samedi 28 mai 2011

Le roman que n’a pas écrit Naguib Mahfoud

Le roman que n’a pas écrit Naguib Mahfoud


Quel roman aurait écrit Naguib Mahfoud sur l’Egypte d’aujourd’hui s’il était encore de ce monde ? La question pour sembler saugrenue n’est pas illogique. Car il avait consacré précédemment au règne de chacun des deux prédécesseurs de Hosni Moubarak un roman. A Nasser : ‘’Karnak café », écrit en 1971 sous Sadate. Naguib Mahfoud, avec son art de raconter une histoire, y solde ses comptes avec l’ère nassérienne. Marquée par une réelle ferveur révolutionnaire au début de son avènement elle se dénature progressivement et se corrompt moralement de l’intérieur en laissant s’instaurer la suspicion, l’exclusion et la répression. Au prétexte qu’on ne doit parler que d’une seule voix car l’ennemi fait planer sa menace sur le pays. Il faut le dire, à l’époque, ce n’était de simples fantasmes. Mais à grands renfort de discours triomphalistes, le régime devient aveugle idéologiquement et cruel bureaucratiquement en broyant ceux-là même qui croient en lui. Quand l’ennemi décidera de frapper, le régime s’écroulera, impuissant, victime de ses illusions et de son arbitraire. Sans phrases ronflantes, Mahfoud retrace le désenchantement d’un groupe de jeunes sincèrement idéalistes qui se retrouveront humiliés, trompés et désabusés par un manipulateur de la police politique Naguib Mahfoud dissèque dans « Karnak Café » les « maladies infantiles » du nassérisme qui ont conduit à sa défaite de Juin-67. Mais le mythe de Nasser a survécu à son naufrage politique. Dans les manifestations populaires qui embrasent actuellement l’Egypte, il n’est pas étonnant de voir ça et là dans la foule ses portraits brandis. Si ses Moukhabarates n’étaient pas des tendres, Nasser n’avait jamais fait tirer sur son peuple ou l’affamer. Il avait incarné un rêve de liberté qui n’avait pas tenu toutes ses promesses. Il est mort cependant adulé par son peuple. Ismaïl al-Cheikh, Zeinab Diyab et Helmi Hamada, les héros tragiques de ’’Karnak café’’ doivent être aujourd’hui à Maydène Ettahrir.
« Le jour de l’assassinat du leader », roman court, (ou plutôt une longue nouvelle écrit en 1989, sous Hosni Moubarak) raconte l’histoire d’une famille accablée par les conséquences de l’Infitah inauguré par le président Sadate. L’Egypte eut pour ainsi dire, son 5-Octobre en 1978 avec « les émeutes du pain ». Et, on sait comment finit Naguib Mahfoud, excelle à décrire les affres du petit peuple. Il a campé des personnages si vrais qu’ils ont fini comme par servir de modèle aux vivants. Après une parenthèse faite de récits métaphorique sur la revendication d’indépendance nationale au travers d’une plongée historique au temps des pharaons, Naguib Mahfoud, il donna vie des œuvres moulées dans l’écriture réaliste, voire avec notamment Le Nouveau Caire (1945), Le Passage des miracles (1947) et Vienne la nuit (1949) –dans lesquels il a peint avec profondeur et couleur la composante sociale du Caire au début du XXe siècle. Ils furent suivis en 1956-1957 par la fameuse Trilogie de mil cinq cent pages comprenant L'Impasse des deux palais, Le Palais des désirs et Le Jardin du passé. Dans cette vaste fresque historique il retrace le parcours de trois générations de la révolution nationale de 1919 à l’agonie de la monarchie. C’était la saga d’une famille, celle-ci bourgeoise cairote qui assiste à la disparition de l’Egypte traditionnelle et doit se prononcer face à des choix historiques cruciaux pour l'avenir de la nation. En 1959, Naguib Mahfoud publia-en feuilleton dans les colonnes d’Al-Ahramh - Les fils de la Médina. L'ouvrage fut stigmatisé par Al Azhar. Œuvre pharaonique que celle de Naguib Mafoud, tissée de correspondances entre fait littéraire et effets de l’histoire, l’osmose qu’elle peut atteindre parfois avec son présent et ses résonances dans le futur. Et bien que n’ayant rien d’un radical en politique et comblé d’honneurs, le vieil homme eut des principes et sut dire son fait au Prince restant fidèle aux plus humbles.
Le peuple égyptien, il faut lui rendre justice , a expérimenté, pour ainsi dire, en « leader », souvent à ses dépens, maintes percées et maintes mésaventures historiques : la lutte pour son indépendance nationale la « révolution de juillet », l’économie étatisée, la prépondérance de la classe militaire, les ravages des moukhabarates ; les guerres avec Israël, les défaites militaires, la « pax americana »…l’irruption de l’intégrisme, l’Infitah , (le mot arabe pour libéralisme) les dénationalisations, privatisations, les émeutes de la faim, les catastrophes naturelles et celles qui ne l’étaient guère, l’assassinat d’un président et la question cruciale succession de la démocratie et de la justice sociale et de l’alternance en république… , Mais ne dit-on pas de l’Egypte qu’elle est la mère du monde, Oum Eddounia ?
Sur ses vieux jours, Naguib Mahfouz , le seul Nobel de littérature à ce jour, fut lâchement agressé par un illuminé. A sa mort, Moubarak lui fit des funérailles nationales.
Aujourd’hui le raïs Moubarak , vieilli, usé par l’exercice du pouvoir, est dans l’œil du cyclone, et one sait par quelle porte il sortira de l’actualité . Naguib Mahfouz n’ pas écrit « L’automne du patriarche ». C’est son homologue du Nobel le Colombien Garcia Marquez qui l’a signé. Mais Naguib Mahfouz nous aurait sûrement étonnés par le roman que nous ne lirons pas.

A.K.

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