert, le mystère de la casbah, la féerie des souks, bref tout ce qui a donné naissance à cette littérature exotique que nous exécrions- mais que l’Algérie, c’est aussi et avant tout une communauté d’hommes capables de sentir, de penser et d’agir… ». Autant de lignes qui traduisent la ferveur de l’investissement placé en Camus. Et l’attente, en retour de sa part, d’un engagement sans faille dans le processus d’émancipation et de libération anti-coloniale des « fils d’Algérie ». La moindre dissonance au soleil algérien résonnait comme un divorce. Malentendu de Stockholm ? Dans une autre lettre destinée à Camus, deux ans plus tôt, et Kateb Yacine interpellait son « cher compatriote » dans ces termes: « Irons-nous ensemble apaiser le spectre de la discorde ou bien est-il trop tard ?...Exilés du même royaume nous voici comme des frères ennemis, drapés dans l’orgueil de la possession renonçante , ayant superbement rejeté l’héritage pour n’avoir pas à le partager. Mais voici que ce bel héritage devient le lieu hanté où sont assassinés jusqu’aux ombres de la Famille ou de la Tribu , selon les deux tranchants de notre Verbe pourtant unique. ».. Les Algériens savent que « l’enfant de Belcourt » avait parmi les premiers décrit et dénoncé la misère algérienne, circonscrit les méfaits du système colonial. On aura remarqué que Taleb-El Ibrahimi parle d’un « fils de l’Algérie » et que Kateb lui donne de « mon compatriote ». C’est plus tard , au soleil de l’indépendance que viendra la désaffection à l’égard de cet « étrange familier » et ensuite la suspicion au regard de certaines de ses chroniques algériennes , sur sa position sur la question de l’indépendance de l’Algérie. Celui qui avait, courageusement, à l’époque appelé à la « Trêve civique » et qui fut conspué, insulté, n’avait jamais oublié qu’il était issu de la communauté des Pied-noirs. En exprimant sa compassion et sa solidarité de principe avec les « autochtones », Camus « solitaire et solidaire », entendait aussi sauver sa propre communauté d’un naufrage historique vers lequel l’entraînaient les « Ultras ».De l’autre côté, comme on l’a vu ,plus particulièrement à travers les adresses de Taleb El-Ibrahimi et de Kateb Yacine, l’attente était forte, peut-être démesurée pour Camus ( avec lequel , faut-il le rappeler, Jean sénac, son fils spirituel , son « hijo » « rebelle » rompit avec lui avec fracas et douleur ). La déception fut assourdissante et donc passionnelle… Christiane Chaulet - Achour et Jean-Claude Xuereb , à la faveur d’un colloque sur Camus à Lourmarin , dans le sillage de l’Année de l’Algérie en France en 2003 écrivaient : « Des années de guerre à celles d'aujourd'hui, la position des intellectuels algériens - journalistes, essayistes et écrivains - a oscillé entre le rejet pour les positions du citoyen refusant l'expulsion ou la marginalisation de sa communauté dans une nouvelle configuration politique et la séduction jamais démentie pour une écriture faisant vibrer au plus sensible une Algérie que chacun ressentait comme sienne. Dans ce contexte passionnel et politique de la décolonisation, toute phrase venant de Camus prenait valeur symbolique et permettait aux uns et aux autres de le vilipender ou de le reconnaître. Bien des arguments vengeurs ont été alors émis dont se sont emparés les adversaires d'une francophonie prétendument destructrice de l'identité algérienne. ». Camus, une obsession algérienne ? Peut-on dire que L’histoire a fait son œuvre ? La mise à distance à la fois éclairante et apaisante a-t- elle rendu aux Algériens Camus plus « lisible », mieux audible ? En tous cas, Camus hante la littérature algérienne et le discours politique algérien jusqu’au président Bouteflika lequel, selon Jean Daniel, lui aurait récité des passages de « Noces » et lui a confié que la réaction de Camus (sa fameuse phrase en réponse à un étudiant algérien à Stockholm en 1957 : « j’aime la justice mais je défendrai ma mère avant la justice ».) prouve qu’il était un véritable enfant de l’Algérie et que, pour défendre sa mère, il aurait agi de même. C’était à la faveur d’un important colloque sur Albert Camus tenu à l'université d'Alger en 2005, impensable quelques années plus tôt. Sa pièce « Caligula », l’une des plus osées, montée par Stéphane Olivié Bisson a pu être donnée en Algérie il ya trois ans sans que le metteur en scène ne note de réactions particulières. On ne compte plus les ouvrages écrits par des Algériens sur Camus ou qui se mettent sous son emblème. Parmi les premiers à aller à la rencontre d’Albert Camus, l’écrivain d’origine oranaise, Abdelkader Djemaï avec Albert Camus à Oran, préface d’Emmanuel Roblès (Michalon, 1995) évoque les déambulations de Camus dans cette ville qui selon lui « tourne le dos à la mer « et « qui s’est construite en tournant sur elle-même, à la façon d’un escargot.». Une quelconque sous-préfecture que distinguent cependant deux lions de marbre sculptés par un certain Caïn et lesquels « la nuit, (…) descendent l’un après l’autre de leur socle, tournent silencieusement autour de la place obscure, et, à l’occasion, urinent longuement sous les grands ficus poussiéreux. Ce sont, bien entendu, des on dit auxquels les Oranais prêtent oreille complaisante » écrit Camus dans Le minotaure ou la halte d'Oran. Oran a aussi servi de cadre à « La Peste »... Suivront , pêle-mêle, de Alek Baylee Toumi : « Madah-Sartre: Le kidnapping, jugement et conver(sat/s)ion de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir mis en scène par les islamistes du Groupe International Armé , (Marsa, 1996); la lettre d’amour de Maissa Bey : « L’ombre d’un homme qui marchait au soleil » (éditions du Chèvrefeuille étoilée, 2004).Plus récemment, le dernier roman de Boualem Sansal, « Rue Darwin » a fait l’objet d’une approche comparée avec « L’étranger » (Sansal ou la tragédie camusienne de "L’Etranger,(In « Forum Free Algérie »). L’auteur du « Serment des Barbares » s’en explique lui-même : "II y a des rapports avec tout et des résonances partout. Camus habitait Belcourt, au 93 rue de Lyon, à deux pas de la rue Darwin. Sa mère était aphasique. Eux aussi étaient de deux mondes. Toute sa vie Camus était dans la souffrance de ne pas pouvoir échanger avec sa mère. Que se seraient-ils dit, Camus lui-même ne le savait pas. Il était dans le même rapport complexe avec le pays (comment le nommer d’ailleurs : Algérie, France, Algérie française, Algérie algérienne ?). Il l’aimait tant, mais pourtant il le quitte et n’y revient jamais, sauf un court moment en janvier 56 pour lancer son appel à la trêve civile. Le rapport est évident une fois qu’on le dit. Yazid et Camus sont deux étrangers, non pas seulement à leur famille et leur pays mais à eux-mêmes. Pour être soi-même il faut être dans sa vérité, en paix avec elle. Ce n’était le cas ni pour l’un ni pour l’autre.". Hamid Grine, romancier algérien, après Gide et son café, nous donne à découvrir, dans la nouvelle maison d’édition Après la lune fondée en France parYasmina Khadra :« Camus dans le narguilé » -que nous n’avons, hélas pas encore lu. Selon la présentation, qui en a été faite dans les médias, il s’agirait cette fois non pas de la problématique maternelle mais de l’ombre portée de l’hypothèse du père…Camus avait écrit à propos des deux : « Les hommes et les femmes, ou bien se dévorent rapidement dans ce qu’on appelle l’acte d’amour, ou s’engagent dans une longue habitude à deux. Entre ces extrêmes, il n’y a pas de milieu » En 2003, des écrivains algériens s’était retrouvés pour une sorte de réunion de famille à Lourmarin à la double initiative de l’association qui était présidée par le poète et essayiste Jean-Claude Xuereb * (natif des hauteurs d’Alger, ami de jeunesse du regretté Jamal Eddine Bencheikh et qui connut Camus à 17 ans). Loin de l’atmosphère des procès en sorcellerie mutuels, le « spectre de la discorde » semblait définitivement enterré avec Catherine, sa fille, qui ouvrit aimablement la porte de la maison de Lourmarin au groupe d’écrivains qui prenait part au colloque sur « les écritures algériennes » de Camus. Avec le voyage de Lourmarin, c’était comme un retour métaphorique de Camus au pays, en Algérie son pays. Le Panthéon de ses origines. Que de chemin parcouru pour tout à la fois une meilleure compréhension de péripéties tragiques - dont les fractures n’ont pas fini d’agiter, il faut le reconnaître, les enjeux de la mémoire et de l’histoire entre les deux rives-. C’est pourquoi, j’ai pris le téléphone pour annoncer la nouvelle de la plaque commémorative de Dréan (à Jean-Claude Xuereb , aujourd’hui âgé de 81 ans et qui écrit depuis Avignon, ses « ultimes » , me dit-il, paroles d’avenir. Dans notre prochaine chronique, nous revisiterons avec lui le « rêve méditerranéen » qui a soufflé sur les rivages de l’Afrique du Nord , dès les années trente. Et j’ai une pensée pour Catherine qui m’a fait découvrir la tombe de son père et de sa mère réunis dans le cimetière de Lourmarin où Camus avait retrouvé en quelque sorte l’Algérie. A.K. _________ Aux titres cités, il faudrait ajouter les toutes dernières parutions consacrées à Camus : Le dernier été d'un jeune homme’ Flammarion) de Salim Bachi ; Meursault, contre-enquête (Barzakh) de Kamel Daoud et Aujourd’hui Meursault est mort, Rendez-vous avec Albert Camus (Amazon) de Salah Guemriche. *Une confusion regrettable nous a fait omettre qu’à l’époque c’était Andrée Fosty qui présidait les destinées Les Rencontres Méditerranéennes Albert Camus

Un rêve méditerranéen

Chronique des deux rives Par Abdelmadjid Kaouah Un rêve méditerranéen (1ère partie) Un rêve méditerranéen a soufflé sur les rivages de l’Afrique du Nord, il y a bien longtemps, dès les années trente. Une époque trouble, lourde de cataclysmes futurs, dans une Europe ravagée par la grande crise de 1929. Sur les rives d’Alger, au soleil, cet astre qui rend, dit-on, la misère moins implacable, l’utopie méditerranéenne était en chantier et prenait par un effet journalistique un nom emblématique : « L’école d’Alger ». Jusqu’à là, en Afrique du Nord, et plus singulièrement, en Algérie coloniale, régnait l’Ecole Algérianiste. Elle se réclamait de Louis Bertrand, l’auteur du « Sang des races », tenant d’une latinité exclusiviste, développée par l’Ecole Algérianiste. Selon les termes de son Manifeste de 1920, elle prétendait à une « autonomie esthétique » par rapport à la Métropole. Dans les « Actes des Rencontres « Audisio, Camus Roblès frères de soleil » (Edisud 2003), J.C. Xuereb nous donne à lire une précieuse approche de cette fameuse « Ecole d’Alger des lettres. L’intitulé de sa contribution est on ne peut plus prudent. « L’Ecole d’Alger, mythe ou réalité » de Jean-Claude XUEREB. Elle se manifesta durant une quinzaine d’années, autour de Robert Rondeau. Pour Jean-Claude Xuereb « cette démarche, non dénuée d’arrière-pensées politiques…faisant allègrement l’impasse sur un millénaire de culture arabo-musulmane » afin de « rattacher cette présence française, dans une continuité historique, à l’Afrique romaine, puis chrétienne du Bas empire ». Cette Ecole, même sur le plan littéraire n’a pas laissé de souvenirs … Les écrivains de la génération suivante prendront leur distance d’autant plus que dans les années trente, « la référence à la romanité apparaissait d’autant plus suspecte qu’elle semblait faire écho aux revendications fracassantes du fascisme italien » (J-C.Xuereb). Ils chercheront ailleurs leur inspiration. Camus en créant en 1937 à Belcourt une maison de la culture intitulait son bulletin « Jeune Méditerranée » en prolongement des essais de Gabriel Audisio qui exaltait l’ouverture vers l’héritage grec. La constitution de ce qui fut dénommée « l’Ecole d’Alger » s’appuiera naturellement sur cet initiateur. Ses essais sur la Méditerranée ouvrent à la voie à un ressourcement dans un héritage méditerranéen plus affirmé et tendu vers l’universalité. Dans un communiqué attribué à Camus, « l’objet principal est de rejeter la mystique de la latinité telle que l’exploite la propagande fasciste » afin de maintenir « entre l’Europe méditerranéenne et l’Afrique la survivance de leur origine commune qu’est l’Orient ». Cet idéal ne pouvait que récuser toute forme d’inégalité ou de ségrégation ethnique ou appartenance religieuse. . La défaite française de 1940 face à l’Allemagne hitlérienne, l’occupation allemande conduisent à la rupture totale avec la Métropole. Alger devient en conséquence la capitale de la France Libre ou fleurissent les revues (Fontaine, l’Arche, la Nef) et la librairie « Les vraies richesses » et les éditions Charlot deviennent le lieu d’une effervescence intellectuelle notable. A cette mouvance qui compte Camus, Roblès, Max-Pol Fouchet, Jules Roy, Jean Pélegri, se joignent Jean El Mouhouv Amrouche et sa sœur Marguerite-Taos Amrouche. Pélegri. Plus tard, avec les « Rencontres de Sidi Madani », cette mouvance intellectuelle et littéraire elle fut sans conteste le lieu d’amitiés et de confrontation d’affinités communes de toutes origines autour de la revue « Forge » avec la participation de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Malek Ouari, Ahmed Sefrioui… »Ceux d’entre eux, issus de la minorité européenne de l’Algérie, déplorent la mentalité « petit blanc » qui entache les relations humaines…» indique J-C Xuereb qui prit part très jeune à une rencontre de Sidi Madani (La Citadelle des Gorges de la Chiffa qui fut à l’époque une auberge de la jeunesse). Certains qui vécurent de près l’aventure littéraire algéroise ne sont pas loin de la considérer comme un brillant et éphémère …canular. S’il n’y eut point de chapelle consacrée, l’idéal de la fraternité humaine avait fait une percée .Ecole fantomatique à l’appellation d’origine non contrôlée, elle aura cristallisé la rencontre d’écrivains nés ou ayant longtemps vécu « sur un même rivage de soleil ». Dans « Le Mythe al- Andalous et les écrivains algériens », Xuereb ajoute : (…) Dans la mémoire des hommes, l’histoire d’al – Andalous est demeurée un modèle vivant de coexistence conviviale. Dès le XII ème siècle, un historien maghrébin, al – Maqqari a présenté, à l’intention des lecteurs arabes, une histoire générale d’al – Andalous, dont il avait lui-même vécu la fin avec l’expulsion des Morisques. Les écrivains arabes des XIX ème et XX ème siècle ont perpétué l’image d’un ‘’paradis perdu’’ andalou dans une perspective romantique et nationaliste. De leur côté, les historiens espagnols, après avoir longtemps minimisé l’importance de la période arabo – andalouse, voire nié la réalité même de celle-ci, ont de plus en plus largement fait référence, surtout depuis l’avènement récent de la démocratie dans leur pays, à l’univers pluriel d’une ‘’Espagne des trois religions’’… Le mythe andalou a traversé, de manière plus ou moins explicite, le rêve méditerranéen créé et entretenu par toute une génération d’écrivains à partir des années 30, ceux auxquels a été ensuite appliquée l’appellation quelque peu artificielle d’Ecole d’Alger’’ ». La mémoire entre les deux rives de la Méditérranée , à juste titre se retisse - en dépit des vicissitudes de l’histoire - à travers de grands noms, symboles respectés et admirés . Ce fut le cas en 2007, pour le Centenaire de Jules Roy, i célébré en Algérie comme en France En l’an de grâce 2013, , la mémoire se toure simultanément 40ème anniversaire de la mort vers le poète Jean Sénac dont c’est la quarantième anniversaire de son tragique assassinat que les Centenaires d'Albert Camus ( Montauban accueille à cet égard une grandiose rencontre autour de la figure et de l’œuvre d’Albert Camus sur laquelle nous reviendrons dans les colonnes d’Algérie News ) et de Mouloud Feraoun – assassiné par l’OAS en mars 1962 -avec d’autres collègues-dont la vie et l’œuvre furent au centre rencontre-hommage qe lui dédia le Salon international du livre d’Alger (Sila 2013) sous la houlette de l’universitaire-chercheur français Charles Bonn et Rachid Mokhtari, romancier et essayiste algérien en présence du fils de l’auteur du « Fils du pauvre »…D’autres hommages ont été rendus dans le cadre du Sila , notamment à ceux qui nous ont quittés récemment : la romancière ,précocement disparue , Yamina Mechakra ; la moudjahida , journaliste et poétesse Zhor Zerari ; Henri Alleg, l’auteur de « La question » qui n’est plus à présenter ; le militant de la cause algérienne et homme de théâtre, Habib Rédha ainsi que le poète syrien , traducteur avec son épouse le Dr. White Queen d’écrivains algériens francophones. Mais la mémoire a aussi ses oubliés, ce que l'on ne convoque trop rarement, dont l'action, pourtant attestée a sombré dans l'oubli, dont les œuvres ne sont au programme d'aucun établissement scolaire et inspirent peu les jeunes chercheurs, nous écrit le comité qui s'est constitué en vue d'une célébration, en France et en Algérie, du Centenaire d'Emmanuel Roblès, par le biais de multiples manifestations. En effet, bien oublié- sans que l'on puisse s'expliquer pourquoi- Emmanuel Roblès (Oran 1914-Paris 1995). Or, son œuvre compte vingt romans et une dizaine de recueils de nouvelles, douze pièces de théâtre comiques ou dramatiques, plusieurs recueils poétiques. Elle est incontestablement considérable, de portée universelle, embrassant le siècle et une thématique multiforme: les violences et les guerres, l'identité, la liberté, le terrorisme, les prises d'otages, mais aussi l'amour, la passion, l'adultère, la famille... Elle nous interpelle et concerne toujours .Honorée de prix importants, elle conduisit son auteur jusqu'à l'académie Goncourt où il siégea pendant plus de vingt ans. Son action éditoriale, nous rappelle le Collectif-Roblès (pour faire vite) ne fut pas moins importante : en Algérie, Roblès participa avec enthousiasme à la vie culturelle, à la radio et dans de multiples revues, créant lui-même Forge en 1947, où débutèrent plusieurs écrivains maghrébins tels que Kateb Yacine, Mohammed Dib et Malek Ouary. En France, il a fondé dès le début des années 50 la collection "Méditerranée" aux éditions du Seuil, travaillant inlassablement à la découverte de nouveaux auteurs des deux rives. Bon vent donc à l’entreprise initiée (voir encadré) à partir du Fonds Roblès (Limoges-Montpellier) et à l'initiative de son ayant-droit, Mme Jacqueline Roblès Macek ! En diffusant l’information sur les initiatives pour le Centenaire d’Emmanuel Roblès, nous avons euce retour de notre ami l'écrivain Gil Jouanard: « Je l'ai rencontré (et même accueilli à la gare) à Oran, en 1963 ou 64. Il venait faire une rencontre (à la librairie Manès je crois, et au Centre Culturel Français). Je lui ai fait un entretien me semble-t-il pour La République/ El Djoumhouria. Peu de temps auparavant (ou un peu après, je ne m'en souviens pas), c'était au tour d'Henri Alleg de venir d'Alger. J'ai aussi publié un long poème de Sénac, qui était venu aussi d'Alger avec ce train qui alors mettait un temps infini ; et Jean était venu uniquement pour assister à la tombée du journal et repartir avec sous le bras un paquet d'exemplaires (il avait tenu à dormir dans l'atelier d'impression du journal afin d'être là pour la tombée et était reparti aussitôt à la gare !!!). Quelle époque ! Et quels hommes ! Roblès était extraordinairement chaleureux". Un témoignage qui se passe de commentaire. A.K. Encadré : Calendrier des manifestations et publications prévues (non exhaustif) 1. Exposition : L'exposition "Emmanuel Roblès, une oeuvre, une vie", conçue par la bibliothèque francophone multimédia de Limoges sera mise à disposition de tous les organismes, associations ou médiathèque qui en feront la demande. Sa présentation pourra être accompagnée d'un programme de conférences sur Roblès et son oeuvre. Contact : Franois Ruault, Bibliothèque francophone multimédia, 2 place Aimé Césaire - 87 032 Limoges Cedex , mel : fruault@bfm-limoges.fr 2. Colloques : - 6 décembre 2013, Ministère de l'Education nationale, Paris : Journée d'étude de l'Association des Amis de Max Marchand, Mouloud Feraoun et de leurs compagnons : "Mouloud Feraoun et Emmanuel Roblès : l'action des Libéraux". Contact: Jean-Philippe Ould Aoudia 191 avenue V. Hugo - 92140 Clamart - aoudiajph@wanadoo.fr - 7-8 avril 2014 : Université Paul Valéry- Montpellier 3 : Journee d'étude de l'IRIEC, composantes "Mondes hispaniques" et "Francophonies - Interculturalités" : Max Aub et Emmanuel Roblès Contact : Prof Guy Dugas et Michel Boeglin, IRIEC, Université Montpellier III, 34199 Montpellier Cedex 5 - michel.boeglin@univ-montp3.fr - 14 mai 2014 : Célébration du Centenaire de la naissance d'Emmanuel Roblès. Vézelay, Maison Jules Roy (à confirmer). Présentation du volume Roblès chez Charlot (éditions Domens) - 6, 7 et 8 novembre 2014 : A Limoges, colloque international Emmanuel Roblès et le théâtre. Le Théâtre d'Emmanuel Roblès, organisé par l'IRIEC, le Fonds Roblès (BIU Lettres, Université Montpellier 3) et la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges Contact : Prof Guy Dugas, IRIEC, Université Montpellier III, 34199 Montpellier Cedex 5 guy.dugas@univ-montp3.fr appel à comm : http://www.fabula.org/actualites/emmanuel-robles-et-le-the-tre-le-the-tre-d-emmanuel-roblescolloque-international_59638.php. 3. Cours et séminaires Aux premiers semestres des années universitaires 2013-2014 et 2014-2015, l'Atelier de génétique textuelle du Professeur Guy Dugas au sein des masters Lettres et Etudes culturelles de l'université Montpellier 3 sera intégralement consacré à une approche génétique de la célèbre pièce Montserrat. 4. Publications : - Guy Dugas : Roblès chez Charlot. Ed. Domens, Pèzenas. - Correspondances d'Emmanuel Roblès, en particulier avec Max Aub, les frères de soleil : Tahar Djaout, Mouloud Mammeri, Driss Chraïbi, etc. - Emmanuel Roblès : Ecrits sur le théâtre - Actes du colloque du Centenaire, Limoges 7-8 novembre 2014. Pour tout contact : Guy DUGAS Directeur de l'IRIEC - EA 740 Université Paul Valéry - 34199 Montpellier Cedex 5 (Fr.) tél bur : 04 67 14 24 34 - port : 06 63 64 50 89 http://www.limag.com/Pagespersonnes/Dugas.htm

samedi 16 novembre 2013

La résurrection de Jean Sénac

La résurrection de Jean Sénac (1) Par Abdelmadjid Kaouah ALGERIE NEWS
28 septembre 2013 «Qui se souvient de Jean Sénac ?», s’interroge Max Leroy dans un article de présentation de son essai : « Citoyen du volcan – épitaphe pour Jean Sénac » (éditions Atelier de création libertaire, 2013). Il n’est pas le seul à s’intéresser cette année au destin du poète du Noun… Même si c’est un peu tard, on découvre et redécouvre Jean Sénac. Encore davantage en ce quarantième anniversaire de sa mort, plutôt de son assassinat (un 30 août 1973)… Fait divers parmi tant d’autres ou assassinat à motivation idéologique ? La justice a tranché. Mais on sait qu’aux frontières de l’évidence, la vérité peut être ailleurs. Pour ce quarantième anniversaire de la disparition de Sénac sont attendus, notamment : « Jean Sénac, poète et martyr » du regretté Bernard Mazo – décédé juste après avoir mis la dernière main à son ouvrage. C’est un essai qui est préfacé par Hamid-Nacer Khodja, le spécialiste de Jean Sénac dont la thèse d’Etat sur Jean Sénac doit paraître bientôt sous forme de livre. Il faut ajouter une réédition de « Pour une terre possible » (poèmes et autres inédits, Marsa,1999) en format poche aux éditions Point. Des articles nombreux et divers parsèment la Toile ou les revues entre les deux rives de la Méditerranée. En Algérie, signalons « Jean Sénac : Il y a 40 ans, une étoile s’est éteinte » (Le Soir d’Algérie) d’Ali Akika. Ce dernier, cinéaste et fin connaisseur de la littérature algérienne, a consacré un film documentaire à ce dernier, « Jean Sénac: le forgeron du soleil » qui n’aura été projeté que dans les centres culturels français d’Alger et d’Oran ! Quand on sait que Jean Sénac durant les premières années de l’Indépendance parcourait le pays profond, organisant et donnant des récitals de poésie, y compris dans des églises transformées en centre culturel, comme ce fut le cas un moment à Sour El Ghozalne, dont il rendit hommage dans un texte sauvé de l’oubli par les éditions locales, L’Orycte,(1981) il y a de quoi être indigné ! Passons. Au pays est attendu « Tombeau pour Jean Sénac », un ouvrage collectif à paraître à la maison d’édition Aden, celle de Londres. Ce sera, à notre connaissance, la seule initiative « algérienne » puisque, selon Hamid-Nacer Khodja, l’échec des tentatives de réédition en Algérie de recueils de Jean Sénac résulte du refus des éditions Gallimard de céder les droits de publication, notamment pour le recueil «Avant-corps» (1968). « Ecrivain et poète, pied-noir et indépendantiste, chrétien et révolutionnaire. Caillou dans les souliers de la France et de l’Algérie, Sénac bouscule les deux rives et les eaux troubles de la Méditerranée… », Observe Max Leroy tandis que Christophe Dauphin de la revue Les Hommes sans Epaules, écrit « Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français, que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne ». Et de conclure : « On ne ressort pas indemne de la lecture de Jean Sénac ». En 1970, Jean Sénac s’était lié d’amitié avec Jean Breton et le groupe des Hommes sans épaules, reconstitué autour de la revue Poésie 1, où parut la mythique « Anthologie de la nouvelle poésie algérienne ». Et c’est encore chez Jean Breton que fut publié le dernier ouvrage de Sénac de son vivant : « Les désordres » (1972). En effet, de grands désordres étaient intervenus dans sa vie. Il avait dédié sa vie au combat pour une Algérie nouvelle, rompant les amarres avec sa tribu d’origine, récusant son père spirituel, Albert Camus (qui dans une lettre lui reprochait d’avoir pris le parti des égorgeurs)… Dans une Algérie en pleine effervescence dans ces années 1970 marquée par des réformes- attendues et exaltées en éclaireur par Sénac- paradoxalement, le poète du « Soleil sous les armes (1957), de « Matinale de mon peuple » (1961) qui avait accompagné « l’état-major des analphabètes » vers sa libération nationale et son émancipation sociale, après avoir connu les honneurs sous Ben Bella (au point où l’on accusa d’être devenu un poète de cour), se retrouvait marginalisé, exclu, voire chassé sans explication de la radio où il donnait la pleine mesure de ce que la poésie pouvait apporter à la cité. Son altérité sexuelle lui valait une moquerie homophobe tenace qui y trouvait prétexte à minorer son œuvre… Reclus, visité seulement par de jeunes poètes, dans sa « cave-vigie » de la rue Elisée. Reclus à Alger, il était voué aux gémonies par les envieux et les sectaires de tous poils. Avant de finir sous les coups de couteau. La résurrection de Jean Sénac (2) Par Abdelmadjid Kaouah ALGERIE NEWS 5 octobre 2013 Par Abdelmadjid Kaouah «Jean Sénac : poète et martyr», le livre posthume de Bernard Mazo est en librairie. C’est une longue enquête sur les traces d’un poète subversif et dont l’œuvre poétique abondante et qui reste indissociable de sa dénonciation du fait colonial, de ses grandes espérances en l’indépendance algérienne et enfin de sa traversée du désert avivée par son altérité sexuelle. Le livre s’ouvre sur un avant-propos de René de Ceccatty et une préface de Hamid Nacer-Khodja. Ici même dans les colonnes d’Algérie News, Bernard Mazo nous avait accordé un long entretien. Comme beaucoup de jeunes Français, Bernard Mazo eut « vingt ans dans les Aurès ». Et depuis, il confie qu’il porte l’Algérie et les Algériens dans son cœur « comme une blessure jamais tout à fait refermée et cela depuis plus de cinquante ans ». Il y a découvert la richesse de la culture multimillénaire berbère et arabe, en même temps que les affres du colonialisme avec son cortège de misère et d’injustice. Dans cette « sale guerre » qui n’avouait pas son nom, il a entendu également les appels de quelques Justes français, tels qu’Henri Alleg, Maurice Audin et d’autres hommes de conscience comme Jean de Maisonseul et le général Pâris de La Bollardière. Et, au cœur de ces Aurès tourmentés, la poésie était là. Eclairante et salvatrice », écrivions-nous après son décès. Nous reviendrons prochainement sur «Jean Sénac : poète et martyr» (Seuil). On ne finit plus de découvrir, redécouvrir Jean Sénac. Même si c’est un peu tard, il n’y a pas lieu de faire la fine bouche. En fait, nous assistons à l’aboutissement à ciel ouvert du long, lent, patient et obscur (pour reprendre un terme que Jean Sénac affectionnait) travail que ses amis fidèles et admirateurs de longue date ont entrepris dans le silence et parfois l’adversité. On doit au regretté Rabah Belamri, poète et écrivain, trop tôt disparu, une part notable de l’ancrage de l’œuvre de Sénac dans le paysage universitaire. Le relais a été depuis longtemps assuré par l’efficace et talentueux, Hamid Nacer-Khodja, poète lui-même, qui figurait parmi les exécuteurs testamentaires désignés de la main de Sénac. A la faveur de ce quarantième anniversaire de la mort de Jean Sénac, il me paraît judicieux de rappeler le travail éclairant de la revue Algérie Littérature/Action sous la direction de Marie Virolle qui nous a donné à lire, en 2009, un précieux « Spécial Jean Sénac », riche en témoignages et en redécouvertes. Surtout sur les premiers pas et doutes de Sénac, écrivain de formation. Polygraphe, il notait tout, avec une précision d’horloger, dont témoigne, notamment son « Journal de 1947 ». Un portait de l’artiste, ou plutôt « d’artisan de la langue » comme il le précise, en son « dur métier », s’ébauche par touches successives. «… En poésie, je te dois des comptes car celui qui écrit se donne toujours en public. J’essaie d’écrire à la mesure de l’homme avec une innocence d’enfant. Et j’écris surtout pour les humbles car ma mère est ouvrière. Tous mes meilleurs amis sont des gars du peuple… », note-t-il. Autant d’écrits de jeunesse qui sont comme une ébauche de Jean Sénac de la maturité et de ses œuvres abouties. Edifiant aussi le « témoignage d’un Européen d’Alger », intitulé « La Race des hommes », paru dans Le Monde Ouvrier du 23-30 mars 1956, où il reprend le héros de « La Porte étroite » d’André Gide, Jérôme et le précipite dans la fournaise de la guerre de Libération algérienne. Pathétiques, déchirantes et cependant pleines de certitudes nouvelles, les réflexions de son personnage, par lequel Sénac semblait déjà répliquer à Camus : « D’autres avant lui avaient connu cette terrible condition, en France pendant la Révolution et plus tard en Russie, en Amérique du Sud. Il y a parfois de l’impudeur à rester pur quand le désespoir a tout empesté. A un certain degré, cette inconfortable pureté devient notre complice de l’injustice. Au sein de la violence, seule la violence des opprimés peut renverser la violence des maîtres. Gandhi est pour demain et notre travail, sans doute, est de le vouloir dès aujourd’hui ». Dans ce spécial Sénac, Jean-Pierre Bénisti, médecin, fils du peintre d’Algérie Louis Bénisti, nous offre un ample témoignage sur différents moments de la vie du poète, ami de son père de longue date. «Nous semblions heureux dans ce pays qui nous avait vus naître ». Mais « entre nous », communauté un tant soit peu ouverte sur « les francophones », de « rares amis algériens », surtout des intellectuels et des peintres, écrit Jean-Pierre Bénisti. L’Algérie est indépendante : en mai 1963, au lendemain de la mort de Mohamed Khemisti, jeune ministre des Affaires étrangères de l’époque. Bénitsi rapporte les propos de Sénac tenus lors d’un déjeuner amical disant qu’il avait bien connu Khemisti, précisant qu’il avait fait partie des étudiants-parmi lesquels, Ahmed Taleb Ibrahimi et Layachi Yaker- qu’il avait présentés à Camus. Ce dernier aurait été impressionné par la maturité politique des Algériens, « mais ils n’avaient pas réussi à se mettre d’accord avec lui»… Et enfin, cette confidence qui prend une résonnance particulière en ce Centenaire de l’auteur de « L’Etranger ». Jean-Pierre Bénisti nous apprend que Sénac projetait d’écrire un livre sur Camus. Il ne sera jamais écrit. Mais on sait ce qu’il pensait sur «l’incident de Stockholm » : … Il n’y avait pas à défendre sa mère avant la justice, mais faire en sorte que sa mère soit du côté de la justice». Jean Sénac avait écrit, comme nous le rappelons plus haut : « Il y a parfois de l’impudeur à rester pur quand le désespoir a tout empesté. A un certain degré, cette inconfortable pureté devient notre complice de l’injustice». Bien avant Stockholm et son psychodrame. A. K.

dimanche 24 mars 2013

Bernard Mazo : Veilleur des rives

Et c’est là dans cet écart aboli que tout commence B.Mazo « Un poème chante ou ne chante », tel est le credo, me semble-t-il, de Bernard Mazo qui reprend un aphorisme de René Char. C’est en tous cas ce que j’ai retenu de notre échange à propos de la condition poétique. Bernard Mazo ne m’était pas inconnu, de proche en proche j’avais découvert, lu quelques uns de ses textes. Mais c’est grâce à la médiation, pour ainsi dire, du poète et peintre Hamid Tibouchi que j’ai eu le plaisir de le rencontrer et mieux le connaître, en la bonne ville de Rambouillet (dont la Médiathèque prête une attention fidèle à l’œuvre de l’écrivain et poète Rabah Belamri.…). La cendre des jours qu’accompagnait graphiquement H. Tibouchi fut pour moi un accès vivifiant à l’univers poétique de Bernard Mazo. C’est « dans le silence habité du poème », qu’il cisèle ses strophes d’une grande sobriété métaphorique. Ses vers se déclinent comme des évidences, des sentences philosophiques (« on creuse/le silence/ On s’entête »). Il se défie assurément de l’emphase et fait confiance à l’intelligence de l’éclair traqué dans ses ultimes fulgurances. Il y avait plus d’une circonstance dans le parcours et l’œuvre de Bernard Mazo qui favorisait une réelle affinité ; D’abord, naturellement, il y avait le Sud, plus singulièrement, l’Algérie au destin entrecroisé si longtemps avec celui de la France. Bernard Mazo sans détour fait la part du tragique dans ce compagnonnage imposé par l’histoire coloniale. Comme beaucoup de jeunes Français, Bernard Mazo eut « vingt ans dans les Aurès ». et depuis, il confie qu’il porte l’Algérie et les Algériens dans son cœur « comme une blessure jamais tout à fait refermée et cela depuis plus de cinquante ans ». Il y a découvert la richesse de la culture multimillénaire berbère, et arabe en même temps que les affres du colonialisme avec son cortège de misère et d’injustice. Dans cette « salle guerre » qui n’avouait pas son nom, il a entendu également les appels de quelques Justes français, tels qu’ Henri Alleg, Maurice Audin , et autres hommes de conscience comme Jean de Maisonseul et le général Pâris de La Bollardière . Et, au cœur de ces Aurès tourmentés, la poésie était là. Eclairante et salvatrice. Bernard Mazo à l’écoute des voix algériennes nouvelles, Kateb Yacine et Jean Sénac, parmi les premiers, entrait dans l’intimité d’une revendication nationale en même temps que dans les profondeurs des cultures du monde arabe. Dans son travail à venir, son passage par les Aurès aura été fertile. Il retournera plusieurs fois en Algérie où il entretient des liens d’une grande densité en même temps qu’il développe une fine connaissance de la poésie algérienne. La parole -comme sa poésie- de Bernard Mazo est d’autant plus précieuse en entre les deux rives de la Méditerranée pour à la fois entretenir la fraternité poétique et le partage humain. Bernard Mazo n’esquive pas pour autant la complexité existentielle : « Au fond, j’ai ce travers de vouloir être aimé et de ne jamais oublier que nous avons une trajectoire mortelle, que nous sommes exilés sur terre, souvent désorientés face au grand mystère de la vie et de l’univers ». Voyageur au long cours du fait poétique sur « cette terre vouée au désastre », Bernard Mazo nous confie sans réserve : « : Pour moi, la langue arabe est la langue de la poésie. Elle l’a fut dès la lointaine époque anté-islamiste avec le Soufisme puis ne cessa de se développer à partir de l’an I de l’Hégire, eut sa période flamboyante au cœur de la civilisation Arabo-Andalouse pour retrouver un second souffle dans la seconde partie du XX° siècle ». Ainsi les œuvres des grands maîtres tels Adonis, Georges Schéhadé, Salah Stétié Ounsi El Hage n’ont pas de secret pour lui tout autant que les nouvelles voix comme Joumana Haddad, Abdelmonem Ramadan, Salah Al Hamdani. Sans oublier Mahmoud Darwich qu’il tient pour « l’une des grandes voix mondiale contemporaine qui pouvait réunir des milliers de personnes pour ses lectures ». A côté de ces grandes voix du monde arabe, il ne manque pas de préciser que « la poésie la plus novatrice s’est développée au Maghreb et plus spécifiquement en Algérie avec ces grands poètes francophones ».Ayant une connaissance étendue des expressions poétiques dans le monde arabe, le propos de Bernard Mazo est loin d’être une convenance généreuse à l’égard des poètes du Maghreb. Mieux, il nous surprend encore par l’attention vigilante qu’il prête aux nouveaux paysages poétiques originaires de cet espace. . Il s’agit de la poésie féminine dans son versant francophone comme arabophone qu’il dépeint avec enthousiasme, la trouvant d’une « force et d’une richesse exceptionnelles. Poésie de résistance, poésie de revendication, poésie tissée d’images fortes et d’un lyrisme retenu ». C’est une chance précieuse qu’ont les poètes du Machreck et du Maghreb d’avoir au pays de Rimbaud et de Char un tel ami attentif à leurs créations et qui en témoigne avec une pénétrante assiduité. A l’écoute du « bruissement mystérieux du monde » Bernard Mazo domestique ses fureurs et ses débordements par l’exercice d’une poésie solidaire mais qui ne renonce pas aux emblèmes de la rigueur et de la profondeur esthétiques. « Il écrit au nom/de tout ce qui ne veut pas mourir …/ dans le torrent impassible/des jours. ». C’est sa réponse tranquille à l’implacable question de Hölderlin «A quoi bon des poètes en temps de détresse ? ». Abdelmadjid Kaouah

Résurrection à Ramallah

C’est le récit d’un mort. Avant même de terminer la première page, on sait que le narrateur est engagé dans un voyage sans retour. Sur plusieurs plans, celui d’une inexorable avancée de la mort dans un retour salvateur à l’enfance et une pérégrination à la fois métaphysique et panthéiste dans les tréfonds de la nature et de l’histoire Autant de directions qui cheminent lentement vers une sorte de promesse de résurrection. Celui qui nous dit « Je serai parmi les amandiers » se nomme Husseïn Al-Barghouti. Il est Palestinien, né dans le village près de Ramallah, en 1954. C’est un brillant universitaire, titulaire d’un doctorat en littérature comparée aux activités littéraires et artistiques multiples. Poète, parolier, dramaturge, scénariste et essayiste, il compte parmi les fondateurs de la revue Al Shu’ara (Les Poètes) publiée par la Maison de la poésie de Ramallah. Il a connu l’exil aux Etats-Unis où il a vécu une trentaine d’années. Donc, pour ceux qui sont à l’écoute de la création palestinienne, l’une des plus remarquables dans le paysage littéraire du monde arabe, Husseïn Al Barghouti n’est pas un inconnu. Il avait déjà attiré fortement l’attention avec Lumière bleue, oscillant entre le récit autobiographique et la prose poétique dans une atmosphère dense et onirique. Barghouti y tisse avec sincérité et sensibilité un réseau de ses souvenirs d’exilé aux USA, au Liban et même en Palestine après son retour. Selon Mahmoud Darwich “Probablement la plus belle réalisation de la littérature palestinienne en prose ». Pour Rania Samara, sa rencontre avec un soufi d’origine turc, mi-sage mi-fou et clochard à l’occasion, (…) marquera durablement sa vie et sa pensée ». Son second récit autobiographique, que l’on peut considérer comme son œuvre testamentaire (bien qu’il aurait laissé de nombreux inédits) est donc pareillement un voyage initiatique. Mais cette fois immobile, car atteint d’un cancer, il revient à la maison familiale près de Ramallah où il engage une corrida avec la mort. La mort en Palestine est une réalité d’ne effroyable banalité. Elle relève généralement du martyre. Et en ce sens, elle plutôt un acte, un engagement suprême, un sacerdoce auquel les Palestiniens concèdent avec fierté. Mais il en va différemment lorsque parmi son peuple, nous sommes dans la période de la Seconde Intifada, en 2002, on est déjà en quelque sorte un mort-vivant. « Il ne me reste plus d’autre place, dans cette Intifada, que de me rendre à l’hôpital de Ramallah de manière tellement répétitive qu’elle aussi en devient ennuyeuse. C’est devenu ma Mecque, mon ultime mur des Lamentations : là-bas, il y encore un espace pour moi entre les nouvelles accouchée à l’étage du dessus et les chambres froides de la morgue à l’étage du dessus. Je suis un é clopé qui erre à la lisière des évènements, à la périphérie des choses ». Ni blessé, ni martyr agonisant, notre narrateur constate qu’il une sorte de fardeau, de parasite, enfermé dans sa solitude et son destin individuel. . Il n’est qu’un vocable, une expression arcboutée entre le langage des vivants et des morts : il est « un patient ordinaire ». Si ordinaire que par les effets indicibles de la chimiothérapie, il est progressivement précipité dans une implacable introspection et une migration onirique dans les siècles et les mythes. Mais on m’a dépouillé de mon histoire, je ne suis plus qu’un arbre à la croisée des chemins. Tout en partageant le sort de son peuple, ce « patient ordinaire » est doublement dépossédé. Par l’occupation militaire (décrite allusivement)et la maladie qui en est un développement métaphorique. Husseïn Al-Barghouti décrit à la fois une aliénation et son contre-poison : « Et maintenant le cancer essaie de me dépouiller de mon corps. En me regardant dans la glace, je me suis dit qu’il ne me manquait qu’une de ces longues robes jaunes qui seyent à un devin ou à un enfant prophète, de vieilles sandales de cuir et des orteils crasseux capables d’affronter la boue des marécages. Et qu’il ne me restait plus qu’à partir à la recherche d’un nom pour moi et d’une ville pour mon nom, dans l’histoire de ce fragment d’histoire. Je parcourrais Thèbes d’Égypte, Byblos et Babel, Palmyre, Petra et l’Andalousie, même si le pas de mes sandales n’est « qu’un lys blanc sur un chemin dévasté. »Pendant une période, j’ai adopté le nom de Tirésias pour m’adresser à moi-même. D’ailleurs il m’arrivait de changer de nom et de lieu de résidence. Parfois j’étais Marduk, le dieu suprême des Babyloniens, d’autres fois Imru’al-Qays, ou quelque commensal récitant des vers de Mutanabbî dans les tavernes d’Alep… ». Revenu d’exil, atteint mortellement, dans l’amanderaie plantée par ses parents , l’année de leur mariage, une date combien tragique pour les Palestiniens, 1948, le temps de la Nakba, temps de la cession et de l’exode forcé, celui qui a mis des milliers de kilomètres entre lui et son origine, alors que le temps lui est mesuré impitoyablement, tisse les fis de sa résurrection par une plongée onirique au plus profond de ses racines, au plus lointain de sa présence au monde en un vertige kaléidoscopique où se côtoient Enüma Elish , récit babylonien de la création du monde, les ancêtres cananéens, , les poètes préislamiques, Imru’ al-Qays , Chanfarâ et les Sa’ âlik, poètes-brigands, Alexandre –le-Grand, Banou Hillal et leurs congénères gitans qu’accompagne le chant profond de Lorca, l’éblouissante Petra da son rêve de pierre ( c’est ainsi qu’il a baptisé son épouse), Alexandrie , les Pyramides, Ahmad Chawki et T.S. Eliot et sa « Terre vaine ». Sans oublier le verbe flamboyant sur le Cha’ tat de Mahmoud Darwich qui traverse de part en part ce livre d’une centaine de pages. Une somme savante et élégiaque, dans une belle traduction de Marianne Weiss. Chant d’adieu et de renaissance. Hussein Al-Barghouti, sans aucun doute, a paraphé dans l’histoire des lettres arabes contemporaines, un destin rimbaldien. A.K. ____________________ Je serai parmi les amandiers de Hussein Al-Barghouti, Sindbad/Actes Sud, 2008

mercredi 2 janvier 2013

Asgwas amegas Bonne année 2013 عام سعيد !


 
 
 
Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins…

Antonio Machado