dimanche 25 décembre 2011

2012 asegwas ameggaz Bonne année عام سعيد



O temps qui n’as pas attendu…
Qui n’as attendu personne en retard sur sa naissance
Fais du passé, ta seule relique chez nous, un avenir,
Comme au temps où étions tes amis,
Non les victimes de tes charrettes et laisse le passé
Tel qu’il est, ni meneur ni mené.

                                                                              Mahmoud Darwich

mardi 20 décembre 2011

dimanche 27 novembre 2011

Parole au cœur des orages historiques

Parole au cœur des orages historiques En ce mois de Novembre, il est bon de souligner avec force que la poésie algérienne - de langue française singulièrement- a été au cœur du combat algérien. Elle en est même l’un des plus éloquents jalons. En accompagnant son peuple, elle a annoncé et ponctué les orages historiques qui ont secoué le pays dans ses différents avatars. Ils auront beau Nous mâcher Et nous remâcher Ils ne nous avaleront pas On peut dire sans se tromper et aussi loin que remonte la mémoire, il est patent que le verbe a rythmé avec constance les peines et les drames, les catastrophes ainsi que les allégresses, les jubilations et les heures festives de l’Algérie. Dans sa dimension orale, sa posture savante, tant dans les campagnes que dans les cités, la Parole poétique dans notre pays ne s’est point dérobée aux rendez-vous de l’histoire. Et même quand elle fut contrainte à user, ruser, se saisir et prendre possession d’un vocabulaire étranger, elle a entretenu les braises, aviver l’espoir, narguer l’effroi de l’oppression. Ténue, délicate ou virulente, éclatée, éparse et multicolore, cette Parole est à l’image de nos tapisseries. Du tréfonds de la défaite consommée, il y avait toujours un Meddah pour clamer l’esprit de résistance : « Tu es venu vers nous, tel un torrent, grossi par la crue, homme de rien ! Tu as rencontré des gens qui t’ont bu : et tu t’es desséché entre tes rives ». Les armes miraculeuses de la Parole dans des paysages apparemment voués à la soumission dressent dans une succession sanglante les étendards interdits : Mais les chemins de l’errance, de l’amertume, de l’abîme, de la torpeur s’imposeront provisoirement jusqu’au moment où le barde face aux frères stupéfiés ressuscitera les veillées, les labeurs et la démesure » : « Ceci est mon poème Plaise à Dieu qu’il soit beau Et se répande partout Qui l’entendra l’écrira Ne le lâchera plus Et le sage m’approuvera « (Si Mohand ou Mohand) La conjonction entre le langage primordial et l’Etoile secrète annonciatrice de la rupture est à l’œuvre. Jean El Mouhoub Amrouche la rend intelligible : « Et maintenant voyez-le qui s’avance ; Sa tête émerge parmi les étoiles, Avec ses cheveux de chaume qui rayonnent, Et ses larges yeux d’oiseaux de nuit Fermés de biais, Afin de mieux filtrer le monde endormi… ». Dès lors, les murs du vieux monde colonial doivent s’écrouler. Mais aux hommes du combat libérateur, le poète rappelle l’injonction d’un précurseur en Résistance : « Si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux » ( René Char). Poésie aux racines multiséculaires, poésie plurielle, diverse, de synthèse, mais ferme dans « l’unité d’expression », elle aura le vertige des cimes, et entrera en intimité avec la légende. Elle ne fait pas exception aux autres expériences humaines. Aux heures de l’extrême péril, le mythe est le recours. C’est une force, dans un premier temps. Plus tard, elle confinera au fardeau, pèsera lourd au lendemain de la libération. Prolongée, parfois, artificiellement, la poésie dite « révolutionnaire » finira par brider les expressions novatrices. L’histoire ne souffrant pas les engagements par rétrospection. Et à trop user de la même fibre, l’exercice narcissique versera dans la stagnation et l’autocélébration. Et en conséquence se profile l’interrogation incontournable : fallait-il trancher le nœud gordien d’une littérature de syndicat de tourisme (selon Mostéfa Lacheraf) pour se satisfaire de l’éloge de l’héroïsme guerrier ? Mais parmi les aînés, le diagnostic est sans appel : « les mots sont foutus », écrit l’auteur du « Malheur en danger », Malek Haddad qui choisira l’aphasie suicidaire face à une langue française qui rime désormais pour lui avec exil en Algérie, après une brillante œuvre poétique et romanesque écrite dans cette langue, et au pays de Voltaire. La route est ouverte, de nouveaux éveilleurs, à contre-courant, prennent alors le relais des aînés. Point de légende pour eux. L’unanimisme de bon aloi les exclue et les stigmatise. Leurs textes arrivent « comme ces enfants du péché dont aimerait la beauté, mais dont il ne conviendrait pas de parler », comme l’écrit un aîné resté à l’écoute de la jeunesse et du langage, Bachir Hadj Ali. Ainsi, mue par une inspiration solidaire, fruit du moment et d’une génération nouvelle, une « jeune poésie » sans étiquette précise, selon des modulations diverses, étale ce qui est permis de nommer : « le mal de vivre et la volonté d’être » En fait, elle prolonge les interrogations soulevées par une vague qui l’a précédée dont laquelle on compte les Mourad Bourboune, les Ahmed Azzeggah, Rachid Boudjedra, Nabil Farès, Malek Alloula… Et, encore une fois, la prédiction du tarissement d’une écriture, d’une parole algérienne d’expression française est éventée. Une vague suivra l’autre. Mais la poésie ne sera plus désormais le mode majeur de sa manifestation. Il faut remarquer que nombre de romanciers algériens comblés, promis au succès international, sont des poètes contrariés, voire dépités. Par exemple, qui se souvient des Poèmes de l’Algérie heureuse, de celle qui fait partie aujourd’hui des Immortels, la romancière Assai Djebar, membre de l’Académie française ? Le roman devenu le prototype littéraire souverain de ce début de troisième millénaire, on peut, à la faveur de la fameuse confusion des genres, y mettre sous son étiquette les expériences scripturaires les plus inattendues. Faut-il encore le redire : ceux qui sont entrés en poésie comme en religion ont poursuivi une inlassable quête poétique conclue souvent de manière tragique, comme Jean Sénac, Tahar Djaout, Youcef Sebti, ou dans l’absence de reconnaissance et l’ingratitude, tels Messaour Boulanouar, la vigie solitaire des Remparts des Gazelles, Ismaël Aït Djafer, Bachir Hadj Ali, Henri Kréa , M’Hamed Aoune et tant d’autres… Les uns après les autres, ils quittent la scène sur la pointe des pieds. Bien sûr, on s’émeut de leur disparition, le temps d’un hommage de circonstances. Mais leurs œuvres restent souvent introuvables, méconnues, juste citées pour la bonne conscience. Dans cette Algérie plus que paradoxale, traversée d’espoirs trahis et de désenchantements successifs, la cause du mal qui ronge la société ne pouvait être indéfiniment mise au compte des affres - irrécusables - du colonialisme. Pour preuve, le grand séisme politique d’octobre 1988 qui avait contraint le pouvoir, la société, ses élites et le pays profond à un face à face décapant et une macération qu’on croyait durablement salvatrice. Mohammed Dib, le poète comme le romancier, a semé dans un même mouvement de grandes interrogations. Autant de questions ouvertes, protéiformes qui constituent un tournant majeur dans l’histoire de la littérature maghrébine. Cet auteur - dont la profondeur n’égalait que la discrétion - s’était élevé vigoureusement contre la dérive mortifère où fut plongée l’Algérie durant les années quatre-vingt dix. Il avait en fait esquissé dès Dieu en Barbarie (en 1970) et Les Terrasses d’Orsol (en 1985) une image prémonitoire de la tragédie algérienne post-coloniale. Vivant au cœur de l’Europe, il était instruit des nouveaux chemins que la littérature avait empruntés. La cohabitation entre la fiction littéraire et l’histoire avait cédé inexorablement la place à l’émergence du « Moi » tout-puissant. La question morale de la responsabilité en littérature ne serait que de la grandiloquence, un ridicule caprice désuet. « L’Occident aujourd’hui paraît s’être libéré de cette préoccupation, avoir disjoint les deux choses : écriture (romanesque) et responsabilité (morale). Doit-on, et peut-on, partager partout une telle position ? », s’interrogeait Dib. Et d’y répondre : « Je pense qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas ….Je n’irais certes pas appeler le malheur sur une société pour la gloire (ou l’indignité) de la littérature ». A l’origine, elle a été avant tout une « insurrection de l’esprit », dressant dans la nuit « le fanal des certitudes ». Mais également, à mesure que les sommations qui lui étaient faites par l’histoire s’atténuaient ou se modulaient selon des urgences moins manichéennes, elle s’est voulue paysages ouverts sur l’intime et l’imaginaire. Quand le désenchantement fut consommé, elle prit le deuil et ne cacha pas ses indignations. Et, il faut bien le reconnaître, face à de médiocres versificateurs agités sur le devant de la scène pour faire illusion, la poésie dans ce qu’elle a d’authentique s’est réfugiée dans d’autres genres. Ainsi, elle a trouvé asile et réconfort dans le roman, par exemple, avec Une peine à vivre, de Rachid Mimouni (Robert Laffont, 1983) ou le théâtre avec Le Foehn ou la preuve par neuf, de Mouloud Mammeri (Publisud, 1982.) ou encore : Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra (Barzakh, 2001). Au-delà de ce constat sur ‘’les sentiers ardus de la poésie’’, Mohamed Dib, cet immense poète, avoue : « On se trouve face à un problème momentanément insoluble : l’exercice de la poésie mène vers un tel affinement, à une recherche tellement poussée dans l’expression, à une telle concentration dans l’image ou le mot qu’on aboutit à une impasse (…) Il faut briser le mur d’une façon ou d’une autre. Et voilà pourquoi je fais les deux choses à la fois. Le roman n’est-il pas, d’ailleurs, une sorte de poème inexprimé ? La poésie n’est-elle pas le noyau central du roman ? Et les anciens n’avaient-ils pas raison de baptiser leur œuvre en prose mon poème ? En Algérie, en tous cas, non seulement des poètes eurent à rendre compte de leur œuvre mais aussi de leur vie. Poètes brimés, poètes escamotés, poètes exilés, poètes assassinés, autant de stations d’un long supplice. Plaies, tel était le titre lapidaire d’un recueil de l’un de nos rares poètes sortis directement des maquis, M’Hamed Djelid, qui n’en tira point rente mais s’engagea davantage, à en mourir, pour la cause du progrès. Gardons en mémoire la maxime de Mohamed Iqbal, « Il faut au matin pour naître le sang de milliers d’étoiles ». Et « le milieu de la nuit est le début du jour » .La poésie en est l’aurore. A.K.

Kateb Yacine (1929-1989) Le Sémaphore: Toute colère dehors

On ne parlera jamais assez de Kateb Yacine*. On prête à Dostoïevski cette formule : « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol ». On peut soutenir qu'il en fut relativement de même pour Kateb Yacine.Nombre d’écrivains maghrébins sont redevables d’une manière ou d’une Notons au passage que Kateb Yacine qui ne cachait pas son admiration à Staline (surtout, celui de la Grande Guerre patriotique contre le fascisme s’intéressait à Dostoïevski à contre-courant de la doxa soviétique ambiante. Un lien complexe, sinon ombilical, s’établira entre les écrivains fondateurs d’une nouvelle littérature, tel Kateb Yacine. Dès lors, ceux qui viendront après eux écriront comme sous leur regard des précurseurs. Passion et ressentiment ne manqueront pas, émaillés ici et là de petites phrases provocantes ou mesquines. La révolte contre le Père peut être une pièce sordide. N’est pas Raskolnikov qui veut. Kateb Yacine, lui aussi a eu certainement ses admirations et ses détestations. Comme es malentendus et ses ruptures douloureuses avec de vieux compagnons (tels Jean Sénac et Malek Haddad). Il n’était cependant jamais dans la mesquinerie… La divergence politique primait dans ses désaccords. Pareil au scorpion Toute colère dehors J'avance avec le feu du jour Et le premier esclave que je rencontre Je le remplis de ma violence Je le pousse en avant ma lance déployée Et que la verve des scorpions le prenne Et que le vent l'enlève Chaque jour plus léger Kateb Yacine, on peut l’affirmer est désormais entré dans la légende algérienne. Au-delà de la littérature, du théâtre, il participe de notre quête identitaire qui embrasse dans un même élan dialectique Jugurtha, l’Emir Abdelkader et les dockers du port d’Alger. Mais l’homme était plus simple que sa légende. Tant de gens du petit peuple ont pu le rencontrer en toute simplicité. Dans les « cafés maures » et les villages les plus reculés du pays où il donnait à voir sur les tréteaux de saltimbanque génial la tragédie millénaire d’un peuple tantôt au sommet des périls, tantôt figé dans une muette résistance à l’imposture. Il prenait le temps de discuter avec les plus humbles des choses les plus complexes. Contradictoire, il l’était, car épris de dialectique et de questionnement, il n’en était pas moins avant tout un poète. Dans le songe et la démesure. Sans verser dans l’effusion vaniteuse, il nous revient en mémoire des moments fulgurants où nous pûmes l’approcher au milieu des années soixante-dix Souvenir d’une conférence de son ami Messaour Boulanouar de Sour El Ghozlane sur la littérature qu’il lui avait organisée à Alger : Kateb nous exhortant « à tirer sur le quartier général » dans les colonnes de « L’Unité » auquel il donnera plus tard un inédit ou paraitra l’un de ses rares entretiens à l’époque où il faisait flèche de tout bois contre le pouvoir…Aux présentations de ses pièces, il y avait toujours un « panier à salade » de la police. On avait sans doute peur que les drapeaux rouges brandis sur la scène gagnent les rues. Souvenir aussi de cette longue journée de 1er mai passée avec l’ami Arezki Metref en sa compagnie à son théâtre de Bab El Oued où nous avions accompagné un compatriote immigré envoyé par ses camarades suivre un stage chez Kateb Yacine. Souvenir de rares visites vers la fin de sa vie où nous parlions de tout sauf de la maladie qui l’avait entamé. Curieuse coïncidence, il mourra de la leucémie à l’hôpital de la Tronche à Grenoble où j’avais accompagné une sœur durant plusieurs mois. Il faut lire ou relire : « Kateb Yacine le cœur entre les dents »de Benamar Médiene (Robert Laffont, 2006), cette « biographie hétérodoxe ». En particulier les premières pages- si émouvantes- consacrées à sa disparition et sa rencontre post-mortem. Et une sorte d’inventaire à la Prévert des maigres objets qui avaient accompagné Kateb dans son dernier voyage. Quelques livres de chevet. Notamment, Faulkner et Hölderlin. « Chaque livre est un sémaphore », écrit Benamar Mediene. Dans « La Ville » de Faulkner : « …soulignée d’un feutre gras rouge : « Ombres insomnieuse qui, bien qu’elles participent de la nuit même, repoussent les ténèbres, parce que les ténèbres participent de cette petite mort que nous appelons le sommeil ». C’est avec l’histoire que Kateb Yacine avait surtout eu rendez-vous. A lui seul, il symbolise la littérature algérienne et la résonance de son œuvre a dépassé les frontières de son pays. L'homme autant que l'écrivain déroute toujours les approches traditionnelles. Pour Kateb Yacine, l'aventure poétique a commencé avec le grand séisme du 8 mai 1945 qui vit la répression de milliers d'algériens à Sétif et Guelma. Arrêté, témoin des massacres, Kateb Yacine trouvera dans les événements du 8 mai la matière d'une inspiration qui se hissera au rang d'un mythe. "L'œuvre de Kateb Yacine est un lieu singulier où se mêlent, se perdent et s'enchevêtrent thèmes et images empruntées simultanément aux obsessions d'une sensibilité par l'étrange personnage de Nedjma, aux épreuves, précisément évoquées, du combat national et du passé historique ou mythique de l'Algérie : rarement un destin individuel, un moment de l'histoire d'une nation et les traditions les plus lointaines d'un peuple ont été aussi intimement liés". Ces lignes ont été écrites en 1967. Elles ne seront pas démenties jusqu'à sa mort en 1989.Dans ses romans comme dans son théâtre, c'est la vision poétique qui l'emporte. Dès 1946, il avait publié un premier recueil de poésie Soliloques. Dans Nedjma ou le poème du couteau, (Mercure de France, 1948), on trouve les éléments constitutifs de l'œuvre à venir. De là naîtront romans et pièces de théâtre : Nedjma, en 1956, Le cercle des représailles en 1959.Pendant longtemps les œuvres de Kateb Yacine n'ont été connues que sous forme d'extraits poétiques. L'œuvre -phare restera cependant Nedjma autour de laquelle s'organisent ses autres productions. Nedjma est à la fois la mère, la "femme sauvage", "la rose de Blida" (sa mère de a sombré dans la folie après les événements du 8 mai 1945), "l'Algérie", patrie frappée par le malheur et hantée par les ancêtres qui "redoublent de férocité". Nedjma est au centre de l'œuvre katébienne. C'est la "métaphore matricielle qui médiatise accès au passé mythique et à l'événement historique, elle ne cesse pas d'être une figure centrale qui suscite les énoncés lyriques, l'amour fragile, les discours flamboyants et les désirs apaisés"("Kateb Yacine" par Saïd Tamba. Poètes d'aujourd'hui. Seghers, 1992).Tous ses récits sont imprégnés d'une poésie qui libère un imaginaire débridé construit de façon touffue et récusant la chronologie. Abdelkader Khatibi, dans Le roman maghrébin parle de "délire poétique". C'est la violence de l'homme et du monde que Kateb Yacine s'est constamment efforcé de dire et de traduire à travers la forme d'un dialogue dramatique. "C'est toujours la même œuvre que je laisserai, certainement comme je l'ai commencé". Multiforme et polysémique. ‘’Et même fusillés Les hommes s’arrachent la terre Et même fusillés Ils tirent la terre à eux Comme une couverture Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir Et sous la couverture Aux grands trous étoilés Il y a tant de morts Tenant les arbres par l racine Le cœur entre les dents Il y a tant de morts Crachant la terre par la poitrine Pour si peu de poussière Qui nous monte à la gorge Avec ce vent de feu ‘’ Kateb Yacine est mort la veille d’un Premier Novembre, juste à la conjonction d’un monde en dépérissement et l’éclosion tragique d’un Octobre aux espérances perverties et ensanglantées. A.K. __________________________________________ * C'est ce que martèle Hmida Ayachi , auteur du récent ouvrage : «Le prophète de l’insoumission – Dix ans avec Kateb Yacine » (Editions Socrate ,) en édition arabe -dans l’attente de l’attente de la parution prochaine de la version en langue française . " Hmida Ayachi dit faire partie de toute une génération de jeunes dont la vie a été bouleversée par « l’homme sans cravate » .

Aucun poète ne tue les autres poètes









Complémentarité, dualité, confrontation, dialogue, écrire libère-t-il de l’hypothèque narcissique ? Miroir où se voir et voir ses semblables, dans leur singularité comme dans leur diversité. En cela, l’écriture poétique arpente le cours des rivages sauvages et fraternels. Rainer Maria Rilke avouait : "Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d'hommes et de choses... Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays inconnus, à des départs que l'on voyait depuis longtemps approcher, à des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits de voyage... Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent ».Renommer les objets et les êtres en ouvrant les écluses de son propre imaginaire. Dans cette vanité lyrique naît un entre-deux possible, habitable dans un réfléchissement commun. Grâce au poème, il y a une alternative.
Gageure de parler de l’Autre, à partir soi-même ? Se superposent alors les filtres et les indices d’un un jeu de pistes incertain. . Un semblant d’exégèse de la condition humaine qui se situe entre la brume des mots et la fuite des regards.
A travers l’exubérance ou la pauvreté du matériau, il y a une économie du langage et des postures sur laquelle le poète pose ses hypothèses verbales et ses élucubrations philosophiques. Sans doute ainsi atteint-il ainsi les profondeurs de sa parole qui lui sont resetées inaccessibles…
Ou parfois, par d’autres chemins de la création, des peintures, par exemple : rencontres qui procèdent de la transmutation mémorielle et esthétique. Dans un cas, c’est une rencontre à travers paysages crépusculaires, sensibles, dont la dimension tragique semble poindre d’une immobilité tranquille autant comme paysage que personnage. Dans un autre scénario c’est par le biais du choc, de la violence technologique qui s’abat du ciel et des médias.
Julio Cortazar : «Aucun poète ne tue les autres poètes, il les range simplement d'une autre façon dans la bibliothèque vacillante de la sensibilité». Poésie de l'essentiel, quasi-métaphysique qui se décline en sons et signes, linguistiques et visuels, culminant en «topoèmes» (lieux pour le poème et l'œil). Elle nomme les êtres et les choses : les oiseaux autant que la pierre, le soleil autant que le vent, images échevelées sur la page, imminence d'un monde dont les formes insaisissables se livrent bataille pour advenir : «L'heure déjà morte et l'heure à tuer» ; «Espace, espace/ où je suis et ne suis pas». Et dans un continuel éparpillement, la conscience doit traquer sa vérité dans les contradictions, errer de prophéties en augures. Et «l'Aigle qui tombe», Cuauhtémoc, figure tutélaire du monde englouti et celui qui doit advenir après les blessures initiatiques s'incarne dans la parole et l'écriture : «Sinon le sang rien sinon ce va-et-vient du sang, cette écriture sur l'écrit, répéter le même mot au milieu du poème, syllabes de temps, lettres cassées, goutte d'encre, sang qui va-et-vient et ne dit rien et m'emporte avec lui.»
Ainsi l'écriture est labyrinthe, vertige et désorientation, ouverture vers l'impossible. Ecrire s'apparente aux pratiques magiques, perte de sens et possession en quête d'extase. Quetzalcóatl, le Serpent à plumes, le dieu mésoaméricain, n'est-il pas l'inventeur des livres et du calendrier, le dispensateur de la mort et de la résurrection ?
Paz répond : «Aujourd'hui, je lutte seul avec une parole. Celle qui m'appartient, celle à laquelle j'appartiens : Pile ou face. Aigle ou soleil ?».

C'est une vraie descente aux enfers orphiques qu'il décrit avec minutie dans le texte intitulé lapidairement : «Travaux du poète» dont nous pouvons citer l'intégralité.
A défaut, ces vers : «Toi, mon cri, jet de plumes de feu, blessures sonores et comme lorsque se détache une planète du corps de l'étoile, chute infinie dans un ciel d'échos, dans un ciel de miroirs qui te répètent et te brisent et te rendent innombrable, infini, anonyme.»
Ainsi, est comme transcendée «l'idée déprimante du divorce de l'action et du rêve». Dans l’univers de la parole poétique. :”On se trouve face à un problème momentanément insoluble : l’exercice de la poésie mène vers un tel affinement, à une recherche tellement poussée dans l’expression, à une telle concentration dans l’image ou le mot qu’on aboutit à une impasse(…).Nombreux sont les poètes algériens qui ont cheminé de conserve sur les terres de la poésie et de la prose”, confiait Mohammed Dib. Quid alors de la prose littéraire ? Là les enjeux se profilent âprement.
Et la question de la responsabilité morale en littérature résonne dans une terrible solitude. Dans Les “Terrasses d'Orsol”, le même Mohammed Dib dévidait la fable tragique d'une planète à deux vitesses dont les contrées prospères constituent autant de forteresses inaccessibles face une humanité en déshérence.
Qui sont donc les « Barbares » d’aujourd’hui ? Le narrateur qui scrute les confins du monde de son confortable exil occidental tire le fin mot de l’histoire : « Quand on arrive d'un monde où le pain quotidien et la santé ont cessé depuis longtemps d'être un problème,
on ne voit pas la misère physique et morale qui afflige le nôtre, mais seulement sa «sainteté».
C'est tout à fait naturel ! Mais pour qui, si je puis dire, cette misère constitue le pain quotidien, c'est une nourriture des plus indigestes, je vous assure ».
Encore qu’à présent, ces propos deviennent relatifs avec la crise qui secoue l’Occidental et remet en cause ses positions acquises.
Dans une postface à « La Nuit sauvage », Mohammed Dib s’interrogeait à haute voix : «A quelle interrogation plus grave que celle de sa responsabilité, un écrivain pourrait-il être confronté ? C'est mal poser la question, elle doit être retournée ; nous dirions mieux en nous demandant : cela a-t-il un sens qu'on se répande en écrits et n'ait pas à en répondre ? Pour les avoir écrits et tout bonnement pour avoir écrit, l'Occident aujourd'hui paraît s'être libéré de cette préoccupation, avoir disjoint les deux choses : écriture (romanesque) et responsabilité (morale). Doit-on, et peut-on, partager partout une telle position ? ».

Pour sa part, il y répondait sans détour : « Je pense qu'on ne peut pas et qu'on ne doit pas…. Je n'irais certes pas appeler le malheur sur une société pour la gloire (ou l'indignité) de la littérature».
Je tiens les vers qui suivent de Hamid Tibouchi qui réunit en sa personne la double solitude du poète et du peintre, solidairement à l’écoute des malheurs des hommes.

Ces vers sont de Guillevic qui nous dit dans « Terre de bonheur » :
« Je dis : douceur.
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t'accueillent
Qui te donnent du temps.

Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.

Je dis : douceur,
Pensant aussi
À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
À des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,
À des poignées de main ».

Tahar Djaout quant à lui, du plus profond des noirceurs, édictait cet augure: « Le jour poussera encore la nuit d’un coup d’épaule décisif”.
Tout est dit dans ces vers d’une tragique et sobre beauté. Les mots s’en vont. Reste le poème sur les rivages sauvages et fraternels des hommes.

samedi 17 septembre 2011

Bachir HADJ-ALI 1920 -1989



Ce jour-là

Lequel sera vainqueur humilié
Lequel sera grand dans la défaite
Dans quel pays sur quelles frontières
Ce vent hurlera-t-il
Déchiré par la lance la plus haute ?
Il soufflera sur cet enfer imaginaire
Mais ici la foule meurt de faim
Et les riches de pain
Qui triomphera ce jour-là
Des gens de la ligne droite ?
Seront-ils incirconcis
Nus des pieds à la tête
Exclus des cercueils plombés ?
Seront-ils accueillis par une lame indienne
Rougie de sang pour plaire ?
Qui triomphera de ce jeu barbare
Avec ses menaces et ses promesses vaines
Qui triomphera de la terreur
Et des puissances anonymes ?

Bachir Hadj Ali


Cantique profane

Théoricien de la culture algérienne, Bachir Hadj-Ali occupe dans la poésie algérienne une place singulière. Mais son on œuvre se réduira longtemps à une simple plaquette, Chants pour le onze décembre et autres poèmes (Nouvelle critique, 1963) en raison d’engagements politiques qui l’absorbaient.
Militant anti-colonialiste et progressiste son œuvre se place sous le signe d'une reconquête du passé historique pour légitimer le combat pour l'avenir.
La réhabilitation de la mémoire est opérée sur deux plans : la langue et la thématique.
Au plan de l'écriture, il imbrique le français et l'arabe, parfois même le berbère. Ce procédé n'est pas un simple plaquage, mais un moyen d'évoquer la grande tradition des poètes arabes, tels Ibn Zaydoun, Abou Nawas, Wallada... Ses poèmes restituent l'atmosphère du passé, la conquête au temps de la régence turque en établissant des correspondances avec les scènes de la guerre en cours. Cette plongée dans l'histoire fonctionne comme un révélateur ininterrompu de résistance aux invasions.
Musicologue, le poète s'inspire grandement des formes traditionnelles de la musique arabo-andalouse à laquelle il emprunte ses modes et ses rythmes. La langue est simple et intègre des incantations coraniques. Profondément enraciné dans le terroir Bachir Hadj-Ali tend à l'universel en récusant la haine et en réhabilitant la dignité humaine.
Cette démarche se confirmera dans ses œuvres ultérieures, écrites. Durant la guerre d’Algérie, il a dirigé le PCA. Au lendemain de l'indépendance, ses prises de position politiques lui valurent la torture et la prison : Que la joie demeure (PJ Oswald, 1970) et Mémoire-clairière (Editeurs français réunis, 1978).Dans l'œuvre de Bachir Hadj-Ali "tradition populaire et culture savante se croisent là, tout comme le cantique et le chant profane, dans une mise en question incessante du signe..." *
Mireille Djaïder in "Bachir Hadj Ali : poétique et politique",L'Harmattan, 1992 ).

Resté à l’écoute constante des jeunes poètes , Bachir Hadj a écrit à leur propos : Leurs textes arrivent « comme ces enfants du péché dont aimerait la beauté, mais dont il ne conviendrait pas de parler », comme l’écrit un aîné resté à l’écoute de la jeunesse et du langage, Bachir Hadj Ali. Ainsi, mue par une inspiration solidaire, fruit du moment et d’une génération nouvelle, une « jeune poésie » sans étiquette précise, selon des modulations diverses, étale ce qui est permis de nommer avec B. Hadj Ali: « le mal de vivre et la volonté d’être ».
Cet intérêt n’est pas le moindre d’un esprit et d’un cœur d’une grande générosité humaine.

Victime d’une longue maladie, notamment à la suite de sévices endurés en raison de ses convictions , il meurt en 1989.

A.K.




*Mireille Djaïder in "Bachir Hadj Ali : poétique et politique",L'Harmattan, 1992


Rêves en désordre

Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées
Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleues sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies
Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes
Je rêve de derricks couleur de premier ami
Je rêve de dentelles langoureuses sur les pistes brûlées
Je rêve d’usines fuselées et de mains adroites
Je rêve de bibliothèques cosmiques au clair de lune
Je rêve de réfectoires fresques méditerranéennes
Je rêve de tuiles rouges au sommet du Chélia
je rêve de rideaux froncés aux vitres de mes tribus
Je rêve d’un commutateur ivoire par pièce
Je rêve d’une pièce claire par enfant
Je rêve d’une table transparente par famille
Je rêve d’une nappe fleurie par table
Je rêve de pouvoirs d’achat élégants
Je rêve de fiancées délivrées des transactions secrètes
Je rêve de couples harmonieusement accordés
Je rêve d’hommes équilibrés en présence de la femme
Je rêve de femmes à l’aise en présence de l’homme

Je rêve de danses rythmique sur les stades
Et de paysannes chaussées de cuir spectatrices
Je rêve de tournois géométriques inter-lycées
Je rêve de joutes oratoires entre les crêtes et les vallées
Je rêve de concerts l’été dans les jardins suspendus
Je rêve de marchés persans modernisés
Pour chacun selon se besoins
Je rêve de mon peuple valeureux cultivé bon
Je rêve de mon pays sans torture sans prisons
Je scrute de mes yeux myopes mes rêves dans ma prison.


Bachir Hadj Ali




Youcef SEBTI : Tel que je le sais un peu…



Et les insurgés
Ont pour destinée la folie
Y.S.



A cause d’Evtouchenko

Par Abdelmadjid KAOUAH



J’ai sous les yeux, en écrivant ces lignes, un livre « De la cité du oui à la cité du nom » d’Evgueni Evtouchenko. Un recueil de poésie qui appartenait à Youcef Sebti qui me l’avait prêté.Il y a près d’un quart de siècle. Il va sans dire que je n’ai pu le lui rendre. Un mot sur le pourquoi et le comment de cet emprunt. L’enfant terrible de la poésie soviétique post-stalinienne Evtouchenko devait effectuer en 1988 une visite en Algérie. Il jouait le rôle de missi dominici de Gorbatchev ayant pour mission d’expliquer sa Perestroïka. Grâce aux bons soins du regretté Djamal Amrani un rendez-vous fut extraordinairement pris chez lui, en marge de la bureaucratie culturelle. D’Evtouchenko, je connaissais un peu le mythe, son fameux poème sur le massacre de Babi Yar, ses saillies contre la persécution stalinienne et ses vives altercations durant le « Dégel » khrouchtchévien…La rencontre avec le Sibérien iconoclaste (aujourd’hui bien oublié) fut à la hauteur de la légende. Mais ceci est une autre histoire. Car dans ces lignes, je dois évoquer la mémoire furtive d’un autre poète, algérien de toutes ses fibres, Youcef Sebti. Connaissant son amitié avec Jean Sénac, et me fiant à la photo qui figurait dans son anthologie, je m’étais dit avec assurance que Youcef Sebti devait avoir l’un de ses recueils d’Evtouchenko…Il en fut ainsi. « De la cité du oui à la cité du nom » m’a accompagné en exil, au lendemain de l’assassinat de maint poètes algériens dont parmi les premiers Youcef Sebti. Je feuillète à nouveau le recueil, sobrement recouvert de papier kraft… Austère présentation comme l’apparence de son défunt propriétaire.
Au fil des pages, des passages pointés au crayon, sans doute de sa main. Ils revêtent peut-être aujourd’hui une portée emblématique. Citons ce passage de « La bécasse et le chasseur » :
Et la voici qui vole, en piaillant et râlant…
Mis toi, sais-tu pourquoi
Elle se dirige vers toi
Et ton fusil vers elle ?
(…)
Vas-tu donc te venger de ne pas avoir d’ailles
Sur cet être qui vole ? Tu vas tirer,
Mai ce sera sur toi qui voles,
Tirer sur toi-même en plein vol… »
Et dans « Les rythmes de Rome », un long poème ce vers énigmatique est souligné : «Fuyez loin des déserts de la foi ». Et pointé ce passage :
C’est vieux comme le monde :
Sur la scène de la vie, tous apparaissent nus en rampant,
et puis s’habillent avec des mots ,
des mots,
des mots,
des mots,
Mais pourtant sous les mots,
on continue de se voir nu ».

J’ai connu personnellement Youcef Sebti vers la fin des années quatre-vingt du siècle dernier qui se concluront par le séisme d’Octobre-89. Une période de deux à trois ans tout en signes annonciateurs. Les politiques, avec leur sens de la litote, avaient nommé cette séquence - de luttes de pouvoir sourdes ou ouvertes : la décrispation. En effet, le pouvoir tout en s’arc-boutant sur son monopole de la vie politique s’autorisait quelques largesses culturelles. C’est ainsi que des voix marginalisées ou novatrices ont pu trouver un cadre d’expression dans les rubriques culturelles de la presse de l’époque (essentiellement dans les hebdomadaires Algérie-Actualité et Révolution Africaine). Dans « Révaf », je tenais la « chronique des petites annonces » consacrée aux livres . C’est dans cette circonstance que j’ai fait connaissance avec Youcef Seti –lequel tenait une chronique intitulée « Ecrit dans le texte en arabe ». L’espace culturel et de société était dirigés brillamment par la regrettée Mouny Berrah et l’infatigable Abdou B. Par un concours de circonstances, je prendre la suite de la charge de Mouny Berrah . Et c’est ainsi qu’une fois par semaine durant deux ans, au mois, je rencontrais Youcef Sebti venant remettre sa copie. J’avais observé la qualité de la relation qui l’unissait à cette grande dame de la presse culturelle qu’était Mouny Berrah. L’apparente austérité du poète cachait un homme pétri de galanterie et de chaleur humaine. Derrière des convictions rigoureuses et parfois détonantes, il était d’une grande tolérance avec autrui, sans complaisance pour autant, disant son mot et son fait dût-il déplaire à un ami. Si mes souvenirs sont bons, Youcef Sebti, sociologue, était fasciné à cette époque par l’étude de la dialectique de la relation du maitre et de l’esclave ainsi que des problèmes de l’identité et de l’acculturation.
Fils de paysan, ayant connu dans sa jeunesse les affres de la colonisation, il vibrait tout à la fois d’un vif patriotisme et d’un attachement sans faille aux plus humbles. Certes, il pouvait être rugueux dans ses échanges intellectuels avec le microcosme petit-bourgeois algérois. Il avait exprimé très tôt sa dénonciation des nouveaux nantis, des promesses d’émancipation sociale trahies et de jeunesse étouffée. L’Enfer et la Folie , ce recueil aux accents rimbaldiens - qu’il réduit modestement à un écrit de jeunesse - avant même sa parution, grâce à Jean Sénac, fut l’une des pierres d’achoppement de la jeune/nouvelle poésie algérienne de graphie française…
Dans ces années d’avant-Octobre 89, une relation pleine de respect et d’admiration me lia à Youcef Sebti qui m’apporta son concours sans compter. L’exemple qui me vient en tête est celui du dossier consacré à Jean Sénac en octobre 1987.
Aujourd’hui, une telle initiative est anodine. A l’époque, cela relevait de la témérité. Jean Sénac était l’oublié, l’Absent dont le nom longtemps résonnait comme un défi . Mais c’était dans l’air du temps qui s’annonçait. C’est ainsi qu’il me remit pour le dossier, écrit à la main (toujours- et sans ratures !) un long texte ayant pour titre « Sénac tel que je le sais ». Avec, néanmoins, des points de suspension. C’était un portrait à la fois chaleureux et quasi-filial mais fort nuancé de Jean Sénac qu’il connut alors qu’il était étudiant. Loin du mythe, il donne à voir Jean Sénac à la fois dans ce qu’il avait de lyrique et de bal. On peut y lire des remarques étonnantes. Ce qui le frappe au premier regard lors_de l’IIIè congrès de l’UGTA (1964 ?), à l’occasion duquel il dédicaçait ses livres dans le hall de la Maison des travailleurs, en compagnie de Kaddour M’ hamsadji, c’est « le rebord des souliers de Sénac. Ses souliers finissaient vers les orteils par un pli dont j’ai déduit de suite qu’il était un marcheur et qu’il ne devait pas disposer de beaucoup de paires de chaussures ».
En fait, le portait que dresse Youcef Sebti de Sénac nous renseigne précieusement sur son intériorité et ses pensées. Et ses convictions constantes. Il y avait comme une dualité intime dans sa personnalité. Ses origines rurales le rendaient avare de parole, peu enclin à la démonstration de ses sentiments. En même la passion poétique qui l’habitait le rendait capable de fulgurances que le commun des mortels assimilerait à des dérangements. D’ailleurs, avec quel courage, Youcef Sebti ne dissimule point son passage à l’hôpital psychiatrique de Blida. Ce que d’aucuns auraient volontiers omis dans un écrit…Et ce projet farfelu avec Hamou Belhalfaoui (auquel, lucide, il ne croit pas un instant) d’organiser des soirées poétiques au « Petit tonneau » . Il promettait de « réciter » ses poèmes en pyjama grenat… Le texte d’hommage à Sénac , plus sérieusement, égrène ses convictions chevillées au corps qu’il développera plus tard dans certains textes de presse et qui lui vaudront grief et récriminations de certains, y compris parmi ses amis. Par exemple, dans le sillage des polémiques sur la langue, il précise : « ma conviction depuis toujours, et de façon irrécusable est que le pivot de notre culture nationale a été et sera la langue arabe ». Ce qui se soldera par des explications avec Sénac « en des circonstances où la sensibilité de chacun de nous n’a pas été ménagée », note-t-il pudiquement. Ses prises de position sur le néo-colonialisme, « l’école d’Alger :expression esthétique d’un capitalisme en effritement »», la francophonie, la littérature d’expression française qu’il trouvait vouée à l’exil, provoqueront des grincements de dents et des pression d’humeur s sur la rédaction…Fidèle à lui-même, porté par des vues qui pouvaient sembler utopiques et contradictoires ( car il continuait à écrire en français) , il se redéployera dans l’action associative. Après Octobre-89, il s’investira dans l’association El Djahidiya - lancée par Tahar Ouettar - qui s’est voulu dans un premier temps un espace d’expression pluriel (d’où aussi à un moment, je crois, l’adhésion de Tahar Djaout). Plus tard, ce sera une autre triste histoire…
De cette époque, je n’ai, hélas, pas de grands souvenirs de la fréquentation de Youcef Sebti. Je l’ai revu de loin en loin, pris que j’étais dans le nouveau paysage médiatique, et, par la suite, par le climat délétère imposé par le terrorisme.
Après l’assassinat du président Boudiaf le 29 juin 1992, ce grand lecteur avait reformulé à sa manière la phrase que Tomasi di Lampedusa prête dans « Le Guépard » au prince Salina .
« Nous croyions que la libéralisation allait permettre beaucoup de choses. Mais, ce sont ceux qui ont tiré profit de l’ancien système qui s’en sortiront dans le prochain », confie-t-il dans un entretien (Mohamed Ziane-Khodja, juillet, 1992). Dans le recueil d’Evtouchenko, Sebti avait souligné ces vers : Les Etats ne sont neufs que vus de l’extérieur /Tout est vieux jusqu’à l’épouvante/ Et c’est toujours l’ancienne Egypte,/Hélas !
Quelques mois plus tard, ce « petit homme malingre, à barbiche de Lénine, visage émacié, frêle… » (Jamal Eddine Bencheikh) est retrouvé assassiné une nuit de décembre dans son modeste appartement de l’institut national d’agronomie d’El-Harrach avec lequel il faisait corps. Au mur de sa chambre était fixée une reproduction du tableau des massacres du Tres de Mayo de Goya…
Youcef Sebti croyait en la force des idées, dans la richesse des débats contradictoires. Il était loin du sectarisme ambiant à tel point qu’il ne mesurait pas l’aspérité de ses propos difficiles à classer dans les grilles de lecture convenues de son époque. Son anticonformisme intellectuel le condamnait en fait à la solitude. C’était un compagnon de route incommode. Il lui arrivait de me raccompagner chez moi dans son R4 bleue. Et j’en profitais pour lui poser des questions dérangeantes. Je n’ai pas retenu ses réponses mais je puis dire qu’il restait d’un calame imperturbable. Il y avait de la candeur dans ce jeune homme éternel. Sa passion de justice éclipsait les contradictions de son discours .En cela, il demeurera un vrai poète.
Youcef Sebti résumait dans une formule son credo et la vocation de toute une génération poétique : "nous transmettons ce que chacun d'entre nous a pu arracher au mutisme d'un présent torride".
On peut espérer pour le bonheur des nouvelles générations algériennes qu’été entendu quelque part le petit « paysan futé » (J.Sénac) .Il a prédit : «quelqu'un viendra de très loin/Et réclamera sa part de bonheur/Et vous accusera d'un malheur".
A.K.


dimanche 7 août 2011

CEUX QUI RENDIRENT LES MOTS HABITABLES




Qui se souvient de Myriam Ben ?

Juillet délimite un pan considérable de la mémoire algérienne au-delà des commémorations. Il est le temps par excellence du rêve algérien pétri de sacrifices mais aussi otage des stratégies de pouvoir. Le rêve eut ses voix. Ses hommes comme ses femmes. Ces dernières encore plus singulières et prodigieuses qui rendirent « les mots habitables ». Qui se souvient de Myriam Ben ? Celle qui confiait à la terre entière aux heures noires de la patrie ses certitudes et ses inquiétudes pour « tisser le chant d’espoir » :

Toi qui chemines par chez nous
Ne cherche plus le saphir noir
Dans la mémoire de ses yeux
Ils avaient la brillance
Impérissable de l’espoir
La couleur du ciel de Saturne
Né de la clarté nocturne
De l’Intelligence Première
Et du Cavalier Noir
De l’Apocalypse
Qui chevauche aujourd’hui
La terre de nos pères
Myriam Ben, poétesse, romancière, peintre, écrivaine, cette militante qui fut de tous les combats du peuple algérien dont Sadek Hadjerès , dirigeant du PCA dans la clandestinité, a dressé le portrait et le parcours tout en générosité et d’engagement de principe. Militante du PCA au moment du déclenchement de la guerre de Libération, , institutrice près de Aïn Defla, Myriam Ben « fut versée » , nous dit-il , « dans les CDL (Combattants de la révolution) organisation armée créée en juin 1955 par le Parti communiste algérien. Parmi les missions dont elle avait été chargée et qu’elle avait courageusement accomplies, je citerai le transport dans sa voiture d’une partie des armes détournées par l’aspirant Henri Maillot, le transfert de Maurice Laban au maquis de Chleff, les liaisons qu’elle assurait entre le groupe de Chlef et la direction CDL à Alger, celles entre elle et un capitaine de l’ALN dans la région de Aïn Defla. Militante dans la clandestinité après avoir abandonné son poste d’institutrice, elle a pu effectivement échapper aux autorités coloniales et fut condamnée, par contumace, à 20 ans de prison ». Long et périlleux itinéraire qui tire ses sources de l’univers chaoui . Myriam Ben, Marylise ben Haim de son vrai nom, est issue en effet de la tribu Chaouïa des ben Moshi par son père et la tradition orale de la famille de sa mère la fait descendre d'une famille juive d'Andalousie dont l'ancêtre serait Moussa ben Maimoun (Maimonide). Lors de l’invasion française, la tribu des ben Moshi s'enfuit de Constantine et fonda la ville de Ain Beïda. Le « Décret Crémieux » supprimant en 1871 le statut personnel des indigènes juifs en leur donnant la citoyenneté française une partie des Ben Moshi se convertit à l'islam. La famille de Myriam ben en devenant française s'est refusé à perdre son algérianité. Ainsi à la naissance de Marylise, sa grand-mère souhaitait la voir porter le nom de Meriem ou de Louisa. L'administration coloniale refusa et francisa le tout sous la forme de Marylise. . Au début de la Seconde guerre mondiale, elle est élève au lycée Fromentin d'Alger. Elle en est chassée par le numerus clausus appliqué aux juifs par les lois de Vichy. Dans ses Mémoires intitulés « Quand les cartes sont truquées », L’Harmattan 2000, elle restitue à travers sa vision d’enfant « une Algérie française où, par un sanglant parjure, la France abrogea le " décret Crémieux ", laissant libre cours à l'antisémitisme, déjà ancien, de nombreux européens. Elle nous fait vivre le rôle que joua son père dans son engagement anti-colonialiste et l'enseignement qu'il lui donna sur les rapports qui existaient entre sa propre liberté et celle du peuple algérien ».C'est à cette période qu'elle adhère aux Jeunesses communistes clandestines d'Alger dont son frère est secrétaire. En 1943, elle réintègre le lycée après le débarquement américain qui a lieu à Alger le 8 novembre 1942. Elle poursuit ensuite une formation d'institutrice tout en continuant des études de philosophie à l'université d'Alger.En 1952, Marylise est nommée institutrice suppléante au village d'Aboutville. L'école est délabrée et les paysans arabes n'osent pas y envoyer leurs enfants car ils n'ont pas de chaussures. Pour les instruire, elle va elle-même chercher les enfants dans leur famille .En 1954 et 1955, parallèlement à son travail d'institutrice, elle collabore au journal Alger Républicain. Elle s'engage alors dans la guerre de libération de l'Algérie en devenant agent de liaison dans le maquis d'Ouarsenis dit le " Maquis Rouge ". Condamnée par contumace à vingt ans de travaux forcés par le tribunal militaire d'Alger en 1958, elle restera dans la clandestinité jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en 1962.Après l’indépendance, elle connaîtra, au lendemain du 19-Juin, un premier exil forcé après son départ en France pour des soins. Elle mettra à profit ce temps pour préparer une thèse en histoire et d’adonner à l’écriture et la peinture. Dans « Diwan d’inquiétude et d’espoir » (ENAG, 1991), sous la direction de Christiane Achour, ses premiers essais littéraires sont évoqués en ces termes : «… Au milieu des années soixante, elle s’attelle à un roman resté inédit et à trois pièces de théâtre. "Après [Karim] une première pièce mettant en scène un moment précis et ponctuel de la lutte (avec la mise en scène des contradictions de l’individu pris entre ses sentiments et son devoir de patriote), puis [Leila] un second texte sur le présent des lendemains qui grincent et déchirent, Prométhée s’extirpait, en quelque sorte, d’un cadre historique pour réaliser le désir d’universalité commun à de nombreux dramaturges". Plus tard, elle publiera, notamment Sur les Chemin de nos pas, L’Harmattan, 1984, Au carrefour des sacrifiés, L’Harmattan, 1992. Elle est de retour au pays en 1974 où parallèlement à ses travaux d'écriture, Myriam Ben peint et multiplie les expositions en Algérie et à l'étranger. Membre de l'Union nationale des anciens Moudjahidines et du mouvement des femmes algériennes, elle ne cessera de monter au créneau pour « tuer le mensonge » et pour « recueillir la source qui se perd ».Qui se perd et s’ensanglante dans les années quatre-vingt dix et la pousse à nouveau vers les rives de l’exil. Elle qui écrit :

Pour partir
Sans quitter mon pays
Voyager sur la mer
Voiles pleines
Et libre



Elle s’est éteinte le 19 novembre 2001 à Vesoul « laissant derrière elle des écrits et un souvenir ineffaçable de courage et de lutte pour les causes justes » (Mourad Yelles-Chaouch).
Son dernier recueil de poèmes s’intitule « Le soleil assassin » … Qui se souvient de la brillance impérissable de l’espoir ?


A.K.

Chemins écarlates de Damas


Ecritures d’argile et d’ombre




Jusqu’à une date récente, quand on évoquait la littérature syrienne, on avait en tête immanquablement les poètes Adonis (à l’état civil Ali Ahmed Saïd Esber, né en 1930à Qassabin, près de Lattaquié) et Nizar Qâbani.Le premier est toujours de ce monde et n’ pas manqué de soulever maintes controverses et son œuvre d’une vertigineuse hauteur poétique au point qu’elle peut sembler parfois impénétrable avait autorisé qu’il serait le second Nobel du monde arabe après …Le second , Nizar Qabani né à Damas est mort en exil en 1998 est l’auteur d’une œuvre poétique dédiée à la femme et en même temps ancrée dans les drames du monde arabe. Il a également soulevé grimaces et controverses, en particulier par sa qasida : « Quand annoncera-t-on la mort des Arabes ».
Les révoltes populaires arabes peuvent résonner comme un écho, une réplique au cri solitaire du poète à l’époque. Rappelons-nous ce que proclamait Nizar Qabani :
J'essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie
Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries
Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front.

(…) Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife
pour une poignée de riz... et cinquante dirhams...
Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d'horreur
Dont nous suivons les épisodes chaque soir
Comment te verrions-nous s'ils nous coupent le courant ?

On croirait ces derniers vers écrits aujourd’hui au cœur de la tourmente tragique de la Syrie.
La parole d’Adonis était fortement attendue sur le drame qui bouleverse son pays. Il ne pouvait rester silencieux. A la veille où le poète recevait le Prix Goethe, il avait surtout élargi son propos à l’ensemble des dirigeants du monde arabe en les accusant de «ne laisser derrière eux que ruines, arriération, amertume et torture. Ils ont accumulé du pouvoir. Ils n'ont pas bâti une société. Ils ont fait de leurs pays des espaces de slogans dépourvus de tout contenu culturel ou humain.». A sa manière, il s’est adressé à Bachar Al Assad, dénonçant la faillite du parti Baath qui « n'a pas réussi à rester prédominant par la force de l'idéologie, mais grâce à une main de fer sécuritaire." Il fustige la répression en restant convaincu que la violence « ne peut durer car aucune force militaire aussi puissante soit-elle ne peut vaincre le peuple, aussi désarmé soit-il". Dans ce message, il appelle également à la nécessaire modernisation du régime qu’il exhorte à « remettre la décision au peuple » et met en garde l’opposition des influences religieuses. « Le révolutionnaire littéraire » reste en conséquence partisan d’une réforme raisonnable et non imposée de l’extérieur…
Que dire de la nature et de l’évolution en général de la littérature syrienne ? La Nahda arabe (c’est Alep que fut fondée en 1712 la première imprimerie arabe) est grandement redevable aux écrivains et intellectuels syriens aux origines culturelles et religieuses diverses. Avec Chakîb al-Jâbiri (Fringale, 1937), le roman s’est ouvert aux questions de la vie sociale. Il puisera également ses sujets dans la politique avec Muta' al-Safadî (la Génération du destin, 1960) et Fâris Zarzûr (Les A-sociaux, 1971). Avec Hanna Mina Hannâ Mîna, chef de file des écrivains réalistes (la Voile et la Tempête, 1966), s’imposera la représentation des petites gens dans le roman et la nouvelle. Mohamad al-Maghout s’illustrera par le vers libre dans la poésie. Dans un pays officiellement engagé durant des décennies dans une voie de développement national, la littérature avait pour tâche d’accompagner sur le mode du réalisme-socialiste cette marche vers des lendemains qui chantent. Dans cette littérature dite « engagée », le culte du héros positif était de rigueur. Les œillères dogmatiques s’avéreront insupportables par la suite. Aussi quelques auteurs syriens, instruits par le désenchantement arabe après la défaite de 67, ont pu trouver une alternative au dogme en s’orientant vers le réalisme merveilleux mis à l’honneur par les romanciers latino-américains. C’est le cas de Walîd Ikhlâsî (le Rapport, 1974), Haydar Haydar (Festin pour algues marines, 1983), et Salîm Barakât (Les Seigneurs de la nuit, 1985).
Il faut d’abord préciser qu’en Syrie, d’ailleurs comme tous les autres pays arabes, l’expression littéraire se déroulait sous le signe du fameux tryptique des tabous : le sexe, la politique et la religion. Avec en Syrie, l’existence d’une censure officielle qui relève d’un triple niveau. Selon Hassan Abbas, critique et chercheur : « l’Union des écrivains arabes pour les productions littéraires, le ministère de l’Information pour les écrits politiques et sociologiques, et le commandement national ou régional du Parti Baath pour les livres qui causent problème ou susceptibles de poser problème. Cette dernière instance la plus haute. Quant au niveau policier, c’est une censure post-production. Elle frappe des livres qui sont édités à l’étranger et qui arrivent d’une manière ou d’une autre dans les librairies ». Autre phénomène insidieux et non moins mutilant, fruit de la culture de la peur, c’est l’autocensure car souvent les auteurs sont convoqués et interrogés.
Les premiers frémissements du renouveau littéraire syrien - après la mort de Hadad Al Assad et le Printemps de damas raté au début du nouveau millénaire - viendront Les nouvelles Shéhérazade selon le chercheur Hassan Abbas. Notamment avec » Kama yanbaghi li nahr (« Comme il faudrait pour une rivière » de Manhal al-Sarraj. C’est un récit allégorique tissé des souvenirs de la romancière ; enfant elle fut témoin de la répression qui s’était abattue sur Hama après le soulèvement violent des islamistes. Interdit, le roman interdit en Syrie, a été publié aux Emirats, à Chardja en 2003. Rosa Yacine (de Lattaquié, le fief des Assad et fille d’un chercheur communiste connu) dans son premier roman « Abanous », évoque le destin de cinq générations de femmes de la même famille sur la durée d’un siècle. Le roman a obtenu le deuxième prix du
Concours-Hanna Mina du meilleur roman, organisé par le ministère. Or, il fut partiellement censuré avant sa publication… Samar Yazbek quant à elle a du publier ses deux romans : « Tiflatas-Samaa » (« La Fille du ciel ») et « Salsal » («Argile») à Beyrouth. Son dernier roman « Odeur de cannelle » doit paraître prochainement en français et en italien. Dans son « Journal de Damas », Samar Yazbek écrit : « Je me glisserai dans le sommeil des assassins et je leur demanderai : Avez-vous bien regardé leurs yeux, quand vos balles se sont approchées de leurs poitrines ? Avez-vous aperçu le trou de la vie ? Avant que le ciel de Damas ne vire au bleu sombre, ils regardent les doux cercles rouges autour de leurs fronts et de leurs ventres, là où les fenêtres de nos regards s’arrêtent. Ici, à Damas, là où s’endormiront bientôt les yeux des assassins, là où nous resterons à veiller l’angoisse, la mort n’est pas une question, c’est une fenêtre qui s’ouvre sur de nombreuses questions. » Il faudra attendre 2007 pour découvrir une relation du monde carcéral syrien avec la parution de « La Coquille » (Sindbad, Actes Sud) de Mostafa Khalifé. C’est le Journal d’un d’un écrivain syrien qui a passé treize ans dans les prisons du régime. Arrêté déjà en 1979Appartenant à une famille chrétienne grecque-catholique , proche lui-même d’un parti d’extrême gauche, il fut arrêté à l’aéroport de Damas (à son retour de France où il effectuait des études de cinéma ) et accusé d’être, contre toute vraisemblance, membre du mouvement des Frères musulmans ! Ce récit, qui se présente comme un journal, restitue sous une forme légèrement romancé, les choses bues et entendues par le narrateur. Sans pathos, avec sobriété, les scènes qui se succèdent donnent à voir à la fois la barbarie des geôliers et le processus de déshumanisation des détenus, et par-delà de la société elle-même. A son tour, Yassine Hajj Saleh, incarcéré durant 15 années, publie « Sourya min al-Zhil, Nazharat dakhil as-Sandouk al-Aswad «, « La Syrie de l’ombre, regards à l’intérieur de la boîte noire » (2010). Il est depuis le début l’une des voix de la révolte syrienne .Khaled Kalifa (Alep, 1964), scénariste réputé de plusieurs films et séries télévisées, fondateur de la revue culturelle, Aleph, auteur de plusieurs romans qui l’ont placé parmi les écrivains syriens les plus reconnus, vient de donner avec Madîh al-karâhiya ( « Eloge de la haine ») sont son maître livre (Dar al-Adab, Beyrouth 2008 et Sindbad Actes-Sud, 2001).C’est une jeune syrienne d'Alep, élevée dans la plus pure tradition musulmane, croit trouver sa liberté en rejoignant un mouvement fondamentaliste qui l'initie aux luttes jihadistes. De l'embrigadement volontaire à la prise de conscience en passant par l’épreuve prison, Khaled Kalifa restitue, à travers ce parcours et sa confrontation contradictoire à l'altérité, l'affrontement entre les deux forces, l'islamisme et le régime hégémonique, qui ont ravagé la Syrie durant les années 1980.Un roman décapant qui bouscule l'amnésie ambiante et la culture de l’oubli dans lesquelles se sont longtemps repliés les Syriens. « Eloge de la haine » peut et doit se lire également, loin des volontés de puissance, comme un chant pour la tolérance et la différence dans la liberté et la dignité humaines.


A.K.


mardi 7 juin 2011

Lella et les Autres



A l’heure ou les pays du Maghreb sont en pleine mutation, un monument dressé à la mémoire maternelle en un recueil de textes réunis par la romancière Leïla Sebbar, « Ma mère » (coordonnés par Behja Traversac, Chèvre-Feuille étoilée) donne la mesure de sa prégnance et sa permanence au cœur des sociétés maghrébines. Ce sont exclusivement des récits d’homme, dessein avoué de l’initiative. Par-delà les récits intimes, les portraits subjectifs divers, « Ma mère » nous apporte de précieux éclairages historiques sur des moments de la colonisation et de son ébranlement. Moments de rupture, d’engagements ou se mêlent également des naufrages de l’histoire. Mosaïque de traversées du miroir ces récits ont en commun que leurs auteurs sont tous nés au Maghreb, dans des cultures, des langues et des religions différentes et ont surtout tous, en partage, l’usage du français. Au total une trentaine de signatures d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, de générations différentes, parmi lesquels les Algériens sont les plus nombreux. Sophie Bessis qui signe la préface annonce la couleur : « Contrairement à quelques solides stéréotypes, les mères « indigènes » ne sont pas forcément les plus soumises. Celles d’origine corse, ou espagnole, pourraient parfois les envier. Car il y a aussi les mères hardies, libertaires, souvent fouettardes celles-là. Elles peuvent être analphabètes, elle ne sont jamais incultes ». Elle peut aussi trôner, comme la « Lella « de Djilali Bencheikh. Divinité domestique dont l’autorité était incontestable et incontestée qui a une opinion à propos de tout, obéissant aux pulsions de son cœur. Mais au pays des origines, c’est le foie qui est le siège de l’affection, rappelle Djilali Bencheikh, avec humour. Arezki Metref de son côté nous pose derechef la question qui peut tuer, si souvent esquivée parce que dérangeante pour nous - : « Ma mère avait-elle un corps ? J’ai peine à l’imaginer femme. Toujours sobrement vêtu, en hivers, elle superposait les robes. La sédimentation éloignait le corps en lui conférant sacré ». Dans « Les silences de ma mère » il trace un portait tout en retenue, à l’image de l’objet de son récit. Les silences de la mère témoignent de souffrances dont l’origine est à rechercher dans les tréfonds de l’histoire, dans les fils qui remontent à la tragédie d’Icherriden en Kabylie durant la Conquête française. Cette mère qui « a passé sa vie a proximité de l’écriture » en portait el signe. Dire sa mère, c’est aussi avouer une part intime de soi-même. Sans dérobade, A.Metref s’explique courageusement. Il lit sa distanciation des choses comme une signature de la mère, subtil équilibre qu’elle lui a enseigné : marcher à la même hauteur que les autres. Nourredine Saadi qui n’était « vieux que de trois ans « quand sa mère est morte, ces phrases cristallisent une confusion des temps qui programment une mort refoulée. Et partant un manque effroyable, « un trou de mère, tout à fait comme on dit un trou de mémoire car je n’ai rien , aucun souvenir intime , personnel, de ma mère, ni sa voix, ni son visage, ni son odeur, ni la douceur de son sein, ni le goût de son lait, ni la trace de sa caresse sur ma peau, ni, ni…Je ne me souviens de rien… ». Et pourtant, c’est encore une manière de souvenir. Grâce à une photo, portait en buste de ma mère, prise quelques jours avant sa mort.
C’est cette photo tant reproduite que l’auteur portera sur lui au gré de ses errances. Comme un talisman. Nourredine Saadi est aussi sociologue, il emploie une expression plus savante : objet transitionnel. Tout simplement, le chiffon, le bout de vêtement, le doudou. Objet quasi-magique qui calme les angoisses et recompose le monde révolu. Dans le cimetière de la capitale de l’Est algérien repose la mère très tôt disparue. Lors d’un retour, le « point aveugle » s’ouvre. Les pas conduisent l’écrivain à la tombe de la mère. Emportant un fragment de marbre de la tombe (un séisme y était passé), il commandite qu’on y appose à la place une forme de livre pour la protéger des grands vents ... C’est un peu aussi le cas dans le témoignage de Lazhari Labter. Une mère nommée par son prénom qui tient à la fois de la fleur et de la chance : « Zohra comme une rose en son jardin » dans cette oasis où elle cultivait son jardin comme un bout d’Eden en dépit des guerres, des famines, des épidémies. Le regard d’un fils peut être négligeant. Il faut le recul du temps pour soudain lire sur son visage reproduit par une photo la tristesse des yeux dans la « beauté des femmes sahariennes, alchimie bérbéro-hilalienne ayant opéré depuis le XI è siècle ».
Hélas, la mère n’est plus, trop tard pour obtenir une explication de vive voix sur les profondeurs de cette tristesse. Raconter sa mère, c’est affronter un cataclysme intime : la perte de la mère, dès la petite enfance. C’est aussi le destin commun du poète tunisien Tahar Bekri qui avec des accents d’une grande authenticité cette blessure inguerissable.
Benamar Mediène dans « Rahma, ma mère », évoque cette « mémoire de l’enfance agitée dans un entre-deux de clair et d’obscur » d’où se détache l’image d’une mère « césure entre l’avant et l’après », telle une « épiphanie prophétique » ayant traversé la mer pour débarquer au lendemain de la deuxième guerre mondiale (accomplie par le père) dans un Port-Vendres sous un bombardement de D.D.T. à l’usage de ces visiteurs singuliers. En même temps point de départ dont la mère s’emparera et « ne négociera plus jamais ». L’enfant aura en quelque sorte deux enfances, celle de M’sirda la brûlante en Oranie et celle de Rochefort en Charente-Maritime où « l’eau qui coulait à volonté du robinet captivait ma mère » écrit Benamar Mediène. L’histoire, ou plutôt les histoires racontées par Boualem Sansal sont pathétiques. Dans son cinéma intérieur, le romancier a fait de la rencontre avec sa mère « un film à la hauteur de l’évènement ». Dans ce film, il y a : un certain Albert Camus. Il habitait trois ruelles plus bas » Ceci est dans le film tourné dans la tête. La réalité est plus prosaïque et touchante. C’est l’histoire d’un enfant et de ses frères qui mirent tant d’années pour devenir « enfin les enfants de notre mère ». « Aujourd’hui ma mère est morte ou peut-être demain, je ne sais plus «. Ce sont les premières lignes du roman « L’Etranger » d’Albert Camus. C’est l’incipit de « L’Etranger » qui ouvre aussi le texte de Mourad Yelles. Dans La Passagère, il restitue, par le biais d’une déambulation poétique à travers Venise « les échos délicats de Ziryâb » mêlés aux « fureurs romantiques de Beethoven ».La Passagère est cette « Roümya » qui osera sortir de son monde d’origine pour épouser, par amour, un autre. Double défi pour celle qui tentera d’apprivoiser de « farouches gutturales ». D’un chantier à l’autre : enseignante durant la colonisation, chargée plus tard à l’indépendance de « reconstruire le collège détruit par la haine insensée de ses compatriotes ». Mais la bêtise fera bien vite passer par perte l’engagement, tournant une page qui s’écrira sans cette « passagère ». En nommant Venise et ses lieux emblématiques, Mourad Yelles nomme l’exil et le royaume élu de sa mère. L’absence rimant avec renaissance. A chaque fils sa version de La Mère, haute en couleur, en marge du tragique, tout simplement resplendissante de séduction (« Le maillot noir » de Guy Sitbon, né à Monastir en Tunisie, anticolonialiste et journaliste de renom) ou d’une terrible cocasserie. Telle celle de Magyd Cherfi, la « Toulousaine », dans « Le regret de ma mère », qui tenait son fils par le triptyque : aliment, bises et baffes » tenant le football comme la suprême des diableries, et élevant un culte sans nom aux bienfaits de l’instruction, surtout pour les enfants de ces quartiers dits « sensibles ». Voyage dans l’inconnu au sens propre d’Ahmed Kalouaz arrivé en famille en « fond de cale » qui adjure : « Mère chante-moi la chanson » la mère chez laquelle : « on ne parle pas de poésie, mais d’appétit, de santé, de la vie comme elle va ». La maman de Mohamed Kacimi, « demandait « les vêtements de ses enfants à « Madame la redoute » et qui fera pas moins de dix-sept pèlerinages à la Mecque et qui n’acceptera pas de désavouer son fils, auteur d’un premier roman sulfureux, issu d’une grande famille des Hauts-Plateaux à l’enracinement religieux séculaire et rigoriste. Jean Daniel qui se passe de présentation, natif de Bida, nous livre dans un bref texte, « Je hais les murs », le secret lointain de son engagement. Le chagrin de sa mère de voir sa terrasse obstruée par une élévation de deux étages de la maison du voisin. La terrasse qui donnait vue sur « la partie magique de l’atlas tellien qui domine les plaines de la Mitidja égale».
Ma mère nous apporte également de précieux éclairages historiques sur des moments de la colonisation. Moments de rupture, d’engagements ou se mêlent également des naufrages de l’histoire. En cela, il y a des pages hautement pathétiques. « La Afrancesada », de Bernard Zimmermann, né et ayant enseigné à Oran jusqu’en 1966, nous relate la douloureuse « intégration » d’une mère d’origine espagnole, restée cependant étrangère aux yeux de certains membres de la famille du mari. La francisée retrouvera sa langue maternelle sur la fin de sa vie, ouvrant « la cage à sa captive espagnole ». Ainsi nous dit son fils : « L’Arabe humilié et les fleurs tranquilles peuvent représenter simplement les deux pôles de son être : la révolte et la joie. ». C’est encore davantage qu’une simple révolte morale chez « L’aadjouz », la mère de Georges Morin, cette native des Hautes-Pyrénées, à l’enfance déjà éprouvée, devenue infirmière, s’installera un juillet 1926 en la bonne ville de Constantine.
Elle y vivra jusqu’en 1979, approchant les 80 ans, enracinée dans un peuple pour lequel elle s’était dévouée. . Il n’est pas étonnant que le fils anime « Coup de soleil » dont l’ambition est de mieux faire connaître en France le Maghreb, les Maghrébins et leur apport historique et contemporain à la société française. Autant de scènes, instants et climats, pour reprendre les mots d’Alain Vircondelet qui égrène la formule inoubliée de sa mère : « Tant que le jour nous portera, on sera sauvé ». Lignes de mémoire disparates et de fractures encore indicibles qui par-delà les convictions intimes ou idéologiques, passagères ou durables, restituent cependant des portraits maternels d’une grande et irrécusable humanité.

A.K.

samedi 28 mai 2011

Le roman que n’a pas écrit Naguib Mahfoud

Le roman que n’a pas écrit Naguib Mahfoud


Quel roman aurait écrit Naguib Mahfoud sur l’Egypte d’aujourd’hui s’il était encore de ce monde ? La question pour sembler saugrenue n’est pas illogique. Car il avait consacré précédemment au règne de chacun des deux prédécesseurs de Hosni Moubarak un roman. A Nasser : ‘’Karnak café », écrit en 1971 sous Sadate. Naguib Mahfoud, avec son art de raconter une histoire, y solde ses comptes avec l’ère nassérienne. Marquée par une réelle ferveur révolutionnaire au début de son avènement elle se dénature progressivement et se corrompt moralement de l’intérieur en laissant s’instaurer la suspicion, l’exclusion et la répression. Au prétexte qu’on ne doit parler que d’une seule voix car l’ennemi fait planer sa menace sur le pays. Il faut le dire, à l’époque, ce n’était de simples fantasmes. Mais à grands renfort de discours triomphalistes, le régime devient aveugle idéologiquement et cruel bureaucratiquement en broyant ceux-là même qui croient en lui. Quand l’ennemi décidera de frapper, le régime s’écroulera, impuissant, victime de ses illusions et de son arbitraire. Sans phrases ronflantes, Mahfoud retrace le désenchantement d’un groupe de jeunes sincèrement idéalistes qui se retrouveront humiliés, trompés et désabusés par un manipulateur de la police politique Naguib Mahfoud dissèque dans « Karnak Café » les « maladies infantiles » du nassérisme qui ont conduit à sa défaite de Juin-67. Mais le mythe de Nasser a survécu à son naufrage politique. Dans les manifestations populaires qui embrasent actuellement l’Egypte, il n’est pas étonnant de voir ça et là dans la foule ses portraits brandis. Si ses Moukhabarates n’étaient pas des tendres, Nasser n’avait jamais fait tirer sur son peuple ou l’affamer. Il avait incarné un rêve de liberté qui n’avait pas tenu toutes ses promesses. Il est mort cependant adulé par son peuple. Ismaïl al-Cheikh, Zeinab Diyab et Helmi Hamada, les héros tragiques de ’’Karnak café’’ doivent être aujourd’hui à Maydène Ettahrir.
« Le jour de l’assassinat du leader », roman court, (ou plutôt une longue nouvelle écrit en 1989, sous Hosni Moubarak) raconte l’histoire d’une famille accablée par les conséquences de l’Infitah inauguré par le président Sadate. L’Egypte eut pour ainsi dire, son 5-Octobre en 1978 avec « les émeutes du pain ». Et, on sait comment finit Naguib Mahfoud, excelle à décrire les affres du petit peuple. Il a campé des personnages si vrais qu’ils ont fini comme par servir de modèle aux vivants. Après une parenthèse faite de récits métaphorique sur la revendication d’indépendance nationale au travers d’une plongée historique au temps des pharaons, Naguib Mahfoud, il donna vie des œuvres moulées dans l’écriture réaliste, voire avec notamment Le Nouveau Caire (1945), Le Passage des miracles (1947) et Vienne la nuit (1949) –dans lesquels il a peint avec profondeur et couleur la composante sociale du Caire au début du XXe siècle. Ils furent suivis en 1956-1957 par la fameuse Trilogie de mil cinq cent pages comprenant L'Impasse des deux palais, Le Palais des désirs et Le Jardin du passé. Dans cette vaste fresque historique il retrace le parcours de trois générations de la révolution nationale de 1919 à l’agonie de la monarchie. C’était la saga d’une famille, celle-ci bourgeoise cairote qui assiste à la disparition de l’Egypte traditionnelle et doit se prononcer face à des choix historiques cruciaux pour l'avenir de la nation. En 1959, Naguib Mahfoud publia-en feuilleton dans les colonnes d’Al-Ahramh - Les fils de la Médina. L'ouvrage fut stigmatisé par Al Azhar. Œuvre pharaonique que celle de Naguib Mafoud, tissée de correspondances entre fait littéraire et effets de l’histoire, l’osmose qu’elle peut atteindre parfois avec son présent et ses résonances dans le futur. Et bien que n’ayant rien d’un radical en politique et comblé d’honneurs, le vieil homme eut des principes et sut dire son fait au Prince restant fidèle aux plus humbles.
Le peuple égyptien, il faut lui rendre justice , a expérimenté, pour ainsi dire, en « leader », souvent à ses dépens, maintes percées et maintes mésaventures historiques : la lutte pour son indépendance nationale la « révolution de juillet », l’économie étatisée, la prépondérance de la classe militaire, les ravages des moukhabarates ; les guerres avec Israël, les défaites militaires, la « pax americana »…l’irruption de l’intégrisme, l’Infitah , (le mot arabe pour libéralisme) les dénationalisations, privatisations, les émeutes de la faim, les catastrophes naturelles et celles qui ne l’étaient guère, l’assassinat d’un président et la question cruciale succession de la démocratie et de la justice sociale et de l’alternance en république… , Mais ne dit-on pas de l’Egypte qu’elle est la mère du monde, Oum Eddounia ?
Sur ses vieux jours, Naguib Mahfouz , le seul Nobel de littérature à ce jour, fut lâchement agressé par un illuminé. A sa mort, Moubarak lui fit des funérailles nationales.
Aujourd’hui le raïs Moubarak , vieilli, usé par l’exercice du pouvoir, est dans l’œil du cyclone, et one sait par quelle porte il sortira de l’actualité . Naguib Mahfouz n’ pas écrit « L’automne du patriarche ». C’est son homologue du Nobel le Colombien Garcia Marquez qui l’a signé. Mais Naguib Mahfouz nous aurait sûrement étonnés par le roman que nous ne lirons pas.

A.K.

C’était au milieu des années soixante-dix -quand l’utopie avait le goût du possible- que j’ai connu Mohamed Dorbhan. Dans le creuset de cette effervescence, en ces temps, il faut l’avouer, la langue de bois passait avec les fulgurances révolutionnaires. Lui en souriait.Mais nul ne pourra récuser la ferveur, la sincérité, et même si le mot paraît grandiloquent, la pureté qui faisait battre le cœur de cette génération post-indépendance. Mais les rigueurs de l’ostracisme du pouvoir et l’ossification de la vie politique au début des années quatre-vingt ont tôt dispersé et gâché toute une génération bourrée de talents et tout en désintéressement.
Au moment, où à elle allait donner la pleine mesure de ses capacités, la barbarie l’a foudroyée. Tel fut le destin tragique de Mohamed Dorbhan , Allaoua Aït-Mebarek
et Djamal Derraza , tous trois journalistes au « Soir d’Algérie » ainsi que de nombreux autres citoyens qui étaient de passage dans le quartier du 1er-Mai emportés dans un attentat le Onze février 1996.
Mohamed Dorbhan , journaliste, caricaturiste, graphiste baignait donc dans les signes scripturaires et graphiques. Féru de littérature, il était naturel qu’il aille plus loin que cette littérature de l’éphémère que serait le journalisme .Il a laissé un le manuscrit d’un roman. Pour le quinzième anniversaire de sa disparition, par la fidélité à sa mémoire et par le travail patient de l’ami et éditeur Abdallah Dahou, ( Arakom) , son roman sera sauvé de l’oubli. Ce 11 février prochain les lecteurs algériens ont rendez-vous avec Mohamed Dorbhan. C’est un roman posthume que le lecteurs auront entre leurs mains. Œuvre posthume et définitivement close, comme achevée, y compris dans ce qui, dans l’intention de son auteur restait à parfaire. L’auteur ne sera pas là pour sacrifier aux questions, aux interrogations, au plan com, selon l’usage d’aujourd’hui qui accompagne nécessairement une publication. Encore moins de séance de dédicace. Mohamed Dorbhan a tracé les dernières lettres de son roman, récit, un 14 juillet de l’an mil neuf quatre vingt neuf. On peut soupçonner dans cette date un clin d’œil symbolique à l’histoire. Et de l’histoire, il n’en est que question dans ce récit. A la fois polyphonique dans ses séquences à multiples ressorts, pareilles à ces poupées gigognes russes (dont il est question quelque part dans le texte lui-même) et cependant racontés d’une seule traite, d’un même souffle sur plus de deux cents pages par la même « voix ». Omnipotente, omnisciente. Un vrai vertige verbal, que l’on peut comparer à un oued déchaîné, tumultueux, dont les flots décapent sur leur passage ce qui sert de décor ou d’artifice. Que l’on ne s’y méprenne point, le tumulte de l’énonciation n’exclut pas la maîtrise de l’écriture. Mohamed Dorbhan a vraisemblablement commencé son roman au lendemain des journées d’émeutes populaires d’octobre 1988. Le récit se clôt quasiment une année après. Entre le temps de l’utopie du changement radical et de la déconvenue publique, l’illusion lyrique aura été de courte durée. Et comme on le sait, pour les pouvoirs établis, les meilleures plaisanteries sont les plus courtes. D’ailleurs, l’auteur évoque ces journées héroïques et rares dans l’histoire d’un peuple de façon évanescente. « Dans cette grande patrie que n’associent que le despotisme des roitelets, le triomphalisme des journaux et le prix de la farine », les jeux sont faits. « Oui, ce furent de belles journées qui, noyées dans le hurlement des torturés, changèrent le cours des jours et le peuple de la ville fit semblant d’avoir oublié le massacre et ici les marchands de vent ne tarissaient pas d’éloge, criaient victoire et s’excusaient de ce petit bain de sang hélas malheureux mais nécessaire…»…, et les choses, petit à petit et progressivement, Le simulacre de changement ne rend que plus désespérant le cours des jours : («avec les fusils de l’indépendance, on a maté la rébellion »). C’est un monde encore plus clos, étouffant sous la canicule et la poussière, livré aux manipulations les plus sordides. Où rien n’étonne : le vrai, la vraisemblance ne fait pas partie du code social. Tout a commencé quand Salaheddine Djoudi, « un flic rêvasseur », est chargé d’une mission impossible.par un improbable commissaire. En fait, en guise d’enquête, ce sont les rêvasseries douces-amères et la passion amoureuse pour « Aïcha la tueuse » de l’inspecteur qui constitueront l’essentiel des péripéties. Les hauts faits de ce dernier, pourvu d’un prénom mythique, consisteront en une navigation triangulaire qui le conduira de son bureau du commissariat qui donne sur la mer, place « Halladj », au bar « La Sirène» qui change d’enseigne au gré de l’histoire du moment. Alors qu’il doit enquêter, préfère philosopher. Ses enquêtes, il les consacre donc aux recherches mythologiques helléniques et autres. « La réalité et les légendes étaient liées par d’invisibles et inaltérables filins ». Et vogue la galère de l’imaginaire et de l’érudition. Plongée dans des référents historiques où défilent les anecdotes les plus folles et les personnages les plus hauts en couleur. A partir de là, Mohamed Dorbhan nous entraîne dans une cavalcade épique qui traverse au galop les époques et les contrées les plus lointaines, avec leur lot de gloire et de mystification. El Hallaj, poète mystique soumis à la question et au martyre éclaire une quête désespérée de pureté qui fermente paradoxalement dans la tête d’un serviteur de l’ordre s’élançant d’un lieu de perdition sur le tapis volant de son imagination. « Face à l’absurde, il restait la folie ». le roman fait la place belle aux digressions historiques qui peuvent paraître comme saugrenues parfois dans la progression du récit proprement dit, il dénote un sens aigu du détail et de la description qui peut confiner à la virtuosité (le passage consacré à la miniature ou la scène du suicide ratée de l’inspecteur, par exemple). Par contre, les personnages en-dehors de Aïcha et du commissaire, et dans une certaine mesure « l’homme à l’astrolabe » restent des silhouettes, sinon, et c’est inévitable, des caricatures définitivement figées. La mort n’aura pas donné à Mohamed Dorbhan l’occasion de remettre son ouvrage sur le métier. Comme sa mort, son œuvre est irréversible. La première n’est pas de l’ordre du malentendu. Selon Shakespeare :« La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit, et qui ne signifie rien » ? En même temps que dans ce rien se joue la totalité du destin humain. Celui qui connaissait un tant soit peu Mohamed Dorbhan reconnaîtra derrière le narrateur son humour aiguisé. Le « Minotaure », cet univers à la marge est un condensé en fait de la normalité en usage. Dans ce monde à ciel ouvert, tout est fermeture, la seule épopée est sur le front de la lutte contre la pénurie. Et le fléau des mouches. Leur traque est devenu un sport national et un motif de méditations philosophiques dans un univers où « se volant les uns et les autres, tout le monde à la fois finissait par rentrer dans ses comptes ». A cette écriture sarcastiques , succèdent des passages tantôt épiques : quand il évoque par exemple, l’exil à Cayenne, la saga des raïs, le naufrage de la flotte et la défaite de Charles Quint sur les rivages algérois, les conquêtes et les rapines coloniales – tantôt lyriques qui humanisent cet inspecteur déboussolé mais gardant au plus profond de lui quelques braises de lucidité et de dignité. C’est un roman d’éclaireur qui ne voit la lumière du jour que vingt ans plus tard. Miracle, il ne souffre pas, comme on peut le craindre en certains cas, d’anachronismes. Le secret de jouvence est dans le parti pris (le lecteur le vérifiera aisément) de ne pas raconter une histoire selon les canons romanesques traditionnels (aujourd’hui de retour) mais dans le recours aux procédés de la tragédie en ne craignant d’y insuffler une bonne dose d’humour et de verdeur langagière. Et les tempêtes populaires qui secouent les pouvoirs dans le monde arabe ravivent, selon le mot de A.Dahou, « la cicatrice d’Octobre ». Durant toute la lecture du roman, m’accompagnait le sourire tranquille et de Mohamed Dorbhan. Témoin lointain au roman cinglant. « La mer, toujours la mer, éternellement la mer ».

A.K.

Mohamed DORBHAN: Les neuf jours de l'inspecteur Salaheddine
Arak Editions, 2011

dimanche 10 avril 2011

Ainsi parlait Césaire




Aimé Césaire, le père de la Négritude, ou plus simplement « Papa Aimé » comme l’appelaient affectueusement les Antillais, est entré enfin au Panthéon de la nation française. Symboliquement. Sa dépouille mortelle repose toujours dans sa terre natale, la Martinique à laquelle il a voué sa vie et son génie sans frontières. Il a rejoint, notamment, l’un de ses inspirateurs, Toussaint Louverture, l’apôtre précurseur du combat contre l’esclavagisme et le colonialisme. Quel destin et quel chemin, tout en droiture et en lucidité jusqu’au crépuscule de son existence. Ne cédant ni à la gloriole ni aux honneurs. Aimé Césaire est resté un humble, frère des hommes, surtout ceux qui ont à souffrir de l’esclavage, du racisme et de la discrimination sous toutes formes. Ce Martiniquais, était né dans une famille pauvre et nombreuse.
« Qui suis-je? Qui sommes-nous? Que sommes-nous dans ce monde blanc?» Qu'est-il permis d'espérer?»Voilà les trois questions essentielles qu’il se posera avec ses compagnons les plus proches, tels Léopold Sedar Senghor, Birago Diop et Léon Dumas quand il débarque en France au début des années trente. Il découvre une métropole encore dans l'exaltation de sa mission civilisatrice avec l'Exposition coloniale et la commémoration du rattachement des Antilles. L’étudiant brillant mais tourmenté, était révolté par la condition humiliante faite à sa terre d'origine et plus encore par le drame subi par le continent africain. Il dira que Rimbaud énormément compté pour nous, parce qu'il a écrit: «Je suis un nègre.». Ce qui n’est étonnant de la part de ce dernier : à quatorze ans à peine, il avait consacré un poème à « Jugurtha », longtemps escamoté dans l’historiographie littéraire officielle. D’autres figures ont nourri la prise de conscience de Césaire et de ses compagnons : « Langston Hugues et Claude McKay, les nègres américains ont été pour nous une révélation. Il ne suffisait pas de lire Homère, Virgile, Corneille, Racine... », dira-t-il dans un livre d’entretien « Nègre je suis, nègre je resterai » (avec Françoise Vergès, Albin Michel 2005). En vers, il écrira : « Et l'on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et on nous vendait sur les places et l'aune de drap anglais et la viande salée d'Irlande coûtaient moins chers que nous ". Pour Césaire, il fallait de toute urgence retrouver le point d'origine de l'homme noir, se dépouiller des oripeaux du paternalisme et mettre un terme à l'inféodation séculaire.et commencer à opérer le changement dans l’art de la parole et de l'écriture poétique en rupture avec la " poésie de décalcomanie " en vogue dans ses Antilles natales où l’exercice du sonnet passait pour une réussite d’ assimilation. Un mot qui allait devenir emblématique sera le mot de passe de la quête et de la conquête identitaire: négritude. Il fait partie aujourd’hui des évidences culturelles. Mais il y a soixante ans, " le fait simplement d'affirmer qu'on est nègre était un postulat révolutionnaire «, précisera Césaire plus tard en ajoutant cette réflexion on ne peut plus actuelle : « Les Français ont cru à l'universel et, pour eux, il n'y a qu'une seule civilisation: la leur. Nous y avons cru avec eux; mais, dans cette civilisation, on trouve aussi la sauvagerie, la barbarie. Ce clivage est commun à tout le XIXe siècle français. Les Allemands, les Anglais ont compris bien avant les Français que la civilisation, ça n'existe pas. Ce qui existe ce sont les civilisations ».

Son livre fondateur « Cahier d'un retour au pays natal » vibre de versets qui décideront du destin de toute la littérature africaine d'expression française. Frantz Fanon rapporte dans « Peau noire masques blancs qu'une femme s'évanouit lors d'une conférence d'Aimé Césaire tant son français était " chaud "…
Il est ce " brasseur de souffrance et prenant sur lui tout ce sang, il s'affirme fondamentalement solidaire de tous les peuples piétinés ". Joignant l'acte à la parole, il s’est jeté dans le combat en entrant en politique pour la dignité de ses frères. Pour mémoire son « Discours sur le colonialisme » en 1950 : « On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer… Moi je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions niées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties ". Autant de paroles qui se conjuguent avec l’ébranlement d'un vaste mouvement émancipateur des peuples humiliés à la recherche d'un nom pour leur patrie comme le prophétisais son contemporain Jean Amrouche.
« Le surréalisme nous intéressait, parce qu'il nous permettait de rompre avec la raison, avec la civilisation artificielle, et de faire appel aux forces profondes de l'homme. » dit-il. Mais, tenant en horreur les chapelles et les dogmes, il refusa de se laisser inféoder par le surréalisme. Et cela remontait à loin comme cette anecdote en témoigne : « J'ai toujours été connu comme un rouspéteur. Je n'ai jamais rien accepté purement et simplement. En classe, je n'ai cessé d'être rebelle. Je me souviens d'une scène, à l'école primaire. J'étais assis à côté d'un petit bonhomme, à qui je demandai: «Que lis-tu?» C'était un livre: «Nos ancêtres, les Gaulois, avaient les cheveux blonds et les yeux bleus...» «Petit crétin, lui dis-je, va te voir dans une glace!» Ce n'était pas forcément formulé en termes philosophiques, mais il y a certaines choses que je n'ai jamais acceptées, et je ne les ai subies qu'à contrecœur ». A propos de surréalisme, il faut cependant savoir qu’André Breton parmi les premiers a dit a fait son éloge « Aimé Césaire est un Noir qui est non seulement un Noir mais tout l'homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases et qui s'imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité ". C'est contre l'aliénation sous toutes ses formes qu'il mobilisa son énergie vitale. Ce que l'on qualifia chez lui de " contre-racisme " n'est que l'expression d'un humanisme incandescent car " le nègre, c'est aussi le juif, l'étranger, l'amérindien, le gitan, l'indien, l'analphabète, l'intouchable, le différent, le voisin… " précise Breton. Son œuvre poétique est à l'image d'un vaste village africain, tellurique, foisonnante, torride et sonore comme un tam-tam ponctuant peines et allégresses de la grande tribu humaine et portant surtout au monde la voix de " ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni l'électricité ". C’est une vraie « arme miraculeuse » d’invention poétique massive. « Faire un village ou un poème est du même ordre », affirmait-il.
Homme d'engagement, Césaire était aussi celui des ruptures. Après un étroit compagnonnage avec le PCF, il se résolut à prendre ses distances en 1956 pour cause de tiédeur de ce dernier à l'endroit des questions nationales. Il adressa une lettre ouverte mémorable au dirigeant du PCF, Maurice Thorez. Il pouvait au demeurant faire montre de Sans de pragmatisme en défendant, par exemple, le " départementalisme " pour les Antilles dans l'attente d'une authentique autonomie, quitte à être voué aux gémonies par les partisans de l’indépendance…

La traite des noirs, les navires négriers, la ségrégation bestiale sont autant de fléaux qui appartiennent aujourd'hui à une histoire douloureuse. La décolonisation a fait son œuvre. Césaire fut parmi les premiers, notamment dans sa pièce « La tragédie du roi Christophe » (1963), à traiter du " soleil des indépendances " africaines : " la libération, c'est épique, mais les lendemains sont tragiques ".d’ajouter : « Nous protestons contre le colonialisme, nous réclamons l'indépendance, et cela débouche sur un conflit entre nous-mêmes. Il faut vraiment travailler à l'unité africaine. Elle n'existe pas. C'est effroyable, insupportable. La colonisation a une très grande responsabilité: c'est la cause originelle. Mais ce n'est pas la seule, parce que s'il y a eu colonisation, cela signifie que des faiblesses africaines ont permis l'arrivée des Européens, leur établissement. » Le constat de Césaire est étayé sans cesse par l'actualité.

Ainsi donc au soir de sa vie, Césaire n'a pas cessé de s'interroger et de nous interpeller : " A l'heure où nos identités, déçues par le mythe du progrès et dévastées par les faux universalismes, se réveillent, leur revendication ne peut-elle être que passionnelle et violente ? Affirmation de soi et négation de l'autre sont-elles inséparables ? « Peu m'importe qui a écrit le texte de la «Déclaration des droits de l'homme»; je m'en fiche, elle existe. Les critiques contre son origine «occidentale» sont simplistes. En quoi cela me gênerait-il? Il faut s'approprier ce texte et savoir l'interpréter correctement ». ".C’est la question – et le défi- lancé par le vieil homme à ses frères du Sud. Non sans interpeller l’Occident : « On peut toujours raconter n'importe quoi sur ce qui s'est passé: «Regardez dans quel état sont ces malheureux. Ce serait un bienfait de leur apporter la civilisation … les Européens croient à la civilisation, tandis que nous, nous croyons aux civilisations, au pluriel, et aux cultures ».Gageons que cette entrée symbolique d’Aimé Césaire au Panthéon, éloignera les vieilles lunes qui agitent les esprits chagrins.
Ainsi parlait Papa Aimé.
A.K.