Ce fut une sorte de météore.
Humainement et littérairement parlant.
A chaque fois que l’on revisite ses textes et son parcours, une impression d’inépuisable ardeur fraîcheur retient le regard :
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n’entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
Pour que même l'autre oreille n’entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Ces varechs jetés par les lames des étés
Sa parole fondée sur "une lucide connaissance du mal" est porteuse d'un énergique optimisme qu'elle clame dans des vers à la facture classique et cependant novatrice. Dans cette poésie, la sensiblerie n'est pas de mise. Bien au contraire des accents violents se font entendre quand elle parle des "femmes fières d'avoir le ventre rouge / à force de remettre au monde leurs enfants". Nostalgie de l’enfance, des âpres paysages chaouias où elle a grandi, où ses racines plongent : "Tout ce qui me touche en ce monde jusqu'à l'âme / sort d'un massif peint en rose et blanc sur les cartes.
Elle meurt après l'indépendance, en hiver 1996, des suites d’un accouchement. Elle laisse un recueil posthume « Temps fort « (Présence Africaine, 1966) où l'on peut découvrir de nombreux poèmes qui traduisent le désenchantement et la déception au spectacle de l'arrivisme social et l’écart avec les idéaux proclamés durant « le combat algérien ». « Dans des pays des morceaux de moi font semence » a-t-elle aussi écrit.
On ne sème pas en vain.
Elle fait partie de ces éclaireurs de la fraternité humaine qui ont préservé les chances d’un dialogue d’avenir entre les deux rives de la Méditerranée.
Abdelmadjid Kaouah
Abdelmadjid Kaouah
1 commentaire:
Avec la rage au cœur
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
C'est ma manière d'avoir du cœur à revendre
C'est ma manière d'avoir raison des douleurs
C'est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d'or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l'abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l'acier brûle ces méduses
Secrètes que j'ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n'ont plus besoin d'excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m'ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n'en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C'est bien suffisant pour que j'en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu'il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m'étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t'aimais
Plus souvent qu'a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l'ancre dans ma mémoire et j'ai peur
Quand de mes amis l'ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s'ouvre à la place de mes yeux - je suis jeune
Ce qui n'est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu'il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule - à ne pas croire...
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours - dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante - je ne sais plus aimer
Qu'avec cette plaie au cœur qu'avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu'on les ait aimés
Eux que l'on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l'amour qu'ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire
ANNA GREKI
poèmes algériens espoir et parole recueillis par Denise Barrat
Merci pour tous les auteurs que je découvre ici.
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