dimanche 3 janvier 2010

MACHADO QUI DORT A COLLIOURE



J'aime à entamer cette année nouvelle sur les paroles fortes d'Antonio Machado:
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer


Le deux février 1939,le poète Antonio Machado, en compagnie de son mère et de son frère, au terme d’un long et harassant exode, fait halte ,épuisé, à l’auberge Quintana, à Collioure. C’est là que vingt jours après s’éteignit le deuxième plus grand poète d’Espagne. Son ami Federico Garcia Lorca avait été fusillé près de Grenade en 1936. Machado avait écrit en hommage : « Le crime a eu lieu à Grenade ». Après le décès d’Antonio Machado, son nom de plume), son frère a retrouvé dans son par-dessus un papier chiffonné où il avait tracé ce que l’on considère ses derniers vers : « Esta dias azules y este sol de la infancia » (ces jours bleus et ce soleil de l’enfance). Il est enterré à Collioure, avec sa mère âgée qui ne lui a pas survécu. Sa tombe est devenue au fil du temps un lieu emblématique. Comme le tombeau d’un saint laïc républicain. Comme tant d’autres, nous nous sommes recueillis sur la tombe de cet autre illustre et tragique Andalou. Lorca était de Grenade, lui de Séville. Louis Aragon écrivit dans Les Poètes - admirablement mis en musique et chantés par Jean Ferrat- : « Machado dort à Collioure /Trois pas suffirent hors d'Espagne/ Que le ciel pour lui se fît lourd /Il s'assit dans cette campagne /Et ferma les yeux pour toujours ».
Républicain dans l’âme, le poète Antonio Machado, s’est rangé aux côtés des défenseurs de la jeune République espagnole. En dépit d’une héroïque et désespérée résistance face aux forces séditieuses militaires du Général Franco les républicains, abandonnés par les démocraties et cible des régimes totalitaires nazi et mussolinien liguées contre eux (un banc d’essai des armes nouvelles) subissent la défaite et vont connaître une terrible répression. Face à l’avancée des troupes franquistes, des centaines de milliers de réfugiés espagnoles traversent le col du Perthus pour se réfugier en France. Parmi ces cohortes d’infortunés, le poète Antonio Machado. Un surprenant accueil les attendait pour la plupart : des camps dits de concentration. La honte de la troisième république française, bien avant l’avènement de l’Etat de Vichy... Des camps qui serviront plus tard pour les Juifs durant l’occupation, et pour les patriotes algériens durant la guerre d’Algérie…Destins croisés.
En vérité, Antonio Machado, dit-on, n’avait rien du tribun. C’était u homme déjà d’un certain âge quand il se rangea du côté de la Seconde république espagnole : « Je pense à l’Espagne toute entière vendue/ de fleuve en fleuve, de montagne en montagne/ de l’une à l’autre mer ».
C’était un être à la fois simple et profond. Simple, loin de l’irradiation de ses contemporains, tels Lorca et Rafael Alberti. Profond car il interroge « les grands mystères de la vie humaine dans une contemplation attentive des hommes et du monde » (Miguel Martinez).
Antonio Machado avait dit, prédit, pour ainsi dire,l’inéluctable victoire posthume de la vérité historique:
« Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer ».

Il était mort donc en pleine Retirada, Exode de plus de 500.000 républicains espagnols vers la France. Il y a 7O ans. Au lendemain de la mort du « Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios », la seule alternative proposée, au peuple espagnol était : « La mémoire ou l’oubli ». Ce fut dans un premier temps l’oubli qui s’est imposé… Aujourd’hui, les nouveaux historiens, fils ou petits-fils des républicains en Espagne ou dans la diaspora réfutent et récusent cette qualification. Pour eux, il ne s’agissait ni plus ni moins que du prélude en Espagne de la Seconde guerre mondiale. A l’instar de Jean Ortiz, universitaire haut en couleurs, auteur d’ouvrages et de films, et à l’engagement politique incandescen.Lui-même « fils de rojo », est le sujet d’un documentaire du même nom. Il intervenait, avec d’autres, à la librairie La Renaissance (qui vit le jour à la Libération) de Toulouse. Rien d’étonnant à ce que cette dernière accueille une rencontre dédiée à « La guerre d’Espagne : l’enjeu de la mémoire ». D’autant plus que Toulouse fut la capitale des Républicains espagnols en exil.Ces dernières années, l’oubli est mis sur la sellette. De grands débats traversent l’Espagne, les morts des fosses communes du franquisme remontent à la surface, ils commencent à avoir un visage, une vie, des familles. Une nouvelle génération veut savoir. Une véritable bataille pour la mémoire s’est enclenchée. L’Espagne semble vouloir, sa société civile pour le moins, affronter, confronter les années noires. Et dans les débats, des vérités même amères remontent y compris dans le camp des républicains.
La récupération de la mémoire historique n’est pas un simple hommage aux victimes du franquisme. Ce n’est pas un exercice d’exorcisme, cette volonté de récupération de la mémoire historique fait partie des enjeux politiques actuels en Espagne.
Et le rêve d’un troisième République agitent les cœurs et la raison des héritiers des « vaincus magnifiques » de la guerre d’Espagne.
Présence en ce printemps tardif à Toulouse des mânes de Machado.
Sur sa tombe de Collioure, ont peut lire tracés ces vers :
« Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer ».


A.K

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