dimanche 24 mars 2013

Résurrection à Ramallah

C’est le récit d’un mort. Avant même de terminer la première page, on sait que le narrateur est engagé dans un voyage sans retour. Sur plusieurs plans, celui d’une inexorable avancée de la mort dans un retour salvateur à l’enfance et une pérégrination à la fois métaphysique et panthéiste dans les tréfonds de la nature et de l’histoire Autant de directions qui cheminent lentement vers une sorte de promesse de résurrection. Celui qui nous dit « Je serai parmi les amandiers » se nomme Husseïn Al-Barghouti. Il est Palestinien, né dans le village près de Ramallah, en 1954. C’est un brillant universitaire, titulaire d’un doctorat en littérature comparée aux activités littéraires et artistiques multiples. Poète, parolier, dramaturge, scénariste et essayiste, il compte parmi les fondateurs de la revue Al Shu’ara (Les Poètes) publiée par la Maison de la poésie de Ramallah. Il a connu l’exil aux Etats-Unis où il a vécu une trentaine d’années. Donc, pour ceux qui sont à l’écoute de la création palestinienne, l’une des plus remarquables dans le paysage littéraire du monde arabe, Husseïn Al Barghouti n’est pas un inconnu. Il avait déjà attiré fortement l’attention avec Lumière bleue, oscillant entre le récit autobiographique et la prose poétique dans une atmosphère dense et onirique. Barghouti y tisse avec sincérité et sensibilité un réseau de ses souvenirs d’exilé aux USA, au Liban et même en Palestine après son retour. Selon Mahmoud Darwich “Probablement la plus belle réalisation de la littérature palestinienne en prose ». Pour Rania Samara, sa rencontre avec un soufi d’origine turc, mi-sage mi-fou et clochard à l’occasion, (…) marquera durablement sa vie et sa pensée ». Son second récit autobiographique, que l’on peut considérer comme son œuvre testamentaire (bien qu’il aurait laissé de nombreux inédits) est donc pareillement un voyage initiatique. Mais cette fois immobile, car atteint d’un cancer, il revient à la maison familiale près de Ramallah où il engage une corrida avec la mort. La mort en Palestine est une réalité d’ne effroyable banalité. Elle relève généralement du martyre. Et en ce sens, elle plutôt un acte, un engagement suprême, un sacerdoce auquel les Palestiniens concèdent avec fierté. Mais il en va différemment lorsque parmi son peuple, nous sommes dans la période de la Seconde Intifada, en 2002, on est déjà en quelque sorte un mort-vivant. « Il ne me reste plus d’autre place, dans cette Intifada, que de me rendre à l’hôpital de Ramallah de manière tellement répétitive qu’elle aussi en devient ennuyeuse. C’est devenu ma Mecque, mon ultime mur des Lamentations : là-bas, il y encore un espace pour moi entre les nouvelles accouchée à l’étage du dessus et les chambres froides de la morgue à l’étage du dessus. Je suis un é clopé qui erre à la lisière des évènements, à la périphérie des choses ». Ni blessé, ni martyr agonisant, notre narrateur constate qu’il une sorte de fardeau, de parasite, enfermé dans sa solitude et son destin individuel. . Il n’est qu’un vocable, une expression arcboutée entre le langage des vivants et des morts : il est « un patient ordinaire ». Si ordinaire que par les effets indicibles de la chimiothérapie, il est progressivement précipité dans une implacable introspection et une migration onirique dans les siècles et les mythes. Mais on m’a dépouillé de mon histoire, je ne suis plus qu’un arbre à la croisée des chemins. Tout en partageant le sort de son peuple, ce « patient ordinaire » est doublement dépossédé. Par l’occupation militaire (décrite allusivement)et la maladie qui en est un développement métaphorique. Husseïn Al-Barghouti décrit à la fois une aliénation et son contre-poison : « Et maintenant le cancer essaie de me dépouiller de mon corps. En me regardant dans la glace, je me suis dit qu’il ne me manquait qu’une de ces longues robes jaunes qui seyent à un devin ou à un enfant prophète, de vieilles sandales de cuir et des orteils crasseux capables d’affronter la boue des marécages. Et qu’il ne me restait plus qu’à partir à la recherche d’un nom pour moi et d’une ville pour mon nom, dans l’histoire de ce fragment d’histoire. Je parcourrais Thèbes d’Égypte, Byblos et Babel, Palmyre, Petra et l’Andalousie, même si le pas de mes sandales n’est « qu’un lys blanc sur un chemin dévasté. »Pendant une période, j’ai adopté le nom de Tirésias pour m’adresser à moi-même. D’ailleurs il m’arrivait de changer de nom et de lieu de résidence. Parfois j’étais Marduk, le dieu suprême des Babyloniens, d’autres fois Imru’al-Qays, ou quelque commensal récitant des vers de Mutanabbî dans les tavernes d’Alep… ». Revenu d’exil, atteint mortellement, dans l’amanderaie plantée par ses parents , l’année de leur mariage, une date combien tragique pour les Palestiniens, 1948, le temps de la Nakba, temps de la cession et de l’exode forcé, celui qui a mis des milliers de kilomètres entre lui et son origine, alors que le temps lui est mesuré impitoyablement, tisse les fis de sa résurrection par une plongée onirique au plus profond de ses racines, au plus lointain de sa présence au monde en un vertige kaléidoscopique où se côtoient Enüma Elish , récit babylonien de la création du monde, les ancêtres cananéens, , les poètes préislamiques, Imru’ al-Qays , Chanfarâ et les Sa’ âlik, poètes-brigands, Alexandre –le-Grand, Banou Hillal et leurs congénères gitans qu’accompagne le chant profond de Lorca, l’éblouissante Petra da son rêve de pierre ( c’est ainsi qu’il a baptisé son épouse), Alexandrie , les Pyramides, Ahmad Chawki et T.S. Eliot et sa « Terre vaine ». Sans oublier le verbe flamboyant sur le Cha’ tat de Mahmoud Darwich qui traverse de part en part ce livre d’une centaine de pages. Une somme savante et élégiaque, dans une belle traduction de Marianne Weiss. Chant d’adieu et de renaissance. Hussein Al-Barghouti, sans aucun doute, a paraphé dans l’histoire des lettres arabes contemporaines, un destin rimbaldien. A.K. ____________________ Je serai parmi les amandiers de Hussein Al-Barghouti, Sindbad/Actes Sud, 2008

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