dimanche 31 mai 2015

Rabah BELAMRI ou le feu de la transparence


MEMOIRE
Chronique des deux rives
Par Abdelmadjid Kaouah

 

Il avait le sourire  ouvert, à nul autre pareil. Et il émanait de son visage une lumière paisible.  L’homme  se mouvait avec assurance. Mais se souvient-on assez de l’écrivain, de l’enfant du Guergour,  Rabah Belamri disparu prématurément il y a une quinzaine d’années ?  Dernièrement, il nous a été donné  de constater que de belles fidélités, au-delà du champ universitaire,  entretenaient son souvenir et rendaient hommage à son œuvre  tôt interrompue, à l’exemple de la médiathèque de Rambouillet. C’est sans doute un écho  au  travail inlassable de sa compagne ….. Faut-il rappeler l’hommage qui lui fut rendu par JMG Le Clézio, prix Nobel, qui a écrit ; « Son œuvre parlait de la difficulté d'être, de l'exil, de la solitude. Mais elle nous parlait aussi de tendresse, elle nous emportait dans son élan vers les humiliés, vers tous ceux que la violence contemporaine broyait, abandonnait. » (Le Monde, 13 /10/ 1995) ?

Pour notre part, à  peine avions-nous  entamé  avec lui un fraternel et  respectueux  compagnonnage  que nous apprenions sa disparition.  Dans un bloc opératoire où il s’était rendu pour une opération qui ne semblait pas l’inquiétait outre-mesure. Quelques jours plus tôt, nous avions parlé au téléphone et pris rendez-vous après cette échéance. Echéance fatale, découverte, au lendemain  d’un fatidique 28 septembre 1995, dans les colonnes d’un quotidien qui annonçait laconiquement sa disparition. Il repose depuis dans le carré des poètes dans un cimetière parisien. Nous n’avons point ici la prétention de faire le tour de son œuvre multiforme qui embrassait aussi bien l’écrit que l’oralité, le savant que  le populaire, le poétique comme le romanesque... Nous propos est d’évoquer une séquence temporelle qui est, à notre sens, la substance même de son écriture et de son imaginaire. Il s’agit de l’enfance que nul homme n’a jamais fini de scruter, de relire et de décrypter. Toute son œuvre en porte témoignage. Nous parlerons ici dans ces colonnes plus particulièrement de « Regard blessé » (Gallimard, 1987).

Dans ce roman aux accents fortement autobiographiques, nous sommes à ce moment précis où s’achève la guerre de libération algérienne (1962) mais où un adolescent entame sa tragédie personnelle. A la suite d’un décollement de l arétine, Hassan est précipité dans le monde des non-voyants. Pour sa mère, l’explication est ailleurs : des esprits se sont emparés de son fils. Elle conduit donc son fils de marabouts en charlatans, essayant tous les remèdes traditionnels, les pratiques magiques qui ne feront  qu’aggraver le mal et provoquer la cécité finale. Hassan nous raconte ses déboires sans acrimonie ni lamentation. Avant l’irréversible, il se hâte de se « remplir » les yeux du spectacle du monde qui l’entoure, dévorant avec gourmandise les images et les scènes qui l’entourent. Il observe ainsi avec une acuité visuelle exceptionnelle la vie. Tandis que son mal progresse inexorablement,  malgré une hospitalisation dans la capitale t que les stériles tentatives d’exorcisme revêtent des allures tragi-comiques, Hassan évoque ses joies et ses peines d’enfant, trace la chronique mouvementée et colorée de son village natal dans le Guergour, et se fait l’écho, à travers sa sensibilité d’adolescent, des changements  qui s’ébauchent dans un climat encore marqué par la violence et les incertitudes du lendemain.  Comme précédemment indiqué, le récit se déroule durant la période de transition vers l’indépendance. Des épisodes douloureux de l’occupation, des actes de bravoure contre l’ennemi sont intercalés  et rompent la stricte chronologie. A aucun moment le  discours  n’étouffe  ou ne fait peser sa lourdeur sur le récit. Par de courtes scènes, l’auteur-narrateur arrive à rendre l’atmosphère implacable de la guerre, de ses horreurs et le cours de la vie ordinaire qui se poursuit dans les spasmes de la grande histoire. Ce cours de la vie ordinaire est comme une réplique  au malheur  qui s’est abattu sur la population du village. Sans avoir à faire tonner les canons, l’auteur dissèque la guerre dans sa brutalité quotidienne. , en de successifs tableaux qui tiennent en haleine le lecteur. Les actes de lâcheté et de trahison sont décrits sobrement  avec une grande vérité .Qu’il raconte l’étranglement de sa chienne Nouara ou l’emprisonnement de Abla, le narrateur nous émeut avec le même art. Dans un style transparent, sans fioritures et dans un apparent détachement. « Regard blessé » est aussi le l’apprentissage, de la découverte lancinante des sens, des amours ratées et des étreintes furtives dans une promiscuité ambiguë  et révélatrice de la séparation des sexes dans une société traditionnelle. Et quand la question charnelle est abordée, elle se révèle sans étalage ni déchainement fantasmatique, comme c’est souvent le cas chez certains écrivains maghrébins. Au moment où le regard de Hassan s’éteint, l’histoire accouche d’un nouveau monde qui a pris forme ans les blessures béantes, les zones d’ombre et les forces contradictoires. A l’heure même où le peuple explose d’allégresse  et s’engouffre dans la liberté conquise. Le regard de Hassan s’éteint alors définitivement à l’instant où « le noir absorba le serpent bleu et vert, libéra une myriade de points de lumière insaisissables ».Il reste à Hassan comme seul refuge  son rêve, « un feu de transparence ».

A.K.

 

 

 

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