lundi 11 août 2008

MAHMOUD DARWISH METAPHORE A COEUR OUVERT











Chroniques
des deux rives
Mahmoud Darwish
métaphore
à coeur ouvert
Par Abdelmadjid Kaouah
Comment commencer cette chronique ? Et d'abord, est-elle
nécessaire - même si par nature et circonstance elle est d'une
absolue pertinence ? Mahmoud Darwish est mort samedi
dernier à 18h35 GMT au Texas. L'heure : pas loin de l'impérissable
«A cinq heures de l'après-midi» de Fédérico Garcia Lorca.
A la suite d'une opération à coeur ouvert comme une corrida
avec la mort. Au Texas, comme une métaphore ultime d'un exil quasi-perpétuel,
à des milliers de kilomètres de sa Galilée natale. Et comme un clin
d'oeil à un poème de jeunesse et l'homme Peau-rouge qu'il a célébré. Entre
le moment où il est mort et où ces lignes sont écrites - alors que l'attention
mondiale est tournée vers les Jeux olympiques de Pékin et les échos d'un
nouveau conflit dans le Caucase - son décès a grandement focalisé la
presse et les médias du monde. L'émotion est grande chez ses lecteurs.
Des chefs d'Etat, des rois - c'est dans leurs attributs - ont fait parvenir des
messages de condoléances, un deuil national a été décidé par “l'Autorité
palestinienne”. Et la critique littéraire n'est pas en reste, unanime à reconnaître
que disparaît un grand poète, chantre de la douleur du peuple
palestinien, miroir de sa tragédie. Articles empressés ou textes érudits,
jamais autant d'hommages et de reconnaissances des quatre coins du
monde n'auront été tressés et adressés à un poète du monde arabe.
Exception faite de Naguib Mahfouz qui de son vivant avait accédé au Nobel.
D'expérience, le meilleur hommage vient des rivages de l'adversité.
L'écrivain israélien, A.B. Yehoshua qui considère Darwish- connu en 1960 et
rencontré à nouveau à Haïfa en
2007 - comme «un adversaire sur
le plan politique et un ami, car il
était aussi un voisin» lui a rendu
hommage et a trouvé une bonne
chose que d'apprendre la poésie de
l'auteur de «Rita» et de «Inscris, je suis arabe!» dans les écoles israéliennes…
Dans la masse des réactions, des émotions et des admirations,
nous avons relevé ces lignes à la fois simples et expressives d'un
Marocain anonyme sur la relation emblématique avec Darwish : «A 17 ans,
j'ai connu Darwich et j'ai découvert l'amour. A 24 ans, je redécouvre
Darwich …, l'engagement et la révolution avec. A 42 ans…. Darwich n'est
plus. Je découvre la nostalgie!» En fait, le poète a fait rêver et mouvoir - ce
qui est plus important - deux générations. Mahmoud Darwish nous quitte,
nous semble-t-il sur un malentendu. Dont il n'est pas responsable. La
“puissance de feu” de son lyrisme y est peut-être pour quelque chose dans
ce quiproquo entre la réception de son oeuvre et son destin de poète.
Pourtant ces dernières années, il ne manquait guère dans ses poèmes et
ses entretiens de mettre les points sur les i. Face à la déshérence de la
cause palestinienne, sa parole est devenue d'autant plus précieuse qu'elle
permettait au public du monde arabe entre deux récitals de renouer avec
les incantations et l'utopie originelle…On percevait comme un fugace
agacement chez Mahmoud Darwish lorsque le public lui demandait tel ou
tel autre titre fétiches (Djawas essafar, Passeport, Ahmed El arabi) de
l'époque héroïque. Il s'y prêtait de bonne grâce en n'en déclamait qu'un
extrait. Il y a un an, il s'expliquait dans El Akhkbar (dont le supplément culturel
est dirigé par le romancier égyptien Gamal Ghitany) : «Je réclame
d'être traité en tant que poète, non en tant que citoyen palestinien écrivant
de la poésie. Je suis las de dire que l'identité palestinienne n'est pas un
métier. Le poète peut évoquer de grandes causes, mais nous il nous faut le
juger sur ses spécificités poétiques, et non sur le sujet qu'il traite. C'est sur
le plan esthétique qu'on reconnaît la poésie, non sur le contenu. Et si les
deux coïncident, tant mieux.” Dans un autre entretien (il manifesto, du 29
mai 2007) il précisait : «Certains Palestiniens qui vivent dans des conditions
difficiles demandent au poète d'être le chroniqueur des événements
tragiques qui se déroulent tous le jours en Palestine. Mais la langue poétique
ne peut pas être celle d'un journal ou de la télévision, elle doit même
rester en marge pour observer le monde, le filtrer à travers un détail.» Et
avec une modestie, il faut le relever, rare chez les poètes du monde arabe,
il ajou-tait : «La poésie est un gouffre. J'ai le sentiment de n'avoir rien
écrit.» Reprenant le Grec Yannis Ritsos, il définissait la poésie comme
«l'évènement obscur», celui «qui fait de la chose une ombre /et de l'ombre
une chose, / mais qui peut éclairer notre besoin de partager la beauté universelle
». Ce qui reste d'une oeuvre. En ce qui concerne Darwish, elle est
suffisamment ample, forte, et transparente pour lui survivre. Dans ses
derniers textes, il avait commencé un long et pathétique apprentissage de
la mort. Il l'avait déjà croisée et en avait relaté quelques épisodes. Et partant
il s'était orienté vers la poésie des choses de la vie, le dialogue avec un
brin d'herbe (“Je n'aime pas les fleurs en plastique”, hélas bien répandues
dans le monde arabe), les volutes du café qui à lui seul est une géographie.
Epique, lyrique, parabolique, sa poésie ne s'est donc jamais voulue programme
politique. De l'activisme politique, il en était d'ailleurs revenu
(«je n'arrive pas à faire dirigeant le jour et poète la nuit) sans jamais
fléchir dans son engagement aux
côtés de son peuple-parmi lequel il
vivait à Ramallah assiégé: «J'ai
choisi le camp des perdants, je me
sens comme un poète troyen, un
de ceux à qui on a enlevé jusqu'au
droit de transmettre sa propre défaite.» Mais il observait ces derniers
temps qu'une nouvelle descente aux enfers s'ouvrait devant lui des mains
de ses propres fils : «Nous sommes entrés, nous Palestiniens, dans une
phase absurde : l'absurdité des soldats qui, dans la bataille, s'entretuent.
Une absurdité fatale. Les significations nous échappent, la route nous
échappe, notre image même nous échappe.» Après la prise de pouvoir de
Ghaza par Hamas, il écrit : «Dès cet instant “tu” es un autre», un texte plein
d'amertume, sinon de désespoir : «Nous fallait-il tomber de si haut et voir
notre sang sur nos mains... pour nous apercevoir que nous n'étions pas des
anges... comme nous le pensions…/ Il a mis son masque, rassemblé son
courage, et a tué sa mère... parce que c'est elle qu'il a pu trouver comme
gibier.. De l'exil, de l'abandon du peuple palestinien par la communauté
internationale, des états de siège, du dénuement, de l'enfermement, du
Mur, des fausses illusions des accords d'Oslo, de l'indifférence des pays
arabes, de la volonté de puissance et du sectarisme politique et religieux,
des affrontements fratricides, de la corruption, de l'érosion, de l'espérance,
de tout cela, Mahmoud Darwish est mort. Mais du stoïque Troyen
de Galilée, retenons surtout cette prière fraternelle : “Mes amis, ne mourez
pas avant de présenter vos excuses à une rose que vous n'avez pas encore
vue, A un pays que vous n'avez pas visité, A une jouissance que vous
n'avez pas atteinte, A des femmes qui ne vous ont pas passé au cou l'icône
de la mer et le tatouage du minaret.”
Mais il ne faut surtout pas s'excuser de lire et de relire Mahmoud Darwish !

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