dimanche 22 février 2009

الطيب صالح TAYEB SALYH 1929 - 2009







Le romancier soudanais Tayeb Salih est décédé le 18 février 2009 à Londres où il vivait en exil. L'auteur de «Saison de la migration vers le Nord», un classique de la littérature arabe du XXe siècle, s'est éteint à l'âge de 80 ans.
Né en 1929 dans un village du nord du Soudan, Tayeb Salih a étudié au Royaume-Uni et travaillé pour le service arabe de la BBC ainsi qu'au siège de l'Unesco à Paris.
Paru à la fin des années 1960, «Saison de migration vers le Nord» avait été censuré . Des associations soudanaises avaient demandé à ce qu'il soit candidat pour le prix Nobel de littérature. «Saison de migration vers le Nord» avait été déclaré en 2001 «le roman arabe le plus important du XXe siècle» par l'Académie de la littérature arabe, établie à Damas.
Plusieurs de ses ouvrages sont disponibles chez Actes Sud: «Bandarchâh», «Les Noces de Zeyn et autres récits» et «Saison de la migration vers le Nord».

***
La dialectique de l'acculturation a donné à la littérature
arabo-africaine ses oeuvres les plus significatives.
Le plus souvent sous le signe de la tragédie
et de la fascination suicidaire. Perte de la terre, de
la langue de la mère pour une hypothétique émancipation,
en tout cas un douloureux et trouble accès
à la modernité. Davantage que certains traités savants, cette
problématique a été développée avec une puissance d'évocation
éloquente par le roman. Sur le mode didactique,
comme il sied dans toute oeuvre de formation à travers le
regard interrogatif de l'enfant, comme dans «L'aventure
ambiguë» de cheikh Hamidou Kane. L'ensemble porté par
une parole poétique toute en sobriété et ruisselant de spiritualité
et de dévotion à la nature. Publié en 1961,
«L'aventure ambiguë» est devenu un classique africain qui
n'a pas épuisé sa sève, tant il annonçait les profonds bouleversements
post-coloniaux. N'est-ce pas Pascal qui affirmait : «Je crains l'homme d'un
livre». Pris dans une acceptation d'ouverture, cet aphorisme
renvoie aux livres fondateurs. Et qui ont valeur d'oeuvre dans
leur singularité. Que l'auteur, par la suite ait écrit ou pas
d'autres titres non moins importants, il restera comme figé
dans un titre unique. De là peuvent découler bien des ambiguïtés
littéraires et philosophiques. A la charnière de deux
mondes, l'africain et l'arabe, le romancier soudanais de langue
arabe, Tayeb Salih occupe dans cette problématique de
la fascination-répulsion de l'Occident une place exemplaire.
Comme jamais auparavant dans la littérature arabe, il nous a
donné à la fois avec finesse et audace la mesure de la relation
ambivalente de la confrontation entre l'Occident et le
monde afro-musulman, entre le Nord et le Sud.
Son roman “Saison de la migration vers le Nord” (Mawssim
Alhidjra ila ashamal) publié en arabe en 1969 au Liban est
aujourd'hui une oeuvre emblématique que des épigones
moins inspirés imitent avec entrain mais guère de talent.
Ce qui était de l'ordre du dévoilement socratique dérive en exhibitionnisme
sous le regard insatiable de l'industrie littéraire…
Saison de la migration vers le Nord, traduit en plus de 20
langues, a été déclaré, en 2001' roman arabe le plus important
du XXe siècle par l'Académie arabe de Damas. De quoi
taquiner la Pyramide du roman égyptien…On sait que
l'Orient est bien compliqué, et la critique littéraire en procède.
Quelques lignes pour résumer la trame de ce roman.
Effendi, le narrateur du roman, après des études supérieures
à Londres rentre au Soudan servir son pays. Il va découvrir
un curieux paysan, Mustafa Saïd avec lequel il engagera
un dialogue qui par-delà les interrogations qui le taraudent
l'incite à restituer le destin de ce dernier. C'est un peu sa
propre histoire , sa quête identitaire que lui renvoie comme
un miroir implacable le fascinant Mustafa Saïd qui disparaîtra
dans les eaux du Nil laissant au narrateur la redoutable
recherche des morceaux épars de son parcours et la paix de
l'être. Enquête, quête, «Saison de la migration vers le
Nord», fiction littéraire se dédouble d'une complexe méditation
sur le déchirement de l'individu tenu par un lien ombilical
au clan, à la communauté d'origine et au lourd prix
qu'il doit en gage de l'affirmation de son individualité. Un
vieux proverbe (approximativement traduit) de chez nous
dit : «Celui qui danse sur les marches est nulle part».Ainsi
Tayeb Salih fait dire à son personnage : «Je me retournai à
droite puis à gauche : me voici parvenu à égale distance
entre le nord et le sud. Je ne pouvais ni avancer ni reculer».
Le livre a frappé les esprits, car il traitait de l'un des tabous
les plus assis (hyprocritement), l'interdit de la libre évocation
du sexe et de la sensualité dans les oeuvres artistiques.
A l'époque, ce fut une manière de coup de tonnerre.
D'autant plus qu'il traitait de la passion amoureuse tumultueuse
avec une Etrangère : «On rencontre en Europe fréquemment
ce genre de femme intrépide, gaie et curieuse de
tout. Et moi, j'étais un désert de soif, plein de désirs fous…Je
devins pour elle une créature primitive et nue de la jungle,
armée de flèches et l'arc à la main, guettant lions et éléphants
». (…) “Parfait : la curiosité changea en connivence
puis en compassion”. Dans un livre plus tardif,
Bandarchâch, Moheymid, après s'être essayé à devenir un
«effendi» retourne à son village natal, Wad Hamid lové dans
les méandres soudanaises du Nil. Il retrouve ses camarades
d'enfance vieillis et déjà habités par la nostalgie, et les vieillards
tels des enfants, privés d'action, ils ont fait de leurs
rêveries leur réel. Ici Tayeb Salih se penche sur le temps, la
géographie existentielle du Soudan, de ses origines multiples
et syncrétiques aux racines plongeant dans la nuit du
temps. Ainsi que l'irruption du modernisme clamé à coups
de slogans. C'est «la guerre… entre ce qui était et ce qui
allait être». Vers un monde meilleur ? «Il faut que tout change pour que tout reste comme avant», dit un personnage dans le «Guépard» du Prince de Lampedusa.
Le mondepost-colonial est riche en mystifications mues par la volonté
de puissance et de classe. On sait ce qu'il advient du pays
de Tayeb Salih qui vit en exil depuis des décennies.
Dernièrement, Tayeb Salih a publié un nouveau roman :
«Mensi, un homme rare à sa manière.»Gageons que ce personnage
a du génie à l'image de son auteur.
A.K.
*In Algérie News du 9 septembre 2008

KELTOUM STAALI La page blanche

La page blanche

La page blanche est avant tout une opération de séduction. Un encadré de lumière qui invite à parcourir les méandres de la langue vibrante et désordonnée.
Elle découpe un morceau régulier du monde comme une fenêtre à laquelle je me penche pour admirer le spectacle renouvelé des jours.
Dans l'écrire, j'abandonne parfois le monde et m'engloutis dans un mythe parsemé de débris préhistoriques. Je cherche dans chaque anfractuosité de la langue, des secrets bien gardés qui ne se révèlent qu'à moi. Je traque, débusque, trouve des gisements de mots disparus ou éteints depuis longtemps.
Retrouver leur scansion, les affubler de compagnons inattendus qui leur redonneront du goût. Ecrire comme un terrible péché d'orgueil qui me pousse vers le chemin d'un lointain pays bleu, comme un explorateur qui s'élance pour aller là où il sera le premier.
Redécouvrir la saveur des mots quand ils s'accordent avec l'improbable.
Ecrire, se faire peur au plus près des zones inconnues sombres et attirantes. Page sans lumière et sans contours sur laquelle s'agitent des signes indéchiffrables. Il en faut des vies pour les lire.
Faire silence au monde pour retrouver les balancements primitifs, souvenirs génétiques de langues qui s'éloignent et se rapprochent, se croisent, s'interpellent, s'épousent parfois.
Faire rendre gorge au ciel nettoyé de mistral, qu'il dise enfin sa couleur quand je le regarde, dans les petits matins du bonheur.
Sentir le monde qui me traverse. Ma peau devient la terre, la lumière du jour ma religion et la protestation des oiseaux mon réveil-matin.
Régler mon pas sur l'univers.

Ce serait une femme-légende sans paroles. Elle traverserait des territoires rythmés par les saisons, boirait dans des souces vertigineuses. Elle accompagnerait les hommes à la poursuite du soleil. Elle chanterait avec le vent des complaintes chaloupées dans une langue muette. Elle serait une sorte de lubie, on lui attribuerait des pouvoirs fantasques et amusants. Elle croiserait sur les bateaux ces malheureux volatiles déchus et moqués que les poètes ne maudissent pas.

Sur la page blanche un poème s'esquisse comme une idée qui fait transpirer les tâcherons.

Keltoum staali

mercredi 11 février 2009

POSTHUME / INEDIT AVEC A. ALLOULA





LA HALQUA UN THEATRE COMPLET !





Il y a près d’un quart de siècle , de rencontrer en compagnie de mon confrère Arezki Metref , à Oran, lors d’une soirée le dramaturge Abdelkader Alloula. Nous le connaissions de loin, admirions son travail et son talent. Mais nous ne mesurions pas encore l’étendue de sa modestie. Car, en fait, c’est lui qui est venu vers nous. Accompagné par un autre passant capital , feu M’Hamed Djelid , universitaire et écrivain , initiateur en fait de cette rencontre chez un autre universitaire, Sid Ahmed Khiat dont étions les hôtes.
Dans le feu d’une longue discussion, l’idée d’un entretien de presse a émergée. Chose conclue et réalisée le lendemain même. Cet entretien avec Abdelkader Alloula est resté inédit. Il paraît donc de façon posthume. Durant tant d’années, j’ai eu comme le sentiment d’une dette à son endroit. J’espère, en rapportant fidèlement ses propos, remplir un devoir de mémoire.
Dans cet entretien posthume – qui s’est déroulé au TRO, Théâtre Régional d’Oran, le 25 septembre 1985- le dramaturge algérien, Abdelkader ALLOULA retrace son itinéraire artistique et les moments clefs de son travail de comédien, de metteur en scène et d’auteur. C’est à la fois une réflexion à haute voix critique et prospective sur le cheminent du théâtre algérien. Avec une humilité remarquable, tout en se gardant de se revendiquer comme un maître à penser, faisant l’exégèse de « son » théâtre, Abdelkader Aloula traite de la transposition et d’une certaine pratique restrictive du théâtre aristotélicien et avance les jalons d’un nouveau théâtre de tonalité majeure puisant dans le patrimoine, la culture populaire et faisant appel à la tradition de la Halqa et du Meddah en matière dramatique. Dans cet entretien, par moment prémonitoire, deux ans avant les émeutes populaires du 5-Octobre 88, Abdelkader Alloula met en exergue l’importance du rôle d’éveil civique de l’activité théâtrale. S’il refusait l’étiquette « engagé » pour son théâtre, il était dans la vie sociale, un homme de conviction et d’engagement. Il réprouvait à la fois l’arbitraire du pouvoir et l’obscurantisme. Il le paiera de sa vie. Le 10 mars 1994, à Oran en plein Ramadhan, il tombe sous les balles du terrorisme. Il se rendait à une réunion de l’association d’aide aux enfants cancéreux qu’il animait.
Un hommage populaire fut rendu au Troisième Lion d’Oran par sa ville.


Abdelkader Alloula a été aussi acteur au cinéma et à la télévision .Il a joué dans
Les Chiens réalisé par Chérif EL HACHEMI en 1969, Ettarfa par Chérif EL HACHEMI en 1971, Tlemcen par Mohamed BOUAMARI en 1989, Djan Bou Resk par Abdelkrim BABA AÏSSA en 1990, Hassan Nia par Ghaouti BENDEDDOUCHE en 1990. Par ailleurs, il a adapté pour la télévision de nombreuses nouvelles dont Lila Maa Majnoun, Es Soltane Oual Guerbane, El Wissam, Echaab Fak, El Wajeb el Watani, (réalisateur : Bachir Bérichi.) et est également l’auteur de deux scénarios réalisés par Mohamed Ifticène : Gorinne en 1972 et Djalti en 1980. Il participe aux commentaires de deux films : Bouziane el Quali de Belkacem El Hadjadj (1983) et Combien je vous aime de Azzedine Meddour (1985).
Après la date de cette entretien, A.ALLOULA a encore écrit El Lithem (Le Voile) en 1989, Ettefah (Les Pommes) en 1992, et adapté en 1993 Arlequin valet de deux maîtres de Carlo Goldoni.
Il est considéré aujourd’hui comme l’un des grands maîtres de la scène maghrébine et le premier introducteur du monologue dans l’espace théâtral algérien.


Œuvres de A.Alloula traduites en français :

Les Dires/ El Agoual,Les Généreux ( Al Adjoued) et El-Litham / Le Voile),
Traduction de Messaoud Benyoucef
(Arles, Actes Sud Papiers, 1995)
Les Sangsues / El-Aaleg), suivi de Le Pain / ElKhobza,
La Folie de Salim / Homq Salim et Les Thermes du Bon-Dieu / Hammam Rabi, Traduction de Messaoud Benyoucef (Actes Sud-Papiers, 2002)




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''Le théâtre interroge l'homme nu"



Abdelmadjid Kaouah : Peux-tu nous retracer ton itinéraire artistique durant ces vingt dernières années avec ses plus importantes étapes ?


D’UN THEATRE D’ACTION A UN THEATRE DE NARRATION


Abdelkader Alloula : Effectivement, j’ai plus de 20 ans de pratique. D’abord, je suis sorti du théâtre amateur. J’ai commencé à pratiquer à partir de 1956 dans une association culturelle qui s’appelait CHABAB. Cela fait donc 30 ans. J’ai débuté ma carrière professionnelle avec la nationalisation du théâtre d’Alger, à savoir en 1963, précisément. Et là, j’ai commencé en tant que comédien. J’ai joué dans plusieurs pièces tant du répertoire national, telles que « Les enfants de la Casbah », « Hassan Terro » de Rouiched », « Le Serment » de Abdelhalim Raïs que du répertoire universel, telles « Roses rouges pour moi » (de Sean O’Cassey) « La mégère apprivoisée », « Don Juan » de Molière et autres… Et puis, à partir de 1965, j’ai commencé au TNA ( Théâtre National Algérien) à mettre en scène. Il se trouve que j’étais plus ou moins préparé dans la mesure où dans le théâtre amateur, on touchait à toutes disciplines. Nous étions à la fois interprète, décorateur, metteur en scène et musiciens. Donc, en 1965, j’ai réalisé une pièce de Rouiched, « El Ghoula » (L’Ogresse ») pour laquelle j’avais aussi conçus les décors. Et j’ai réalisé une adaptation d’une pièce de Tewfik El Hakim, « El Soltane El Heïr » (Le Sultan embarassé), une pièce que j’ai adaptée en 1967 à partir d’un texte français des « Quinze Colliers de Sapeic », pièce du répertoire précieux chinois que j’ai intitulée « Sikek Eddheb » ( « Monnaie d’Or »). C’est à partir de 1968 que j’ai commencé à écrire et à faire des propositions au niveau de notre théâtre. La première pièce fut « Les Sangsues » , montée en 1969 à d’Oran où qui était plus ou moins une aile du Théâtre national algérien (T.N.A.) . Et « El Khobza » ( Le Pain) en 1970, pour la première semaine culturelle de la ville d’Oran. J’ai par la suite continué sur la lancée. C’est comme cela que j’ai écrit « Hammam Rabi » (Les Thermes du Bon-Dieu), « Hout Yakoul Hout » en collaboration avec Benmohamed Mohammed. J’ai écris également « Lagouel » ( les Dires,1980), et tout récemment « Ladjoued » ( Les Généreux »). Entre temps, et puis précisément en 1972, j’ai adapté « Le Journal d’un fou » (de Nicolas Gogol) que j’ai intitulé « Homk Salim » ( La démence de Salim) . Ceci en ce qui concerne l’itinéraire. En ce qui concerne les moments importants, il y en a deux qui se sont traduits en fait par des crises existentielles. C’est à partir du moment où j’ai commencé à mettre en scène de façon professionnelle et à écrire. Là, j’étais amené à faire chaque fois un bilan, à analyser de façon critique tout ce que j’avais fait, à me documenter davantage. A me documenter tantôt sur la mise en scène, tantôt sur l’écriture théâtrale. Ce sont en fait deux moments importants de mon itinéraire. Il y a d’autres moments, peut-être pas aussi importants mais néanmoins intéressants. Le grand moment pour moi c’est la phase de réalisation de « Lagoual » ( Les Dires). Disons donc,à la lumière de tout ce que j’avais fait et tout ce qui m’avait apparu dans le cadre de mes réflexions, de mes discussions avec les spectateurs, j’ai lancé une expérience sans savoir très bien sur quoi j’allais déboucher. Je passais d’un type de théâtre d’action à un autre type de théâtre, un théâtre de narration.

ENGAGEMENT POLITIQUE OU INTERVENTION SOCIALE ?

A.K. : Un théâtre d’engagement ?
A. Alloula : Je me méfie, à vrai dire, des étiquettes de façon générale. Moi, je proposerai autre chose, je pense plutôt à un théâtre de critique sociale. Bien sûr, il pourrait être à la fois engagé et d’intervention. Et surtout d’action. D’action dans la mesure où il propose chaque fois l’action. Même si c’est un théâtre qui a pour support le dire, il appelle à l’action. Et, enfin c’est peut-être un trop grand mot, il appelle à la transformation de la société, il appelle à l’optimisme, il appelle à la joie, il appelle à l’intervention des masses dans la vie sociale, dans l’organisation de la vie sociale de façon générale. Mais je préfère le limiter à l’appellation de théâtre de critique sociale.
A.K. : Il ne serait pas donc épique ?
A.Alloula : Il est de mon point de vue épique par référence à ce que définit Brecht. C'est-à-dire un théâtre qui se s’adresser à l’intelligence du citoyen et qui veut l’interpeller, l’inviter à voir, revoir son monde, son environnement, sa vie sociale, ses luttes , avec un nouveau regard, avec une nouvelle dimension. Mais le théâtre épique chez Brecht, c’est toute une philosophie. C’est beaucoup plus large que ce que je viens de définir. Ca ne s’arrête pas seulement aux aspects de contenu mais aussi l’agencement, les formes de représentation.


A.K. : Quelle est donc la spécificité de ton théâtre ? La Halqa ?
A.Alloula : Je pourrai parler de spécificité de mon travail et non pas de mon théâtre dans la mesure où j’estime ne pas avoir encore débouché sur un genre de tonalité majeure. C’est encore à l’état d’expérimentation, de recherche. Effectivement, je pars de la « Halqa », considérant que l’activité de type « halqa » comme étant un théâtre complet. Dans la mesure où c’est un théâtre qui se suffit à lui-même. C’est une activité qui a ses comédiens, ses interprètes, qui a ses modes propres d’expression, qui a son public, qui a son assise économique, qui a ses terrains, qui en fait se déroule sans l’intervention de l’Etat , sans la subvention, qui vit d’elle-même, se développe selon les moments, les possibilités. Qu’est-ce que je fais ? Je travaille, j’analyse les caractéristiques de cette activité théâtrale et j’essaie en fait de l’élever à partir des acquis…Ce n’est pas du tout une entreprise de type anthropologique. La question fondamentale pour moi, est que ce théâtre- là ( la Halqa) fonctionne très bien avec ses publics , avec sa culture et donc il y a des signes précis qui constituent ce théâtre. Donc pour moi, la question fondamentale, c’est de découvrir ces signes et de concevoir des représentations et d’élever le niveau esthétique de ces représentations. Voilà grosso modo, mon travail. Plus je réfléchis, plus j’observe le « Meddah » de la Halqa et plus en fait je retrouve l’art théâtral, peut-être dans ses expressions les moins riches, mais le théâtre est là. Et malheureusement, nous avons pratiqué un type de théâtre qui est en inadéquation, de mon point de vue, de par ses formes avec les signes profonds de notre culture populaire, de notre vécu culturel. Mon travail, c’est d’apporter ma contribution à l’émergence d’un théâtre algérien qui puisse se caractériser et fournir à son tour des éléments nouveaux au théâtre universel. Il se trouve qu’on pratique un théâtre qui n’est pas le nôtre, qui n’est pas encore le nôtre. Il ne s’agit pas d’être étroit, il s’agit de proposer, de déboucher sur des formes théâtrales, sur des tonalités théâtrales qui soient élevées et qui en même temps soient très liées à notre vécu, à notre culture.

COMMENT SORTIR DU MOULE ARISTOTELICIEN ?

A.K. : Il y a la démarche théâtrale qui consiste à tenir un discours sur la réalité, et, celle qui propose une peinture de la réalité.
Où se situe la tienne ?
A.Alloula : Entre le discours sur la réalité et la peinture de la réalité, moi je proposerai une troisième démarche : en fait, une synthèse poétique de la réalité. Cette image rendrait mieux compte de mon travail personnel. Maintenant, chacun travaille selon son support idéologique, sa conception du monde. Certains se mettent à vouloir transposer la réalité. En fait, il y a toujours un travail de synthèse, que ce soit un discours sur la réalité ou que ce soit une reproduction, il y a toujours un passage d’un terrain à un autre. Il y a toujours le détail qui montre que ce n’est pas la réalité. Là, il y a plusieurs écoles, plusieurs courants. Chacun se déterminant avec ses mots, la connotation, la charge personnelle qu’il endosse ou qu’il fait endosser aux mots. Moi, je parlerai plutôt de synthèse poétique de la réalité. IL y a toujours un travail sur la réalité, on part toujours de la réalité…
A.K. : ...Qu’est-ce à dire ?
A.Alloula : Notre activité théâtrale est encore dominée par l’amateurisme, par une approximation. C'est-à-dire que nous n’avons pas encore dégagé les recherches. Nous n’avons pas en la matière un gros capital de connaissances et de pratiques. Elle est dominée par une démarche de type amateur, une démarche pragmatique, une démarche instinctive. Et, nous n’avons pas encore, comme je le disais toute à l’heure, débouché sur un théâtre de tonalité majeure. Nous sommes encor au niveau de la pratique approximative d’une part, et d’autre part, il se trouve que les caractéristiques qu’on vient de souligner sont précisément propres au théâtre amateur, particulièrement. C’est à dire que le théâtre amateur dans notre pays est encore au niveau du manifeste, le théâtre de manifeste. Et c’est peut-être tant mieux. Ce théâtre de manifeste, de mon point de vue, explique un tas de choses. Il explique d’abord que notre jeunesse, nos jeunes amateurs du théâtre sont à la recherche de cadres d’expression démocratique.
Cela explique aussi que dans leurs représentations, ils manifestent le fait que la vie sociale, la vie quotidienne en Algérie est fortement politisée. C’est précisément parce que c’est une société en mouvement, c’est une société à l’intérieur de laquelle les luttes sont très denses.
A.K. …Et souvent sourdes…
A.Alloula : …Même si elles sont sourdes, elles se manifestent souvent au grand jour. Et puis, il y a aussi, au plan de la pratique proprement
Artistique, un carcan, à savoir le moule aristotélicien de la représentation qui ne convient pas au théâtre algérien, de façon générale. Que ce soit dans la pratique amateur ou professionnelle. Donc ce moule, ce carcan, on essaie de l’éclater. Ca se traduit par ce type de théâtre qui est dominé par un courant réaliste, un courant naturaliste par endroit.

A.K. : N’a-t-il pas alors risque de confusion entre théâtre et action politique ?
A.Alloula : Le théâtre ne peut pas se substituer à un parti politique comme il ne peut pas se substituer également à l’école, à l’université. Car souvent, on veut charger le théâtre de régler les problèmes d’arabisation et d’alphabétisation et autres…Le théâtre en fait évolue dans ses propres limites, dans ses propres limites artistiques. Dans tous les cas, il y a des chemins obligatoires ; le théâtre peut ressembler à l’école, le propos dramatique peut ressembler au propos politique. Dans tous les cas, il ne peut pas éviter d’être pédagogique, didactique, comme il ne peut pas éviter d’être politique, de véhiculer un propos politique parce qu’il met en scène des hommes qui pensent, qui évoluent et qui agissent. Précisément, c’est quand il refoule, quand il occulte le propos politique qu’il est le plus politique ! Schématiquement, l’activité théâtrale informe ou désinforme. Il n’ y a pas de juste milieu, dans les deux cas, elle est porteuse du politique et souvent de la haute politique. Le théâtre peut interroger l’homme extra muros, c'est-à-dire en-dehors de toutes ses contraintes quotidiennes..
A.K. : Dans ses engagements, par exemple ?
A.Alloula: Il peut l’interroger dans ses engagements, il peut l’interroger en tant qu’homme nu. En marge de la société, un moment, le moment de la représentation. Et il peut l’emmener à réviser, à revoir ses profondes convictions. En quelque sorte, là aussi, l’art théâtre peut avoir ce mérite de sortir l’homme politique son cadre politique pour l’interroger politiquement. En fait quand je pense à Sophocle, à Eschyle, à Euripide, à Aristophane, c’était pour l’époque, je m’interroge, de la haute politique ! Chez Aristophane, c’était de la haute politique sans avoir à énoncer le baba…
A.K. : Donc haute politique opposée à propagande ?
A.Alloula: …Pas opposée, différente de propagande, différente d’agitation ? Différente par démonstration scientifique. Pas question que l’art théâtral se substitue à la démonstration scientifique, livresque. Il est évident qu’une pièce de théâtre ne peut remplacer, par exemple, « El Khobza » (Le Pain), sur les problèmes de la faim, des luttes quotidiennes, autour du pain quotidien un ouvrage scientifique sur la question.
A.K. : Compte tenu du dénuement , de l’indigence d’autres relais plus naturels, le théâtre n’a-t-il pas été parfois piégé, obligé de donner des réponses à tout , sur tout ?



A.Alloula : Oui, parfois piégé. Au niveau des chemins artistiques, on peut pousser une caricature, elle devient elle-même plus éloquente que tout
un discours politique.
A.K. : Justement, devant un théâtre qui veut trancher par le raccourci, le public ne risque –t-il pas de se limiter à la caricature ?
A.Alloula : Il y a indigence en même temps qu’il y a des raisons objectives tant historiques que culturelles. Il se trouve que nous sommes tombés dans cette erreur du schématisme, des raccourcis, de l’économie de lectures. Mais en même temps, c’était inévitable. Il se trouve que nous n’avons pas de grandes traditions derrière nous. Nous sommes tous à l’école de la démocratie. Ca se voit tous les jours, dans une réunion syndicale ou autre. Il n’ y a pas de capital culturel qui produit ses références, qui produit un gestus culturel. En matière d’activité théâtrale, nous n’avons pas derrière nous de grandes analyses sur la représentation, sur les modes d’agencement de la représentation etc. Nous commençons à peine à essayer de refaire jonction avec notre patrimoine culturel. Je crois que ces erreurs étaient inévitables. Maintenant, il y a la vie qui travaille, qui émousse ces comportements. Ici et aujourd’hui le schématisme s’essouffle : le discours démagogique n’accroche plus parce que les luttes et les comportements s’affinent et commencent à naître et se développer des traditions de lutte, de réflexion ou d’étude. Je crois que c’étaient des travers, des passages obligés. A présent, on voit plus clair en nous, dans notre société, dans notre organisation sociale et parce qu’il y a la vie, le citoyen accède à la culture, progressivement, lentement.





LE DIT DU MEDDAH ET LANGUE DU TERROIR


A.K. : Qu’en est-il de la question de la langue dans le théâtre ?
A.Alloula : En ce qui concerne la langue théâtrale, personnellement, j’ai toujours été intéressé par les aspects linguistiques au théâtre. Déjà en tant que metteur en scène, je privilégiais le travail sur la langue , sur les intonations, sur les couleurs vocales parce que tout simplement je me rendais compte que dans la vie, ce qui était parlé dans ma famille, dans la rue sonnait plus beau que ce qu’on représentait au théâtre. Ensuite, sur le plan de l’écriture, j’essayais de travailler mes phrases, l’agencement linguistique pour convaincre au mieux, pour être le plus juste possible. Par la suite, ce travail, ces préoccupations m’ont beaucoup aidé au niveau de « Lagoual » (Les Dires) et de « Ladjoued » (Les Généreux) où il s’agissait d’investir davantage le mot et de réaliser un travail linguistique plus important. Nous sommes en train de passer à un théâtre de narration. Nous sommes dans un théâtre narratif qui privilégie le mot à l’action, qui induit l’action dans le mot, dans la narration. Et de ce fait, il y a un travail en profondeur sur l’agencement linguistique. Nous avons constaté que l’art théâtral était lui depuis toujours induit dans la poésie…
A.K. : … A l’origine du théâtre, il y a le poème ?
A.Alloula : A l’origine de notre poésie, il y a théâtre ou il y avait activité théâtrale. Il y a comme ça dans les civilisations, par moment, des arts qui s’induisent dans d’autres dans les arts porteurs. L’art théâtral est porteur de plusieurs arts. Au niveau de l’opéra, par exemple, la musique est porteuse de l’art théâtral. Il est induit dans la musique. Donc, nous avons constaté précisément, alors qu’on cherchait l’art théâtral dans les canons aristotéliciens dans la vie sociale, il était simplement présent, induit dans la poésie. Qu’on se réfère aux manifestations de type théâtral ou à la Halqa , nous constatons que c’est de la poésie dramatique. Tout est dans le récit. Ce sont des récits hautement poétiques. Je me réfère aux contes que racontent nos mères, nos grands-mères, à la Halqa. Ce sont de grandes épopées, de bons poèmes qui sont dits et chantés. Tout cela se fait dans la langue du peuple, dans la langue populaire qui est très riche, qui recèle un capital linguistique énorme, qui contient souvent des mots qui nous viennent de la Djahiliya . Mots totalement oubliés par l’arabe dit classique. Le problème au niveau de la langue populaire c’est qu’elle n’a jamais été pratiquée de façon précieuse, qu’elle n’a jamais été écrite. Du point de vue de l’utilisation de la morphologie et de la syntaxe, c’est bon. Mais il n’ y a pas eu de travail de travail morphologique et syntaxique parce qu’il n’ y a pas eu de support écrit…




VERS UN THEATRE DE TONALITE MAJEURE

A.K. : …Par mépris ?
A.Alloula : …Et parce que le peuple s’est retranché sur l’oralité. Par exemple, un mot nouveau, tel que « Moustachfa » ( hôpital) n’était pas du tout employé dans le langage populaire , il y peut-être quinze ans. Tout le monde disait « Sbitar » ( de la déformation du mot français « hôpital » NDLR ). Moustachfa en tant que mot n’existait pas. Mais « Chiffa » (guérir) existait. Les applications d’une forme à un verbe, les différents jeux grammaticaux se sont appauvris parce que la langue s’est retranchée dans l’oralité. Cela dit, le travail du dramaturge sur la langue n’est pas du tout celui du linguiste ni celui du grammairien. La préoccupation première du dramaturge est le langage artistique. Dans le langage artistique c’est un ensemble d’éléments qui font entrer dans des systèmes artistiques. Et dans cet ensemble d’éléments, il y a le mot, il y a la langue. En fait, le dramaturge confectionne sa propre langue si j’ose dire, sa propre façon d’agencer ses phrases. Dans le texte théâtral, il y a des respirations, des silences, des onomatopées, il y a le geste, qui tous participent de ce langage artistique. Il ne faut pas retenir seulement les vocables. C’est un ensemble d’éléments : la musicalité d’une phrase peut, par moment, être plus importante chez le dramaturge. On peut travailler la musicalité d’une phrase beaucoup plus que le sens. On va de plus en plus vers une unité de parler, vers une unité nationale. Mais ça c’est le mouvement naturel de la société et de la langue dans la société. Maintenant, le travail du poète ou du dramaturge est autre. Il a son registre propre, à lui, sa relation très particulière avec son capital linguistique. Chez le dramaturge, il y a un travail spécifique. Il peut privilégier, par exemple, un mot qui se dit à Constantine plutôt qu’un mot de sa région. Et je le fais. La pièce « Ladjoued » n’a pas rencontrée, à mon avis, ce type de problème. Au contraire, des spectateurs d’autres régions qui ont trouvé un plaisir tout particulier à suivre « Ladjoued » qui est pour eux en parler oranais. En plus des comédiens qui ont des intonations qui ont des couleurs locales. Des fois, ce n’est plus un obstacle mais un plaisir supplémentaire.
A.K. : Et la question de l’accent ?
A. Alloula: C’est un autre problème. Effectivement jusqu’à un certain temps, dans nos représentations, il n’ y avait pas d’unité de parler. C’est v rai que l’accent algérois dominait. Mais là, on parlait du capital linguistique, du fonds linguistique. Là, malheureusement, quand je pense à certaines pièces que nous avons jouées dans le temps, elles étaient nettement, du point de vue de la valeur, de la beauté , le texte dramatique était inférieur à la beauté du parler de Bab El Oued ( Quartier populaire d’Alger haut en couleurs NDLR), beaucoup plus riche, plus beau. Maintenant, l’accent c’est une autre paire de manches…



GENS ET PERSONNAGES DE M’DINA DJEDIDA

A.K. : Un point subsidiaire ?
A. Alloula : Non, c’est un problème technique. Malheureusement, on ne travaillait pas assez ces aspects. L’unité d’accent dans les représentations, notamment les toutes premières au niveau du TNA – qui regroupait des artistes de Constantine, d’Alger, d’Oran- c’était une cacophonie du point de vue des accents. Il n’y avait pas d’unité d(accent, ce qui est un élément de base et qui est un aspect purement technique. On ne travaillait pas suffisamment les intonations, les couleurs vocales, les respirations. Mais ce sont des aspects techniques qu’on peut dépasser sous la direction du metteur en scène. Il se trouve que j’ai grandi dans un milieu populaire. L’important de ma jeunesse, je l’ai passé dans les milieux populaires. Nous habitions M’Dina Djedida ( Ville-Nouvelle ) à Oran, dans une petite maison de style arabe ( « haouch ») où il y avait 17 familles qui vivaient les uns sur les autres. J’ai donc longtemps observé et vécu avec ces couches. Je me suis abreuvé de leurs valeurs morales. Il se trouve qu’aujourd’hui je suis plus à l’aise dans ces couches parce qu’à mes yeux elles représentent le pays. C’est là que j’ai le pouls, les pulsations réelles de notre société. Il y a certains personnages de la vie qui m’ont marqué à vie, que je propose dans certaines de mes pièces et qui reviendront certainement dans d’autres. Parallèlement, j’allais au lycée, je lisais les grands romans. Je voyais ces personnages comme sortis de romans. Ils endossaient de grandes aventures, de grandes charges, de grandes responsabilités, de très gros problèmes. Dans le milieu des couches moyennes auxquelles j’appartiens, je constate que les préoccupations sont de type égoïste, éphémères. C’est toujours éclaté, incohérent… Je constate que les individus changent, affichent de grands principes, le lendemain, ils sont tout à fait autres. Ils n’ont pas du tout la charge des personnages que j’ai connus quand j’étais jeune. Ils n’ont pas du tout la même linéarité…
A.K. : La même constance ?
A.ALLOULA : …La même constance que ces personnages. Voilà pourquoi je privilégie ces personnages qui sont tout à fait des héros et qui sont éminemment positifs dans leur comportement de tous les jours. Je me souviens de leur générosité, je me souviens de leur optimisme, de leur humanisme. Dans Ledjouad, quand je traite de la générosité, je me réfère à ces gens-la qui savent tout donner sans rien demander en échange. Pour moi, c’est plus complexe que de catégoriser les personnages en héros positifs et en héros négatifs. Je considère que la vraie vie, la société est reflétée dans ces couches. C’est là que se situe l’Algérie profonde. C’est donc sur ce terrain que je vais puiser mon inspiration, que je vais observer, que je vais écouter.
A.K. : Mais sont-ils présentés, révélés dans leurs contradictions, leur grandeur et leurs petites lâchetés ?
A.ALLOULA : Ils ne peuvent être révélés que dans leur contradiction. Il est pratiquement impossible de les révéler de façon linéaire parce qu’ils sont, bien sûr, très complexes, très vivants. C’est en ce sens que je disais qu’ils accomplissaient des faits hautement positifs. Ce sont des êtres humains qui avancent par contradiction, qui ont leurs contradictions, leurs propres problèmes. Je ne parlerai pas de lâcheté mais de niveau de connaissance, de niveau de conscience. Parmi eux, il y a des individus, une minorité qui a des niveaux de conscience, de sérénité, d’analyse. Ils m’apparaissent comme des colosses, comme des imprenables. Ils assument de façon permanente, régulière la société dans ses contradictions, dans ses problèmes ; Il y a un aspect que j’ai oublié de souligner : ces personnages sont toujours chargés d’insolite, de fantaisie, d’absurde… Souvent quand je les observe, leur présence remet en cause un tas de préjugés dont je suis porteur.
A.K. : Et la part d’imaginaire ?
A.ALLOULA : Oui, la part d’imaginaire, la part de fantasmes est importante mais en fait elle profondément alimentée par la réalité. Plus je pénètre, plus j’avance, plus je plonge en profondeur dans la réalité plus je constate que mon imaginaire se développe, s’autonomise même ; Plus j’observe un personnage et plus ce personnage habille un autre personnage imaginaire, plus il le colore. Bien sûr intervient l’imaginaire, tout le travail artistique, tout le travail du dramaturge. Mais l’imaginaire n’est pas autonome, c'est-à-dire qu’il n’est pas isolé, il est profondément lié à la réalité. A tel point que par endroit, je m’en échappe totalement pour confectionner un personnage tout à fait à part, différent, pour qu’on ne puisse pas reconnaître le personnage de la réalité. En fait, je débouche sur un personnage qui est peut-être plus réel que le personnage de la réalité. Ca nous est arrivé avec un personnage connu dans Oran. Pour Ledjouad (Les Généreux), je suis parti de deux êtres sociaux, personnages connus à Oran pour en composer un seul. Mais les spectateurs qui connaissaient l’un des deux, ils ont « vu » le personnage de la vie, le personnage réel. Ils sont allés lui demander des renseignements sur des détails et lui dire : « tu nous as caché ceci ou cela » Ils ont chargé le personnage de la réalité des traits , du caractère de celui de la fiction ! Il a dû leur dire : « je n’y suis pour rien, je suis innocent » .Lui-même est venu à la représentation. Il était perdu Par moment, il ne savait si ce qu’on disait était sérieux…

A.K. : Les personnages ne sont pas là pour habiller un discours ?
A.Alloula: Jamais. Ils ne sont pas là pour supporter un discours déjà confectionné. Je m’amuse même, j’implique dans le cadre de la méthode de travail, avant de commencer à écrire à vérifier sur le terrain. Je mets beaucoup de temps à écrire une pièce. D’abord à partir d’une idée, je commence une série d’interviewes, une série de discussions. Ensuite, j’accumule un maximum d’informations sur la question, sur l’idée. Je me documente au mieux et puis j’élabore un synopsis ou un plan de développement de l’idée. Je soumets cette idée à des amis, à des gens qui seraient concernés par le problème.
Je confectionne alors le plan de la pièce proprement dite.

Entretien réalisé par Abdelmadjid Kaouah
A Oran le 25 septembre l985





Notes


Arabisation : action de restauration et de généralisation de la langue arabe classique, parfois en confusion avec les campagnes d’alphabétisation ( le plus souvent en français entamées au lendemain de l’indépendance). Le théâtre fut à la fois le lieu de luttes et d’affirmation pour une langue arabe proche de celle pratiquée par le peuple dans sa vie de tous les jours. La langue berbère restait à l’époque complètement occultée. Aujourd’hui il existe un théâtre en Tamazight et diverses pièces du répertoire universel commencent à être traduites.

Aristotélicien : La Poétique d’Aristote influence toute la dramaturgie occidentale.
Aristote ne s’intéresse qu’à trois genres : l’épopée, la tragédie et la comédie. Pour lui la notion centrale est l’action dont les actants sont les hommes.



HALQA : Pendant longtemps les places des villes et des villages maghrébins ont été des lieux de vie et d'échange. Sur ces places, conteurs, acrobates, processions et musiciens reproduisaient les gestes ancestraux et répétaient les paroles poétiques. Ils transmettaient leurs savoirs et étaient les artisans d’une véritable culture populaire. Etymologiquement, Halqa signifie cercle. Il s’agit donc de la réunion du Meddah ( en quelque sorte le Coryphée) , le barde qui joue un rôle central dans la représentation et la transmission par la narration. Les spectateurs participent de cette dynamique. Et les décors sont réduits à leur plus simple expression au profit de l’image véhiculée par le mot et par la musique et le chant qui tiennent une place de premier plan. L’action elle-même est le produit de la dynamique du verbe et de ses scansions.

Djahiliya : ère anté-islamique, qui eut ses grands poètes

Constantine : métropole de la région Est de l’Algérie

Meddah : Barde , aède, conteur, connu aussi comme « Goual » : Le Diseur, Clairchantant


Abdelhalim Raïs : Comédien et acteur, auteur dramatique, l’un des fondateurs de la Troupe de théâtre du FLN, fondée le 12 avril 1958, à Tunis.

T.N.A. : l’une des premières institutions culturelles fondées par un décret en janvier 1963 au lendemain de l’indépendance de l’Algérie par la nationalisation et le regroupement de l’ex-Opéra d’Alger et des théâtres des villes de Constantine et d’Oran et le rassemblement des compagnies et des comédiens de théâtre. Son premier directeur fut Mohammed Boudia.

Rouiched : De son vrai nom Ahmed Ayache. Autodidacte, comédien pulaire fétiche, il a côtoyé les grands noms du théâtre algérien. Au T.N.A., il est l’auteur de plusieurs pièces :
« EL Khobza »(Le Pain), « Hassan Terro ». Cette dernière pièce portée à l’écran par le cinéaste Mohammed-Lakhdar Hamina lui vaudra la consécration.

Cf. : Théâtre algérien, Itinéraires et tendances.
Thèse de doctorat de Ahmed Cheniki. Université Paris IV.







ICONOCLASTE







Jean Genet : blessure de Palestine


Un Captif amoureux fut le dernier livre de Jean Genet. Une œuvre testamentaire, publiée l’année même de sa mort, en 1986. Il avait repris sa plume après de longues années de silence. Après l’horreur de Sabra et Chatila. Il avait consacré son livre, emblématiquement, à son compagnonnage avec la cause palestinienne pendant une quinzaine d’années. Homme d’engagement radical, il en avait déjà donné la mesure à l’égard des Algériens, des Vietnamiens et des Noirs-américains, plus précisément les Black Panthers. . Témoin solidaire dans les camps palestiniens et voix des sans-voix, il fait œuvre aussi de poète dans sa passion pour les minorités opprimées. Il a ainsi comparé le destin des Palestiniens à une tragédie shakespearienne. De ce compagnonnage avec les Palestiniens avec la résistance palestinienne inaugurée depuis Septembre noir en Jordanie à Sabra et Chatila au Liban, il retrace ainsi ses voyages à l’intérieur « d’une forêt de souvenirs, de réminiscences rebelles à la chronologie aux repères d’usage car « chaque souvenir , moins d’une goutte de parfum peut-être fait revivre l’instant défunt non selon sa fraîcheur vivante de cette époque mais autrement, , je veux dire revivant d’une autre vie ». Rien n’est fictif donc hormis l’art et la manière avec lesquels Jean Genet le fixe. Selon l’auteur, le lyrisme irréalise à l’époque les Palestiniens. Et la vague d’écrits sur la question escamote par l’excès d’images et de métaphores la consistance du fait palestinien. « Une espèce d’obscurité blafarde, une nuit de neige par exemple dissimulait tout, et la neige ne cessait de tomber, alors tout vraiment, tout, depuis la barrière du pré, le feddaï en sueur ou en sang la femme en couches, le bois des sapins, les camps, les boîtes de conserve, tout fut recouvert d’une couche de mots, toujours les mêmes et dissimulant en fin de compte tout ce qui avait trait à la Palestine… », écrit Jean Genet.
Faut-il ici rappeler l’emphase qui fit si longtemps office d’exorcisme de la tragédie palestinienne dans le monde arabe. Et qui par bien des côtés continue à sévit et à faire illusion et écran à la complexité des enjeux…
J.Genet l’avait bien vu : Entre l’injonction à combattre et l’étalage du lyrisme, la vocation tendait plutôt vers la deuxième alternative. Aussi avec beaucoup appréhendait-il l’utilité de son propre texte. Mais la puissance radioactive d’une attirance comme amoureuse dicte à l’écrivain le devoir de transcrire ses souvenirs : Hamza le fidaï et sa mère rencontrée à Irbid ; figure de piéta, obsessionnellement présente quatorze après. Hamza et sa mère, sorte de couple mythique de la révolution palestinienne. «Le point fixe, cette sorte d’étoile Polaire, c’était toujours Hamza, sa mère, la disparition de Hamza, ses tortures, sa mort presque certaine ; mais alors reconnaître sa tombe et la survie possible de sa mère, mais alors sa vieillesse ? Ce point fixe se nomma peut-être l’amour, mais quelle sorte d’amour avait germé, crû, s’était étendu en moi pendant quatorze ans pour un gamin et une vieille que j’avais vus, en tout et pour tout vingt-deux heures ? Puisqu’il émettait encore son rayonnement, sa puissance radioactive s’était élaborée pendant des millénaires ? En quatorze ans, mes voyages qui m’avaient conduit dans plus de seize pays, que je fusse sous n’importe quel ciel, je mesurais la surface terrestre que ce rayonnement avait irradié.»
Subsistent aussi , vivaces, les images de la résistance palestinienne dans les bases et les camps au temps de l’héroïsme insolent, les départs de nuit pour des coups de main sur l’autre rive du Jourdain., vécus comme des fêtes - funèbre cérémonial – tandis que les voix se confondaient avec les chants des ruisseaux !Se souvenir, c’est aussi frayer le chemin à la voix des autres, à leurs paroles , révéler les visages des êtres rencontrés dans les profondeurs de la résistance palestinienne..Pour l’iconoclaste Jean genet, les associations d’idées les plus imprévisibles servent à décoder le réel. Ainsi de la description toute personnelle de l’assassinat des dirigeants palestiniens, Kamal Adouan, Kamel Nasser et Abou Youssef Nedjat par un commando israélien camouflé en travestis…La gravité n’exclut pas chez lui l’humour. En guise de commentaire à la légitimité d’Israël, Genet note : « Aussi fortiche que Shakespeare. Ereztz Israël fit avancer des forêts »….
C’est dans une chambre d’hôtel, seul qu’il s’est éteint. Dans son parcours, tour ensemble, la comédie et le martyre se donnèrent rendez-vous. Jean-Paul Sartre qui avait peu avoir avec les choses de la théologie, le sacra néanmoins Saint-Genet. Solitaire, ce dernier fut en fait prodigue en solidarités. La droiture de son itinéraire reste exemplaire. De la prison de sa jeunesse aux rayons de la Pléiade, il n’eut qu’un seul vertige : la passion des opprimés. Les Palestiniens l’occupèrent avec ferveur jusqu’à la fin de sa vie. Tahar Ben Jelloun a écrit à ce propos : « Ce qui l’intéressait le plus à la fin de sa vie, c’était le sort du peuple Palestinien. Son dernier roman Un Captif amoureux est l’histoire de Hamza, un combattant Palestinien à la recherche de sa mère. Et si c’était de la mère de Jean Genet qu’il s’agissait ? Il était captif d’une blessure, celle de l’enfant abandonné par sa mère ». Et quel aveu plus significatif de son lien avec les Palestiniens : « Quelle sottise. Je n’ai jamais aidé les Palestiniens. Ils m’ont aidé à vivre.» !

A.K

Jean Genet : Un captif amoureux, Gallimard, 1986

AVATARS

De l’inquiétude d’écrire



Entre les deux rives de la Méditerranée l’interrogation de Jean-Paul Sartre, Que peut la littérature, reste –t-elle de mise ? Mohamed Dib qui vivait au cœur de l’Europe, était conscient des nouveaux chemins que la littérature, en particulier, le roman avait empruntés en Occident. La connivence entre la fiction littéraire et l’histoire collective ( illustrée par les romans fleuves, tels Les Misérables, Guerre et Paix, Les Thibault ) avait cédé inexorablement la place à l’émergence des profondeurs de l’individu , du moi, de ses complexes spéculations cérébrales ( Bonjour tristesse) Imaginaire, abysses, narcissismes s’ouvraient de vastes « Rivages des Syrtes ».
Le « nouveau roman » après une période de controverse et d’adversité aujourd’hui refermée a pris finalement figure dans le Salon de glaces du classicisme.
Et la question morale de la responsabilité en littérature résonne dans une terrible solitude, comme une vieille lune vouée aux remises de l’historiographie littéraire ? Dira –t-on assez ce que la littérature maghrébine est redevable à Mohamed Dib. Il nous a donné dès Dieu en Barbarie (Le Seuil, 1974) une lecture vivifiante et prémonitoire des dérives qui guettaient un pays dont les grandes promesses allaient t s’étioler au gré de l’impéritie des pouvoirs.
Dans Les Terrasses d’Orsol (La Bibliothèque Arabe, Sindbad, 1985), il nous confiait la fable tragique d’une planète à deux vitesses dont les contrées prospères s’érigeraient en forteresses inaccessibles face une humanité en déshérence. « Aujourd’hui c’est nous les barbares (…) Dieu serait bien inspiré de venir faire un petit tour parmi nous aussi, parmi nous surtout, qui ne croyons plus qu’en des sorciers » Quand on arrive d’un monde où le pain quotidien et la santé ont cessé depuis longtemps d’être un problème, on ne voit pas la misère physique et morale qui afflige le nôtre, mais seulement sa « sainteté ». C’est tout à fait naturel ! Mais pour qui, si je puis dire, cette misère constitue le pain quotidien, c’est une nourriture des plus indigestes, je vous assure » En effet, il n’a jamais cessé de méditer sur la place de la littérature dans la société. Dans une postface à La Nuit sauvage (Albin Michel, 1995), il posé sans détour les termes de la problématique à laquelle devait faire face un écrivain du Sud.
« A quelle interrogation plus grave que celle de sa responsabilité, un écrivain pourrait-il être confronté ? C’est mal poser la question, elle doit être retournée ; nous dirions mieux en nous demandant : cela a-t-il un sens qu’on se répande en écrits et n’ait pas en répondre ? Pour les avoir écrits et tout bonnement pour avoir écrit. L’Occident aujourd’hui paraît s’être libéré de cette préoccupation, avoir disjoint les deux choses : écriture (romanesque) et responsabilité (morale). Doit-on, et peut-on, partager partout une telle position ? »S’interroge Dib. Et d’y répondre : « Je pense qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas ….Je n’irais certes pas appeler le malheur sur une société pour la gloire (ou l’indignité) de la littérature ».

Or, si le pas n’a jamais été franchi par Dib, et encore par de nombreux écrivains maghrébins, il semble que dans le domaine de l’édition, en Europe, et y compris dans le Sud, cette hypothèse tend à devenir une stratégie littéraire. Eloquent à plus d’un titre, l’entretien de la sociologue Christine Detrez., sous le titre « La belle et le kamikaze » (réalisé par Brahim Hadj-Slimane in L’Expression du 15 décembre 2007).
Dans le sillage de Bourdieu et d’Edward Saïd, elle évoque le spectre d’un « néo-orientalisme » qui hante les maisons d’édition parisiennes. Pour éviter toute équivoque, il faut réaffirmer sans ambages que les méfaits de l’intégrisme meurtrier défient l’imagination. Ce n’est pas cela qui est épinglé, récusé mais les conditions et les structures éditoriales qui décident en « métropole » de la parution ou non d’un titre. La sociologue note « lorsqu’on regarde les textes publiés en France et l’éclairage donné par les romancières, on se rend compte qu’on est souvent dans ce que j’appellerai des situations de quiproquo culturel. Par exemple, des situations de subversion d’écriture qui peuvent l’être en Algérie, lorsque le texte y est publié, mais qui, en France, deviennent quelque chose d’attendu et de commun. Cela est visible lorsqu’il est question d’un témoignage ou d’une expression de soi, de son corps ou d’expériences privées, où ces questions deviennent des détours par lesquels la romancière reste confinée ».
Certes, il y a plus d’une nuance entre une production sociologique et un écrit littéraire. Encore davantage avec les publications de témoignages.
Karim, mon frère intégriste et terroriste de Samia Labidi (Flammarion, 1998), par exemple, n’a sans doute pas de grandes affinités avec le récit « Tuez-les tous » de Salim Bachi (Gallimard, 2006). Ce qui n’enlève ni à l’un ni à l’autre son intérêt. Il suffit tout simplement de ne pas mélanger les genres .Autre illustration : on se rappelle « Moi Nadia épouse d’un émir du GIA » un « grand reportage » décapant de la journaliste Baya Gacemi, écrit au plus fort de la « tragédie algérienne ». Avatar tout récent : La vie sexuelle d’un islamiste à Paris, (Albin Michel, 2007) de Leïla Merouane. Le clin d’œil au best seller de Catherine Millet doit être plus qu’involontaire…
Et le roman en lui-même est autrement plus digne d’intérêt que le titre dont il a été affublé.
En février 1993, Mohammed Dib, donnait un texte inédit à l’hebdomadaire Ruptures dont la rédaction en chef était assurée par Tahar Djaout. Selon ce dernier, c’était le premier texte que l’écrivain ait « publié en Algérie depuis son exil ». Lequel remontait à 1959. . Le texte s’intitulait : « ECRIVAINS, ECRITS VAINS ».
A.K.

LE LOGO ETOILE







Insigne Khadda




En septembre de l’année 1975, nous étions quelques-uns (certains aujourd’hui disparus, dispersés à travers dans le monde) a nous lancer, quasiment sans expérience, à quelques exceptions, dans une aventure éditoriale, a la fois, exaltante et éprouvante. Mais ceci est une autre histoire dont l’écriture ne peut être que collective dans la mesure où elle se voulait quasi-auto-gestionnnaire…pour reprendre concept obsolète. Mes confrères corrigeront les défaillances ma mémoire. Je pensais a l’époque, à l’instar de mes compagnons de route — que la langue arabe proclamée a cor et a cri <> devait cohabiter dans une entente fertile avec la langue française. Par choix, et dans une intention symbolique, nous avions avec l’assentiment, longuement, sinon âprement discuté, fait concevoir le logo du journal de manière bilingue.



El Wihda -L’Unité. L’arabe, bien entendu, pour respecter les convenances posées avait la préséance. Mais dans la communication courante, a l’époque, le litre était surtout connu, cité — en bien ou en mal — en français. En arabe, elle donnait m^me lieu dans la bouche d’un haut responsable de l’Egide (Allah Yarhamou) à un ironique jeu de mots… Le logo était, si mes souvenirs sont bons, que c’était notre calligraphe de l’édition en arabe qui l’avait conçu.
Quel ne fut notre agréable étonnement de recevoir après les tous premiers numéros une longue lettre de l’artiste-peintre Mohammed Khadda. Une longue missive ou l’artiste se réjouissait de la parution du titre, du parti-pris graphique du logo et, en retour, signalait, avec force détails quelques imperfections auxquelles il proposait des réajustements. Il avait pris la peine jusqu’à redessiner le logo. Chacune de ses remarques était longuement argumentée. Pour les novices que nous étions, nous ne pensions pas que derrière le choix d’un logo pouvait se cacher une méditation plastique. Notre calligraphe, un vieux routier de la presse et du kalame (et de la colle dont il faisait grand usage, si je ne m’abuse) avait fait pour le mieux en dormant forme a une espèce d’article de foi juvénile, et tout compte fait sinon malhabile, du moins perfectible. Mohammed Khadda, sans donner des leçons, et de du ton le plus humble s’était intéressé à un travail préexistant et lui donnait plus belle et lui donnait meilleure allure. Nous nous sommes vus honorés par ses suggestions dont nous nous appliquâmes à faire bon usage…Pour la plupart Mohammed Khadda était un nom connu, respecté, surtout par ouïe dire et quelques expositions arrachées à a l’ académisme <> de ce temps. Une auto-célébration qui déjà résonnait de façon monotone, tournée vers la glorification
Excessive des hauts faits guerriers que feu Mostéfa Lacheraf diagnostiquait et fustigeait, y compris dans une solitude officielle. Pour ma part, je e n’avais pas encore pris connaissance l’étude de Khadda sur le Maître de Baghdad le calligraphe Yayha El-Wassiti (1237 J.C. - 634 de L’Hégire), illustrateur des Maquâmât d’El Harirl. Et pour cause, l’étude n’a pu voir le jour qu’en 1976 alors qu’elle datait de 1974.Elle ne sera d’ailleurs disponible en Algérie que dans les années quatre-vingt, reprise dans un ensemble, « Feuillets épars lies » (Alger, 1983). Mohammed Khadda déconstruisait avec force arguments l’affirmation consacrée qui justifiait la non représentation de la figure humaine. Exemple de El-Wassiti a l’appui, Khadda écrit: >. Et par El-Wassiti interposé, il met en exergue les <>, il cible autant les orientations
Institutionnelles léguées par les <> que le conservatisme artistique. qui figerait les arts plastiques algériens dans une <>.
Intraitable sur la nécessaire approche critique du passé, il l’était autant, sinon plus sur- les questions de l’avenir. Surtout en ce qui concerne l’éducation artistique des enfants.
Après avoir pris notre logo par les cornes, il nous fit le présent d’un article sur les méthodes employées à l’école pour l’apprentissage du dessin. Une forme de terrorisme pédagogique contre l’imaginaire de l’enfant... L’avons-nous rencontré à cette occasion ?
Je n’en ai pas souvenance, c’est plus tard que je situe notre rencontre, a la fin des années 80, quand les prémices des tragiques événements d’Octobre 88~e profilaient a l’horizon, Mohammed Khadda était un artiste-peintre internationalement connu, a l’apogée de son travail créatif.
Chargé de concevoir un supplément culturel, je fis cette fois directement appel à M. Khadda. J’eus enfin le plaisir, exceptionnel — de le connaItre, de réfléchir et de travailler pendant de nombreuses semaines avec lui, y compris chez lui, où son épouse, me donnait a découvrir, après ses talents d’enseignante, ses dons d’hôtesse. Autour du thé apprêté par elle, j’infligeais mes conceptions graphiques assez décousues à M. Khadda qui m’écoutait avec patience. Lui, travaillait ferme pour préparer la maquette du supplément. Une fois prête, combien grande sera notre déception La technique n’avait pas suivi, à l’exécution. Khadda avait conçu — et cela pour un modeste supplément — une maquette originale qui sortait des sentiers battus. Autant de temps, d’énergie — et de cafés bavards avec moi—dérobés son œuvre de créateur. Il en avait les larmes aux yeux et je n’exagère pas...Venons-en a la troisième péripétie d’une relation entamée sous le signe épistolaire et prolongée par des rencontres de travail. Loin des mondanités que Khadda, d’après ce que j’ai, tenait en piètre estime. C’était les lendemains douloureux mais féconds des Journées d’Octobre 88. Mohammed Khadda, qui avait connu des sa prime jeunesse ’oppression colonialiste, qui s’était
Investi dans la cause de l’indépendance pouvait se taire devant les pratiques d’un autre âge : la torture.
En plus de ses interventions publiques, il s’était attaché à réunir sans exclusive tous les textes jaillis du grand orage d’automne qui avait bouleversé l’Algérie. Ce devait être une manière de panorama de témoignages, de récits, de nouvelles, de poèmes jetés a chaud sur le papier. Ecrits d’Octobre ou devait figurer les réactions tires d’une aphasie intellectuelle provoquée par l’ampleur d’un drame qui dépassait toutes les supputations politiques de l’époque. Pour l’essentiel, les textes étaient des
écrits d’urgence, sans prétention littéraire. Mais pour Mohammed Khadda, l’important était de faire rejoindre les crissements de la plume aux cris de la rue. Enfant du peuple, ayant très tôt lutté pour gagner son pain, il n’a jamais laissé en lui l’artiste distancier l’homme.
. Mais voilà que la maladie s’empare de son corps et que la mort le frappe avec une rapidité foudroyante. Sa mort, comme celle de Kateb Yacine, de Bachir Hadj Ali allait comme inaugurer un rituel interminable des deuils. Signe, logo étoilé, que restera Khadda. « Au plus haut des flammes /ciel zébré de lueurs/ errance d’un chant marin/il nous renvoie ce qui luit en lui ». C’est là un extrait qui lui est dédié dans « Soleils sonores ».de Bachir Hadj Ali, ouvrage réalisé, illustré et publié par
ses soins (Alger 1985).Sa mort, comme celle de Kateb Yacine, de Bachir Hadj Ali et d’autres, allait comme inaugurer un rituel interminables deuils. Ils s’éclipsaient, tôt, harassés de luttes, comme pour empêcher l’intolérable ou ne pas être présents aux carnages fratricides.






Abdelmadjid Kaouah



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Les maladies infantiles de l’’Indépendance in Écrits didactiques (sur la culture, l’histoire et la société). Enap, Alger, 1988.

Europe, n’ 567-568, Juillet-Août 1976, consacrés à la littérature algérienne.
Une Poésie au Sud : Jean Sénac, archives de La vile de Marseille,1983.

A signaler que M, Khadda est également l’auteur d’un essai: Éléments pour Un art nouveau, Unap, 1972.

PARMI LES AMANDIERS Hussein Al-Barghouti







Résurrection à Ramallah

C’est le récit d’un mort. Avant même de terminer la première page, on sait que le narrateur est engagé dans un voyage sans retour. Sur plusieurs plans, celui d’une inexorable avancée de la mort dans un retour salvateur à l’enfance et une pérégrination à la fois métaphysique et panthéiste dans les tréfonds de la nature et de l’histoire Autant de directions qui cheminent lentement vers une sorte de promesse de résurrection. Celui qui nous dit « Je serai parmi les amandiers » se nomme Husseïn Al-Barghouti. Il est Palestinien, né dans le village près de Ramallah, en 1954. C’est un brillant universitaire, titulaire d’un doctorat en littérature comparée aux activités littéraires et artistiques multiples. Poète, parolier, dramaturge, scénariste et essayiste, il compte parmi les fondateurs de la revue Al Shu’ara (Les Poètes) publiée par la Maison de la poésie de Ramallah. Il a connu l’exil aux Etats-Unis où il a vécu une trentaine d’années. Donc, pour ceux qui sont à l’écoute de la création palestinienne, l’une des plus remarquables dans le paysage littéraire du monde arabe, Husseïn Al Barghouti n’est pas un inconnu. Il avait déjà attiré fortement l’attention avec Lumière bleue, oscillant entre le récit autobiographique et la prose poétique dans une atmosphère dense et onirique. Barghouti y tisse avec sincérité et sensibilité un réseau de ses souvenirs d’exilé aux USA, au Liban et même en Palestine après son retour. Selon Mahmoud Darwich “Probablement la plus belle réalisation de la littérature palestinienne en prose ». Pour Rania Samara, sa rencontre avec un soufi d’origine turc, mi-sage mi-fou et clochard à l’occasion, (…) marquera durablement sa vie et sa pensée ». Son second récit autobiographique, que l’on peut considérer comme son œuvre testamentaire (bien qu’il aurait laissé de nombreux inédits) est donc pareillement un voyage initiatique. Mais cette fois immobile, car atteint d’un cancer, il revient à la maison familiale près de Ramallah où il engage une corrida avec la mort. La mort en Palestine est une réalité d’ne effroyable banalité. Elle relève généralement du martyre. Et en ce sens, elle plutôt un acte, un engagement suprême, un sacerdoce auquel les Palestiniens concèdent avec fierté. Mais il en va différemment lorsque parmi son peuple, nous sommes dans la période de la Seconde Intifada, en 2002, on est déjà en quelque sorte un mort-vivant. « Il ne me reste plus d’autre place, dans cette Intifada, que de me rendre à l’hôpital de Ramallah de manière tellement répétitive qu’elle aussi en devient ennuyeuse. C’est devenu ma Mecque, mon ultime mur des Lamentations : là-bas, il y encore un espace pour moi entre les nouvelles accouchée à l’étage du dessus et les chambres froides de la morgue à l’étage du dessus. Je suis un é clopé qui erre à la lisière des évènements, à la périphérie des choses ». Ni blessé, ni martyr agonisant, notre narrateur constate qu’il une sorte de fardeau, de parasite, enfermé dans sa solitude et son destin individuel. . Il n’est qu’un vocable, une expression arcboutée entre le langage des vivants et des morts : il est « un patient ordinaire ». Si ordinaire que par les effets indicibles de la chimiothérapie, il est progressivement précipité dans une implacable introspection et une migration onirique dans les siècles et les mythes.
Mais on m’a dépouillé de mon histoire, je ne suis plus qu’un arbre à la croisée des chemins. Tout en partageant le sort de son peuple, ce « patient ordinaire » est doublement dépossédé. Par l’occupation militaire (décrite allusivement)et la maladie qui en est un développement métaphorique. Husseïn Al-Barghouti décrit à la fois une aliénation et son contre-poison : « Et maintenant le cancer essaie de me dépouiller de mon corps. En me regardant dans la glace, je me suis dit qu’il ne me manquait qu’une de ces longues robes jaunes qui seyent à un devin ou à un enfant prophète, de vieilles sandales de cuir et des orteils crasseux capables d’affronter la boue des marécages. Et qu’il ne me restait plus qu’à partir à la recherche d’un nom pour moi et d’une ville pour mon nom, dans l’histoire de ce fragment d’histoire. Je parcourrais Thèbes d’Égypte, Byblos et Babel, Palmyre, Petra et l’Andalousie, même si le pas de mes sandales n’est « qu’un lys blanc sur un chemin dévasté. »Pendant une période, j’ai adopté le nom de Tirésias pour m’adresser à moi-même. D’ailleurs il m’arrivait de changer de nom et de lieu de résidence. Parfois j’étais Marduk, le dieu suprême des Babyloniens, d’autres fois Imru’al-Qays, ou quelque commensal récitant des vers de Mutanabbî dans les tavernes d’Alep… ».
Revenu d’exil, atteint mortellement, dans l’amanderaie plantée par ses parents , l’année de leur mariage, une date combien tragique pour les Palestiniens, 1948, le temps de la Nakba, temps de la cession et de l’exode forcé, celui qui a mis des milliers de kilomètres entre lui et son origine, alors que le temps lui est mesuré impitoyablement, tisse les fis de sa résurrection par une plongée onirique au plus profond de ses racines, au plus lointain de sa présence au monde en un vertige kaléidoscopique où se côtoient Enüma Elish , récit babylonien de la création du monde, les ancêtres cananéens, , les poètes préislamiques, Imru’ al-Qays , Chanfarâ et les Sa’ âlik, poètes-brigands, Alexandre –le-Grand, Banou Hillal et leurs congénères gitans qu’accompagne le chant profond de Lorca, l’éblouissante Petra da son rêve de pierre ( c’est ainsi qu’il a baptisé son épouse), Alexandrie , les Pyramides, Ahmad Chawki et T.S. Eliot et sa « Terre vaine ». Sans oublier le verbe flamboyant sur le Cha’ tat de Mahmoud Darwich qui traverse de part en part ce livre d’une centaine de pages. Une somme savante et élégiaque, dans une belle traduction de Marianne Weiss. Chant d’adieu et de renaissance. Hussein Al-Barghouti, sans aucun doute, a paraphé dans l’histoire des lettres arabes contemporaines, un destin rimbaldien.

A.K.

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Je serai parmi les amandiers de Hussein Al-Barghouti, Sindbad/Actes Sud, 2008