samedi 17 septembre 2011

Bachir HADJ-ALI 1920 -1989



Ce jour-là

Lequel sera vainqueur humilié
Lequel sera grand dans la défaite
Dans quel pays sur quelles frontières
Ce vent hurlera-t-il
Déchiré par la lance la plus haute ?
Il soufflera sur cet enfer imaginaire
Mais ici la foule meurt de faim
Et les riches de pain
Qui triomphera ce jour-là
Des gens de la ligne droite ?
Seront-ils incirconcis
Nus des pieds à la tête
Exclus des cercueils plombés ?
Seront-ils accueillis par une lame indienne
Rougie de sang pour plaire ?
Qui triomphera de ce jeu barbare
Avec ses menaces et ses promesses vaines
Qui triomphera de la terreur
Et des puissances anonymes ?

Bachir Hadj Ali


Cantique profane

Théoricien de la culture algérienne, Bachir Hadj-Ali occupe dans la poésie algérienne une place singulière. Mais son on œuvre se réduira longtemps à une simple plaquette, Chants pour le onze décembre et autres poèmes (Nouvelle critique, 1963) en raison d’engagements politiques qui l’absorbaient.
Militant anti-colonialiste et progressiste son œuvre se place sous le signe d'une reconquête du passé historique pour légitimer le combat pour l'avenir.
La réhabilitation de la mémoire est opérée sur deux plans : la langue et la thématique.
Au plan de l'écriture, il imbrique le français et l'arabe, parfois même le berbère. Ce procédé n'est pas un simple plaquage, mais un moyen d'évoquer la grande tradition des poètes arabes, tels Ibn Zaydoun, Abou Nawas, Wallada... Ses poèmes restituent l'atmosphère du passé, la conquête au temps de la régence turque en établissant des correspondances avec les scènes de la guerre en cours. Cette plongée dans l'histoire fonctionne comme un révélateur ininterrompu de résistance aux invasions.
Musicologue, le poète s'inspire grandement des formes traditionnelles de la musique arabo-andalouse à laquelle il emprunte ses modes et ses rythmes. La langue est simple et intègre des incantations coraniques. Profondément enraciné dans le terroir Bachir Hadj-Ali tend à l'universel en récusant la haine et en réhabilitant la dignité humaine.
Cette démarche se confirmera dans ses œuvres ultérieures, écrites. Durant la guerre d’Algérie, il a dirigé le PCA. Au lendemain de l'indépendance, ses prises de position politiques lui valurent la torture et la prison : Que la joie demeure (PJ Oswald, 1970) et Mémoire-clairière (Editeurs français réunis, 1978).Dans l'œuvre de Bachir Hadj-Ali "tradition populaire et culture savante se croisent là, tout comme le cantique et le chant profane, dans une mise en question incessante du signe..." *
Mireille Djaïder in "Bachir Hadj Ali : poétique et politique",L'Harmattan, 1992 ).

Resté à l’écoute constante des jeunes poètes , Bachir Hadj a écrit à leur propos : Leurs textes arrivent « comme ces enfants du péché dont aimerait la beauté, mais dont il ne conviendrait pas de parler », comme l’écrit un aîné resté à l’écoute de la jeunesse et du langage, Bachir Hadj Ali. Ainsi, mue par une inspiration solidaire, fruit du moment et d’une génération nouvelle, une « jeune poésie » sans étiquette précise, selon des modulations diverses, étale ce qui est permis de nommer avec B. Hadj Ali: « le mal de vivre et la volonté d’être ».
Cet intérêt n’est pas le moindre d’un esprit et d’un cœur d’une grande générosité humaine.

Victime d’une longue maladie, notamment à la suite de sévices endurés en raison de ses convictions , il meurt en 1989.

A.K.




*Mireille Djaïder in "Bachir Hadj Ali : poétique et politique",L'Harmattan, 1992


Rêves en désordre

Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées
Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleues sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies
Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes
Je rêve de derricks couleur de premier ami
Je rêve de dentelles langoureuses sur les pistes brûlées
Je rêve d’usines fuselées et de mains adroites
Je rêve de bibliothèques cosmiques au clair de lune
Je rêve de réfectoires fresques méditerranéennes
Je rêve de tuiles rouges au sommet du Chélia
je rêve de rideaux froncés aux vitres de mes tribus
Je rêve d’un commutateur ivoire par pièce
Je rêve d’une pièce claire par enfant
Je rêve d’une table transparente par famille
Je rêve d’une nappe fleurie par table
Je rêve de pouvoirs d’achat élégants
Je rêve de fiancées délivrées des transactions secrètes
Je rêve de couples harmonieusement accordés
Je rêve d’hommes équilibrés en présence de la femme
Je rêve de femmes à l’aise en présence de l’homme

Je rêve de danses rythmique sur les stades
Et de paysannes chaussées de cuir spectatrices
Je rêve de tournois géométriques inter-lycées
Je rêve de joutes oratoires entre les crêtes et les vallées
Je rêve de concerts l’été dans les jardins suspendus
Je rêve de marchés persans modernisés
Pour chacun selon se besoins
Je rêve de mon peuple valeureux cultivé bon
Je rêve de mon pays sans torture sans prisons
Je scrute de mes yeux myopes mes rêves dans ma prison.


Bachir Hadj Ali




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