samedi 30 août 2008

CHRONIQUES DES 2 RIVES : Mohammed Iqbal

Le sang des étoiles


Quelle place pourrait tenir Mohammad Iqbal dans le Pakistan actuel dont il serait le père spirituel ? La question reste ouverte. La première oeuvre du prodigieux Mohammed Iqbal (né le 22 février dans le Punjab décédé le 21 avril 1938) n'avait rien à avoir avec la spéculation philosophique, l'exégèse mystique ni encore moins avec la poésie. Cette dernière plus tard s'en nourrira et leur donnera une plus grande amplitude. C'est un manuel d'économie, en urdu qui portera sa première signature publique. Poète, prosateur, philosophie, linguiste, juriste, homme politique Mohammad Iqbal se décline sous plus d'une facette. Il détenait une connaissance encyclopédique, recouvrant les richesses de sa civilisation d'origine et les avancées les plus audacieuses de la science moderne. Il se mouvait dans les plus hautes sphères de l'intelligence humaine, de ses correspondances avec la création. Dans son approche de la Révélation coranique, la fatalité, la résignation et la damnation n'avait pas de place. Il aimait rappeler le message mohammadien: "Je suis venu parfaire ce qu'il y a de parfait dans l'homme". Et Iqbal, en poète clamait dans ce sillage prophétique: "Je vais de l'étincelle à l'étoile et de l'étoile au soleil". Il n'eut crainte de heurter les assurances bigotes de l'époque. En son temps, malgré de modestes impulsions émancipatrices, la torpeur était dominante dans le sous-continent indien. Il séjourna en Europe, au début du 20ème siècle, et initia un dialogue intellectuel avec quelques figures de proue de la pensée occidentale, tels Nietzsche et Goethe. Il avait rencontré notamment Bergson et Louis Massignon. "Mohammad Iqbal a retenu pour lui-même et ses contemporains musulmans " que "l'originalité est le fondement de la création" et que "la vie ne se réforme pas au moyen de l'imitation »
Tel est le message qu'il n'a cessé de développer dans « une œuvre qui intéresse cependant aussi bien l'Orient que l'Occident ». Et sa critique de la pensée occidentale s'accompagnait d'une volonté de "reconstruire la pensée religieuse de l'Islam". Iqbal a mis à profit son expérience européenne pour rencontrer notamment Bergson et Louis Massignon. De retour à Lahore en 1908, il abandonne la chaire de philosophie et de littérature anglaise qu’on lui offre, pour se consacrer à l’étude du droit, mais surtout à la vie politique de son pays. S’il récusait l’arrogance triomphale de l’Occident, il était acerbe à l’endroit de la dénaturation à laquelle l’islam se trouvait livré, conséquence qui lui semblait due à l’effet pervers des conceptions platoniciennes de l’héritage grec , préservé et prolongé par la civilisation arabo-musulmane… Il était convaincu que de telles dérives faisaient perdre à l’islam sa vitalité originelle. Dans divers textes, de réflexion ou de poésie (chez Iqbal, comme signalé, il n’y avait pas de dichotomie entre les deux), il fustigeait l’enfermement mystique qui pouvait conduire la multitude à l’apathie. Il la mettait sur le compte de la vieille croyance du Monisme prêchant l’immanence divine et considérant le monde comme une simple émanation. . Au destin perçu comme une simple résignation, il oppose la revivification et la Parole sacrée dans ce u’elle incite à assumer son destin par la responsabilité et la rationalité. Pour Iqbal, la foi vécue ne se limite pas à quelques exercices de contrition ou le formalisme doctrinaire. La dévotion authentique passait par une résurrection de la société, alors sous domination coloniale. « Le plus grand obstacle à la Vie est la matière, la Nature, cependant, la Nature n’est pas mauvaise puisqu’elle permet aux puissances internes de se développer. Le Moi cherche à se libérer en éliminant tous les obstacles sur son passage. Il est en partie libre, en partie déterminé et il atteint à la pleine liberté en s »approchant de l’individu qui est le plus libre. Dieu. En un mot, la vie est un effort vers la liberté », écrivit-il en préambule à son livre Les Secrets du Moi (1915) ; Le message d’Iqbal procède en fait du sursaut initié par Djamel Al-Afghani ; ce qui est neuf avec Iqbal, c’est l’art avec lequel il lui a insufflé une jeunesse et une tonalité inégalées. Mais Iqbal lui-m^me, pouvons –nous lire dans l’essai décapant et érudit de Rédha Malek, Tradition et révolution : le véritable enjeu » (Anep, 2001) n’échappe à « tentation mystique ». : « Revenir aux sources de la vrai foi, cet objectif de toujours des réformistes, Iqbal l’a peut-être réalisé plus profondément qu’aucun autre. Il ne s’est pas contenté de combattre les déformations extérieures du culte, il s’est efforcé d’aller plus avant. En s’attaquant aux durs revêtements d’une théologie multiséculaire, il s’affirma digne continuateur d’Al-Ghazali et, en élaborant sur des décombres sa propre conception d’un Islam repensé à neuf, c’est à Bergson et à Nietzsche qu’il fit appel ». Hélas, dans le cadre de cette chronique, nous n’aurons ni la prétention ni la latitude de mettre à plat cette complexe problématique - qui n’est pas seulement de l’ordre de la spéculation philosophique mais en définitive constitue la question capitale du devenir du monde arabo-musulman contemporain. Rappelons comme le souligne Rédha Malek : « …L’Islam, en prodiguant ses encouragements aux sciences de la nature, ne pouvait ne pas faire appel, en même temps, à la libre spéculation rationnelle qui en est l’âme et le sang ».
Pour notre part, nous voulions juste exhorter à revisiter par la lecture le Poète de l’Orient (Quand elle est dépourvue de flamme, la vérité est philosophie ; elle devient poésie quand elle emprunte sa flamme au cœur.) qui nous semble aujourd’hui bien oublié. Il le savait de son vivant : « Lorsque je quitterai ce monde, Chacun dira « Je l’ai connu. » Mais la vérité est, hélas ! Que personne ne savait qui était cet étranger ni d’où il venait ». Mais « il faut au matin pour naître le sang de milliers d’étoiles ». C’est encore signé Iqbal.
A.K.

2 commentaires:

Benzelikha a dit…

Merci de rappeler à nos esprits distraits cette vive conscience qu'était notre frère Iqbal.
Les hommes souvent, sont oublieux des meilleures postures, des plus grands efforts. Mais n'est ce pas de leur nature. Iqbal demeure dans le coeur des hommes de coeur.

A.M a dit…

Cher A.K, un petit tour au dico et tu comprendras que Goethe et iqbal ne sont sont jamais rencontrés. En poesie pourquoi pas? Affectueusement.