mercredi 11 février 2009

AVATARS

De l’inquiétude d’écrire



Entre les deux rives de la Méditerranée l’interrogation de Jean-Paul Sartre, Que peut la littérature, reste –t-elle de mise ? Mohamed Dib qui vivait au cœur de l’Europe, était conscient des nouveaux chemins que la littérature, en particulier, le roman avait empruntés en Occident. La connivence entre la fiction littéraire et l’histoire collective ( illustrée par les romans fleuves, tels Les Misérables, Guerre et Paix, Les Thibault ) avait cédé inexorablement la place à l’émergence des profondeurs de l’individu , du moi, de ses complexes spéculations cérébrales ( Bonjour tristesse) Imaginaire, abysses, narcissismes s’ouvraient de vastes « Rivages des Syrtes ».
Le « nouveau roman » après une période de controverse et d’adversité aujourd’hui refermée a pris finalement figure dans le Salon de glaces du classicisme.
Et la question morale de la responsabilité en littérature résonne dans une terrible solitude, comme une vieille lune vouée aux remises de l’historiographie littéraire ? Dira –t-on assez ce que la littérature maghrébine est redevable à Mohamed Dib. Il nous a donné dès Dieu en Barbarie (Le Seuil, 1974) une lecture vivifiante et prémonitoire des dérives qui guettaient un pays dont les grandes promesses allaient t s’étioler au gré de l’impéritie des pouvoirs.
Dans Les Terrasses d’Orsol (La Bibliothèque Arabe, Sindbad, 1985), il nous confiait la fable tragique d’une planète à deux vitesses dont les contrées prospères s’érigeraient en forteresses inaccessibles face une humanité en déshérence. « Aujourd’hui c’est nous les barbares (…) Dieu serait bien inspiré de venir faire un petit tour parmi nous aussi, parmi nous surtout, qui ne croyons plus qu’en des sorciers » Quand on arrive d’un monde où le pain quotidien et la santé ont cessé depuis longtemps d’être un problème, on ne voit pas la misère physique et morale qui afflige le nôtre, mais seulement sa « sainteté ». C’est tout à fait naturel ! Mais pour qui, si je puis dire, cette misère constitue le pain quotidien, c’est une nourriture des plus indigestes, je vous assure » En effet, il n’a jamais cessé de méditer sur la place de la littérature dans la société. Dans une postface à La Nuit sauvage (Albin Michel, 1995), il posé sans détour les termes de la problématique à laquelle devait faire face un écrivain du Sud.
« A quelle interrogation plus grave que celle de sa responsabilité, un écrivain pourrait-il être confronté ? C’est mal poser la question, elle doit être retournée ; nous dirions mieux en nous demandant : cela a-t-il un sens qu’on se répande en écrits et n’ait pas en répondre ? Pour les avoir écrits et tout bonnement pour avoir écrit. L’Occident aujourd’hui paraît s’être libéré de cette préoccupation, avoir disjoint les deux choses : écriture (romanesque) et responsabilité (morale). Doit-on, et peut-on, partager partout une telle position ? »S’interroge Dib. Et d’y répondre : « Je pense qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas ….Je n’irais certes pas appeler le malheur sur une société pour la gloire (ou l’indignité) de la littérature ».

Or, si le pas n’a jamais été franchi par Dib, et encore par de nombreux écrivains maghrébins, il semble que dans le domaine de l’édition, en Europe, et y compris dans le Sud, cette hypothèse tend à devenir une stratégie littéraire. Eloquent à plus d’un titre, l’entretien de la sociologue Christine Detrez., sous le titre « La belle et le kamikaze » (réalisé par Brahim Hadj-Slimane in L’Expression du 15 décembre 2007).
Dans le sillage de Bourdieu et d’Edward Saïd, elle évoque le spectre d’un « néo-orientalisme » qui hante les maisons d’édition parisiennes. Pour éviter toute équivoque, il faut réaffirmer sans ambages que les méfaits de l’intégrisme meurtrier défient l’imagination. Ce n’est pas cela qui est épinglé, récusé mais les conditions et les structures éditoriales qui décident en « métropole » de la parution ou non d’un titre. La sociologue note « lorsqu’on regarde les textes publiés en France et l’éclairage donné par les romancières, on se rend compte qu’on est souvent dans ce que j’appellerai des situations de quiproquo culturel. Par exemple, des situations de subversion d’écriture qui peuvent l’être en Algérie, lorsque le texte y est publié, mais qui, en France, deviennent quelque chose d’attendu et de commun. Cela est visible lorsqu’il est question d’un témoignage ou d’une expression de soi, de son corps ou d’expériences privées, où ces questions deviennent des détours par lesquels la romancière reste confinée ».
Certes, il y a plus d’une nuance entre une production sociologique et un écrit littéraire. Encore davantage avec les publications de témoignages.
Karim, mon frère intégriste et terroriste de Samia Labidi (Flammarion, 1998), par exemple, n’a sans doute pas de grandes affinités avec le récit « Tuez-les tous » de Salim Bachi (Gallimard, 2006). Ce qui n’enlève ni à l’un ni à l’autre son intérêt. Il suffit tout simplement de ne pas mélanger les genres .Autre illustration : on se rappelle « Moi Nadia épouse d’un émir du GIA » un « grand reportage » décapant de la journaliste Baya Gacemi, écrit au plus fort de la « tragédie algérienne ». Avatar tout récent : La vie sexuelle d’un islamiste à Paris, (Albin Michel, 2007) de Leïla Merouane. Le clin d’œil au best seller de Catherine Millet doit être plus qu’involontaire…
Et le roman en lui-même est autrement plus digne d’intérêt que le titre dont il a été affublé.
En février 1993, Mohammed Dib, donnait un texte inédit à l’hebdomadaire Ruptures dont la rédaction en chef était assurée par Tahar Djaout. Selon ce dernier, c’était le premier texte que l’écrivain ait « publié en Algérie depuis son exil ». Lequel remontait à 1959. . Le texte s’intitulait : « ECRIVAINS, ECRITS VAINS ».
A.K.

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