Jean Genet : blessure de Palestine
Un Captif amoureux fut le dernier livre de Jean Genet. Une œuvre testamentaire, publiée l’année même de sa mort, en 1986. Il avait repris sa plume après de longues années de silence. Après l’horreur de Sabra et Chatila. Il avait consacré son livre, emblématiquement, à son compagnonnage avec la cause palestinienne pendant une quinzaine d’années. Homme d’engagement radical, il en avait déjà donné la mesure à l’égard des Algériens, des Vietnamiens et des Noirs-américains, plus précisément les Black Panthers. . Témoin solidaire dans les camps palestiniens et voix des sans-voix, il fait œuvre aussi de poète dans sa passion pour les minorités opprimées. Il a ainsi comparé le destin des Palestiniens à une tragédie shakespearienne. De ce compagnonnage avec les Palestiniens avec la résistance palestinienne inaugurée depuis Septembre noir en Jordanie à Sabra et Chatila au Liban, il retrace ainsi ses voyages à l’intérieur « d’une forêt de souvenirs, de réminiscences rebelles à la chronologie aux repères d’usage car « chaque souvenir , moins d’une goutte de parfum peut-être fait revivre l’instant défunt non selon sa fraîcheur vivante de cette époque mais autrement, , je veux dire revivant d’une autre vie ». Rien n’est fictif donc hormis l’art et la manière avec lesquels Jean Genet le fixe. Selon l’auteur, le lyrisme irréalise à l’époque les Palestiniens. Et la vague d’écrits sur la question escamote par l’excès d’images et de métaphores la consistance du fait palestinien. « Une espèce d’obscurité blafarde, une nuit de neige par exemple dissimulait tout, et la neige ne cessait de tomber, alors tout vraiment, tout, depuis la barrière du pré, le feddaï en sueur ou en sang la femme en couches, le bois des sapins, les camps, les boîtes de conserve, tout fut recouvert d’une couche de mots, toujours les mêmes et dissimulant en fin de compte tout ce qui avait trait à la Palestine… », écrit Jean Genet.
Faut-il ici rappeler l’emphase qui fit si longtemps office d’exorcisme de la tragédie palestinienne dans le monde arabe. Et qui par bien des côtés continue à sévit et à faire illusion et écran à la complexité des enjeux…
J.Genet l’avait bien vu : Entre l’injonction à combattre et l’étalage du lyrisme, la vocation tendait plutôt vers la deuxième alternative. Aussi avec beaucoup appréhendait-il l’utilité de son propre texte. Mais la puissance radioactive d’une attirance comme amoureuse dicte à l’écrivain le devoir de transcrire ses souvenirs : Hamza le fidaï et sa mère rencontrée à Irbid ; figure de piéta, obsessionnellement présente quatorze après. Hamza et sa mère, sorte de couple mythique de la révolution palestinienne. «Le point fixe, cette sorte d’étoile Polaire, c’était toujours Hamza, sa mère, la disparition de Hamza, ses tortures, sa mort presque certaine ; mais alors reconnaître sa tombe et la survie possible de sa mère, mais alors sa vieillesse ? Ce point fixe se nomma peut-être l’amour, mais quelle sorte d’amour avait germé, crû, s’était étendu en moi pendant quatorze ans pour un gamin et une vieille que j’avais vus, en tout et pour tout vingt-deux heures ? Puisqu’il émettait encore son rayonnement, sa puissance radioactive s’était élaborée pendant des millénaires ? En quatorze ans, mes voyages qui m’avaient conduit dans plus de seize pays, que je fusse sous n’importe quel ciel, je mesurais la surface terrestre que ce rayonnement avait irradié.»
Subsistent aussi , vivaces, les images de la résistance palestinienne dans les bases et les camps au temps de l’héroïsme insolent, les départs de nuit pour des coups de main sur l’autre rive du Jourdain., vécus comme des fêtes - funèbre cérémonial – tandis que les voix se confondaient avec les chants des ruisseaux !Se souvenir, c’est aussi frayer le chemin à la voix des autres, à leurs paroles , révéler les visages des êtres rencontrés dans les profondeurs de la résistance palestinienne..Pour l’iconoclaste Jean genet, les associations d’idées les plus imprévisibles servent à décoder le réel. Ainsi de la description toute personnelle de l’assassinat des dirigeants palestiniens, Kamal Adouan, Kamel Nasser et Abou Youssef Nedjat par un commando israélien camouflé en travestis…La gravité n’exclut pas chez lui l’humour. En guise de commentaire à la légitimité d’Israël, Genet note : « Aussi fortiche que Shakespeare. Ereztz Israël fit avancer des forêts »….
C’est dans une chambre d’hôtel, seul qu’il s’est éteint. Dans son parcours, tour ensemble, la comédie et le martyre se donnèrent rendez-vous. Jean-Paul Sartre qui avait peu avoir avec les choses de la théologie, le sacra néanmoins Saint-Genet. Solitaire, ce dernier fut en fait prodigue en solidarités. La droiture de son itinéraire reste exemplaire. De la prison de sa jeunesse aux rayons de la Pléiade, il n’eut qu’un seul vertige : la passion des opprimés. Les Palestiniens l’occupèrent avec ferveur jusqu’à la fin de sa vie. Tahar Ben Jelloun a écrit à ce propos : « Ce qui l’intéressait le plus à la fin de sa vie, c’était le sort du peuple Palestinien. Son dernier roman Un Captif amoureux est l’histoire de Hamza, un combattant Palestinien à la recherche de sa mère. Et si c’était de la mère de Jean Genet qu’il s’agissait ? Il était captif d’une blessure, celle de l’enfant abandonné par sa mère ». Et quel aveu plus significatif de son lien avec les Palestiniens : « Quelle sottise. Je n’ai jamais aidé les Palestiniens. Ils m’ont aidé à vivre.» !
A.K
Jean Genet : Un captif amoureux, Gallimard, 1986
Un Captif amoureux fut le dernier livre de Jean Genet. Une œuvre testamentaire, publiée l’année même de sa mort, en 1986. Il avait repris sa plume après de longues années de silence. Après l’horreur de Sabra et Chatila. Il avait consacré son livre, emblématiquement, à son compagnonnage avec la cause palestinienne pendant une quinzaine d’années. Homme d’engagement radical, il en avait déjà donné la mesure à l’égard des Algériens, des Vietnamiens et des Noirs-américains, plus précisément les Black Panthers. . Témoin solidaire dans les camps palestiniens et voix des sans-voix, il fait œuvre aussi de poète dans sa passion pour les minorités opprimées. Il a ainsi comparé le destin des Palestiniens à une tragédie shakespearienne. De ce compagnonnage avec les Palestiniens avec la résistance palestinienne inaugurée depuis Septembre noir en Jordanie à Sabra et Chatila au Liban, il retrace ainsi ses voyages à l’intérieur « d’une forêt de souvenirs, de réminiscences rebelles à la chronologie aux repères d’usage car « chaque souvenir , moins d’une goutte de parfum peut-être fait revivre l’instant défunt non selon sa fraîcheur vivante de cette époque mais autrement, , je veux dire revivant d’une autre vie ». Rien n’est fictif donc hormis l’art et la manière avec lesquels Jean Genet le fixe. Selon l’auteur, le lyrisme irréalise à l’époque les Palestiniens. Et la vague d’écrits sur la question escamote par l’excès d’images et de métaphores la consistance du fait palestinien. « Une espèce d’obscurité blafarde, une nuit de neige par exemple dissimulait tout, et la neige ne cessait de tomber, alors tout vraiment, tout, depuis la barrière du pré, le feddaï en sueur ou en sang la femme en couches, le bois des sapins, les camps, les boîtes de conserve, tout fut recouvert d’une couche de mots, toujours les mêmes et dissimulant en fin de compte tout ce qui avait trait à la Palestine… », écrit Jean Genet.
Faut-il ici rappeler l’emphase qui fit si longtemps office d’exorcisme de la tragédie palestinienne dans le monde arabe. Et qui par bien des côtés continue à sévit et à faire illusion et écran à la complexité des enjeux…
J.Genet l’avait bien vu : Entre l’injonction à combattre et l’étalage du lyrisme, la vocation tendait plutôt vers la deuxième alternative. Aussi avec beaucoup appréhendait-il l’utilité de son propre texte. Mais la puissance radioactive d’une attirance comme amoureuse dicte à l’écrivain le devoir de transcrire ses souvenirs : Hamza le fidaï et sa mère rencontrée à Irbid ; figure de piéta, obsessionnellement présente quatorze après. Hamza et sa mère, sorte de couple mythique de la révolution palestinienne. «Le point fixe, cette sorte d’étoile Polaire, c’était toujours Hamza, sa mère, la disparition de Hamza, ses tortures, sa mort presque certaine ; mais alors reconnaître sa tombe et la survie possible de sa mère, mais alors sa vieillesse ? Ce point fixe se nomma peut-être l’amour, mais quelle sorte d’amour avait germé, crû, s’était étendu en moi pendant quatorze ans pour un gamin et une vieille que j’avais vus, en tout et pour tout vingt-deux heures ? Puisqu’il émettait encore son rayonnement, sa puissance radioactive s’était élaborée pendant des millénaires ? En quatorze ans, mes voyages qui m’avaient conduit dans plus de seize pays, que je fusse sous n’importe quel ciel, je mesurais la surface terrestre que ce rayonnement avait irradié.»
Subsistent aussi , vivaces, les images de la résistance palestinienne dans les bases et les camps au temps de l’héroïsme insolent, les départs de nuit pour des coups de main sur l’autre rive du Jourdain., vécus comme des fêtes - funèbre cérémonial – tandis que les voix se confondaient avec les chants des ruisseaux !Se souvenir, c’est aussi frayer le chemin à la voix des autres, à leurs paroles , révéler les visages des êtres rencontrés dans les profondeurs de la résistance palestinienne..Pour l’iconoclaste Jean genet, les associations d’idées les plus imprévisibles servent à décoder le réel. Ainsi de la description toute personnelle de l’assassinat des dirigeants palestiniens, Kamal Adouan, Kamel Nasser et Abou Youssef Nedjat par un commando israélien camouflé en travestis…La gravité n’exclut pas chez lui l’humour. En guise de commentaire à la légitimité d’Israël, Genet note : « Aussi fortiche que Shakespeare. Ereztz Israël fit avancer des forêts »….
C’est dans une chambre d’hôtel, seul qu’il s’est éteint. Dans son parcours, tour ensemble, la comédie et le martyre se donnèrent rendez-vous. Jean-Paul Sartre qui avait peu avoir avec les choses de la théologie, le sacra néanmoins Saint-Genet. Solitaire, ce dernier fut en fait prodigue en solidarités. La droiture de son itinéraire reste exemplaire. De la prison de sa jeunesse aux rayons de la Pléiade, il n’eut qu’un seul vertige : la passion des opprimés. Les Palestiniens l’occupèrent avec ferveur jusqu’à la fin de sa vie. Tahar Ben Jelloun a écrit à ce propos : « Ce qui l’intéressait le plus à la fin de sa vie, c’était le sort du peuple Palestinien. Son dernier roman Un Captif amoureux est l’histoire de Hamza, un combattant Palestinien à la recherche de sa mère. Et si c’était de la mère de Jean Genet qu’il s’agissait ? Il était captif d’une blessure, celle de l’enfant abandonné par sa mère ». Et quel aveu plus significatif de son lien avec les Palestiniens : « Quelle sottise. Je n’ai jamais aidé les Palestiniens. Ils m’ont aidé à vivre.» !
A.K
Jean Genet : Un captif amoureux, Gallimard, 1986
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