samedi 30 août 2008

CHRONIQUES DES 2 RIVES : Nourredine SAADI


Nourredine SAADI
La mémoire et ses demeures

Nourredine Saadi, titre après titre, construit avec méticulosité- et paisiblement- une œuvre. Avec son dernier livre, « Il n’y a pas d’os dans la langue », il administre la preuve, pour ainsi dire, qu’il est à un haut degré de son art d’écrire. Son dernier opus n’est pas volumineux mais il est d’une densité et d’une teneur décapantes. Au travers de treize textes, il explore les facettes tantôt mouvantes, tantôt éclatées de destinées humaines, dont la sienne au premier chef est concernée, dans le travestissement de l’énonciation littéraire. Car, cet « homme sans âge, les yeux délavés par les soleils et les pluies » a plus d’une ressemblance avec l’auteur qui se déclinera à la faveur de différents épisode qui se donnent à lire de façon autonome tout en s’articulant par fragments dans un récit global.
Il avait placé son premier roman, Dieu-Le-Fit (Albin Michel1966- Prix Kateb Yacine) sous les auspices de la fable politique, ainsi définie par Italo Calvino : « Durant les périodes d’oppression, l’écrivain qui veut donner une forme claire à sa pensée l’exprime au moyen de fables ». Il y décrivit ainsi la descente aux enfers d’hommes et de femmes livrés à un système arbitraire dans un une contrée surréelle, la « Wallachye ». Maîtrise du temps, possession du pouvoir, il donnait une nouvelle version de l’Exode revisité par Ubu. (Et, pour l’anecdote, il avait anticipé, sur les montres dites « bling bling » !). Tout en restant dans son registre, il changeait de tonalité et de mesure avec La Maison de Lumières, (Albin Michel, 2000), un récit fortement nourri par le mythe et les symboles. C’est l’histoire d’une maison qui se décline comme la métaphore de la tragédie d’un pays. Métaphore articulée par un impressionnant travail de recherche historique. Avec La Nuit des origines, l’embrayeur du récit est représenté par un lit à baldaquin qui nous vaut une description minutieuse, haute en couleur et pleine de vérité du marché aux puces de Saint-Ouen. La Nuit des origines (Ed. L’Aube, 2005) donne à lire, cette fois encore, une quête identitaire, personnifiée par une femme, Abla, Alba, Blanche en français. C’est Bayda dans Dieu-Le-Fit : « Sans même achever le mot, elle le biffa d’un trait, agacée, et le remplaça par mémoire, oubliant m^me d’accorder au féminin » (Réminiscence de « Blanche ou l’oubli » d’Aragon ?) Mais en fait, le personnage central n’est autre que cette Algérie à visage de femme et de drame. Hier, Ombre gardienne, indomptable aujourd’hui éclaireuse d’un futur plus juste… Sophonisba en perpétuel avatar. A l’évidence, femme et mémoire sont une vieille histoire algérienne, une inépuisable légende algérienne que Nourredine Saadi remet sur le métier dans Il n’y a pas d’os dans la langue par de brefs récits : La demeure du père, L’inconnue de la neige, Pèlerinage du désir. L’exil fait le plus souvent figure de désenchantement, N. Saadi avoue vivre « exil heureux ». Le secret de ce bonheur paradoxal serait-il à mettre du côté de cette traversée permanente , lourde d’histoire violente entre le pays natal et celui de l’exil rendu « habitable » par la rencontre imposée avec une langue contenant des « outils nuptiaux » (R..Char) pour dénoncer l’oppression d’hier (coloniale : Un homme nu) ou celle du présent ensanglanté par le terrorisme (Tala et Guilef, comme si). Collision de langue, collision de mémoires. Cette « aventure ambiguë » (Cheikh Hamidou Kane) inaugurée avec la langue « intruse » est à plusieurs détentes. . Marâtre ou maîtresse (d’école) ? C’est toujours de l’ordre de la passion. Ecrire permet de mettre un peu les choses en ordre. C’est une autre forme de Slam (Tu Frances bien) que l’enfant de Constantine pratique avec la langue française. Dans son monde, les langues co-existaient mais se tenaient à distance respectueuse. A chacune sa fonction. Celle de l’espace intime (Chez nous, la France ne pénétrait pas. On parlait arabe. On mangeait arabe. On s’asseyait à l’arabe autour de la meïda. On était arabe par tous les sens –les yeux, la bouche et surtout le nez, le nif, car si je m’aventurais à violer cette règle, le rappel à l’ordre était aussi ferme que tonitruant : Matahchemech !La honte… »). D’ailleurs, le livre puise son titre d’un adage du patrimoine populaire transmis par le père. Lapidaire et intriguant : Il y la langue, la parole, et par-dessus l’attitude morale dans la vie et dans les engagements. Une maxime éloquente (qui n’est pas sans apparenté avec le parcours intègre, à la fois, du citoyen et de l’intellectuel pour ceux qui connaissent un peu l’homme).Mais la vie ne se limite pas à l’espace familial, elle est partout, surtout dehors dans un enchevêtrement vertigineux dans la ville grouillante construite sur le Rocher survolé par le Vautour noir, bruissant de parlers divers comme le Rummel.
Terrible dilemme pour l’homme mûr (« d’habiter un pays alors que c’est un autre qui vous habite ») alors que pour l’enfant : « cela semblait naturel : c’était ainsi- aussi simple que ça ». On comprend mieux l’origine , cette passion pour les mots, une sorte de jubilation lexicographique ( L’E dans l’O,) que dévide l’auteur au long de ses livres ( Cf. la portrait de Robert Laffont , brillant lexicographe et viticulteur colonial né en Algérie dans « Dieu-le-fit) L’étymologie d’un mot fonctionne chez N.Saadi comme un embrayeur de mémoire et de récit en français qu’en arabe . Et, Constantine, sa ville natale, simultanément farouche et maternelle, est ancrée dans toute l’œuvre (ici, Le retour à Constantine) comme une balise mémorielle qui éclaire l’exil et irrigue l’écriture. .Mais entre Constantine de Kateb Yacine des fulgurances contre l’oppression coloniale et la « sienne », le temps des promesses non tenues et des dérives mortifères ont fait leur œuvre. La condamnation des intégrismes meurtriers est sans appel. Mais on peut noter dans les textes de N. Saadi un regard et une sensibilité sous-jacents, ouverts avec bienveillance sur tout ce qui touche au sacré populaire. Et, en filigrane, une sorte de fil spirituel, loin d’un quelconque mysticisme, parcourt son œuvre, et procède en conséquence, de la complexité de la quête mémorielle et identitaire.
Souvent chez des écrivains maghrébins le roman dérive vers le discours incantatoire et l’imprécation Dans « Il n’y a pas d’os dans la langue », rien de cela. Le récit et l’écriture coulent de source. Incontestablement, Nourredine Saadi a bien su retenir et transfigurer de façon romanesque la sage et belle leçon de son père.

A.K.

Il n’y a pas d’os dans la langue de Nourredine SAADI, Editions Barzakh et L’Aube, 2008

1 commentaire:

A.M a dit…

Cher A.K, je viens de terminer la lecture attentive de "la maison de lumière "de N.Saadi. je pense au contraire de toi que c'est un petit livre et même un tout petit livre ou le chacal feule, le veau bêle, et les râles amoureux du plaisir de Blanche et de Rabah font écho " aux cris des chauves-souris". A-t'il sérieusement jamais entendu de sa vie le cri d'une chauve-souris? la comparaison est certes novatrice pour ne pas dire révolutionnaire et puisque dit-il ailleurs, certains de ses livres vont être portés à l'écran , je me régale déja et du plan et du bruitage de cette scène désormais d'anthologie.
Affectueusement.
A.M