dimanche 7 août 2011

CEUX QUI RENDIRENT LES MOTS HABITABLES




Qui se souvient de Myriam Ben ?

Juillet délimite un pan considérable de la mémoire algérienne au-delà des commémorations. Il est le temps par excellence du rêve algérien pétri de sacrifices mais aussi otage des stratégies de pouvoir. Le rêve eut ses voix. Ses hommes comme ses femmes. Ces dernières encore plus singulières et prodigieuses qui rendirent « les mots habitables ». Qui se souvient de Myriam Ben ? Celle qui confiait à la terre entière aux heures noires de la patrie ses certitudes et ses inquiétudes pour « tisser le chant d’espoir » :

Toi qui chemines par chez nous
Ne cherche plus le saphir noir
Dans la mémoire de ses yeux
Ils avaient la brillance
Impérissable de l’espoir
La couleur du ciel de Saturne
Né de la clarté nocturne
De l’Intelligence Première
Et du Cavalier Noir
De l’Apocalypse
Qui chevauche aujourd’hui
La terre de nos pères
Myriam Ben, poétesse, romancière, peintre, écrivaine, cette militante qui fut de tous les combats du peuple algérien dont Sadek Hadjerès , dirigeant du PCA dans la clandestinité, a dressé le portrait et le parcours tout en générosité et d’engagement de principe. Militante du PCA au moment du déclenchement de la guerre de Libération, , institutrice près de Aïn Defla, Myriam Ben « fut versée » , nous dit-il , « dans les CDL (Combattants de la révolution) organisation armée créée en juin 1955 par le Parti communiste algérien. Parmi les missions dont elle avait été chargée et qu’elle avait courageusement accomplies, je citerai le transport dans sa voiture d’une partie des armes détournées par l’aspirant Henri Maillot, le transfert de Maurice Laban au maquis de Chleff, les liaisons qu’elle assurait entre le groupe de Chlef et la direction CDL à Alger, celles entre elle et un capitaine de l’ALN dans la région de Aïn Defla. Militante dans la clandestinité après avoir abandonné son poste d’institutrice, elle a pu effectivement échapper aux autorités coloniales et fut condamnée, par contumace, à 20 ans de prison ». Long et périlleux itinéraire qui tire ses sources de l’univers chaoui . Myriam Ben, Marylise ben Haim de son vrai nom, est issue en effet de la tribu Chaouïa des ben Moshi par son père et la tradition orale de la famille de sa mère la fait descendre d'une famille juive d'Andalousie dont l'ancêtre serait Moussa ben Maimoun (Maimonide). Lors de l’invasion française, la tribu des ben Moshi s'enfuit de Constantine et fonda la ville de Ain Beïda. Le « Décret Crémieux » supprimant en 1871 le statut personnel des indigènes juifs en leur donnant la citoyenneté française une partie des Ben Moshi se convertit à l'islam. La famille de Myriam ben en devenant française s'est refusé à perdre son algérianité. Ainsi à la naissance de Marylise, sa grand-mère souhaitait la voir porter le nom de Meriem ou de Louisa. L'administration coloniale refusa et francisa le tout sous la forme de Marylise. . Au début de la Seconde guerre mondiale, elle est élève au lycée Fromentin d'Alger. Elle en est chassée par le numerus clausus appliqué aux juifs par les lois de Vichy. Dans ses Mémoires intitulés « Quand les cartes sont truquées », L’Harmattan 2000, elle restitue à travers sa vision d’enfant « une Algérie française où, par un sanglant parjure, la France abrogea le " décret Crémieux ", laissant libre cours à l'antisémitisme, déjà ancien, de nombreux européens. Elle nous fait vivre le rôle que joua son père dans son engagement anti-colonialiste et l'enseignement qu'il lui donna sur les rapports qui existaient entre sa propre liberté et celle du peuple algérien ».C'est à cette période qu'elle adhère aux Jeunesses communistes clandestines d'Alger dont son frère est secrétaire. En 1943, elle réintègre le lycée après le débarquement américain qui a lieu à Alger le 8 novembre 1942. Elle poursuit ensuite une formation d'institutrice tout en continuant des études de philosophie à l'université d'Alger.En 1952, Marylise est nommée institutrice suppléante au village d'Aboutville. L'école est délabrée et les paysans arabes n'osent pas y envoyer leurs enfants car ils n'ont pas de chaussures. Pour les instruire, elle va elle-même chercher les enfants dans leur famille .En 1954 et 1955, parallèlement à son travail d'institutrice, elle collabore au journal Alger Républicain. Elle s'engage alors dans la guerre de libération de l'Algérie en devenant agent de liaison dans le maquis d'Ouarsenis dit le " Maquis Rouge ". Condamnée par contumace à vingt ans de travaux forcés par le tribunal militaire d'Alger en 1958, elle restera dans la clandestinité jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en 1962.Après l’indépendance, elle connaîtra, au lendemain du 19-Juin, un premier exil forcé après son départ en France pour des soins. Elle mettra à profit ce temps pour préparer une thèse en histoire et d’adonner à l’écriture et la peinture. Dans « Diwan d’inquiétude et d’espoir » (ENAG, 1991), sous la direction de Christiane Achour, ses premiers essais littéraires sont évoqués en ces termes : «… Au milieu des années soixante, elle s’attelle à un roman resté inédit et à trois pièces de théâtre. "Après [Karim] une première pièce mettant en scène un moment précis et ponctuel de la lutte (avec la mise en scène des contradictions de l’individu pris entre ses sentiments et son devoir de patriote), puis [Leila] un second texte sur le présent des lendemains qui grincent et déchirent, Prométhée s’extirpait, en quelque sorte, d’un cadre historique pour réaliser le désir d’universalité commun à de nombreux dramaturges". Plus tard, elle publiera, notamment Sur les Chemin de nos pas, L’Harmattan, 1984, Au carrefour des sacrifiés, L’Harmattan, 1992. Elle est de retour au pays en 1974 où parallèlement à ses travaux d'écriture, Myriam Ben peint et multiplie les expositions en Algérie et à l'étranger. Membre de l'Union nationale des anciens Moudjahidines et du mouvement des femmes algériennes, elle ne cessera de monter au créneau pour « tuer le mensonge » et pour « recueillir la source qui se perd ».Qui se perd et s’ensanglante dans les années quatre-vingt dix et la pousse à nouveau vers les rives de l’exil. Elle qui écrit :

Pour partir
Sans quitter mon pays
Voyager sur la mer
Voiles pleines
Et libre



Elle s’est éteinte le 19 novembre 2001 à Vesoul « laissant derrière elle des écrits et un souvenir ineffaçable de courage et de lutte pour les causes justes » (Mourad Yelles-Chaouch).
Son dernier recueil de poèmes s’intitule « Le soleil assassin » … Qui se souvient de la brillance impérissable de l’espoir ?


A.K.

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