vendredi 29 octobre 2010

Voix de novembre



Ceci est mon poème
Plaise à Dieu qu’il soit beau
Et se répande partout
Qui l’entendra l’écrira
Ni le lâchera plus
Et le sage m’approuvera…

Si Mohand Ou Mohand

Partager le poème, c’est ouvrir une nacre
Jean Sénac


***

Jean El Mouhouv Amrouche

Le combat algérien


Alors vint une grande saison de l’histoire
Portant dans ses flancs une cargaison d’enfants indomptés
Qui parlèrent un nouveau langage
Et le tonnerre d’une fureur sacrée :
On ne nous trahira plus
On ne nous mentira plus
On ne nous fera pas prendre des vessies peintes
De bleu de blanc et de rouge
Pour des lanternes de la liberté
Nous voulons habiter un nom
Vivre ou mourir sur notre terre mère
Nous ne voulons pas d’une patrie marâtre
Et des riches reliefs de ses festins

Nous voulons la patrie de nos pères
La langue de nos pères
La mélodie de nos songes et de nos chants
Sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
Dans le présent sans mémoire et sans avenir

Ici et maintenant
Nous voulons
Libres à jamais sous le soleil dans le vent
La pluie ou la neige
Notre patrie Algérie


J-E.A.



Malek HADDAD

Ecoute et je t'appelle

Par-dessus les chansons des buissons fracassés
Écoutez-moi je parle
Avec la bouche des morts
Écoutez-moi j'écris
Avec la main brisée sur sa guitare



Je suis votre miroir
Il est beau l'assassin
J'ai la laideur exacte
De cette vérité qui fait mal à dire



Au voleur chaque fois qu'un poète se noie
Dans le cœur de sa muse et dans le cœur des mots
Moi les mots que j'écris font des mathématiques
On a tué tant d'Algériens !



Au voleur chaque fois que la rime en toilette
Attend l'alexandrin tiré à quatre épingles
Pour savoir un amour je sais les Némenchas
Le téléphone et la baignoire



Au voleur chaque fois que pour faire un poème
On marivaude avec l'Histoire
On fait le beau avec des mots
On se regarde dans la glace



La chaumière et le cœur ?
Sur les hauteurs d'Alger
La villa Susini
Est le château de mes amours....


M.H.






Mohammed DIB

Sur la terre, errante

Quand la nuit se brise,
Je porte ma tiédeur
Sur les monts acérés
Et me dévêts à la vue du matin
Comme celle qui s'est levée
Pour honorer la première eau ;

Étrange est mon pays où tant
De souffles se libèrent,
Les oliviers s'agitent
Alentour et moi je chante :

- Terre brûlée et noire,
Mère fraternelle,
Ton enfant ne restera pas seule
Avec le temps qui griffe le cœur ;
Entends ma voix
Qui file dans les arbres
Et fait mugir les bœufs.

Ce matin d'été est arrivé
Plus bas que le silence,
Je me sens comme enceinte,
Mère fraternelle,
Les femmes dans leurs huttes
Attendent mon cri

Pourquoi, me dit-on, pourquoi
Vas-tu visiter d'autres seuils
Comme une épouse répudiée ?
Pourquoi erres-tu avec ton cri,
Femme, quand les souffles
De l'aube commencent
A circuler sur les collines ?

Moi qui parle, Algérie,
Peut-être ne suis-je
Que la plus banale de tes femmes
Mais ma voix ne s'arrêtera pas
De héler plaines et montagnes ;

Je descends de l'Aurès
Ouvrez vos portes
Épouses fraternelles
Donnez-moi de l'eau fraîche,
Du miel et du pain d'orge ;

Je suis venue vous voir
Vous apporter le bonheur,
A vous et vos enfants ;
Que vos petits nouveaux nés
Grandissent,
Que votre blé pousse,
Que votre pain lève aussi
Et que rien ne vous fasse défaut,
Le bonheur soit avec vous.

M.D.






Noureddine ABA


La Toussaint des énigmes

De radeau en radeau
Et d’errance errance
L’énorme coulée de sable
Qui on vous soupçonnait
De vivre, d’exister ?
Ce chien famélique
Qui n’attendit plus rien de vous ?
L’oiseau que n’effrayait même plus
Votre apparence d’homme ?
Perdu, mes frères, perdu
Le sourire de l’enfant
Découvrant son premier coquillage,
Perdues, mes frères, perdues
Les premières écailles
Sur le jonc de l’adolescente
Egarée par sa première tendresse,
Perdus, mes frères, perdus
L’ivresse des mains d’amis qui se serrent,
Le visage dans le vent,
L’attente des longues nuits
A mordre sur d’autres lèvres,
Perdus, la bouche de jasmin,
Les cheveux teints au henné,
L’ombre du khôl veillant sur le mystère des yeux,
Perdu, mes frères, perdu
Le bonheur d’ignorer la liberté quand on l’a.

De radeau en radeau
Et d’errance en errance,
Jusqu'à ce jour de Novembre
Surgit à l’horizon
Comme un peuple d’oiseaux
Happés par une île aimantée…

--

On dit que vos porteurs d’encensoir plient l’échine
Quand par hasard vous leur adresser la parole,
Monsieur le haut dignitaire du parti ?
On dit aussi que certaines de vos courtisanes
Vous font la révérence et vous appellent sire ?
Pourquoi pas votre Majesté ? on vous le doit.
Ces gueux étaient la veille de pauvres palefreniers,
Comme vous, qui n’étiez qu’un garçon d’écurie !
Mais vous voilà hissé jusqu’aux balcons du ciel.
C’est de là que vous décidez, que vous ordonnez.
Le peuple a la voix rauque de crier sa faim,
Le peuple devient exsangue de perdre son sang.
Mais vous jouez parfois dit-on à la belote
Avec un escroc de vieilles relations
Qui depuis s’est fait un nom dans le vampirisme
- il paraît qu’il égorge et boit le sang des morts
De quoi donc parlez-vous quand vous êtes ensemble ?
De ce que vous ferez quand vous serez
Au pouvoir à bâiller comme des alligators,
A vous gaver de repas pantagruéliques,
De femmes nues à fouetter pour le plaisir ?
Mais dites-moi, vous arrive-t-il une fois de vous souvenir
Qu’on a promis au peuple algérien, un jour de liesse,
Qu’on fusillera à bout portant le mépris
Qu’on fusillera à bout portant l’intolérance
Qu’on chassera à coup de bâton la misère
Qu’on jurera enfin par Dieu, par le Koran
Le droit à la dignité, au bonheur pour tous ?


N.A.




Djamal AMRANI

Ma patrie renaît en son lieu

Peuple aux abords des maux
Avec tes flancs immenses
Gonflés en un faisceau
Tu bâtiras ton monde
De cendres et de soleil
Tribune au cœur du Feu
Hauts reliefs des déserts
Crépuscule sans défense

Sortie des tâtonnements
En échos verticaux
Exubérante d’immédiat
D’incontestable disparu
Aux initiales mobiles
Ma Patrie renaît
En son lieu

Sous un tas de décombres



Assia DJABBAR

Juba

C’était au temps du roi Juba
Et de sa fille Cléopâtre
Un poète vint de Cirta
Fier comme un jeune pâtre
il voulait voir le prince sage
lui apportait un lion en cage
c’était au temps u roi Juba

dans sa ville du nom de César
Iol autrefois Cherchell depuis
Devant son palais près du phare
Noyé dans la mer aujourd’hui
Le roi reçut l’hôte berbère
Qui lui dit en punique et en vers
Je suis un sang de Jugurtha
C’était au temps du roi Juba

Voici un présent en hommage
Je te l’ai ramené de Carthage
De ton sort il présente l’image
Et cette cage est l’empire romain
Mais Juba s’écria en latin
D’Athènes je suis l’héritier
Et de Rome impérial l’allié
Insolent étranger numide
Admire cette colossale crypte
Bâtie pour ma femme d’Egypte
Qui regrettait les Pyramides

Devant la colère de Juba
Sans un mot le poète de Cirta
Libéra le lion de sa cage
Et s’en retourna à Carthage
Dans les marbres la bête royale rôdait
Et Juba à sa vue chaque fois se troublait

Rome étrangla au fond de sa prison
Le fier Jugurtha vaincu par trahison
D’ennui et de nostalgie rongé
Mourut le roi de Césarée

Que se lèvent les poètes de Cirta
A chaque temps des rois Juba.




Laadi FLICI

Rue Ben M’Hidi
(extraits)

une terrasse de café, des rires
un caïd, un garde champêtre, un melon
des partis, des pastis, des paniers, un arabe
un jeu de boules, une famille hernandez, une autre
un yaouled, un vote, un petit paquet, un kabyle
une campagne électorale, une arrestation
une carte blanche, un colon, une descente
un 380 francs journalier, un popaul
une fatma, un bachaga, un soleil, un chaouch
un pied noir, un autre, un cinéma majestic
un bab el oued, un lopez, un lynch
un square bresson, des ânes, des tournées
un bugeaud, un randon, une a.g.e.a
un vive le gallia, une personnalité religieuse
un mouloudia, un enfant de la casbah, un autre
un kabyle intelligent pas comme les autres
un barman, un pied noir, un directeur
un messier libéral très distingué, un notable
un spectacle de la semaine, un autre, un autre pluriel

vous qui savez ce que sont
la noblesse de l’esprit
et l’élévation de la pensée
la dignité humaine
et la liberté totale
témoignez et criez
tout haut !


L.F.



Bachir HADJ-ALI

Serment

Je jure sur la raison de ma fille attachée
Hurlant au passage des avions
Je jure sur la patience de ma mère
Dans l'attente de son enfant perdu dans l'exode
Je jure sur l'intelligence et la bonté d'Ali Boumendjel
Et le front large de Maurice Audin
Mes frères mes espoirs brisés en plein élan
Je jure sur les rêves généreux de Ben M'hidi et d'Inal
Je jure sur le silence de mes villages surpris
Ensevelis à l'aube sans larmes sans prières
Je jure sur les horizons élargis de mes rivages
A mesure que la plaie s'approfondit hérissée de lames
Je jure sur la sagesse des moudjahidine maîtres de la nuit
Je jure sur la certitude du jour happée par la nuit transfigurée par l'aurore
Je jure sur les vagues déchaînées de mes tourments
Je jure sur la colère qui embellit nos femmes
Je jure sur l'amitié vécue, les amours différées
Je jure sur la haine et la foi qui entretiennent la flamme
Que nous n'avons pas de haine contre le peuple français


B.H-A.
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