lundi 30 octobre 2017

Chronique des 2Rives Poésie : le plus beau surnom de la vie



Chronique des 2Rives
Par Abdelmadjid KAOUAH
                                                        
                                           Poésie : le plus beau surnom de la vie

           Les dernières révélations sur les véritables causes du décès de Pablo Neruda en 1973, à la suite du coup d’État du général Pinochet contre le président Salvador Allende et le gouvernement légal d’Unité populaire, confortent les doutes émis par sa famille y a une quarantaine d’années. Selon des experts médicaux internationaux, Pablo Neruda n’a pas succombé au cancer mais aurait  été empoisonné. Opposant à Pinochet, il devait rejoindre le Mexique pour prendre la tête de l’opposition chilienne. Au-delà de ces révélations  qui conduiront à une réécriture du récit historique jusqu’à là impose, c’est toute la place et le  pouvoir du poète dans l’histoire qui revient au premier plan. Pablo Neruda, poète a été fait Prix Nobel de littérature en 1971. Il était à la tête d’une œuvre poétique  militante monumentale dont laquelle se distingue : "El Canto General", ‘’Chant général’’.Il clamait : ‘’Je ne suis qu'un poète/ Je ne suis rien venu résoudre/ Je suis venu ici chanter’’. Et ses chants étaient des armes .De son vivant et d’outre-tombe.












Rainer Maria Rilke:  " pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d'hommes et de choses... Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays inconnus, à des départs que l'on voyait depuis longtemps approcher, à des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits de voyage... Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent »

Aujourd’hui, il est un fait, la poésie si elle reste sortable demeure guère vendable…Ainsi va la vie pour la poésie.  Et cela vaut dans tous les recoins du monde. A titre d’exemple, dans le pays, où a été conçu le printemps des poètes, selon « Livres Hebdo » d’il y a quelque temps, en France, seulement 1% du lectorat lit de la poésie. Avec le théâtre, ces genres ne représentent que 0,2 à 0,4% du marché du livre. Il semblerait que les anthologies de poésie arrachent davantage d’audience. Chez nous le tableau, en dépit de quelques percées méritoires, relève de l’anémie éditoriale. Combien de recueils seront au rendez de la nouvelle édition du Sila ? Et combien même quelques hirondelles perceraient  les nuages noirs, elles n’annonceront pas pour autant,  hélas, un vrai printemps de la poésie.                   
 Pourtant la diversité linguistique nationale autorise un potentiel expressif impressionnant, pour peu qu’elle trouve les truchements nécessaires à son avènement littéraire. Il reste que la poésie n’est pas seulement affaire de mots. C’est avant tout une attitude, une représentation du monde. A ceux et celles qui s’interrogent sur l’utilité de la poésie, on pourrait répliquer par quelques citations des poètes eux-mêmes et de leur perplexité : "Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi" , avouait Jean Cocteau. 


Jacques Prévert lui n’y va pas trente-six chemins :   
 « La poésie c'est le plus vrai, le plus utile surnom de la vie".   




















Rainer Maria Rilke confessait  que " pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d'hommes et de choses... Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays inconnus, à des départs que l'on voyait depuis longtemps approcher, à des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits de voyage... Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent ».  Pour Julio Cortazar : «Aucun poète ne tue les autres poètes, il les range simplement d'une autre façon dans la bibliothèque vacillante de la sensibilité».

Arthur Rimbaud l’homme aux semelles de vent, Rimbaud a prédisait   que « La poésie ne rythmera plus l’action. Elle sera en avant ». Rappelons que le   jeune Rimbaud, en  1869 lors d’un  concours général de vers latins a rendu hommage à la figure de  Jugurtha  dans 75 vers prémonitoires.
.A certains  moments historiques, la  prédiction rimbaldienne s’est vérifiée.   Il est vrai que le travail de la poésie est dans la langue et par la langue… Il suffit de penser aux           « Châtiments » de Victor Hugo, au poème Liberté de Paul Eluard au temps de l’Occupation allemande de la France, à « Incitation au nixonicide et éloge de la révolution chilienne » de Pablo Neruda écrit quelques jours avant le coup d’Etat de Pinochet et la disparition du poète. Neruda avait écrit : « Je n’ai pas d’autre issue : contre les ennemis de mon peuple, ma chanson est offensive et dure comme la pierre araucane. Cette fonction peut-être éphémère. Mais je l’assume. Et j’ai recours aux armes les plus anciennes de la poésie, au chant et au pamphlet dont se servirent classiques et romantiques pour détruire l’ennemi ». 



Djamel Amrani, le marathonien de la poésie algérienne,  qui fut   arrêté, torturé et incarcéré par l'armée coloniale en 1957 signa en 1960 aux Éditions de Minuit, « Le Témoin » où il raconte sa descente en enfer. Et En exil, il rencontra Pablo Neruda. Plus tard en Algérie indépendante, en 2004, il recevra l reçoit la médaille-Pablo Neruda, haute distinction internationale de la poésie. Et quelle parole que celle de cet  athlète du verbe anticolonialiste
Aimé Césaire qui   forgera ses "armes miraculeuses" en rupture avec la " poésie de décalcomanie : " Et l'on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et on nous vendait sur les places et l'aune de drap anglais et la viande salée d'Irlande coûtaient moins chers que nous’’. … Sans oublier chez nous « Nedjma » de Kateb Yacine. Ou pour les Palestiniens :
« Awrâq al-Zaytûn » (Rameaux d’olivier) de Mahmoud Darwich. 



La poésie algérienne   a été une parole de l'opprimé. Si à un certain moment de l’histoire, elle a emprunté sa langue au colonisateur, elle s'est voulu avant tout le ferment d'une identité. A l'époque du combat pour la décolonisation, elle s'adressait surtout à l'Autre.  Sommée par l'histoire, elle a entretenu des liens étroits avec les évènements marquants du processus anti-colonialiste  qui  nourrira ses inspirations diverses jusqu’à l’avènement de  l’indépendance nationale. Dans ce vaste mouvement d’émancipation nationale, on aurait tort de penser que la création littéraire fut un  monopole masculin, bien que par le fait de l’histoire (faible scolarisation, encore plus restreinte  pour les filles), il y eut davantage d’écrivains connus et reconnus. Mais ces « Ombres gardiennes » pour reprendre l’expression de Mohamed Dib   à propos de la place de la femme algérienne dans le combat libérateur n’ont pas manqué sur le front littéraire : Assia Djebar dont recueil : « Poèmes pour l’Algérie heureuse » a fait date .


Anna Gréki née  dans les Aurès. D'origine française, elle s'est profondément investie dans le combat algérien et a connu les prisons coloniales. Ses poèmes brillent par leur sincérité et leur accent autobiographiques. Sa passion politique va de pair avec la passion amoureuse. Dans son premier recueil « Algérie, capitale Alger, »(préfacé par Mostefa Lacheraf, et traduit par le poète tunisien Salah Garmadi), ces deux thèmes constituent, avec l'évocation des paysages de son enfance, les ressorts de son inspiration lyrique. Sa parole fondée sur "une lucide connaissance du mal" est porteuse d'un énergique optimisme qu'elle clame dans des vers. Elle laisse un recueil posthume « Temps forts » où l'on découvre de nombreux poèmes qui traduisent le désenchantement et la déception au spectacle de l'arrivisme et des pratiques  sociaux aux antipodes des idéaux du combat algérien.  


 Dans la préface à  « La grotte éclatée » de Yamina Mechakra., Kateb Yacine, écrivait :

 «A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.», et d’ajouter : « « ce n’est pas un roman, et c’est beaucoup mieux : un long poème en prose qui peut se lire comme un roman ». Myriam Ben, militante dès son plus jeune âge, elle fut de tous les combats du peuple algérien, condamnée à 20 ans de travaux forcés pour sa participation à la guerre de libération, auteure  de ‘’Sur le chemin de nos pas » …
Ainsi dans certaines circonstances historiques, le devoir du poète est de se prononcer et de dénoncer l’injustice et ses horreurs.    Mais ce n’est pas là la vocation exclusive de la poésie.
 


Question désarmante : « Que cherchez-vous à dire dans vos poèmes ? ». On peut se réfugier  derrière un grand poète, Paul Valéry « Si l’on s’inquiète de ce que j’ai « voulu dire », dans tel poème, je réponds que je n’ai pas voulu dire, mais voulu faire, et que ce fut l’intention de faire qui voulu ce que j’ai dit… »… La poésie, c’est la capacité à dire métaphoriquement  le monde, à transcender le quotidien et ses liens, nous ouvrir  à la force de l’imaginaire. 



Et partant, nous assurer de  la promesse des rivages fraternels. Abdellatif Laâbi, poète au long cours, réaffirmait récemment : La poésie est tout ce qui reste à l'homme pour proclamer sa dignité”.  

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Chronique parue le 26 10 2017 dans le quotidien national algérien : REPORTERS

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