''Je vous écris de Sour El Ghozlane ''
Comment Messaour Boulanouar n’aurait-il pas écrit
« La meilleure force », la
seule grande épopée de notre « libération », s’exclamait Jean Sénac.
La Meilleure force est un long poème de 7000 vers
qui forme, selon Tahar Djaout,
« une sorte de cosmogonie de la souffrance et de la
revendication…le reflet de l’univers concentrationnaire et de l’horreur
quotidienne où tout un peuple vivait ».
Messaour Boulanouar, surnommé « El Kheïr »,
est né en 1933, quelques années au lendemain du centenaire de la Conquête
coloniale de l’Algérie. Il a donc grandi, vécu sa jeunesse sous la
colonisation.
Et très tôt pris
conscience de l’injustice qui était faite aux siens. Quelques personnes et
des lectures surtout ont ponctué
son cheminement dans la vie et la création, telle la sœur de Maurice Audin rencontrée à Sour el Ghozlane, (ex-Aumale),
où elle enseignait en compagnie de son mari. Et il eut pour condisciple la plus jeune. Il se
souvenait que de temps à autre Maurice Audin faisait le voyage à Aumale.
Malgré le temps, l’âge, les épreuves, Messaour
Boulanouar pouvait encore réciter de
mémoire les « récitations » apprises à l’école. Victor Hugo, il le connaissait mieux que certains chercheurs. Il m’avait
confié qu’il avait été à la fois déçu et fasciné par Hugo. Ce dernier n’était-il pas ainsi
emblématique de tous ces écrivains du XIXe siècle qui avaient applaudi à la
Conquête ? Tel son rival, Lamartine qui se déclarait
« oriental » à tout jamais et cependant fervent soutien la conquête
de l’Algérie… Mais Hugo a évolué, d’autres non…Il suffit de lire dans
« Les Châtiments », le poème qu’il a consacré à l’Emir Abdelkader.
A 17 ans, le futur auteur de « La meilleure
force », pauvre et malade, interrompit ses études secondaires. Et plus tard, il est éveillé très tôt au
nationalisme, mortifié par les exactions de la puissance coloniale française et édifié sur ses
vaines promesses au lendemain de la seconde guerre mondiale : 8-mai 1945,élections
à la
Naegelen soldées , notamment, dans la région de Sour El Ghozlane,
à Dechmiya , par la mort de plusieurs
algériens . Il fut aussi nourri des poètes de la Résistance française et des
camps de la seconde guerre mondiale - et dont il connaissait encore par cœur certains poèmes comme il
pouvait réciter de mémoire du chir el melhoun
à tous vents. N’est-il pas le petit-fils d’une poétesse du terroir. ?
Il ne tarda pas à passer au militantisme
actif,
connaîtra ainsi la prison de Serkadji entre 1956-1957.C’est en
prison qu’il conçoit dans sa tête
« La meilleure force « qui s’ouvre sur « J’écris pour que la vie soit respectée par tous ».
Premières années de l’indépendance.
Années d’enthousiasme après la guerre…
Messaour s’engage dans l’action culturelle et poétique.
L’église de Sour El devient un centre culturel. Jean Sénac se déplace pour un récital mémorable. « La
meilleure force », (comme «
Algérie, capitale Alger » d’Anna Gréki), ne connaîtra pas une diffusion publique. Juste une
recension dans une édition
d’Algérie-Républicain introuvable, parue
de la veille du 19-Juin… Messaour
et Gréki seront voués à une inexplicable
réclusion en matière d’édition. Et « Dame- Sned » ne fera que l’aggraver.
Seules les éditions L’Orycte à Sour El Ghozlane ouvriront des brèches dans
cette situation par la publication de plusieurs plaquettes de qui sont devenues
aujourd’hui des incunables… » : « Raisons de dire » (1976);
Comme un feu de racines, (1977), « Sous peine de mort », (1981).
‘’J’écris une poésie d’un autre âge », s’obstinait
à répéter Boulanouar . Ce qui signifiait dans sa en
clair : ‘’Je n’écris pas pour me distraire ou distraire ». Et
pourtant s’entassaient recueil sur recueil, indéfiniment repris sur
le métier (sur sa bonne vieille Japy), splendidement
agencés et n’ayant déjà rien à envier à un ouvrage édité ! Et à faveur d’une commémoration du 1er
Novembre, on se rappela de l’ancien Moudjahid et une somme de ses poèmes fut
éditée à l’Anep.
Dans l’un de ses rares entretiens, en 1981, il déclarait à feu Tahar Djaout : « La
poésie se trouve en danger, dans ce pays même où la magie du verbe accompagnait
partout le peuple dans son travail et dans ses fêtes : chansons de
moissonneurs, chansons de la tonte des moutons, chansons du tissage de la laine,
chansons de toutes les touiza ancrées au plus profond de notre paysannerie. ».
Cri de vigie inquiète. A-t-il été entendu ? Le poète propose…Il se voulait avant
tout « …semeur de conscience/ Au
chant brûlé d’avance »
Les années 90 mortifères vont
conduire Messaour Boulanouar à
sonder un autre malheur, cette fois- fratricide en « terre triste en
l’espoir où nous parlons de suie/ de
mort sauvage en terre ignoble nuit de salpêtre ». Comment a- t-il- résisté
au « long chagrin de fleur ternie de pierre amère » ? Par
le poème ? C’est son secret.
Il a
longtemps connu et échanger avec
Kateb Yacine et d’autres poète contemporains,
voyagé mais n’as jamais quitté ta
ville. C’est sa meilleure force. Sa vie
a été vouée à l’écriture poétique.
Loin de la capitale et de ses vernis, il
est resté fidèle à sa ville
natale où il a écrit l’essentiel de son œuvre. D’ailleurs, l’un de ses recueils
s’intitule : « Je vous écris de Sour El Ghozlane ». Sour El Ghozlane , Le rempart des Gazelles où non loin se
trouve le tombeau de Takfarinas en déshérence...
Adieu El-Kheir !
Abdelmadjid Kaouah
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Messaour BOULANOUAR,l'auteur de La Meilleure
force ( Editions du Scorpion, 1963) l
est décédé le 14 novembre 2015.
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