lundi 31 mars 2008

LES AFFINITES ELECTIVES





Hommage à l’homme des hommages




Mister Heurtebise
Tantôt fait la bise aux mots
Tantôt les aiguise
A peine un peu de sel
pour une épithète
Usée par l’usage
un cou de vin blanc
à l’adverbe somnolent
et le ramage d’un vers
s’étoile au vent d’autan
Et c’est un grand voyageur
Devant l’Eternel de la poésie
Dans les savanes sèches
Il prend garde à ce que les
Phrases lâchées en meute
Ne mettent le feu
A la mauvaise page
Il prend la mer des aphorismes
En nageur placide
face à la houle zélée des pronoms
il préfère la position du papillon
il accompagne d’un crawl
la vague qui s étale dans l’infinitif
pour les modes
il a ses raisons
une par saison
comme un arbre
donnant un fruit

Mister Heurtebise
se méfie de la mélancolie des mots
Il préfère les entendre bruire et rire d’un éclat
rire comme des jeunes filles au bal
C’est qu’il a rencontrés tant de lecteurs malheureux
et sait de source sûre le monde
se fait suffisamment de mal
pour que le poème en rajoute
Mister Heurtebise jette sa gourme
sur les mots qui frétillent et t fustigent
Avec le sourire comme son maître
Jean Baptiste Poquelin quand il fait
Son Molière en compagnie de Plume

Mais mister Heurtebise pour l'heure est triste
Et les mots lui pèsent ces temps-ci
Son ami de longue mémoire
René Gouzenne l’athlète des textes
s’en est allé boire aux plus lointaines
aux plus hautes sources du Poème
Alors mister Heurtebise
est comme fâché avec certains mots
plus qu’avec d’autres
Pourquoi la mort
une rime si peu riche
que d’emblée en écho
elle se répond en tort
et tord d'u rictus
la face impavide du poème.



Abdelmadjid Kaouah



Cugnaux, ce 1er avril 2008

dimanche 30 mars 2008

TIBOUCHI TRIPTYQUE










l’enfant solitaire
– c’était donc moi –
bâtissait de petites sculptures in-situ
cruelles attrape-oiseaux

à l’affût souffle coupé mon imbécile
voyait tomber les pierres plates
rognant les ailes aux volatiles
leur cassant le cou

était-ce leur âme
ce papillon qui montait au ciel
la brise ranimait le duvet du ventre
encore chaud montrant la chair bleuie

avait-il seulement idée
mon hurluberlu
de ce qu’est
la liberté

Hamid Tibouchi




I


Parti pris fantaisie

Scott Fitzgerald et Hamid Tibouchi convoqués dans l’espace d’une même chronique ? Il faut convenir que le rapport est plus qu’hasardeux, voire saugrenu. Mais allez savoir comment certaines associations d’idées, de visages ou de sensations s’imposent à vous ? Au demeurant, il y a toujours, quelque part, un subtil déclic à l’origine d’une dérive. En l’occurrence, la diffusion de l’adaptation TV du roman Tendre est la nuit de Scott Fitzgerald, une flânerie répétée à travers les vers de Hamid Tibouchi : « finisse la nuit, que l’on dresse/ la forteresse des caresses »- et voici de quoi construire une cohabitation à première vue fantaisiste. Une manière comme une autre de justifier un parti-pris ...
(extrait d’une chronique de presse)





II
parce qu'il a trop neigé

L’amitié ne serait-elle qu’un accident de l’enfance, de ses premiers émois dans l’espace à la fois enclos et découvert, balisé et illimité.
Le voici l’enfant le rêveur, le doux bambin ou l’espiègle gamin qui joue des tours à la faune des copains ; Il peut être bruyant, importun, escalader les arbres chétifs, faire voler en éclats leurs branchages.
Il peut tracer sans craie le cercle et inscrire sa volonté et dicter la règle du jeu aux autres, aux copains, plus tard aux voisins, aux riverains, aux passants à une nation.L’enfance d’un chef sans moustache, juste parce qu’il sait le premier quels fruits cueillir sans se faire attraper, distancer la bande et se réjouir après l’escapade de ses déboires.
Mais l’enfant peut être silence, distance, discrétion et regards patients passant de l’hirondelle au galet, de l’insecte, la petite fourmi au nid fragile au bout du noyer, l’enfant c’est peut-être une gaule agité dans un matin de besoins au faîte de l’olivier. La consomption d’une huile de la lampe comptée comme des sous en vue d’une noce sans cesse ajournée, parce qu’il a trop neigé ou parce que l’été a été implacable.Ou parce que la promise n’est pas encore nubile et qu’on se méfie des nouveaux colporteurs de parole qui proclament que la poésie des anciens est caduque et proposent un nouvel alphabet...Mais l’enfant, en ses postures diverses, se fortifie quelque que soit l’horizon vers lequel son regard se porte...Il est déjà aux saisons de la clameur
ou du geste, de l’accueil, discret mais fertile comme la graine inattendue dans ses floraisons épanouies.
La chrysalide poursuit son travail obscur, minutieux, obsédant, maniaque remettant sans cesse à l’endroit les cours d’eau de la passion.






III
la royauté par les signes

Une grande leçon de silence, d’humilité déployée entre les lignes, les haies, les barbelés du quotidien. Neige et mimosas en hommage à un jongleur des mots saisi par une sanglante éternité. Le compagnon s’est longtemps posé la question sur ce qui se cache derrière les mots : le jongleur en a-t-il percé le secret. Et de son extrême voyage ramera-t-il un jour la réponse. De retour des neuf étapes de la matrice. Pour l’heure le Compagnon rassemble hors des toiles des chevalets des cimaises les pièces éparses de la fureur du taureau.
Cela ne ressemble en rien à une fable. Seulement deux mains guidées par un obscur instinct qui vont avec sûreté légèreté droit au cœur du silence, et installent la royauté par signes minuscules.



Inachevé

La parole s’éclipse parfois comme un acteur saisi par l’amnésie.
Nous lisons les poètes et frôlons les peintres.Quand ils ne sont qu’un , nous appelons à la rescousse la musique.Etale comme une mer d’enfance, à peine liquide, translucide et vibrante de paresse. Les rayons du soleil ricochent sur sa chair, elle semble mugir comme une bête prise de désir.Taïk Kouk, le rut épique qui embrasait la nature alors que les parents cachaient sous d’épais tissus de pudeur la marmaille impudente. Comme un acteur saisi d’amnésie, le poème se dérobe sous les pas du danseur. Il a juste bu à la source du village.L’eau était claire, l’amphore gracile et l’isefra énigmatique.
Le rawi est passé ce matin très tôt, a dit son dictalame. Puis simplement a tracé sur le front du premier enfant réveillé le signe du Bien. Et le Bienfaisant est parti l’aurore à peine sur ses genoux.


L’Enfant a rejoint les rouges-gorges dans la profondeur des taillis. C’était là : il avait rendez-vous avec la Nuit du destin ; depuis, il la guette et elle nourrit son rêve de furtives apparitions. Ni poème ni peinture n’épuisent leurs noces anonymes.
Seule, la musique , en mer insondable , recueille quelques murmures de leurs ébats
.

Abdelmadjid Kaouah

vendredi 28 mars 2008

SKIF









UN MOT

"J'écris depuis des années de la prose, mais la poésie demeure, depuis la publication de mes poèmes d'enfance, ma voie royale, mon journal intime. Je rêve du jour ou nous construirons en Algérie, non pas une , mais des Maisons de la Poésie pour recueillir notre fabuleux patrimoine et offrir un refuge aux poètes de tous les horizons".


***



LE CHAT DORT





Le livre est ouvert sur la table
le chat fait semblant de dormir
Il rumine un chapitre mal digéré
la nuit est un automne qui s'en vient doucement
Le chat
s'étire
Regarde la flamme


Il se dit qu'il serait bon de manger un jour la bougie
pour ne plus avoir à lire des livres
Qui empêchent de rêver des souris




Les livres
c'est ce qu'il y a de pire quand on est un vieux chat
Dans une maison seul.

H.S.


Les exilés du matin
Poèmes suivis de
Lettres d'absence
Ed.APIC, Alger, 2005

PASSANT DE PARIS I



Je me nomme Yasmine
Ismy Yasmine



Le poème est un jeu de lettres
Comme le scrabble il trace en vain
Le destin
Les nuages
Et le ciel bleuâtre
Un enfant dit gauche
Tous les matins
Se rebelle contre la solitude

Passant prie la providence
Mets-toi à genoux sous le firmament de la justice

Yasmine réunit fruits et légumes
Et quand les vagues jettent leur écume
Sur les rivages une petite fille
Lance à tout va son hymne dans la brume



Je me nomme Yasmine
E dans la nuit des énigmes j’aspire au jasmin

le secret numide interpelle arabesques et masques

je joue de la mémoire et des patios
j’ai tellement attendu l’affection des nuages
O temps que je n’ai plus patience

Cécile sans cédille m’a offert son cœur
Et Mohamed loin des simagrées son âme
Tous deux se recueillent à mon chevet

Ainsi l’humain retrouve son secret
Nous nous aimons sans mesure
Yasmine au chemin de la vie
De ses petites mains nous cernent
Et nous impose la loi de sa tendresse


Montfermeil, le 2 juillet 2006
Reacted Cugnaux le 28 mars 2008

lundi 24 mars 2008

LES AFFINITES ELECTIVES




Cathy Garcia et des intervenantes
du Printemps des poètes dans les rues
de Cahors le 8 mars 08




TOI MON AUTRE


toi mon autre
ma sœur mon frère
mon étranger

si semblable
si différent(e)
toi
adoré(e)
maudit (e)
cherché(e)
nié(e)
toi
l’espéré(e)

sans un passage
entre toi et moi
je ne peux vivre

sans toi l’autre
je ne peux exister
sans vous autres
les autres
qui me sortez de gré ou de force
de ma solitude de mon ignorance
de mon clan ma tribu mes préjugés
ma présumée identité

je ne peux vivre
sans vos mains vos sourires vos musiques
chaque objet que je touche
porte votre empreinte
vous autres, les autres

contre vous souvent je me cogne
et dans vos filets se prennent
tous mes espoirs
mes manques
mes craintes
mais sans vous comment saurais-je
l’amour le rire l’entraide
un peu de cette précieuse chaleur humaine ?

de chacune de nos rencontres
j’apprends

et avec toi
et avec elle
et avec lui
avec elle
avec lui
avec eux

diamant aux mille facettes
lotus aux mille pétales
trésor de nos différences

nous devenons
NOUS

nos sourires
nos mains
autour d’un verre
d’un moment
un silence
un rêve
une vie
partagés

nous toi moi eux
autres et si pareils pourtant

même chair
même sang
même cœur battant
sur cette unique terre

ensemble

Cathy Garcia

**

Éloge du fou


Il existe sur cette terre un peuple dont on ne parle jamais mais ils se reconnaissent entre eux ; ils s’aiment ou se haïssent mais surtout, sans cesse, ils se renvoient la même question, la seule à leurs yeux qui mérite d’être posée. Ils cherchent, cherchent sans répit, sinon quelques plages de mensonges et certaines formes d’oubli.
Cette question murmurée, implorée, chantée, hurlée, ils s’en frappent la tête.
Ils s’en mettent le cœur à vif ! Ils la boivent tel un vin rare, se l’injecte comme un poison, se saoulent ou se régénèrent, la perdent pour mieux la retrouver jusqu’au bout des nuits blanches, des journées sans soleil. Ils la décortiquent, l’aspirent, la crachent et l’offrent parfois sans calcul comme un bouquet de fleurs à une âme de passage.

Certains disent qu’ils sont fous. Et alors ?

Il en faut des fous pour exorciser nos démons, pour donner corps à nos monstres et nous permettre de dormir en paix ! Il en faut des fous pour se mettre à nu et se poignarder avec tous nos pieux mensonges ! Il en faut des fous pour se lancer dans ce vide que nous n’affrontons pas même du regard. Il en faut des fous pour aller décrocher les étoiles qui brillent derrière nos paupières cousues. Il en faut des fous pour accoucher le monde.

Fous ! Les fous battent la campagne et la breloque !
Fous ! désaxés ! détraqués ! dérangés !
Siphonnés, timbrés, piqués, cinglés, cintrés!
Maboul, marteau ! Toqué, tapé ! Tordu, toc-toc,
cinoque, louftingue, dingues et loufoques !
Z’ont perdu la raison,
La boule et la boussole,
Une araignée au plafond,

Mais qu’importe Monsieur, les fous travaillent et pas qu’un peu
Les fous travaillent du chapeau !
les fourres tout
les foutrement gais
les inspirés
chercheurs de vérité
fous téméraires
Et foutu bordel !

Les fous parlent à leur chien
Les fous n’ont pas de besoin
Les fous respectent la terre
les fous donnent tout
les fous ne mentent pas
Les fous flânent en chemin
nourrissent les oiseaux
les fous pleurent la mort d’une fleur
les fous traversent les déserts
gravissent les montagnes
franchissent les mers
les frontières
à la nage ou à la rame
les fous disent paix et tolérance
brûlent leur carte d’identité
pour les sans-papier
Les fous refusent de s’alimenter
parce que d’autres sont affamés
les fous ne ferment jamais leur porte à clé

les fous vivent dans les arbres
les fous se couchent au sol
devant les tanks les bulldozers
les fous parlent d’amour quand on leur fait la guerre
les fous pardonnent à leurs tortionnaires
les fous s’opposent, luttent, militent
aiment et cultivent la différence

les fous défendent des idéaux
les fous écrivent des poèmes
Les fous refusent télé, supermarchés
refusent d’être vaccinés, pucés
s’entêtent à ne pas se résigner

Les fous un jour partent sans se retourner
Les fous voyagent à pied
à dos d’ânes en roulottes
Les fous font de leurs rêves une réalité
les fous se méfient du progrès
prennent le temps de ne pas travailler
les fous crèvent plutôt que de capituler
Les fous s’aiment malgré tout
Les fous refusent le garde à vous
Les fous croient en la justice
et pensent pouvoir changer le monde

mais il y a d’autres fous encore plus fous
qui veulent que tout soit parfait
fous qui veulent rester entre eux
fous de fric de pouvoir
fous qui veulent tout diriger
fous qui veulent tout acheter
fous qui pensent qu’ils n’en sont pas
et qui disent :

Est fou celui qui ne pense pas comme nous…
Est fou celui qui n’est pas comme nous…

Cathy Garcia

BATONS & VOIX


Camarade Pey


"Il dit
la cendre
nous servira de sel
pour le pain "
S.Pey
la définition de l'aigle
photographies du paysage,
Ed. Jacques Brémond, 1987




dieu n’est pas un chien qui aboie dans les arbres
dieu est un serial killer qui abat à bout portant
ses voisins frêles usagers du quotidien
c’est un tueur d’élite
pas un matador en habits de lumière
rabattant la nuit sur
les taureaux de Guisando
en Espagne nostalgique

dieu a un portable
il téléphone en PCV au Shérif de l’Amérique
avant d’ajuster son fusil
et d’étoiler de sang le front
des passants de la Cinquième avenue

dieu n’est pas un enfant
de la défunte Arabie heureuse
c’est un soldat us raté
Avide de dollars
qui solde ses comptes
avec les obsessions de l’Amérique


Camarade Pey
c’est la saison des prix
un Goncourt chasse l’autre
dieu écrira sans doute dans les couloirs de la mort
un best-seller
Sur ses aventures de serial killer

Oui camarade Pey
dieu n’est pas un chien qui aboie dans les arbres
et Baghdad une proie aux abois



AK.

Cugnaux le 24/10/02

dimanche 23 mars 2008

A CONTRE MIROIR


La Balaçoire, un tableau de My.Laffont


Sur toute l’étendue de la terre
on se débarrasse du surplus
on enterre sur l’autre versant du mensonge

*

Fragile sentinelle
accablé de silences
entre l’oued et les remparts
un homme habite la mémoire

**

Que nous étions-nous promis
une suite de stridences
une séance de morsures

Un bonheur à toute épreuve
quelques lambeaux de tendresse
par saison divorcée
et par inadvertance nous voici désunis


***
Or te voici à contre miroir
éclats bris saccades
te voici réduit à l’épaisseur de tes insomnies
te voici blessure sans miroir
déployé sur l’étendue de tes orgueils désaccordés

miroir sans désir
d’où s’égoutte le sang
des oiseaux désaxés
surpris par le simoun

Abdelmadjid Kaouah

( Extraits de Que Pèse une vitre qu'on brise)

COMPAGNONNAGE


ne plus écrire de poèmes
sur les papillons
ne plus les alourdir
de mots inutiles

Hamid TIBOUCHI, Nervures, 2004

samedi 22 mars 2008

TOMBEAU BOSNIAQUE



à Izet Sarajlic





« Il y a des morts qui sommeillent dans des chambres que vous bâtirez. Des morts qui visitent leur passé dans les lieux que vous démolissez. Des morts qui passent sur les ponts que vous construirez. Et il y a des morts qui éclairent la nuit des paillons, qui arrivent à l’aube pour prendre le thé avec vous, calmes tels que vos fusils les abandonnèrent. Laissez-donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts »
Mahmoud Darwich, Le dernier discours de l’homme rouge





I

Une minute après minuit
Avant le deuxième millénaire
selon des sources généralement bien informées
le Six milliardième humain
a surgi
des limbes de Sarajevo

C’était peut-être un nouveau coup
de Izet le facétieux
à force de cafés et de tabac
de paroles meurtries
il a fomenté de Toulouse
ce petit miracle
de donner au monde agonisant
un autre Srajlic

Quand le temps sera venu
où la poésie sera passée de mode
le fils de Fatima de Visoko
pourra faire un tour du côté
de la maison de Izet Srajlic
il trouvera dans le vent d’automne
son âme ayant pris la forme
d’un bouleau redessiné par Chagall

et même si en ce jour
il ne serait pas à prendre
avec des pincettes
il lui parlera de l’an 42
de ses vitres brisées
de l’amour de sa vie
de ses longs voyages

et enfin lui livrera
le vrai secret de la poésie
dans une tasse de café



II

Ainsi donc Izet
Tu nous as lâchés
Je l’apprends au hasard d’une lecture
Dans un bulletin voué à la poésie
Où Serge Pey
te dresse un tombeau
Tu es passé comme un vieux cygne las des jours
Par un automne indien
Dans Toulouse entre deux trains
Au Ricochet
Tu as décoché Saravejo
De ta bouche de cendres
Le long feuilleton de tes cauchemars éveillés
Dans le silence gêné des bonnes volontés
Accourus ravir une étincelle de convivialité
Aux marges de la routine provinciale



Et j’ai lu le poème
De notre rencontre improvisée
Par deux contrebandiers
de la parole sans frontières
Je venais d’Alger
Et toi Izet tu hantais même par ton absence
Les artères de Sarajevo

Notre maison de fortune résonne encore
De tes éclats sans protocole
Le couscous te donnait des hauts le cœur
Musulman, laïc – quel pari bosniaque !-
Tu n’aimais que les cuisines syncrétiques
Sans trop d’artifice avec peu d’épices
Et Buzzet épandait ses murmures
Y avait-il place pour des sanglots
A la table de fraternels bavardages
Contre ton élégance
Il me souvient je ne sais pourquoi
des paons surréels de Baya
De leurs meurtrissures naïves
De la grande geste nérudienne







Le monde avait changé
Les règles du poème chaviré
La mort tissait ses nouvelles lignes
Une parole maligne consacrait les linceuls
Ah !Izmet qu’est-ce qui t’a pris à jurer au pied d’un bouleau
Un amour éternel à une Ephémère
L’empêchant de rejoindre la grande mer



Ainsi donc
Izmet
Tu rejoins le frère fusillé en quarante deux
Tu n’avais que quatorze ans
L’étoile rouge des partisans scintillait
au front d’une nouvelle nation
tu avais quatorze ans
l’âge où le malheur se saisit comme un faucon
d’un cœur évanescent
tu avais trop lu Maïakovski en recto
comme une fatale litanie
loin des festins convenus

le monde a changé
et foin d’illusion lyrique
tu es resté définitivement l’enfant de douze ans
qui avait juré sur le bouleau
un amour sans fin
pour une femme

elle t’a laissé seul
dans Sarajevo
seul parmi les feuillets de livres inachevés
le bouleau à la vitre de la fenêtre
comme un regret
d’avoir trop aimé
aux temps des petites lâchetés

la mort tissait ses lignes
et tu le savais
entre deux trains
entre Strasbourg et Toulouse
et nous qui te tenions la corde




Ainsi donc Izet
Nous t’avons fâché
Dans cette ville ouverte
Sur les songes et mensonge humains
bûcheron des phrases viriles
nous t’avons lâché

et à l’image de ta vie assumée
que vaut un tombeau de mots
devant le frêle bouleau bruissant
comme la femme aimée
sans rémission
à la fenêtre de ta demeure





O Izet Sarajlic
Je suis sûr que tu nous quittés
Dans une grande colère
Pardonne-nous



Abdelmadjid KAOUAH

ELOGE


Eloge de Jean



Jean sais-tu que dans mon pays
Tu réponds au prénom de Yahia
le vivant le survivant
Nuit et brouillard
Toi l’enfant caché qui répugne aux cachotteries

Jean qui pouvait penser qu’en semant les prénoms
le destin s’essayait à ta destinée
Le sang irrigue les abattoirs l’histoire
l’enfant se fracasse au tain du miroir
Merci de nous avoir appris à ne pas chanter
Pour passer le temps
Même si le monde s’offre
Aux fenêtres des bien-fondés
Il reste combien de peines dérobées
De vies anonymes escamotées
Avons-nous vu passer le temps avec toi
Ton chant comme le ruisseau traversé notre jeunesse
A l’ombre des figuiers et de palmiers
Aux espèces indéfinies
Tu savais délivrer la joie en refrains réguliers
Mais j’ai mieux aimé la douleur de tes blasphèmes
Jamais à la bouche à la haine
M^me si diable tentait le cœur
jamais devenu gros
Leste agile pareille à une plante agreste de l’Ardèche
Sonnant dans tes poches de vers désespérés de Desnos
Talonnant les lamentas de Lorca
Tu n’es pas mort là-bas Dieu merci
sur les champs barbares des siècles
D’ailleurs à vrai ton Apollinaire trépané
est plutôt mort de la grippe asiatique en dix-huit
Qui chante chez toi le poète et sa possible folie
Ou un solide artisan qui se remet sans hâte à son atelier
La maille après la maille l’arpège et la double croche
La blanche la noire l’accroche
Et puis le punch contre le déshonneur et le dollar
Maintenant il a un cousin l’euro prodigue
Boris mis en musique de chambre ou en réclame
La terre tremble de temps à autre il faut bien aller de sa larme
L’enfer est pourtant un locataire envahissant
Et on n’a jamais fini de guérir de son enfance
Et partant au cœur du gai Paris
A l’heure des croissants et du passage du spectre du laitier
Juste après des véloces Vel’d’Hiver et de gauloises ratonnades
Entre le Pont Neuf et le Pont Mirabeau
La liberté ,criais-tu aux nonchalants, est en voyage
Nuit et brouillard la grande balafre de la conscience française
Et je sais un ami qui t’adorait qui osait se demander
pourquoi tu omettais le nom de Mohamed
parmi les chair tendres aux chiens policiers
Il n’avait rien compris à Potemkine le cuirassé fantôme
Qui hante la sieste des prépondérants dans leurs yachts
Dans la baie des mensonges
Oh je sais cela fait maintenant cliché
au mieux kitch comme on susurre
On prie toujours Jéhovah Jésus Allah etVishnou
Et on a m^me avec les heures supplémentaires
Des adorations complémentaires
des adorations complémentaires
et le malheur d’aimer pourtant aux instants volés
Comme ces révolutions ravies par des camarades
plus gourmands de sales mascarade
que de fruits des mai du monde

Merci d’avoir lancé depuis les des Juke-box
Machado Verlaine Marlowe le jaloux
et le djazel et ses gazelles andalouses
Merci d’avoir donné un peu plus d’éternité à Aragon
Relevant le gant du chant et du poème

Une belle bête agile et fragile qui résonne
dans une chevauchée d’indiens
Oural Ouralou
Comme la rumeur lourde d’une moisson
d’un Oural mythique
Où tu rejoindras après une belle partie de boules en Ardèche
Tes frères de haute mystique terrienne et d’humble absolu
Ah, Jean tu as bien travaillé
Bien saigné et c’est pourquoi
Je me permets de t’offrir cette grenade
Au bout de ton âge où tu as bien rêvé
Et pardon les gens de ta sorte il n’en est pas beaucoup

Dans mon pays il était un autre Jean
d’origine andalouse bâtard solaire
dont la poitrine chantait parfois en arabe
il est mort sous le couteau mort d’avoir aimé
une tragique chimère mais où est le blâme
que celui qui n’a jamais cédé au feu du baiser
jette le premier l’anathème

Bonnes gens
Sortez de vos sornettes de vos maisonnettes
De vos trottinettes de vos dînettes
sortez sur les petits chemins vicinaux
De grandes foules d’hommes étranges
Poudroient au soleil aux côtés des ânes
Et c’est le vénérable Francis James
Qui ouvre le ban suivi de près par de splendides bêtes
Elles se nomment Brassens Brel le bien nommé
Le furieux Ferré et toi Jean
Jean Ferrat au son de féria
De braves bêtes qui ont donné
de solides fers aux poèmes
Si bien qu’on ne sait plus que Rutebeuf
Hanté par un monégasque était français
Alors qui est l’Autre qui est nôtre
Jean Abraham Alioucha Guillén N’Guyen
Yahia Sankara
Les hommes nomment les étoiles
Et les étoiles témoignent de leur destin

Jean paix sur toi
Salem
Et juste encore un chant
Au mandole d’El Anka cette fois

Et il tarde à l’échanson captif
Un autre pastiche amoureux

Abdelmadjid Kaouah

vendredi 21 mars 2008

FONDU ENCHAINE





De deux mémoires

Tu t’approches du feu
sa flamme est tantôt bleue
tantôt vert émeraude
peut-être de la pourpre marine
dans l’arc noir des paupières

Que serait d’autre le poème
sinon un visage mouvant
un clin d’œil émouvant
masque ouvert comme une main
ramures de chèvrefeuille enlacé
senteurs entêtées d’un soir de mai
entre deux mémoires
le jeune homme tenant tout tremblant
dans sa main à travers le grillage
un sein qui palpite tel un oisillon éperdu
le quinquagénaire blanchi tout aussi perdu
dans les arcanes de l’attirance


Tu ’approches du feu
mais la braise veut-elle de toi
dans le cercle de ses blessures
de ses destins implacables


A.K.


11 mai 07 – 21 mars 08

jeudi 20 mars 2008


"Les vrais poètes sont ceux qui savent parler à l’humanité toute entière avec des mots qui leur appartiennent et dont ils savent cultiver la saveur et l’originalité. Abdelmadjid Kaouah est de ceux-là et lorsqu’il parle de son expérience vécue il sait le faire avec retenue et intelligence ce qui en augmente la portée et le témoignage.
Ce qui plait aussi chez Abdelmadjid Kaouah c’est qu’il procède avec une bonhomie tranquille, un bon sens à toute épreuve, donnant à sa poésie solidité et beauté tout à la fois.
Michel Cosem ( Extraits)

***


La poésie d’Abdelmadjid Kaouah se fait avec les os et le sang de l’air, les yeux de l’eau, les mains du feu. Partout où il y a de l’amour et de la lutte pour l’amour. La poésie de Kaouah est un chemin vers la liberté. Elle nous rappelle qu’il faut arriver au plus profond de soi, dans son lointain territoire intime pour soudain trouver l’autre et sa langue. La langue dans la langue, derrière la langue de la Parole, qui fait soudain la bouche qui dit. Le peuple algérien passe dans cette bouche. Tout le peuple..."
Serge Pey
( Extraits de Avant-Propos à « La Maison Livide », éditions Encres Vives, 1995, Prix Claude-Sernet des Journées internationales de Poésie, Rodez, 95)





***

« Nous savons à présent/ que les oiseaux sont mortels/ dans les jungles de la morale ». » Le savoir est une bouche en convulsion/ et la mort a berné tout le monde/ elle se tord les hanches et rit des hommes ».
A Toulouse sa terre d’exil la lumière s’assombrit. La figure du Minotaure totem psychopathe ivre de violence hante les poèmes et la rue du Taur.
Dans la mémoire de l’exilé un jeu d’écho s’éveille entre les rives et les temps de la Méditerranée, entre la croisade des Albigeois et les égorgeurs de l’Algérie contemporaine. Reste l’espoir comme chez Hölderlin d’une lumière grecque originelle, Ulysse ou Orphée revenu de l’enfer découvrant « la simple la terrible pureté/d’exister – réfractaire/ à l’embouchure/ des oracles et des cataclysmes sous l’ironie lbératrice d’un ciel sans « rien d’immortel/ sinon l’absence/ dans la dérision/ des nuages ».
Reste l’amour fou pris dans la lumière douce amère du prisme verlainien : « je découvre une nouvelle/porteuse de soleil/ni tout à fait pareille/ni tout à fait dissemblable/ à l’Aimée ».

Emmanuel Hiriart (Extrait de "Figure du Minotaure" in Poésie Première)

***


Tahar Djaout qui l’avait retenu dans son anthologie Les mots migrateurs écrivait que « ses poèmes tendent vers la plénitude et (…) laissent bien peu de choses hors de leur inventaire : il y circule de la révolte et des confidences d’amour, de la protestation et de l’espoir mais aussi tant de lumières douces qui font rêver, tant d’évocations d’arbres et de rochers, tant d’oiseaux annonciateurs de terres et de saisons heureuses… » .

mercredi 19 mars 2008

CHEMINS FAISANT

La divinité nous a exilés
Etrangers à nous-mêmes
Nous arpentons les temps passés et à venir
Sans lyres.
Tel était notre jugement pour l'éternité
Un voyage de marins amoureux du vin
Poète babylonien
***

Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçantDes cheminsDes chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C'est les traces de tes pas.
C'est tout ; voyageur, il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentierQue jamaisTu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer

Antonio Machado

mardi 18 mars 2008

Jean-Claude XUEREB DEPUIS NOTRE DAME D'AFRIQUE


2/2/07
Cher Abdelmajid,
quelques jours de retard n'ont aucune importance dans la continuité d'une amitié que la venue d'une nouvelle année ne peut que consolider.
Que celle-ci soit bénéfique pour ta santé et celle de tes proches ainsi que pour ta création poétique. Mon éditeur habituel devrait publier d'ici la fin de l'année un nouveau recueil que je lui adresse dans les prochaines semaines. Inch'allah!
Je suis invité à participer à diverses manifestations pour le centenaire de la naissance de Char.
Tu restes présent dans mon quotidien.

Amitiés.

Jean-Claude

Ci-joint un texte écrit mon séjour d'avril à Alger



Depuis les hauteurs de Notre Dame d'Afrique

La vitre résiste au vent
même si le froid pénètre
toujours cette saison
en demeure étrangère

Quant au plat réchauffé
indigne d'une offrande
subtile est sa saveur
que l'on goûte en secret

Le monde a récusé
la simplicité d'être
au vu d'une parade
de foire aux vanités

La sagesse s'égare
dans la complicité
d'un étroit labyrinthe
dont blesse la paroi



Voici celui que je te destinais:

Depuis les hauteurs de Notre Dame d'Afrique


Les chemins de l'exil
ramènent à la mer
la compagne obstinée
sur les pas d'un retour

Accoudoir du soleil
l'air vibre entre les tombes
et fuse vers l'ardente
verrière d'une crique
dans son écrin de roches

On rêve d'un envol
pour défier l'espace
et gagner une plage
aux dunes de l'enfance


J-C X

NOTRE POEME QUOTIDIEN





Ikhlas/Final


Ont-ils assez ri de toi et de tant d’autres

les prescripteurs les proscripteurs

ceux qui tiennent la ligne droite

les tenanciers du slogan

agiles à grimer leur boursouflure

à fouler du talon le désarroi du prochain

ont-ils assez moqué le niais qui tient son cœur à sécher

au grand air des chemins sans repère

ont-ils assez recouvert de poixl

’écume légère de nos jeunesses

les chemins clairs et fousde la grande promesse

ils ont la clef du froid

la science de la pertinence marketing

la mémoire sinueuse des marchandages


II
et nous nous gardons un vieux secret

une fertile parole sans posologie

nous aimons toujours sans rireles hommes

et leurs chants opprimés comprimés largués sur une mer nuit

sans étoile entre deux frontièressur une pâle bouée

pour noyer le destincomme un chien enragé

est-ce la vague

est-ce cet increvable destin

qui s’esclaffe sous le ciel

la poésie est de cette terre

notre monde

notre pain quoridien



*



SUR TOUTE L'ETENDUE DE LA TERRE


C'est ici que nous nous sommes donnés rendez-vousdans le vaste bouillonnementdes foules désemparéessur toute l'étendue de la terreon se débarrasse du surpluson enterre sur l'autre versant du mensongefragile sentinelleaccablé de silencesentre l'oued et les rempartsun homme habite les remparts*que nous étions-nous promisune suite de stridencesune séance de morsuresun bonheur à toute épreuvequelques lambeaux de tendressepar saison divorcéeet par inadvertance nous voici réuniste voici à contre miroiréclats bris saccadeste voici réduit à l'épaisseur de tes insomnieste voici blessure sans miroirdéployé sur l'étendue de tes orgueils désaccordésmiroir sans désird'où s'égoutte le sangdes oiseaux désaxéssurpris par le simounIci l'eau a une fois pour toute résolu le vieux dilemme : entre l'écume et les galets une subtile connivence règne.Sereine la main accoste, libère ses exigences. Et les saisons succèdent aux saisonsAu rythme des peines nocturnes.Le vent ameute les vivants. Il leur impose devoirs et servitudes.Voici la murène alif violent qui procède de la passion des chevaliers enlisés dans les sables de la mémoire.Corps promis à la corruption des écritures malignesChair suspendue au mât de misaineNavire à l'encan et blasphème suprêmeLe soleil s'ouvre les veines par-dessus le jasmin dément


**



ULYSSE S'EST PERDU DANS LE METRO


Pas comptés d'Ulysse

Diadèmes mortifères

Les chrysanthèmes couronnent

Collioure

Poussières de destin jeté sur la voie Domitia

A son atelier Il malaxe la syntaxe avec des fureurs précolombiennes

Des lamentos républicains

Dans ses veines

Coule la source surhumaine

Où viennent s'abreuverLes passants sans valise

L'Autun gouverne sans partageIl reçoit la poésie

Et ses ambassadeurs apatrides

Sans lettres de créance

Seul le vent aux semelles

Comme dans une parodie rimbaldiennePonctue les distances

De la vallée de la Chevreuse -reconnue comme dans un songe

Un roman picaresque réécrit névrotiquement
Avec un avatar de Milady ouvrant son corps

Dans une forêt noire-Au royaume du sureau

Là où les frontières s'abolissent

Comme dans un songe de liberté

Et c'est peine perdue pour le tamponSur le passeport


TALISMAN


Quelques pas

Dans la décomposition des trottoirsUn alphabet d'allumettes qui se plaît

A éclairer la naissance d'une tumeur

Un talisman foudroyé

Les yeux du gel

Pour tout celaIl y a un remous qui plaide

Pour une goutte d'eauUn oiseau qui attise sa surdité

L'aube attestée répandue en baveLes images solides du jour

Qui se poussent pour mieux Jouir du mensongeLà-bas dans la forge des rancunes

Où les femmes agiles de notre enfance

Préparent le vieux bélier à la braiseLes étoiles chavirent dans la tragédie

Je suis le premier sous l'étendard de la vase partout la vase

le temps et les herbesenvahissent les sourcesau centre du champ l'arbre flamboyant

et la fontaine étonnéeoù grouillent les destinées

à la recherche de vertus de désirs de sacrifices

un peuple et un arc en ciel


(72-74)



[Extraits de Que pèse une vitre qu'on brise]



Abdelmadjid Kaouah

Argelia

عبد المجيد ك





الجزائر





D'OUTRE MEMOIRE




Mon camarade flamboyant


L’émotion, c’est d’abord ce que l’on ressent en entrebâillant délicatement la porte de "La maison livide" construite par Abdelmadjid Kaouah.

Dès l’entrée, on recueille « la sève des jours », jours dédiés à la mémoire de notre camarade Lounès Djaballah (que nous appelions "Staline", un peu par esprit taquin, beaucoup pour sa fermeté) exécuté au moment où il allait rentrer chez lui, là où

« la raison et l’habitude / mes semblables victimes / notre quotidien est tragique ».

Le poète se demande

Qu’écrire / après que les balles / aient tracé la mort / sur la poitrine de mon frèreé".

Tragique, oui, ce quotidien en ce Pays, où des mains sanguinolentes brandissent des cadavres d’enfants en criant de leurs voix caverneuses : victoire ! Victoire ! Ce "pays d’enfants crucifiés, / au bord des routes nationales."

L’auteur pense tout haut à ce territoire où

"on affûte les lames / contre le béton / et l’on arme la haine / à coups de versets inversés."

Pour éviter le péage de l’écriture académique et les labyrinthes de l’ode hermétique, Abdelmadjid Kaouah fait de la poésie. Ce tâcheron de l’écriture, pour qui, à l’instar de Abdelkader Alloula, la poésie est la seule issue , persiste et signe ses textes en bas de casse :

"j’écris / le dos courbé de désir / et de malentendus (…)

j’écris/ pour ne pas perdre la vie en spirales de stupeur".

Il sait aussi être fidèle et fraternel :

"Salut soleil camarade des distances

nous nous étions fixé rendez-vous

au centre de la lumière

je suis à l’heure".

Abdelmadjid Kaouah préfère ainsi prendre la lumière et la chaleur à leur source. C’est aussi dans cette "maison livide" que, venus d’Algérie, se donnent rendez-vous et se rencontrent, en une ineffable juxtaposition, l’écriture et la poésie, mais aussi la passion et la sensualité, à l’ombre d’un figuier :

"son rire glisse sur l’herbe rare / et se jette dans mes bras: / père je rêve d’un femme de la ville / Chair accomplie comme fruit de saison / nuage fécond comme femelle ardente".

Abdelmadjid Kaouah prend la poésie par les hanches pendant qu’il nous invite à mettre de l’ordre dans nos saisons car "notre terre est en flammes / et l’orange se donne / aux becs des étourneaux".

Cet homme au visage mangé par la barbe et à l’esprit dévoré par Néruda lui rend hommage dans des chants terribles d’humanité et de tendresse :

"j’ai reconnu la grappe de rire translucide / qui tressaille sous l’aisselle de la lune :

c’est ton visage ô mon aîné/ mon camarade flamboyant"

Comme pour faire un clin d’œil à cet immense poète qu’est Bachir Hadj Ali, ancien résistant anticolonialiste, camarade de l’auteur, qui écrit dans un de ses livres : « je jure que nous n’avons pas de haine contre le peuple Français, Abdelmadjid Kaouah, qui doit vivre dans un paisible enfer, affirme que

"la haine n'habitera pas / notre demeure"

Il faudrait peut-être le dire partout pour que cela soit .

Le vin dans les caves de Médéa, ville perdue de Abdelmadjid Kaouah et son enfant terrible sur les rives de la Garonne se bonifient avec le temps, depuis le temps où le journal qu’il dirigeait et où je sévissais en qualité de reporter, subit tant de fois l’autodafé par les intégristes et le pilon par les autorités. Sa poésie ressemble à une promenade fraternelle, dans des jardins où le pied ne se pose pas.


Djamal Benmerad
2006-07-20






SIGNES & SABLIERS










"Mur de poésie de Tours" 2006

http://www.mioch.net

Poètes à la une



LA RIVE NOIRE
à Nicole , ses tapisseries de paroles fraternelles



Voilà j’ai atteint la rive noireLà où le rêve n’a plus de miroir
Ni force pour traîner ses fourmisSes dérisoires mensonges etSes petites lâchetés en guiseDe destin
La rive noire où il n’est plus de MahatmaNi de seigneur hautainPour répandre les épreuvesLe soleil se lève et se coucheEt la bouche essuie la bave des joursLe sel est amer sur la tableEt en guise de vie nous redessinonsLes cerceaux boiteux de notre enfance
Voilà la rive noireEst atteinte par petites brasséesÀ la cadence d’un survivant
La rive noireC’est avant toute une saisonLa saison mentale de tes premiers poèmesTe voici à nouveau livré aux feuilles d’automneLa couronne des défaitesLe frémissement d’une chair envoûtéeEt tu sais que rien ne sert de se lamenterAu seuil d’un nouvel avatarLe bruit seul s’absenteEt tu ne sais si le chemin t’attendPour t’accompagner ou pour effacerLes traces de ton destinAinsi septembre s’abatSur toi comme une proie

Le 13 septembre 05

© Abdelmadjid KAOUAH


BREMEN




De Barcelone à Brême
combien faut-il de langues
de babils de murmures
pour dresser une couronne de vers
à l’amie lointaine dans l’hiver
qui reconstruit en Allemagne
des murs de poèmes fraternels


avec Christel nous sommes allés
à la Bötterstraße pour surprendre
en son musée une amie de Rainer Maria Rilke
Bien pâle m’est alors apparu le conte de Grimm
et ses musiciens fuyant la mort à Brême


dans son costume noir sous verre reposait
le ténébreux amant de Paula Modersohn-Becker
c’était le poète selon la prophétie mensongère
qui donne encore à la vie un parfum d’outre-éternité


De Barcelone à Brême
le voyage se déroule entre deux musées
du premier à ciel ouvert s’élève un olivier catalan
sous l’oeil sourcilleux de Juan Miro
tout près du second Sept Paresseux scandent
trois fois par jour le testament hanséatique
Anna Gréki femme des Aurès est morte
Au même âge que Paula la bien-aimée


Je vais de Brême à Barcelone
En escaladant la mémoire
Et par de longues escales algériennes
C’est ainsi que se tisse le poème
C’est ainsi que mûrit le fruit
Tant de rumeurs et de femmes
L’une tire les cartes
L’autre protège par les talismans
et la dernière que je devine à peine
m’appelle à Sinéra



Cugnaux , 10 février 2006
© Poème d’Abdelmadjid Kaouah
____________________

LAMBEAUX DE MOTS



Le journalisme conduit à tout …Pour Patrice TEISSEIRE-DUFOUR, il mène immanquablement à la poésie. L’inverse serait peut-être plus pertinent.
Reste que pour compléter la formule, Hemingway spécifiait qu’on devait en sortir pour accoster sur des rivages plus fertiles. Pour l’heure P. TEISSEIRE-DUFOUR mélange, avec bonheur, divers domaines. Parfois de manière surprenante. Et c’est ainsi qu’il aligne des titres comme "Les crus de Banyuls et Collioure, de la nature du roc aux vins précieux", (1999), "La spéléologie catalane dans un siècle de spéléologie pyrénéenne" avec Henri Salvayre (Ed. Trabucaire, 2002), "Des hommes et le Roussillon" avec Jean Rifa (Ed. Trabucaire, 2004. Et bientôt « Corbières" avec des photos de Paul Palau (Ed. Objectif Sud).
C’est dire que l’homme a plus d’une matière propice au poète qu’il balade par monts et vaux, en mission professionnelle ou à l’invite d’une agreste muse. Cet arpenteur des Pyrénées, sensible à la haute clairvoyance poétique d’un René Char, affectionne la précision de Francis Ponge et l’ample verbe superviellien. De telles admirations imposent des obligations littéraires de bonne tenue. Notre poète, car c’est surtout lui que ces lignes introduisent avec brièveté, est convaincu que « les poètes sont venus sans faire de bruit ». Et « la main qui chante est toujours réfractaire ». A, notre sens, l’évidence poétique des textes de Patrice Teisseire-Dufour procèdent de ces deux exigences. Une tonalité toute en mesure arc-boutée à une tranquille insoumission intérieure aux minuscules comme aux grossiers faits accomplis de l’existence. Et dans le jaillissement de la parole « les lambeaux de mots sont des armes » miraculeuses - pour reprendre Césaire.

Abdelmadjid Kaouah

LES RADIOPHONIQUES

Nay
entre le roseau et son maître
il y a les mains le souffle
la distance la violence retenue
de l’eau lustrale des défunts
dans la nuit ouverte
le roseau se fait kalam
traçant de larges entailles sanglantes
sur la chair retorse des lauriers-roses
spectres luminescents habités par les lucioles
le Nay se garde
et darde ses notes
stridences et litanies
son désespoir fondra
faucon de l’extrême âme
sur la première passante
la victime inaugurale de la noce
des roses de sable et d’équivoque
le maître s’entoure maintenant
d’une troupe de nains agiles
qui grimpe au mitan de la nuit
le festin déroule ses agapes
le roseau se fait kalam
oriflammes du levant aux pieds
du maître chien couché dans sa torpeur
la braise est prête et le talisman
n’y pourra rien
à la première passante les bardes
ouvrent la poitrine d’où s’envolent des songes de sel
et de jasmins croisés
sur des destriers domptés
par la fulgurance du kalam
commence alors le règne sans partage
du Nay"> > Extrait de "Habiter les remaprts"

lundi 17 mars 2008

CAVE-VIGIE



MAQUAM


ELOGE EN TROIS MOUVEMENTS
DE L’UN ET L’AUTRE




I


Présentement j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens



Quelque part entre les hanches en transe
d’Elvis Presley
Et les roucoulades nilotiques
d’Abdelhalim Hafez
Nous avons grandi
un improbable emblème
Entre les dents

Nous sommes de deux rives
De mille rivages
Des oursins nous avions dressés
Nos banquets solaires
Le printemps craquait sous nos lèvres
Comme une fève fraîche
Des femmes nous ne connaissions que la légende
leurs bouches brûlantes de souwak caroube
Au sortir du bain
Nous guettions l’éclair d’une jambe
Sous le haïk voile blanc coquin

Quelque part entre les hanches en transe
d’Elvis et les roucoulades nilotiques
d’Abdelhalim nous avons grandi
un improbable emblème entre les bras



Nous sommes de deux songes
De plaine et de montagne
De mer et de désert
De la ville et des Hauts-plateaux
D’écume et d’alfa
Dans notre ignorance de la géographie
Rétifs à notre destin administré

Quelques livres nous tenaient lieu d’univers
Quelques brassées dans la mer d’odyssée
Dans nos petits villages aux églises-mosquées




Nous restions gais
Autour de la meïda
ignorant les croissants au beurre
Mais au dessert nous avions Hugo
et sous le manteau Baudelaire




Kateb Yacine était l’égal
Du plus insigne footballeur
Nedjma était notre talisman



Nous étions de mille confluences
Dans l’uniformité de nos contradictoires espérances
Khouya frère était le mot de passe
Enfants nous nous le lancions à tue-tête
comme une balle ronde
Dans nos jeux sans stades
Avant l’ère des stériles slogans
- pour une vie meilleure-
Et la pénurie du savon


Nous sommes de deux rives
Nous sommes de force songes utiles
De mille rivages en effervescence
de mille milliards de vagues d’écume
Calligrammes sur le sable des mémoires noueuses
Oriflammes de signes mêlés au cœur
d’un soleil noir


*

Maintenant j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens




II




Je dirais juste qu’ici le soleil oscille
comme un soupir
Echappé d’une mémoire surnuméraire
comme articulé entre parenthèses
Par un dieu trop nourri
Qui caresse son ventre
Encore tout ébahi par le miracle de ses orteils
Un soleil enfariné comme un beau bébé de publicité
Dont les plis et les replis sont autant de pièges
A l’œil empressé de surprendre ses secrets


Ici le soleil étale ses promesses
comme un chasseur embusqué à la lisière
De forêts giboyeuses
Passent et repassent volatiles paisibles rapaces désarmés
Ils portent sur leurs ailes les reflets immuables des sabliers
Ici le temps a toute l’éternité
Pour se reposer des siècles
D’ailleurs il se mesure à l’épaisseur des murs
A la grosseur des habitacles divers
Que les hommes se sont érigés
Tantôt pour conjurer leurs frayeurs
Tantôt pour célébrer les fastes
de leurs soumissions ou leurs révoltes


Ici le soleil n’est pas une marque de fabrique
Une hérédité maléfique qui renvoie aux jugulaires
Aux spectres immémoriaux qui jettent encore la jeunesse
A l’assaut de ses désespoirs dans les abysses des frontières
Cœurs et lames dégainés
Contre elle-même sa propre chair
Contre une indicible âpre amertume
Dont elle a fondés ses signes adventices


Je dirai juste qu’ici le ciel peut-être un clavecin
Tantôt subtil tantôt sournois
Percutant la terre à juste mesure
Des palettes de nuances studieuses
Sur des toiles nubiles que des mains andalouses
Font accoucher d’une vigueur iconoclaste
Ici e ciel continue à ordonner les orages
En phrases à la Chateaubriand

Ici le soleil et le ciel
S’accordent comme un vieux couple lassé
De trop de caresses et de connivences
Et peuvent de leur vivant s’acheter à crédit
Des apocalypses annoncées à la une des journaux

De temps à autre quelques Numides
y scellent leurs passions et parlent
au premier passant d’un improbable Nerval
que l’on prend pour un lieu-dit d’Aquitaine

Et des chiens déments
Qui éperonnent leurs songes
Et leurs errances


Or ici le ciel et le soleil
Se reposent désormais de la ténèbre
Et des chiens déments
Qui talonnent les solitudes
Et les errances


Ici le ciel et le soleil
Se reposent dans le sacre de l’automne



**



Ici maintenant j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens



III

Je dirai juste qu’il faut se garder de l’Autun
Parfois quand il achève
De carder les nuages
Un silence en flocons pourpres
Tombe sur les tuiles et les électrise
Toulouse tourne ses tourments
ses toits courbent leur majesté
Sous la brûlure du soleil
S’ inclinent devant l’Autun
Pour mieux aiguiser leur insoumission


Toulouse
Rose rose rouge noire
Entre les deux mers


Le soleil s’aplatit
Le vent se couche
Les nuages ont fui
Les tuiles prolongent les ombres
Les tourments deviennent obsessions
et miaulent comme des chats de caniveau



J’habite rue Léonie-Toulouse
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens

Sur une plaque discrète il est écrit
Que c’est une poétesse d’Occitanie
Je crains juste qu’à mon corps défendant
Je sois le seul à le croire au pays d’Isaudaure




Abdelmadjid Kaouah

(Présenté le 16 mars 2008 à la Cave Poésie René Gouzenne)





.
















dimanche 16 mars 2008


Le laboureur du verbe

par Djamal Amrani


Lorsque Abdelmadjid Kaouah vient à vous, à la suite d’une longue séparation,il manifeste une émotion souriante à laquelle on ne peut résister. La cordialité qu’il met aux retrouvailles, la gentillesse qui émane de lui, la chaleur de sa parole, autant de signes qui font de ce poète un être fraternel.
J’ai désiré les motsÀ l’image de mes amitiésEt des soirs bavardsQui aident les oiseaux…
Il y a dans son visage (à la barbe chenue) une invite permanente à l’échange amical, voire à la confidence. Dès l’abord, bien plus des vicissitudes que traverse le pays, il vous parle de poésie. Comme si ce type de recherches que pratiquent encore chez nous quelques élus, revêtaient une quelconque importance aux yeux de la multitude. C’est que Kaouah est poète jusque dans la chair de son cœur. Presque trop poète, oserai-je prétendre, l’envie me montant à la tête.
Tandis que j’écris ces lignes, j’entrouvre son recueil Par quelle main retenir le vent. À tous les coups, une vision de nature s’impose, tout juste et non moins transcendée. On croirait que son regard possède le pouvoir de saisir le détail qui fait mouche et qui, grâce à un art – ô combien subtil ! – s’élargit, s’approfondit, prend une allure inattendue pour en définitive, nous donner un frisson délectable, une sorte de jouissance provoquée par des accords qui tintent au plus intime de soi :
Je plante mon arbrelà où l’eau broie la chevelure du soleilécartelé entre deux ateliers de violenceet c’est l’amour sur les chemins parallèlesdes hommes
Homme de ce jourLa pluie n’est que silenceQui trompe son entourageUn nuage de bruitQui pénètre par tes yeux
Ce qui me touche particulièrement en Kaouah, c’est son sens intime de la nature. Il la vit au long des heures, des jours, des saisons ; il célèbre les liens qui unissent l’homme aux éléments du monde : ciel et terre, bêtes et plantes, sources et demeures.
Il repose sa flûte sur la croupe d’un nuageEt récité son présent aux bêtesQui s’aiment dans les buissonsAux approches de l’aubeIl escalade la haute tensionPour hurler à son peupleLa mort du jasmin
Ma vive admiration pour les très brèves stances de Par quelle main retenir le vent s’explique peut-être par mon goût de l’extrême concision du langage, y voyant une sorte de limite à atteindre, où le mot acquiert un surcroît d’éclat, où chante le silence, où la phrase se tait, rompue, où toutes les valeurs semblent renversées.
Et ce que j’aime encore dans les poèmes de Kaouah, c’est qu’il ne suit aucun autre chemin que celui, à flanc d’abîme, qui nous conduit d’un itinéraire toujours plus difficile, où la parole Poétique exige un air toujours plus pur, une plus haute solitude- sans référence à toute autre poésie.
Où il n’est plus questionQue de vos corps allongés faceà la mercomme des rames ayant bien servi
[…]
L’arrière mémoireOù l’on va nuPour ne pas effrayer les oiseaux
Sa constance dans l’arpentage d’un m^me domaine naturel, la symbiose que l’on redécouvre toujours entre l’être et l’environnement, une harmonie gracieuse, voilà qui mérite qu’on s’attache à cette poésie d’une fracture personnelle. Kaouah n’est un chercheur des formes, le message ici impose l’écriture et c’est en ce sens que je parle d’harmonie. Souvent le poème ne capte qu’un instant furtif, un éclair de vie, un reflet qui passe.
Le bonheur nous l’inventonsAu ras de nos brûluresA la crête de nos feux d’artifice clandestins
Ou encore :
Vous avez entendu son chantIl est passé à l’aubeA tracé sur vos portes un signe clairVoyageur de l’espérance ouvrière
La pensée et la démarche kaouahiennes s’inscrivent tout entières dans l’exploration et l’écoute : – coquelicot de la victoire / rouge blessure du peuple – dont les sourdes résonances se retrouvent à chaque page d’un beau livre qui sait toucher l’esprit et le cœur.
Lieu ouvert, Par quelle main retenir le vent se lit comme une patiente leçon sur un chemin qui, sans artifice et avec le naturel d’une source, nous ramène toujours vers l’homme.
Pénétrant avec pudeur dans le domaine de notre destinée, Kaouah garde presque « magiquement » cette distance, jamais silencieuse, d’un regard dont la lucidité n’est pas dénuée de tendresse.

Djamal Amrani

( Octobre 1994)

samedi 15 mars 2008

ILES & MERS


KAVALA
En pensant à Patrikios







D’abord, il y eut la mer.
Je suis né entouré d’îles
Je suis une ile surgie le temps de voir
la lumière, dure comme la pierre
puis sombrer.
Les montagnes sont venues après.
Je les ai choisies.
Il fallait bien que je partage un peu le poids
écrasant ce pays depuis des siècles
Titos Patrikios



I

Jaillira-t-il enfin de retour
Le noir étalon hagard
Dans le cercle moisi des errances souillées
Cheval de Troie estropié
Devant les remparts de nos vies
Dédiées à la mer au partage malencontreux
De nos songes fiancés au désespoir

Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu,
Une protubérance d’adolescence en manque
De tendresse
Nous sommes en attente
Dans la nuit accouchant
Sur la paille des impostures
Combien de Grecs ont-ils décidé
Le sacrifice d’Iphigénie
Et combien de casbahs ont-elles répondu
Au long cri de détresse
Des jeunes filles nubiles
A Aulis
Fracassées dans le silence du jasmin


II

Le noir étalon porteur d’ardeur
N’est plus qu’un canasson de cirque en faillite
Promis en bout de course aux équarrisseurs
De temps à autre perce de ses pupilles dévorées par la cataracte
Un semblant d’éclair
Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu
Et parmi tant de rivages helléniques
Il se peut qu’en saison précise
Se lève la brume sur la vieille natale demeure en bois vermoulu
Du souverain qui fit don de son turban au Sphinx d’Egypte
Peut-être était ce un avatar guerrier d’Œdipe
Mais peut-être n’est-ce qu’un malentendu
Quand j’aborde dans un fracas de lumières ioniques
Kavala et son cercle marin des poètes ressuscités


III



Autour de maître Patrikios
Et sous un grand arbre élancé
Etait-ce un peuplier
crissant de nostalgie
Se promènent invisibles les vivants définitifs
Cavafis Seféris Rítsos Elytis
Ils sont parmi nous infortunés glorieux
Revenus du purgatoire













Et l’enfant d’Eldjezaîr
Sœur jumelle de Kavala
saisit au vol la main fraternelle de Patrikios
Loin des bouzoukis corrompus
Le pain et les poissons rompus
Sous les auspices romains de Lucio Mariani
Nous voguons vers l’empire désarmé
De la poésie où chaque mot blesse
Pareil à un grenadier enchanté
Lucio invoque Ephèse
Et allume impénitent un cigare
Patrikios dans un sourire amusé
Evoque Eros et ses miracles méditerranéens
Et Yannis
Et quand les oracles eurent fini
D’illuminer la nuit mouvante de Kavala
On entendit au désert
Le son d’une sirène de bateau
le sanglot d’une harpe
et le ricanement d’un étalon
le parfum errant de Donatella
il pleuvait cette nuit-là
à Kavala


Abdelmadjid Kaouah










CIMAISES & EMPREINTES



taisez-vous, mais taisez-vous donc


le verbe
ce devrait être une patère
pour y suspendre
le silence

les mots
des poteries fragiles
pour contenir durablement
le calme

effacés les mots du tableau noir
effacés du même coup
désirs attentes
ambitions
Hamid Tibouchi

PRINTEMPS DES POETES A TOULOUSE




La Cave Poésie René Gouzenne
71 rue du Taur, 31000 Toulouse
La 10eme édition du printemps des poètes
cave-poesie.com




Le dimanche 16 mars à 18H : Lectures : La Cave Poésie propose à une douzaine de poètes de Midi-Pyrénées d’écrire un poème sur le thème : « Eloge de l’autre ».


Ces textes commandés seront lus par leurs auteurs en clôture du Printemps des Poètes à la Cave Poésie.


Pour l'occasion, la cave Poésie a invite une douzaine de poètes de Midi-Pyrénées à écrire un texte sur le thème "Eloge del’autre".


Ces poèmes seront lus par leurs auteurs à la Cave Poésie.


Les poètes invités : Jean-Luc Aribaud, Michel Baglin,Gilbert Baqué, Philippe Berthaut, Henri Heurtebise, Abdelmadjid Kaouah, Serge Pey, Casimir Prat, Francis Ricard, Bruno Ruiz.

RENCONTRES


LOMBEZ - GERS

DIMANCHE 30 MARS 2008

9 h 00 à 19 h 00 - Salle Polyvalente

7ème SALON du LIVRE
et du LIVRE ANCIEN

Une RENCONTRE AVEC UN AUTEUR
Gil Jouanard, écrivain en résidence à Lombez et invité d’honneur du Salon parlera du travail qu’il a réalisé :
« réflexions » qui lui ont été inspirées par la
découverte des bastides du Gers.
L'après-midi à 15 h 30 rencontre avec Majid Kaouah écrivain et poète algérien d’expression française.

vendredi 14 mars 2008

Pour vous mordre
Pour vous marquer
Pour vous ouvrir
Au vieux secret

A la belle tradition
de l’étoile impitoyable
Qui traque les nonchalants
Les oublieux

D'UN POETE


Une poésie solide et belle
Par Michel COSEM








Les vrais poètes sont ceux qui savent parler à l’humanité toute entière avec des mots qui leur appartiennent et dont ils savent cultiver la saveur et l’originalité. Abdelmadjid Kaouah est de ceux-là et lorsqu’il parle de son expérience vécue il sait le faire avec retenue et intelligence ce qui en augmente la portée et le témoignage.
Dans « La Maison Livide » (1) il livre son expérience de cette façon simple et cela est bouleversant.
Il y a chez Abdelmadjid Kaouah un grand amour de la langue, une connaissance parfaite de l’écriture et de l’histoire de la poésie, ce qui fait de lui un poète francophone à part entière. Il est bien le compagnon de toute la poésie et non de tel ou tel poète. Ce que j’aime aussi beaucoup chez lui c’est son respect de la langue française, et cela est une source pour le lecteur de vraies découvertes et de vrai plaisir.
Je ne puis m’empêcher de penser à une réflexion d’un penseur occitan –Félix Castan – pour qui la langue du colonisateur devient un bien si précieux, pour le colonisé, non pour prendre sa revanche mais pour le dépasser. (2)
Le combat poétique apparaît ici dans sa totale évidence.
L’autre versant de Abdelmadjid Kaouah est son militantisme pour la poésie d’expression française. Son bel ouvrage « Poésie algérienne francophone contemporaine » (3) est un modèle du genre.
Ami de nombreux poètes, il a côtoyé ce qui se fait de mieux en ce domaine et contribue au renom et à l’écho des lettres françaises. Il écrit en particulier dans son étude préliminaire : « La poésie, loin d’être un exercice solitaire, doit participer aux affaires de la cité, à la transformation de la réalité et la construction d’un nouvel ordre social », ce qui est vrai pour tous les temps et tous les pays.
Ce qui plait aussi chez Abdelmadjid Kaouah c’est qu’il procède avec une bonhomie tranquille, un bon sens à toute épreuve, donnant à sa poésie solidité et beauté tout à la fois.




J’aime terminer cette courte présentation par un extrait de « Par quelle main retenir le vent » (4) :

J’ai désiré les mots
A l’image de mes amitiés
Et des soirs bavards
Qui aide les hommes
A comprendre les oiseaux
La sève des arbres
J’ai creusé les mots
Dans l’alphabet de la neige
Afin qu’ils ne soient pas définitifs

On être saurait être plus modeste et plus juste.








Michel Cosem



___________________
(1) Encres Vives, 1995
(2) Autre Temps, 2004
(3) L’écrivain, Kateb Yacine, Grand Prix Francophone de l’Académie Française, qualifiait la langue française de « butin de guerre » des Algériens.
(4) Noir & blanc, 2000.

EN RADE

Sans malice


Le vent achève
De carder les nuages
Un silence en flocons pourpres
Tombe sur les tuiles et les aiguise
Toulouse tourne ses tourments
Vers l’Autun ses toits courbent leur majesté
Sous la brûlure du soleil


Toulouse
Rose noire
Entre les deux mers
Au comptoir
Conspirent deux poètes évanescents
Qui se prennent pour des corsaires
Ils vont à l’abordage de la Toison d’or
Du moins c’est l’étiquette du flacon
Mais leurs bavardages les attardent au coin de bar
D’un verre à l’autre
Ils cèdent comme Ulysse
A Circée sauf qu’ils sont toujours en rade
Chez le Père Léon place Esquirol


Le soleil s’aplatit
Le vent se couche
Les nuages ont fui
Les tuiles prolongent les ombres
Les tourments deviennent obsessions
et miaulent comme des chats de caniveau



.Tiens, il ne faudra pas rater le dernier métro
C’est l’anniversaire de ma femme
Se dit à brûle pourpoint
le Vendeur de Sorts qui suivait avec intérêt
Leurs humides délibérations
Comme la poésie est soûlante !
Finit-il par conclure

CUGNAUX 9/03/98 -15/06/07

ODE A KATEB YACINE

Ode à Kateb Yacine


Ya kateb aktoub el mektoub
le reste n’et que sang nécessaire
pour survivre à la blessure d’idéal
et se conformer à la mystique de l’électron

chasseur de primes essentielles
rassasié de télégrammes apocryphes
tu connus le pouvoir des étangs

et de ce jour
voué aux luttes du Vautour
tu suicides ta chair
dans le remous des psaumes

le père eut beau réciter les versets
pour conjurer la possession
la mère rassembler les amulettes
la malin jaillissait sans cesse de toutes parts
en désespoir de cause
on fit venir les tolbas
ils essayèrent la calligraphie
et les signes humides


là-bas dans les étreintes des palmiers
le temps t’apprêtait ses apostrophes


toute une horde de psychiatres
accourut faire la cour
aux éclipses du désespoir
et quand on enterra de nuit Mozart
le Congo mobilisait ses cascades de crachats
le mot d’ordre s’élança de l’erg
aux frontières des éventails fatals




tu seras Veuf
prophétisait par intermittence
le Vautour


d’étranges courants écaillaient
le sommeil de la terre
tes frères transis
se bousculaient au foyer de
ta Bouche

l’Insecte inclinait
son ordre
et son venin

dans ta demeure de terre battue
le Vautour promenait
ses cohortes de feux-follets
se moquaient des tes kalems calcinés

les psychiatres décidèrent
pour consacrer ta folie
l’érection de Notre-Dame-d’Afrique

te voici à présent
dans un grand hôpital verdâtre
prenant ta revanche sur le Vautour
à présent vieilli cramoisi
traînant la patte dans un
long pyjama d’ennui
quémandant sa ration de mépris


quand les premiers hommes
tombèrent les murènes
s’ouvrirent les veines
le sang gicla jusqu’aux juke-boxes
éclaboussa l’Opéra empaillée
et sema la panique dans Paris







la nuit est à celui
qui sait se mouvoir
comme cette femme virile
qui distribue le sel
et l’alarme au grand galop
sur la croupe de notre mémoire


là-bas sous les arcs-en ciel psychédéliques
qui avait fini par vaincre ?
le Vautour déloyal
ou cette femme aurorale


ya kateb aktoub el mektoub
scripteur inscrit le destin


le reste n’est que sang nécessaire

Abdelmadjid KAOUAH



(Cercle-Taleb Abderrahmane, mai 1972)

LA MEMOIRE EST UN MOULIN / NOTES CONTRE L'OUBLI 1

« LA MEMOIRE EST UN MOULIN »





LETTRE DE Marc BONAN
8, Boulevard de Compostelle
13012 Marseille
à Abdelmadjid Kaouah



Marseille le 6.6.05


Cher Kaouah,


Médéa nous a rapprochés. Nous avons cheminé dans la Pépinière et sur l’eau d’El Kébir aux quatre robinets sous le regard perdu de gueux de Richepin. (1)

De mon moulin, je voyais la mosquée et, gosse, on me faisait croire que le muezzin se faisait Père Noël de minaret à cheminée.

Il y avait là-bas une grande roue noire où l’herbe disputait à l’eau la pesanteur. Alors les engrenages grinçaient, les poulies s’affolaient sur leur axe d’acier, les plansichters tournaient tels des soufis et les « sarteurs » secouaient leurs peaux tendues dans un halo de poussière. Ça sentait le bois de pin, l’huile de graissage et le blé reposé.

Il faut peu de choses pour que renaissent les souvenirs : un regard bienveillant et une parole vraie.
Quand Bouchacour trancha le Rocher jaillit alors de la Chiffa, l’oued de la guérison, vinrent les singes, et, plus tard, des poètes. Un nouveau Madani (2) s’impose pour de nouvelles Rencontres comme celles que nous avons vécues à Montpellier (3).

Je dois au thésard Hamid (5) un moment de vie commune et à tous une fraternité inoubliable.
En toute amitié.

M.B.

__________________

(1) Il s’agit du poète Jean Richepin, fils d’un médecin militaire, qui naquit le 4 février 1849, décédé le 16 décembre 1926. Son recueil « la Chanson des Gueux » qui parut en 1876, lui valut un mois de prison et 500 francs d’amende. Il y exaltait « la poésie brutale de ces aventureux, de ces hardis, de ces enfants en révolte, à qui la société presque toujours fut marâtre, et qui, ne trouvant pas de lait à la mamelle de la mauvaise nourrice, mordent à même la chair pour calmer leur faim ». Ce Villon moderne est entré à l’Académie française en 1913. Une plaque commémorative est apposée jusqu’à ce jour sur le lieu (à l’origine hôpital militaire, par la suite hôtel de ville et enfin aujourd’hui bibliothèque municipale) où Richepin naquit.
(2) Selon le poète Jean Claude Xuereb, « entre décembre 1947 et mars 1948
ont eu lieu, dans un ancien hôtel transatlantique à Sidi Madani, dans les gorges de la Chiffa, des rencontres d’intellectuels, écrivains, artistes venus d’Algérie et de France. Y participèrent notamment Louis Benisti, Malek Bennabi, Albert Camus, Jean Cayrol, Mohamed Dib, El Boudali Safir, Louis Guilloux, le docteur Khaldi, Michel Leiris, Brice Parain, Louis Parrot, Francis Ponge, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, Jean Tortel,…Ces rencontres, bien qu’ignorées de la plupart des historiens ou passées sous silence, méritent d’être évoquées comme un moment important de la vie intellectuelle de l’époque ».
In Albert Camus : Oran, l’Algérie, la Méditerranée
Oran, Algérie. Les 11 et 12 juin 2005
Colloque organisé par l'association Les Amis de l'Oranie, en partenariat avec les CCF d’Alger et d’Oran, l’association Bel Horizon Santa Cruz et Mémoire de la Méditerranée Algérie.

(3) Soutenance publique de la Thèse de DNR d’Hamid NACER-KHODJA à l’université Paul Valéry-4juin 2005