samedi 3 mars 2012


Quand la nuit se brise
Anthologie de poésie algérienne, éditions Points, 2012


Partager le poème, c’est ouvrir une nacreJean Sénac

Lectures de DANIELLE CATALA /
Mohammed AMINE NAIMI au luth / Amine TILIOUA au violon et au chant


Tantôt ténue, délicate, à l’image des tapisseries traditionnelles, tantôt vociférante et éclatée, tel un oued en crue, la poésie algérienne a accompagné les douleurs et annoncé les orages historiques. Cette anthologie de poètes contemporains veut faire entendre les cris engagés des poètes de la résistance comme ceux de leurs héritiers qui ont fait de la langue française, ce 'tribut de guerre ', l'outil d'un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. A l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie et des accords d'Evian, cette anthologie réunit les voix fondatrices de la poésie algérienne francophone et de la génération post-indépendance : de Jean Amrouche et Mohammed Dib , en passant par Kateb Yacine, Bachir Hadj Ali , Malek Haddad, Assia Djebar, Anna Gréki, Mourad Bourboune à Myriam Ben, Malek Aloula, Tahar Djaout, Youcef Sebti, Hamid Skif,..

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Cimetière de Sinera (1946)        
                 (Extrait)


                     I

Par les ravines descend le char
du soleil, venant de crêtes
de fenouils et de vignes
que j’ai toujours en mémoire.
Je vais parcourir l’ordre
de verts cyprès immobiles
dominant la mer calme.

                  II

 Quelle petite patrie
encercle le cimetière !
Cette mer, Sinera,
collines de pins et de vignes
poussière de ravines. Je n’aime
rien d’autre, si ce n’est l’ombre
voyageuse d’un nuage.
Le lent souvenir des jours
qui sont passés à jamais.


Salvador Espriu

En attendant les barbares

Περιμένοντας τους Βαρβάρους

En attendant les barbares

Constantin Cavafis




- Pourquoi nous être ainsi rassemblés sur la place ?
Il paraît que les barbares doivent arriver aujourd’hui.


- Et pourquoi le Sénat ne fait-il donc rien ?
Qu’attendent les sénateurs pour édicter des lois ?
C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui.


Quelles lois pourraient bien faire les Sénateurs ?

Les barbares, quand ils seront là, dicteront les lois.

- Pourquoi notre empereur s’est-il si tôt levé,
et s’est-il installé, aux portes de la ville,
sur son trône, en grande pompe, et ceint de sa couronne ?
C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui.
Et l’empereur attend leur chef
pour le recevoir. Il a même préparé
un parchemin à lui remettre, où il le gratifie
de maints titres et appellations.


- Pourquoi nos deux consuls et les préteurs arborent-ils
aujourd’hui les chamarrures de leurs toges pourpres ;
pourquoi ont-ils mis des bracelets tout incrustés d’améthystes
et des bagues aux superbes émeraudes taillées ;
pourquoi prendre aujourd’hui leurs cannes de cérémonie
aux magnifiques cisclures d’or et d’argent ?
C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui ;
et de pareilles choses éblouissent les barbares.


-Et pourquoi nos dignes rhéteurs ne viennent-ils pas, comme d’habitude,
faire des commentaires, donner leur point de vue ?
C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui ;
et ils n’ont aucun goût pour les belles phrases et les discours.


- D’où vient, tout à coup cette inquiétude
et cette confusion (les visages, comme ils sont devenus graves !)
Pourquoi les rues, les places, se vident-elles si vite,
et tous rentrent-ils chez eux, l’air soucieux ?
C’est que la nuit tombe et que les barbares ne sont pas arrivés.
Certains même, de retour des frontières,
assurent qu’il n’y a plus de barbares.


Et maintenant qu’allons-nous devenir, sans barbares ?
Ces gens-là, en un sens apportaient une solution.





 Constantin Cavafis En attendant les barbares et autres poèmes, Gallimard

Traduction française de Dominique Grandmont