dimanche 19 février 2012

Alain Sèbe: L’arpenteur du désert



Dieu a crée un pays plein d’eau pour que les hommes puissent vivre et un pays sans eau pour que les hommes aient soif. Il a crée un désert : un pays avec et sans eau pour que les hommes trouvent leur âme.
Proverbe Touareg
    J’ai toujours aimé le désert on s’assoit sur une dune de sable .On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence .Saint Exupéry        

                                     On ne va pas au Sahara sans ressentir un trouble .A.S.
Alain Sèbe filmé par Mohamed Zaoui pour son film sur le chanteur targui O.Baly.

                                
                                       Ici, ce n’est que nous-mêmes que nous cherchons.                                                                                                                 Et trouverons-nous quelque chose ?
Ernest Psichari


Alain Sèbe, photographe,  arpente depuis près de cinquante ans le Sahara qu’il considère comme le plus beau désert  du monde.                               
Il est ce « voyageur des Ajjers » au long cours. Ce qui retient chez lui, outre son art de la photographie, c’est la manière tranquille dont il évoque une aventure exceptionnelle. Et dans laquelle sa petite tribu -son épouse, Mitsou et son fils, Berny,  depuis son plus jeune âge- a  pris une part active.
 « On ne va pas au Sahara sans ressentir un trouble », avoue Alain Sèbe.
Le photographe a tissé de ses pérégrinations sahariennes et du  spectacle imposant et inépuisable des « tassilis » les éléments d’une esthétique  qui n’est pas sans résonnance philosophique.  Il n’est pas le premier  à être saisi par les immensités du Sahara. Au photographe, elles donnent une idée presque palpable de l’infini qu’il traque à travers instantanés et plans  dont la somme  est une approche subjective, humaine, qui donne à voir autant   la nature qui entoure le photographe que la sienne propre.  « Le Sahara favorise  les questions existentielles  ou métaphysiques », note-t-il en introduction de son Beau-livre.
 Mais Alain Sèbe reste un  terrien solidement arrimé  au réel. Il n’est pas allé, à la suite de tant d’exaltés venus d’Occident, pour entendre  des « voix qui crient dans le désert » (Ici, ce n’est que nous-mêmes que nous cherchons.  Et trouverons-nous quelque chose ? Ernest Psichari).  Il goûte avec mesure «  les extases » sahariennes » et n’évacue pas de son regard ni la poussière ni les insectes entre le Tin Tarabine, l’Igharghar et In-Azoua.
 Il a longuement parcouru les tassilis aux reliefs si singuliers  que les vents       ,depuis des temps immémoriaux, ont sculptés au cœur du désert algérien,  posés comme une couronne  sur le Hoggar.  Il a ainsi emprunté les pistes nomades en compagnie des guides touaregs de l’Ahnet aux Ajjers, pas moins de neuf régions du Tassili dont ils nous livrent quelques facettes dans des photographies à couper le souffle. 
Alain Sèbe aurait pu être écrasé  par la majesté saharienne, privilégiant  seulement ses reliefs  et omettant   son essence. Car le désert loin d’être la porte du néant. Il  vibre de  vies secrètes et d’hommes face à l’histoire  et dans un combat âpre et sans cesse recommencé pour leur survie. Autant sociale que culturelle depuis les premières intrusions  de la colonisation. Aujourd’hui, ils sont dans une confrontation inégale  avec un modernisme - autant attendu que redouté.  Selon un proverbe touareg : »Dieu a crée un pays plein d’eau pour que les hommes puissent vivre et un pays sans eau pour que les hommes aient soif. Il a crée un désert : un pays avec et sans eau pour que les hommes trouvent leur âme ».
Il est bien facile de céder aux clichés quand il s’agit du Sahara.             Paradoxalement, c’est la photo ici qui conjure le cliché. Les paysages  lunaires, les vents  que nous fait presque entendre Alain Sèbe  n’ont rien de la posture glacée et du vernis.
Ici un point d’eau, là un arbre chétif mais tenace, apportent comme une grande respiration au panorama des immensités.                    
  D’ailleurs, ses reportages en avion de tourisme et en montgolfière apportent également à ses photos des angles qui sortent de l’ordinaire.
Dans « Sahara au jour le jour », Alain Sèbe et son fils , Berny qui l’ accompagné dans ses expéditions depuis sa tendre enfance , aujourd’hui docteur en histoire  de l’université d’Oxford, nous proposent une sorte de « calendrier perpétuel ».
C’est aussi une sorte d’anthologie rassemblant 400 photos  dont les prises de vue se sont étalées   sur plus de quatre décennies et un  choix de  citations de diverses époques puisés dans la tradition caravanière  et des textes d’auteurs divers.
Cela va des « classiques du désert »,  les intournables : Saint Exupéry (J’ai toujours aimé le désert on s’assoit sur une dune de sable .On ne voit rien. On n’entend rien.  Et cependant quelque chose rayonne en silence)  Frison-Roche,  à Rachid Boudjedra   en passant par Isabelle Eberhart dont la tombe est « au pays des sables ».
Dans un monde de plus en plus étriqué –en dépit des vertigineux bonds technologiques-, il est salutaire de se pourvoir  du  Calendrier selon les Sèbe pour entrevoir les promesses indéfinissables du Sahara. 
Si tu avais les secrets du désert
Si tu t'étais éveillé au milieu du Sahara
Si tes pieds avaient foulé ce tapis de sable
Parsemé de fleurs semblables à des perles,
Tu aurais admiré nos plantes,
L'étrange variété de leurs teintes,
Leur grâce, leur parfum délicieux.
Tu aurais respiré ce souffle embaumé
Qui double la vie,
Car il n’a point passé sur
L'impureté des villes...’’

 L’émir Abdelkader  avait approché en mystique ses mystères .

Alain Sèbe n’oublie  pas aussi de mettre en relief ce qui constitue la sève des communautés sahariennes. Leur culture  en grande partie orale, mêlant récits de vie et de légendes  sous le signe de la gazelle protectrice, une « djenniya bienfaisante »  que l’on évoque avec respect et crainte dans les bivouacs et les longues soirées.                                                                                                      
Paysages humains  en péril dont nous avez entretenus  Mouloud Mammeri  sans grand écho.
A.K.
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Alain Sèbe : Le Sahara des Tassilis, Editions de la Martinière,
Sahara au jour le jour, photographies d’Alain et Berny Sèbe, textes choisis par BernySèbe, Editions de la Martinière






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