dimanche 24 mars 2013

Bernard Mazo : Veilleur des rives

Et c’est là dans cet écart aboli que tout commence B.Mazo « Un poème chante ou ne chante », tel est le credo, me semble-t-il, de Bernard Mazo qui reprend un aphorisme de René Char. C’est en tous cas ce que j’ai retenu de notre échange à propos de la condition poétique. Bernard Mazo ne m’était pas inconnu, de proche en proche j’avais découvert, lu quelques uns de ses textes. Mais c’est grâce à la médiation, pour ainsi dire, du poète et peintre Hamid Tibouchi que j’ai eu le plaisir de le rencontrer et mieux le connaître, en la bonne ville de Rambouillet (dont la Médiathèque prête une attention fidèle à l’œuvre de l’écrivain et poète Rabah Belamri.…). La cendre des jours qu’accompagnait graphiquement H. Tibouchi fut pour moi un accès vivifiant à l’univers poétique de Bernard Mazo. C’est « dans le silence habité du poème », qu’il cisèle ses strophes d’une grande sobriété métaphorique. Ses vers se déclinent comme des évidences, des sentences philosophiques (« on creuse/le silence/ On s’entête »). Il se défie assurément de l’emphase et fait confiance à l’intelligence de l’éclair traqué dans ses ultimes fulgurances. Il y avait plus d’une circonstance dans le parcours et l’œuvre de Bernard Mazo qui favorisait une réelle affinité ; D’abord, naturellement, il y avait le Sud, plus singulièrement, l’Algérie au destin entrecroisé si longtemps avec celui de la France. Bernard Mazo sans détour fait la part du tragique dans ce compagnonnage imposé par l’histoire coloniale. Comme beaucoup de jeunes Français, Bernard Mazo eut « vingt ans dans les Aurès ». et depuis, il confie qu’il porte l’Algérie et les Algériens dans son cœur « comme une blessure jamais tout à fait refermée et cela depuis plus de cinquante ans ». Il y a découvert la richesse de la culture multimillénaire berbère, et arabe en même temps que les affres du colonialisme avec son cortège de misère et d’injustice. Dans cette « salle guerre » qui n’avouait pas son nom, il a entendu également les appels de quelques Justes français, tels qu’ Henri Alleg, Maurice Audin , et autres hommes de conscience comme Jean de Maisonseul et le général Pâris de La Bollardière . Et, au cœur de ces Aurès tourmentés, la poésie était là. Eclairante et salvatrice. Bernard Mazo à l’écoute des voix algériennes nouvelles, Kateb Yacine et Jean Sénac, parmi les premiers, entrait dans l’intimité d’une revendication nationale en même temps que dans les profondeurs des cultures du monde arabe. Dans son travail à venir, son passage par les Aurès aura été fertile. Il retournera plusieurs fois en Algérie où il entretient des liens d’une grande densité en même temps qu’il développe une fine connaissance de la poésie algérienne. La parole -comme sa poésie- de Bernard Mazo est d’autant plus précieuse en entre les deux rives de la Méditerranée pour à la fois entretenir la fraternité poétique et le partage humain. Bernard Mazo n’esquive pas pour autant la complexité existentielle : « Au fond, j’ai ce travers de vouloir être aimé et de ne jamais oublier que nous avons une trajectoire mortelle, que nous sommes exilés sur terre, souvent désorientés face au grand mystère de la vie et de l’univers ». Voyageur au long cours du fait poétique sur « cette terre vouée au désastre », Bernard Mazo nous confie sans réserve : « : Pour moi, la langue arabe est la langue de la poésie. Elle l’a fut dès la lointaine époque anté-islamiste avec le Soufisme puis ne cessa de se développer à partir de l’an I de l’Hégire, eut sa période flamboyante au cœur de la civilisation Arabo-Andalouse pour retrouver un second souffle dans la seconde partie du XX° siècle ». Ainsi les œuvres des grands maîtres tels Adonis, Georges Schéhadé, Salah Stétié Ounsi El Hage n’ont pas de secret pour lui tout autant que les nouvelles voix comme Joumana Haddad, Abdelmonem Ramadan, Salah Al Hamdani. Sans oublier Mahmoud Darwich qu’il tient pour « l’une des grandes voix mondiale contemporaine qui pouvait réunir des milliers de personnes pour ses lectures ». A côté de ces grandes voix du monde arabe, il ne manque pas de préciser que « la poésie la plus novatrice s’est développée au Maghreb et plus spécifiquement en Algérie avec ces grands poètes francophones ».Ayant une connaissance étendue des expressions poétiques dans le monde arabe, le propos de Bernard Mazo est loin d’être une convenance généreuse à l’égard des poètes du Maghreb. Mieux, il nous surprend encore par l’attention vigilante qu’il prête aux nouveaux paysages poétiques originaires de cet espace. . Il s’agit de la poésie féminine dans son versant francophone comme arabophone qu’il dépeint avec enthousiasme, la trouvant d’une « force et d’une richesse exceptionnelles. Poésie de résistance, poésie de revendication, poésie tissée d’images fortes et d’un lyrisme retenu ». C’est une chance précieuse qu’ont les poètes du Machreck et du Maghreb d’avoir au pays de Rimbaud et de Char un tel ami attentif à leurs créations et qui en témoigne avec une pénétrante assiduité. A l’écoute du « bruissement mystérieux du monde » Bernard Mazo domestique ses fureurs et ses débordements par l’exercice d’une poésie solidaire mais qui ne renonce pas aux emblèmes de la rigueur et de la profondeur esthétiques. « Il écrit au nom/de tout ce qui ne veut pas mourir …/ dans le torrent impassible/des jours. ». C’est sa réponse tranquille à l’implacable question de Hölderlin «A quoi bon des poètes en temps de détresse ? ». Abdelmadjid Kaouah

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