Ahmed BEDJAOUI producteur et historien du cinéma :
'' Le rêve de Cannes a peut être aussi été à l’origine du mal qui a rongé le cinéma algérien''
'' Le rêve de Cannes a peut être aussi été à l’origine du mal qui a rongé le cinéma algérien''
Ahmed Bedjaoui : c’est presque un
quart de siècle de la fameuse émission
« Télécinéclub », des décennies de sacerdoce dédié au cinéma algérien
et universel, et ce depuis ce jour où il a dû inventer des séances
de « cinéma » avec des rouleaux de bandes dessinées qu’il faisait,
nous dit-il, tourner avec des mécanismes en fil de fer » !Une passion
qui le conduira de l’animation à 15 ans du ciné-club de son lycée au
métier de producteur , engrangeant une
bonne centaine de films ! C’est
aussi la plume brillante qui tenait chronique sur le cinéma, y compris dans la pertinence
et l’élégance du propos. Sans complaisance mais sans virulence.
Ahmed Bedjaoui après avoir reçu les plus grands noms du cinéma mondial : Youssef Chahine, Lattuada, Chabrol, Wim Wenders, Schlöndorff, Salah Abou Seïf, Verneuil et tant d’autres est à la fois un homme de mémoire et d’histoire. Histoire d’une passion personnelle et mémoire des plus belles années du cinéma algérien. L’écriture a toujours été au cœur de son travail. En historien, il vient de nous donner un ouvrage capital sur la naissance du cinéma algérien. Une étude rigoureuse portée par une écriture enlevée et qui fait la part entre la réalité et le mythe.
Il n’est pas étonnant pour ceux qui suivent depuis des décennies son parcours, les spécialistes comme le grand public, qu’il soit devenu une référence intellectuelle internationale.
L’UNESCO l’a confirmé dans ce statut mérité en lui décernant la Médaille Federico Fellini ! Sa prochaine monographie de tous les films ou téléfilms qui ont traité de la guerre de libération dans le cinéma mondial est attendue avec impatience.
Ahmed Bedjaoui après avoir reçu les plus grands noms du cinéma mondial : Youssef Chahine, Lattuada, Chabrol, Wim Wenders, Schlöndorff, Salah Abou Seïf, Verneuil et tant d’autres est à la fois un homme de mémoire et d’histoire. Histoire d’une passion personnelle et mémoire des plus belles années du cinéma algérien. L’écriture a toujours été au cœur de son travail. En historien, il vient de nous donner un ouvrage capital sur la naissance du cinéma algérien. Une étude rigoureuse portée par une écriture enlevée et qui fait la part entre la réalité et le mythe.
Il n’est pas étonnant pour ceux qui suivent depuis des décennies son parcours, les spécialistes comme le grand public, qu’il soit devenu une référence intellectuelle internationale.
L’UNESCO l’a confirmé dans ce statut mérité en lui décernant la Médaille Federico Fellini ! Sa prochaine monographie de tous les films ou téléfilms qui ont traité de la guerre de libération dans le cinéma mondial est attendue avec impatience.
A.K.
Le Soir d’Algérie : Ahmed BEDJAOUI avant d’aborder le contenu
de votre ouvrage, « Cinéma et guerre de libération : Algérie, des
batailles d’images » (Chihab Editions), commençons si vous le voulez-bien,
par un flash-back personnel : quand et comment vous est venu votre passion
pour le cinéma de façon générale ?
Ahmed BEDJAOUI :
Aussi loin que je puisse me souvenir, l’amour du cinéma m’a toujours habité.
Tout petit, j’organisais des séances de « cinéma » avec des rouleaux
de bandes dessinées que je faisais tourner avec des mécanismes en fil de fer.
Peu de temps après, alors que j’étais à l’école primaire, mon oncle maternel a
été chargé par un distributeur des projections itinérantes publiques à Sebdou
où nous habitions alors. Trois fois par semaines, il montrait des films en 16mm
dans un café du village. Il en profitait pour ramener chez nous l’appareil de
projection et nous montrait des films égyptiens et américains le plus souvent.
J’étais totalement fasciné par ces séances qui me transportaient dans un monde
magique, irréel et imaginaire. Je crois que j’en ai gardé un désir intense de
dire pourquoi j’aimais tel ou tel film et de communiquer avec le public.
Vingt ans, au moins de
« Télé cinéclub », c’est une grande aventure et guère une sinécure.
D’où vous est venue l’idée et comment s’est-elle concrétisée ?
Ahmed BEDJAOUI :
Le plus étrange, c’est que j’ai eu l’occasion de présenter vingt ans plus tard
dans mon émission télé cinéclub des films dont j’ai reconnu des séquences
enfouies dans mon inconscient. C’était le cas d’un film de Raoul Walsh dans
lequel on voit Humphrey Bogart mourant sur un lit d’hôpital. J’avais compris à
cinq ans que la cigarette qui tombait de ses lèvres était le signe visuel de la
mort du héros. La RTA a été la première
télévision à lancer un cinéclub sur le petit écran. En réalité, l’émission
avait été animée en 1968 par deux de mes collègues : Malika Touili et
Rachid Boumédienne. C’est après qu’ils aient jeté l’éponge que l’on est venu me
chercher en 1969 la à cinémathèque où je travaillais. J’animais depuis deux ans
une émission hebdomadaire à la radio nationale, La Tribune des écrans avec Mon
ami Slim Riad. J’ai tout de suite demandé à faire une émission 100% cinéphile
et entièrement dédiée à la connaissance des merveilles du septième art. On m’a
demandé de faire un essai et j’ai commencé avec un film de Fritz Lang, M. le
Maudit qui traitait de la montée du fascisme en Allemagne. L’émission a
été diffusée à 23h, mais après son succès, le DG de la RTA l’a aussitôt
programmé à 20h45 après les informations.
C’est paradoxalement durant les grandes heures d’un régime qu’on
qualifia aujourd’hui d’autoritariste, sinon de dictatorial, que s’est épanoui
« Télé-Cinéclub » ? Je crois que vous rapportez une anecdote
significative à propos de celui qui était la figure de proue de ce régime ?
Ahmed BEDJAOUI :
En commençant avec M. le Maudit, je voulais placer la
barre très haut. J’étais persuadé que ce serait ma première et dernière
émission. J’avais un téléphone qui n’était pas filtré (et qui n’a jamais été
filtré du temps du Président Boumediene) et je repassais des séquences que
j’avais choisies en les expliquant. Bien au contraire, le patron de la RTA m’a
appelé le lendemain pour me dire que mon approche avait été très appréciée. Je
tenais à me démarquer des émissions françaises qui prenaient le film comme
prétexte pour introduire un sujet à débattre et qui n’avait rien à voir avec le
cinéma. Il est vrai que nous avons
bénéficié au cours des années 70 d’une totale liberté de choix des films et des
invités. Les débats étaient en direct et n’ont donc jamais subi de censure
jusqu’en 1981. Le Président Boumediene était un grand cinéphile qui regardait
deux films chaque nuit. Il envoyait souvent son projectionniste
s’approvisionner en films à la cinémathèque et lui recommandait de prendre
conseil auprès de moi.
Quels sont grands moments de cette fresque cinématographique que vous
aimez à vous en rappeler ? Et ceux qui ne vous ont pas passionné ?
Ahmed BEDJAOUI :
A la troisième émission, j’ai reçu Youssef Chahine avec la présentation
de Gare
centrale. Le film et son auteur ont été une découverte énorme pour le
public citadin algérien qui était sorti de l’ère coloniale avec pas mal de
préjugés sur le cinéma égyptien. Ce fut la consécration du caractère universel
de télé cinéclub.
Par la suite, j’ai reçu de grands cinéastes que j’admirais
comme Lattuada, Chabrol, Wim Wenders, Schlöndorff, Salah Abou Seïf, Verneuil et
bien d’autres.
Mais j’ai adoré parler de cinéma avec un public plus large
lorsque l’émission a été majoritairement diffusée en arabe à partir de 1976.
Ceci étant, chaque fois que j’avais un invité étranger, l’émission se faisait
en français et en arabe.
Je me souviens aussi d’une émission qui a connu un
engouement incroyable avec la diffusion
d’un film Le Mirage de la vie de Douglas Sirk avec Lana Turner et
Nathalie Wood. Le public algérien fréquentait beaucoup les salles obscures et
possédait une solide culture cinématographique. Après 1981, les nouveaux
maîtres de la télévision ont interdit le direct et je savais que l’émission
était visionnée une fois enregistrée. Pour contourner cette censure, j’ai eu
recours à des cycles de plusieurs films consacrés à des auteurs célèbres comme
Bergman, Coppola ou Visconti. Ces cycles étaient à chaque fois précédés par des
extraits d’autres films du même auteur. Cela confinait plus à la recherche,
mais l’engouement du public n’avait pas baissé.
Pour moi la télévision c’est du direct et le cinéma l’expression
de la liberté. Au bout de quelques temps, j’ai été lassé de cette tendance dans
notre télévision à servir de « la soupe réchauffée » et lorsque les
événements du 5 octobre ont tourné au drame des rues, j’ai décidé d’arrêter le
show puisque le cinéma était désormais dans les rues.
Vous avez étudié
dans la fameuse IDHEC (aujourd’hui
FEMIS) pour devenir cinéaste et producteur. Dernièrement, vous avez donné à voir
avec l’artiste-peintre Denis Marinez une expo autour d’un film que vous n’avez pas entièrement réalisé. Le producteur, si je me
trompe, fut plus heureux. Vous êtes ainsi à l’origine de la production d’au
moins quatre-vingt. Surtout à la télévision nationale ou vous exerciez la
fonction de producteur ? Parlez-nous de ces heures fastes de la dite
« L’Unique » ?
Ahmed BEDJAOUI :
Mon désir de réalisation a été bloqué (comme celle de beaucoup de jeunes
de l’époque), mais pas ma vocation de producteur. Les réalisateurs de ma
génération se sont souvent arrêtés au premier ou au deuxième film.
Comme producteur j’ai été tout le long de ma carrière,
derrière plus de cent longs métrages que j’ai pu permettre d’exister et de
centaines de courts métrages. Lorsqu’Abderrahmane Laghouati (dont j’étais le
conseiller à l’ONCIC) a été nommé à la tête de la RTA, il m’a demandé de
continuer à le conseiller pour la programmation et de diriger les services de
productions qui étaient en sommeil à son arrivée. Après une année, nous sommes
passés à un rythme de 13 long-métrage de fiction, deux feuilletons et 30 documentaires
artistiques chaque année. Laghouati restera sans doute le plus grand patron que
la télévision algérienne ait jamais eu. J’ai accepté de diriger la production à
condition d’avoir carte blanche. Jusqu’au bout, il m’a soutenu contre les
conservateurs qui contrôlaient l’information. Dès la première année, l’occasion
fut donnée à Assia Djebar d’être la première femme arabe à réaliser un
long-métrage. La Nouba des femmes du Mont Chenoua a remporté le prix du Festival
de Venise. La même année, nous coproduisions Alexandrie pourquoi de
Youssef Chahine, tout en offrant aux cinéastes du cru, comme Mustapha Badie,
Moussa Haddad, Mohamed Ifiticène, Mohamed Hazourli, Benamar Bakhti et tant
d’autres (la RTA regorgeait de talents sous-exploités auparavant), de mener à
bien les projets qui leur tenaient à cœur. C’est à cette époque que nous avons
produit Nahla, Zina, Bouamama et Combien
je vous aime. Cela a duré jusqu’à 1984 lorsque les nouveaux maîtres de
l’Algérie ont décidé de renvoyer Abderrahmane Laghouati et d’arrêter le projet
de deuxième chaîne qui devait démarrer en novembre de cette même année. La
suite on la connaît. Les meilleurs cadres ont été poussés vers la sortie et la
RTA a été démantelée. Je l’ai quittée avant pour ne pas cautionner cette mise à
mort stupide et qui ressemblait à une vengeance.
Venons-en à votre livre. D’abord pourquoi cet ouvrage ? Car on
perçoit à travers sa lecture un vrai dessein à la fois historiographique et artistique ? Combler un vide ? Redresser
des versions tronquées ou tendancieuses sur les origines du cinéma
algérien ?
Ahmed BEDJAOUI :
C’est vrai que j’ai toujours adopté une démarche d’historien du cinéma,
mais là l’historiographie s’est imposée dans la relation entre le cinéma et la
guerre d’Algérie. Sans avoir la prétention de remplacer les historiens qui ont
la fonction de vérifier les sources, j’avais envie d’apporter un éclairage
particulier à travers la guerre des images et leur rôle central dans la
libération du pays. C’est un créneau qui était peu couvert dans notre pays et
il fallait bien apporter une présence algérienne face à la déferlante française
sur le traitement de notre histoire contemporaine. On dit que l’Histoire est
écrite pas les vainqueurs, sauf dans notre cas. L’ouvrage a demandé une énorme
masse de travail et de recherches. En chemin, on s’aperçoit que des légendes et
des mythes se sont créés avec le temps.
Ainsi le premier film algérien n’est pas Algérie
en flammes mais Les plongeurs du désert que Tahar
Hannache a réalisé avec l’assistance de son neveu Djamel Chanderli. Ce dernier
à été le premier à tourner dans les maquis et le premier à rejoindre Tunis,
avant Vautier et Pierre Clément. Beaucoup de cinéastes revendiquent la
paternité de certains films dont les images provenaient de diverses sources, dont
celles des cameramen de l’école de l’ALN fondée par Abane Ramdane. Le livre met
en relief le rôle de la cellule image et son dirigée par M’hamed Yazid, assisté
de Mahieddine Moussaoui. Les époux Chaulet, Serge Michel ou encore Jacques
Charby écrivaient les projets et étaient associés au montage et à la finition
des films. C’est donc plutôt un travail collectif réalisé par un collectif de
militants.
Contrairement à ce qui s’est écrit surtout dans la presse algérienne,
vous nous apprenez donc que le cinéma algérien né au maquis et devenu une
arme complémentaire dans la guerre de
libération nationale, a eu des
devanciers qui se sont mis au service de la révolution algérienne dès les
premières heures. Ainsi vous vous
rappelez l’apport de ces devanciers y compris
avant le déclenchement du 1er Novembre 1954. Et là le
critique de cinéma que vous fûtes pendant de nombreuses années dans la presse algérienne (y compris sous
pseudonyme) ne fait-il pas œuvre d’historien ?
Ahmed BEDJAOUI :
Je le répète, depuis les années 60, lorsque je signais Réda Koussim,
j’ai toujours été fasciné par notre histoire et par le caractère exceptionnel
de notre révolution. J’ai écrit les
premiers articles sur le rôle du cinéma dans la lutte pour l’indépendance en
1971 sur El Moudjahid et Algérie Actualités. Mon prochain ouvrage
fera le point sur tous les films ou téléfilms qui ont traité de notre guerre de
libération dans le cinéma mondial.
On a souvent présenté René Vautier comme le père nourricier du cinéma
algérien des maquis. Vous apportez à ce sujet des nuances. Et vous mettait en
même en lumière le rôle éminent et novateur joué notamment par Abane
Ramdane, assisté par des hommes aussi
talentueux, que M’Hamed Yazid, Rédha
Malek et d’autres intellectuels du FLN révolutionnaire. Est-ce pour mieux
signifier comme vous l’écrivez : « Cinquante ans après, le cinéma
algérien débat et se débat autour de la meilleure manière d’évoquer une lutte
de libération, fondatrice à bien des égards de la nation algérienne moderne » ?
Pourquoi ce retard historique ?
Ahmed BEDJAOUI :
Je le répète, le cinéma algérien est né avant 1954. Dans mon livre, je
développe l’idée qu’en 1830, nous avons subi le regard des peintres
« orientalistes » devenus des reporters de guerre. Ce n’est qu’à
partir des années 40 que l’Algérie s’est dotée d’une génération de peintres,
d’écrivains puis de cinéastes qui nous ont permis de projeter des
représentations propres à nous. L’émergence d’une école algérienne forte de ses
créateurs a joué un rôle déterminant dans notre volonté de chasser le
colonisateur. Une fois l’insurrection déclenchée, l’ALN et le GPRA ont
bénéficié d’une génération exceptionnelle. Leur génie a beaucoup apporté à
notre cause, lorsque les armes n’ont plus suffi pour gagner la confiance de
l’opinion mondiale.
Dans votre évocation du cinéma algérien naissant à «l’heure des
brasiers » et confronté aux moyens colossaux de l’industrie
cinématographique du colonisateur, vous montrer que ce dernier a été
impuissant. Et a contrario, c’est le cinéma des « rebelles » qui
l’emporta. Quel est le secret, la formule de cette réussite ? Dans votre
argumentation, vous êtes aussi catégorique : le cinéma de fiction atteint
davantage le public que le cinéma documentaire ? Qu’est-ce qui vous rend
aussi catégorique ?
Ahmed BEDJAOUI :
Prenons l’exemple des massacres du 8 mai 1945 : sans même citer les
historiens de notre pays, les faits été sensés avérés après les travaux
d’historiens français comme Ageron, Charles André Julien, puis de la nouvelle
génération avec Peyroulou, Manceron, Blanchard et bien d’autres. En 2008, la
télévision publique française diffuse un documentaire de Yasmina Adi
« l’Autre 8 mai 45 ». L’auteure cite des sources américaines qui
faisaient état de 15 000 morts parmi les Algériens et fait remonter les
responsabilités au plus haut niveau de l’état français (de Gaulle était alors
président et Papon préfet de Constantine). La diffusion très large de ce
documentaire très accusateur, n’a suscité aucune réaction particulière et
encore moins de protestation. Trois ans plus tard, lorsque Rachid Bouchareb
intègre une séance de 10 minutes dans Hors-la-Loi (qui dure 133 minutes),
l’appareil politique français s’est mis en branle contre ce qui est simplement
une réalité historique prouvée. Emotion, manifestations d’ultras colonialistes,
menaces, boycott, tout y est passé. Et de fait, ceux qui continuent à
entretenir une culture coloniale dans la France d’aujourd’hui ne peuvent pas
voir des scènes de massacres perpétrés par leurs ancêtres, les Vichystes, sans
s’identifier.
Les télévisions françaises ont produit beaucoup de films
d’archives qui sont consommés comme les conflits dans les journaux télévisés et
dont les images sont anesthésiées. On remarque que le cinéma de fiction
français n’a que rarement montré des images de la guerre d’Algérie.
Vous
mettez en lumière le fort attachement du public algérien au cinéma. Il a
nourri son imaginaire et aussi été une sorte d’école pour les masses
analphabètes durant la colonisation. Des acteurs algériens éminents ont appris
leur métier en fréquentant les salles obscures, à l’exemple d’un Rouiched. Un
parc de lus de 400 salles, un public féru de cinéma, la deuxième cinémathèque
du monde, et cinquante plus tard un délitement incompréhensible au point que
les nouvelles générations dans le pays profond ne connaissent pas ce qu’est une
salle de cinéma ? Comment expliquez ce gâchis?
Ahmed BEDJAOUI :
La révolution a bénéficié d’une génération d’hommes et de femmes de
génie. Ils étaient porteurs d’un projet culturel et politique. Beaucoup d’entre
eux ont été écartés à l’indépendance. Les décisions prises par les responsables
du secteur au cours des années soixante ont été désastreuses. Les cinéastes
pensaient plus à Cannes qu’à doter le cinéma algérien de structures comme par
exemple des studios et des laboratoires. En nationalisant les salles et la
distribution, ils ont pénalisé les entrepreneurs algériens et empêché le pays
de s’appuyer sur de vrais professionnels. Un cinéma ne peut survivre sans
salles, sans public, sans structures et surtout sans volonté politique.
Aujourd’hui il y a des films mais pas de cinéma algérien à proprement
parler, alors que par le passé, il avait décroché la Palme d’Or à Cannes...
Quelles sont pour autant les raisons de rester optimistes et de rêver à une
autre Palme ?
Le rêve de Cannes a peut être aussi été à l’origine du mal
qui a rongé le cinéma algérien. C’est à la télévision où les cinéastes ne
pouvaient rêver ni de gros budgets ni de monter les marches de Cannes que nous
avons eu les films les plus vrais sur notre histoire nationale et sur notre
société. Les choses se sont aggravées puisque les films qui sont réalisé
aujourd’hui ne rencontrent pratiquement plus de public qui paie sa place, comme
c’est le cas dans les pays où le cinéma est un commerce florissant. On organise
des avant-premières pour la forme et pour toujours les mêmes invités et ensuite
le film ne passe plus que dans des festivals, quand il y est accepté ; ce
qui se fait de plus en plus rare. Faute de salles et d’infrastructures, on peut
dire que nous avons quelques films virtuels pour la plupart, mais certainement
pas un cinéma national.
Le Soir d'Algérie
15 Novembre 2015
15 Novembre 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire