presque
clandestin
à travers
les rues jadis familières.
Les fenêtres de nos maisons
ont dispersé depuis
longtemps l’écho
de nos paroles :
la même turbulence
d’enfants recouvre
le silence de nos ombres évaporées…
Nous pouvons tourner la page.
Ultime adieu au pays
J.C. XUEREB
Jean-Claude
Xuereb, aujourd'hui âgé de 81ans vient d’écrire depuis Avignon, ce qu’il nomme son « Ultime
adieu au pays ».
Jean-Claude XUEREB est né en 1930 sur les hauteurs d'Alger, ville où il a passé
enfance et jeunesse et poursuivit ses études. Il a longtemps vécu à Belcourt
comme « Camus l’enfant de Belcourt « (titre des son texte dans « Albert Camus : Nouvelle
présence », Autre Sud 44-2009). Il
assisté, en mars 1948, aux rencontres de Sidi Madani, où à 17 ans il a approché
Camus, Dib, Roblès, Sénac...En 1952, il rencontre à la Fac d'Alger Jamel
Eddine Bencheikh qui deviendra son ami
constant jusqu’à sa disparition. Fin 1961, il a rejoint définitivement la
France avec femme et enfants et entre
dans la magistrature qu'il quittera en 1991. A partir de 1962 s'instaure une
durable amitié avec René Char. Entré au conseil de la rédaction de la Revue SUD
à Marseille en 1993, il prépare en 1995 un numéro Hors série de cette revue
:''Algérie l'exil intérieur'' (textes de 33 écrivains nés en Algérie). Il
participe à l'animation des ''Rencontres méditerranéennes Albert Camus à
Lourmarin'', entre 2000 et 2004, auxquelles sont conviés notamment des
écrivains algériens. Il est invité au ''Printemps des poètes'' à Tunis en mars
2002 et à Alger en mars 2003. Il a participé et intervenu à deux colloques consacrés à Camus en
Algérie, l'un à Oran en octobre 2004, l'autre à Alger et Tipasa en juin
2005.Des liens familiaux l’attachent également
avec son pays natal.
Il a son actif une
douzaine de recueils de poèmes parus
chez Rougerie, de ''Marches du temps (1970) à ''Entre cendre et lumière'' en passant par
''Passage du témoin’’.
Il a collaboré à de nombreuses
revues poétiques. Il partage sa vie entre Avignon et une maison parmi les
garrigues de l'Uzège.
Dans les « Actes des Rencontres « Audisio, Camus Roblès
frères de soleil » (Edisud 2003), J.C. Xuereb
nous donne à lire une précieuse approche de cette fameuse « Ecole
d’Alger des lettres. L’intitulé de
sa contribution est on ne peut plus prudent. « L’Ecole d’Alger, mythe ou
réalité » de Jean-Claude XUEREB
En effet un rêve méditerranéen a soufflé
sur les rivages de l’Afrique du Nord, il y a bien longtemps, dès les
années trente. Une époque trouble, lourde de cataclysmes futurs, dans une
Europe ravagée par la grande crise de 1929. Sur les rives d’Alger, au soleil,
cet astre qui rend, dit-on, la misère
moins implacable, l’utopie méditerranéenne était en chantier et prenait par un
effet journalistique un nom emblématique : « L’école d’Alger ».
Jusqu’à là, en Afrique du Nord, et plus singulièrement, en Algérie coloniale,
régnait l’Ecole Algérianiste.
Elle se réclamait de
Louis Bertrand, l’auteur du « Sang des
races », tenant d’une latinité
exclusiviste, développée par l’Ecole Algérianiste. Selon les termes de son Manifeste de
1920, elle prétendait à une « autonomie esthétique » par rapport à la
Métropole.
Elle se manifesta
durant une quinzaine d’années, autour de Robert Rondeau. Pour Jean-Claude Xuereb « cette démarche, non
dénuée d’arrière-pensées politiques…faisant allègrement l’impasse sur un
millénaire de culture arabo-musulmane » afin de « rattacher cette présence
française, dans une continuité historique, à l’Afrique romaine, puis chrétienne
du Bas empire ». Cette Ecole, même sur le plan littéraire n’a pas laissé de
souvenirs …
Les écrivains de la génération suivante prendront leur distance d’autant plus que
dans les années trente, « la référence à la romanité apparaissait d’autant plus
suspecte qu’elle semblait faire écho aux revendications fracassantes du
fascisme italien » (J-C.Xuereb). Ils chercheront ailleurs leur inspiration.
Camus en créant en 1937 à Belcourt une maison de la culture
intitulait son bulletin « Jeune Méditerranée » en prolongement des essais de
Gabriel Audisio qui exaltait l’ouverture
vers l’héritage grec. La constitution de ce qui fut dénommée « l’Ecole d’Alger » s’appuiera
naturellement sur cet initiateur.
Ses essais sur la Méditerranée ouvrent à la voie à un ressourcement dans
un héritage méditerranéen plus affirmé et
tendu vers l’universalité. Dans un communiqué attribué à
Camus, « l’objet principal est de rejeter la mystique de la latinité telle que
l’exploite la propagande fasciste » afin
de maintenir « entre l’Europe
méditerranéenne et l’Afrique la survivance de leur origine commune qu’est
l’Orient ». Cet idéal ne pouvait que récuser toute forme d’inégalité ou de
ségrégation ethnique ou appartenance religieuse. . La défaite française de 1940 face à l’Allemagne
hitlérienne, l’occupation allemande conduisent à la rupture totale avec la Métropole.
Alger devient en
conséquence la capitale de la
France Libre ou fleurissent les revues (Fontaine, l’Arche, la Nef ) et la librairie « Les vraies richesses » et
les éditions Charlot deviennent le lieu d’une effervescence intellectuelle
notable. A cette mouvance qui compte
Camus, Roblès, Max-Pol Fouchet, Jules Roy, Jean Pélegri, se joignent Jean El Mouhouv Amrouche et sa
sœur Marguerite-Taos Amrouche. Pélegri. Plus tard, avec les « Rencontres de
Sidi Madani », cette mouvance intellectuelle et littéraire elle fut sans conteste le lieu d’amitiés et de confrontation d’affinités communes de toutes origines autour de la revue « Forge » avec la participation de Mohamed Dib, Kateb
Yacine, Malek Ouari, Ahmed Sefrioui… »Ceux d’entre eux, issus de la minorité
européenne de l’Algérie, déplorent la mentalité « petit blanc » qui entache les
relations humaines…» indique J-C Xuereb qui prit part très jeune à une
rencontre de Sidi Madani (La Citadelle des Gorges de la Chiffa qui fut à l’époque
une auberge de la jeunesse). Certains qui vécurent de près l’aventure
littéraire algéroise ne sont pas loin de la considérer comme un brillant et éphémère …canular. S’il n’y eut
point de chapelle consacrée, l’idéal de la fraternité humaine avait fait une
percée .Ecole fantomatique à l’appellation d’origine non contrôlée, elle aura
cristallisé la rencontre d’écrivains nés
ou ayant longtemps vécu « sur un même rivage de soleil ». Dans « Le Mythe al- Andalous et les
écrivains algériens », Xuereb ajoute : (…)
Dans la mémoire des hommes, l’histoire d’al – Andalous est demeurée un
modèle vivant de coexistence conviviale. Dès le XII ème siècle, un historien
maghrébin, al – Maqqari a présenté, à l’intention des lecteurs arabes, une
histoire générale d’al – Andalous, dont il avait lui-même vécu la fin avec
l’expulsion des Morisques. Les écrivains arabes des XIX ème et XX ème siècle
ont perpétué l’image d’un ‘’paradis perdu’’ andalou dans une perspective
romantique et nationaliste. De leur côté, les historiens espagnols, après avoir
longtemps minimisé l’importance de la période arabo – andalouse, voire nié la
réalité même de celle-ci, ont de plus en plus largement fait référence, surtout
depuis l’avènement récent de la démocratie dans leur pays, à l’univers pluriel
d’une ‘’Espagne des trois religions’’…
Le mythe andalou a traversé, de manière plus ou moins explicite, le rêve
méditerranéen créé et entretenu par toute une génération d’écrivains à partir
des années 30, ceux auxquels a été ensuite appliquée l’appellation quelque peu
artificielle d’Ecole d’Alger’’ ».
Jean Pélégri ( à gauche) et Jean-Claude Xuereb ( à droite)
Cahiers des Diables bleus
Autant de traces de mémoire pour tenter une tenace nostalgie avivée par l’âge
« A travers le temps et l’espace, les mains se joignent
puis se disjoignent. Le destin des êtres se noue se dénoue inexplicablement », écrit J.C.
Xuereb dans son « Ultime adieu au pays ».Eclats de mémoire de
l’enfant qui n’a jamais quitté le vieil homme. Dans Requiem pour une jument
nommée « Lorraine », il nous donne à voir avec une précision
d’horloger une scène d’enfance, « un voyage hors du quotidien » avec le père sur un char à bancs vers les halles de Belcourt.
Autant de traces de mémoire, avoue-t-il
pour tenter une tenace nostalgie avivée par l’âge. En « passant
inconnu, presque clandestin », il revisite après des décennies, les lieux
de son enfance. Le temps et les hommes ont fait leur œuvre corrosive.
« Les fenêtres de nos maisons ont dispersé depuis longtemps l’écho de nos
paroles : la même turbulence
d’enfants recouvre le silence de nos ombres évaporées…Nous pouvons tourner la
page », écrit XUEREB. Ultimes paroles, peut-être, d’avenir, cinquante
après.
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