dimanche 22 février 2009

الطيب صالح TAYEB SALYH 1929 - 2009







Le romancier soudanais Tayeb Salih est décédé le 18 février 2009 à Londres où il vivait en exil. L'auteur de «Saison de la migration vers le Nord», un classique de la littérature arabe du XXe siècle, s'est éteint à l'âge de 80 ans.
Né en 1929 dans un village du nord du Soudan, Tayeb Salih a étudié au Royaume-Uni et travaillé pour le service arabe de la BBC ainsi qu'au siège de l'Unesco à Paris.
Paru à la fin des années 1960, «Saison de migration vers le Nord» avait été censuré . Des associations soudanaises avaient demandé à ce qu'il soit candidat pour le prix Nobel de littérature. «Saison de migration vers le Nord» avait été déclaré en 2001 «le roman arabe le plus important du XXe siècle» par l'Académie de la littérature arabe, établie à Damas.
Plusieurs de ses ouvrages sont disponibles chez Actes Sud: «Bandarchâh», «Les Noces de Zeyn et autres récits» et «Saison de la migration vers le Nord».

***
La dialectique de l'acculturation a donné à la littérature
arabo-africaine ses oeuvres les plus significatives.
Le plus souvent sous le signe de la tragédie
et de la fascination suicidaire. Perte de la terre, de
la langue de la mère pour une hypothétique émancipation,
en tout cas un douloureux et trouble accès
à la modernité. Davantage que certains traités savants, cette
problématique a été développée avec une puissance d'évocation
éloquente par le roman. Sur le mode didactique,
comme il sied dans toute oeuvre de formation à travers le
regard interrogatif de l'enfant, comme dans «L'aventure
ambiguë» de cheikh Hamidou Kane. L'ensemble porté par
une parole poétique toute en sobriété et ruisselant de spiritualité
et de dévotion à la nature. Publié en 1961,
«L'aventure ambiguë» est devenu un classique africain qui
n'a pas épuisé sa sève, tant il annonçait les profonds bouleversements
post-coloniaux. N'est-ce pas Pascal qui affirmait : «Je crains l'homme d'un
livre». Pris dans une acceptation d'ouverture, cet aphorisme
renvoie aux livres fondateurs. Et qui ont valeur d'oeuvre dans
leur singularité. Que l'auteur, par la suite ait écrit ou pas
d'autres titres non moins importants, il restera comme figé
dans un titre unique. De là peuvent découler bien des ambiguïtés
littéraires et philosophiques. A la charnière de deux
mondes, l'africain et l'arabe, le romancier soudanais de langue
arabe, Tayeb Salih occupe dans cette problématique de
la fascination-répulsion de l'Occident une place exemplaire.
Comme jamais auparavant dans la littérature arabe, il nous a
donné à la fois avec finesse et audace la mesure de la relation
ambivalente de la confrontation entre l'Occident et le
monde afro-musulman, entre le Nord et le Sud.
Son roman “Saison de la migration vers le Nord” (Mawssim
Alhidjra ila ashamal) publié en arabe en 1969 au Liban est
aujourd'hui une oeuvre emblématique que des épigones
moins inspirés imitent avec entrain mais guère de talent.
Ce qui était de l'ordre du dévoilement socratique dérive en exhibitionnisme
sous le regard insatiable de l'industrie littéraire…
Saison de la migration vers le Nord, traduit en plus de 20
langues, a été déclaré, en 2001' roman arabe le plus important
du XXe siècle par l'Académie arabe de Damas. De quoi
taquiner la Pyramide du roman égyptien…On sait que
l'Orient est bien compliqué, et la critique littéraire en procède.
Quelques lignes pour résumer la trame de ce roman.
Effendi, le narrateur du roman, après des études supérieures
à Londres rentre au Soudan servir son pays. Il va découvrir
un curieux paysan, Mustafa Saïd avec lequel il engagera
un dialogue qui par-delà les interrogations qui le taraudent
l'incite à restituer le destin de ce dernier. C'est un peu sa
propre histoire , sa quête identitaire que lui renvoie comme
un miroir implacable le fascinant Mustafa Saïd qui disparaîtra
dans les eaux du Nil laissant au narrateur la redoutable
recherche des morceaux épars de son parcours et la paix de
l'être. Enquête, quête, «Saison de la migration vers le
Nord», fiction littéraire se dédouble d'une complexe méditation
sur le déchirement de l'individu tenu par un lien ombilical
au clan, à la communauté d'origine et au lourd prix
qu'il doit en gage de l'affirmation de son individualité. Un
vieux proverbe (approximativement traduit) de chez nous
dit : «Celui qui danse sur les marches est nulle part».Ainsi
Tayeb Salih fait dire à son personnage : «Je me retournai à
droite puis à gauche : me voici parvenu à égale distance
entre le nord et le sud. Je ne pouvais ni avancer ni reculer».
Le livre a frappé les esprits, car il traitait de l'un des tabous
les plus assis (hyprocritement), l'interdit de la libre évocation
du sexe et de la sensualité dans les oeuvres artistiques.
A l'époque, ce fut une manière de coup de tonnerre.
D'autant plus qu'il traitait de la passion amoureuse tumultueuse
avec une Etrangère : «On rencontre en Europe fréquemment
ce genre de femme intrépide, gaie et curieuse de
tout. Et moi, j'étais un désert de soif, plein de désirs fous…Je
devins pour elle une créature primitive et nue de la jungle,
armée de flèches et l'arc à la main, guettant lions et éléphants
». (…) “Parfait : la curiosité changea en connivence
puis en compassion”. Dans un livre plus tardif,
Bandarchâch, Moheymid, après s'être essayé à devenir un
«effendi» retourne à son village natal, Wad Hamid lové dans
les méandres soudanaises du Nil. Il retrouve ses camarades
d'enfance vieillis et déjà habités par la nostalgie, et les vieillards
tels des enfants, privés d'action, ils ont fait de leurs
rêveries leur réel. Ici Tayeb Salih se penche sur le temps, la
géographie existentielle du Soudan, de ses origines multiples
et syncrétiques aux racines plongeant dans la nuit du
temps. Ainsi que l'irruption du modernisme clamé à coups
de slogans. C'est «la guerre… entre ce qui était et ce qui
allait être». Vers un monde meilleur ? «Il faut que tout change pour que tout reste comme avant», dit un personnage dans le «Guépard» du Prince de Lampedusa.
Le mondepost-colonial est riche en mystifications mues par la volonté
de puissance et de classe. On sait ce qu'il advient du pays
de Tayeb Salih qui vit en exil depuis des décennies.
Dernièrement, Tayeb Salih a publié un nouveau roman :
«Mensi, un homme rare à sa manière.»Gageons que ce personnage
a du génie à l'image de son auteur.
A.K.
*In Algérie News du 9 septembre 2008

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