Messaour Boulanouar
SOUS PEINE DE VIE
J’écris une poésie d’un autre âge. L’aveu est bien rare dans la bouche de ceux qui ont définitivement confondu écriture et credo. Au demeurant, ils peuvent– légitimement -, eux que les circonstances ont pétri dans l’argile de l’époque, s’en tenir à de robustes certitudes. Et partant, s’enfermer dans le coton de la gloriole à bon compte. D’assurer, dan l’homme obsédé par la lecture des visages, il n’y a que la profonde humilité de ceux que l’écriture travaille au corps au point de les dévorer entièrement. Entre l’oued et les remparts, parmi les livres investis comme autant de forêts obstinées à ne pas livrer leurs secrets, Messaour Boulanouar veille dans tous les sens du terme. Bruissant poèmes et de vigueur latente dans le calme ordonnancement de son univers familier et familial. Lui rendre visite dans son élément, de pierres et de livres, procède, osons, me dire, la purification. S’il y a quelque part un territoire où la poésie pet à loisir donner cours à son utopie, il commencerait au seuil de la demeure de Messaour Boulanouar. Communément connu en sa ville des hauts-plateaux, Sour El Ghozlane, sous l’éloquent pseudonyme d’El Kheïr.
En cette veille anniversaire de Novembre, une fois de plus, la conversation se rapporte à la poésie. De Guillevic, plus précisément, dont il vient de calligraphier quelques poèmes. Des poèmes de Boulanouar, il en est peu question. Chez certaines personnes, avec l’âge, la pudeur tourne au suicide. J’écris une poésie d’un autre âge, s’obstine à répéter Boulanouar. Tant dis que s’entassent recueil sur recueil, indéfiniment repris sur le métier (on fait une bonne vieille Japy), splendidement agencés et n’ayant déjà rien à envier à un ouvrage édité. De temps à autre, il livre avec économie quelques vers. Portés par une voie réplique exacte de celle que l’on imaginait au poète. Ceci dit n’est que parenthèse qui se voudrait lyrique. La question incontournable est là qui rode et ne tarde pas à imposer son poids, angoissant mais implacable : que restera t-il de Messaour Boulanouar ? Moins qu’un autre, il n’est point en son pouvoir d’y répondre.
J’écris une poésie d’un autre âge. L’aveu est bien rare dans la bouche de ceux qui ont définitivement confondu écriture et credo. Au demeurant, ils peuvent– légitimement -, eux que les circonstances ont pétri dans l’argile de l’époque, s’en tenir à de robustes certitudes. Et partant, s’enfermer dans le coton de la gloriole à bon compte. D’assurer, dan l’homme obsédé par la lecture des visages, il n’y a que la profonde humilité de ceux que l’écriture travaille au corps au point de les dévorer entièrement. Entre l’oued et les remparts, parmi les livres investis comme autant de forêts obstinées à ne pas livrer leurs secrets, Messaour Boulanouar veille dans tous les sens du terme. Bruissant poèmes et de vigueur latente dans le calme ordonnancement de son univers familier et familial. Lui rendre visite dans son élément, de pierres et de livres, procède, osons, me dire, la purification. S’il y a quelque part un territoire où la poésie pet à loisir donner cours à son utopie, il commencerait au seuil de la demeure de Messaour Boulanouar. Communément connu en sa ville des hauts-plateaux, Sour El Ghozlane, sous l’éloquent pseudonyme d’El Kheïr.
En cette veille anniversaire de Novembre, une fois de plus, la conversation se rapporte à la poésie. De Guillevic, plus précisément, dont il vient de calligraphier quelques poèmes. Des poèmes de Boulanouar, il en est peu question. Chez certaines personnes, avec l’âge, la pudeur tourne au suicide. J’écris une poésie d’un autre âge, s’obstine à répéter Boulanouar. Tant dis que s’entassent recueil sur recueil, indéfiniment repris sur le métier (on fait une bonne vieille Japy), splendidement agencés et n’ayant déjà rien à envier à un ouvrage édité. De temps à autre, il livre avec économie quelques vers. Portés par une voie réplique exacte de celle que l’on imaginait au poète. Ceci dit n’est que parenthèse qui se voudrait lyrique. La question incontournable est là qui rode et ne tarde pas à imposer son poids, angoissant mais implacable : que restera t-il de Messaour Boulanouar ? Moins qu’un autre, il n’est point en son pouvoir d’y répondre.
Le poète propose… Mais terre
à terre, il faudra bien un jour identifier la main qui prend à la gorge le
poète et qui, suprême châtiment, le condamne irrémédiablement à l’aphasie
factice. Boulanouar, quant, à lui ne nourrit nul ressentiment, mieux l’édition,
la consécration semblent des vocables barbares rapportés à l’acte magique qui
fonde sa vie quotidienne.
A cet égard, peut- on à son
propos ne pas penser en métaphores et appeler à la rescousse le vieil Hugo (dont
il connaît par cœur les vers indignés consacrés à l’Algérie envahie). Le geste
auguste du semeur restera t-il sans moissons pour l’heure, pour ceux qui
l’ignorent, il existe un seul recueil édité de l’œuvre immense de Messaour
Boulanouar. Que l’on prenne l’adjectif comme l’on veut.
Ainsi au hasard de la fortune éditoriale
Boulanouar a publié en 1963 aux éditions du Scorpion. La meilleure force, un
gros volume de poésie regroupant des textes écrits entre 1956 et 1960. Paru en
même temps que le recueil Algérie capitale Alger de Anna Gréki, La meilleure force n’aura pas connu la même
carrière ni les mêmes faveurs – mérités – qu’aujourd’hui l’indifférence entame,
pourtant, par delà l’inconstante renommée la meilleure force a levé dans le
creusé et la braise de la colère libératrice. Novembre, à coté de ses
guerriers, avait également ses crieurs publics. « Le soleil (de novembre) ce
matin là/avait sa voie de crieur public. » écrivait Anna Gréki.
Portés par le feu ils furent
porteurs de feu. La médisance sous couvert de la critique, alliée aux frasques
des épigones fabricants à grands renforts de rimes des hymnes tardifs déclare
les crieurs publics hors de combat.
Hors la querelle des anciens
et des nouveaux est à faire de circonstances. Et bien des avant-gardes ont cru
inventer du fait de leur myopie. De part et d’autre de la controverse, la
méprise y est pour quelque chose. Avec le temps, l’écorce cède, seul l’arbre
demeure.« poésie militante dans laquelle on ne sent pas l’idéalisme artificiel
qui se plaque sur le verbe comme un prêche de consolation… force tranquille et
sûre d’une poésie qui, à aucun moment ne sent la publicité, l’artifice ; qui est
loin des larmes et des sombres délectations qui traduit un tempérament ouvert
sur la joie, l’exigence, tendu à l’extrême mais aussi d’une tendresse
incomparable. » au risque de donner dans le détournement de texte, nous
prendrons la liberté de reprendre l’approche de Mostefa Lacheraf, dans sa
préface au recueil de Anna Gréki, à propos de la meilleure force. Dans ce
torrent effréné, il suffit de se pencher sur quelques gouttes pour, à
notre avis, s’en convaincre :
« c’est notre loi
une fleur a germé dans le sang de vos cœur
une fleur a germé dans le sang de vos peines
une fleur a germé dans l’orgueil de vos rêves
fleur rare fleur solide fleur de joie de force. »
une fleur a germé dans le sang de vos cœur
une fleur a germé dans le sang de vos peines
une fleur a germé dans l’orgueil de vos rêves
fleur rare fleur solide fleur de joie de force. »
Parole nue. Crue. Réduite à
l’essentiel d’une vision de la (réalité inspirante et inspirée, élémentaire), selon
Eluard auquel Boulanouar voue un véritable trai et lucide- culte. Parole de la clarté dans le
dépouillement est aux antipodes du simplisme comme de l’épatant hermétisme de
bon aloi derrière lequel se drape l’indigence créatrice. (Abeille aveugle ton
travail m’éclaire.) . Tel est le blason naturel derrière lequel avance le poète
enraciné dans les profondeurs rurales qui le cernent de leurs vérités. Si la
poésie est de rigueur à l’heure du glaive (la mort est dans mes mains oisives)-,
le désarroi n’est pas pour autant annihilé car (les murs de nos prisons sont
pourris mais tenaces).
A l’extrême péril, l’homme ne perd pas de vue l’unité de son incohérence. Irréductiblement, il continu son jeu humain et n’arrive point à refréner ses élans contradictoires mêlant la joie à la peur et, partant, sauvegarde son indicible humanité. Il n’est point - comme on l’insinue – une simple volonté coulée dans de l’albâtre.
A l’extrême péril, l’homme ne perd pas de vue l’unité de son incohérence. Irréductiblement, il continu son jeu humain et n’arrive point à refréner ses élans contradictoires mêlant la joie à la peur et, partant, sauvegarde son indicible humanité. Il n’est point - comme on l’insinue – une simple volonté coulée dans de l’albâtre.
Articulé par la fatalité qui
poursuit les héros des tragédies théâtrales. Le poète, à l’affût des moindres
frémissements de l’homme observe, de l’intérieur de la mêlée « on rêve dans
la honte, /on chante dans les ruines, / on rit malgré la peur, /malgré le dur
souci de vivre ») pour la simple raison que « l’homme s’impose
au brouillard comme la preuve claire / que la lumière règne dés que l’homme règne.
»
De telles citations tronquées sont équivoques.
Elles risquent de donner une image fausse de l’œuvre de Boulanouar. A son corps
défendant. Abstraction, intellectualisation, prêche, autant de travers qui en
poésie sont mortels et fort loin de l’horizon poétique qu’il arpente à grands
pas de paysan : racines, fleurs, étoiles, gel, blé, sève, soleil, glèbe, ruche, autant d’éléments
palpables ou perceptibles peuplant l’univers de celui que ne craint pas
d’avouer : (je vis à ras de terre). C'est-à-dire au faîte de la création.
Dans les poèmes gorgés de
réel circule aussi un flot spirituel charriant foi et sueur humaines. Un lieu fertile
(où l’épi lourd et plein à la tête pesante / remplace l’épi vide et triste).
Mais comment résumer un poème de deux cents pages fournis, une prise de parole agitée par une famine de silence séculaire ?
Mais comment résumer un poème de deux cents pages fournis, une prise de parole agitée par une famine de silence séculaire ?
Un chant des enfers roulant à
ciel ouvert les laves incandescentes de son éruption comme « les voix de la terre, du ciel,
et les voix mortes qui commandent depuis l’au-delà » (Jean Amrouche).
Il n’y d’autre issue, d’autre
justice que de l’entendre intégralement. L’ironie, si un jour l’édition se
piquait au jeu, voudrait que l’on remonte à La meilleure force, enfantée
avant Serkadji. Si justice se pouvait
pour le poète.
Entre l’oued et les
remparts El Kheïr demeure.
Abdelmadjid Kaouah
Abdelmadjid Kaouah
La meilleure force, Editions du Scorpion, 1963.
Révolution Africaine – nouvelle série – n° 1184 – 07
Révolution Africaine – nouvelle série – n° 1184 – 07
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire