vendredi 13 novembre 2009

Ainsi vécut Myriam Ben





En "l'été africain »* en terre algérienne, passant parmi tant d'autres dans les artères d'Alger, j'ai fait une halte à la bonne vieille Maison des Livres. D’entrée, le regard s'est porté sur une pile de livres, reconnaissables, entre mille, pour l'apprenti littéraire des années quatre-vingt à la "Face des lettres" (en fait ILE, Institut des langues étrangères, sis à l'époque avenue Abane Ramdane, face à la "Brass». D'évidence, il s'agissait d'un reliquat, sorti miraculeusement des fonds - surement insondables- de La Maison des Livres."Ainsi naquit un homme", un recueil de nouvelles de la regrettée Myriam Ben. L'apprenti littéraire, échappé, lui aussi par inadvertance des rets politico-culturels avait planché sous la direction d'enseignants universitaires (a vrai dire, des enseignantes pour l'essentiel) sur ce recueil de nouvelles. Les derniers feux d'un structuralisme triomphal éclairaient et guidaient les chères études littéraires; Nous découvrions une auteure (ça se dit ainsi maintenant) surtout connue comme artiste-peintre et militante des droits de la femme. D'ailleurs, la couverture du livre était d’elle .Couverture rouge, qui arrachait, souvent, des hochements sarcastiques à ceux, qui tels des taureaux s'excitaient à l’époque à la vue de cette couleur emblématique.
Myriam Ben, peintre, écrivaine était au-dessus de ses mesquineries qui ont fait le lit du sectarisme et élevé les palissades de l’obscurantisme, arènes des violences meurtrières en gestation... . Cette militante qui fut de tous les combats du peuple algérien s’est éteinte en 2002. Sadek Hadjerès lui a consacré un texte circonstancié dans lequel il dressait son portait et retraçait son parcours empreint de générosité et d’engagement de principe.
De son vrai nom Marylise Benhaim, au moment du déclenchement de la guerre de Libération, elle était institutrice près de Aïn Defla, elle fut versée dans les CDL (Combattants de la révolution) organisation armée créée en juin 1955 par le Parti communiste algérien. Parmi les missions dont elle avait été chargée et qu’elle avait courageusement accomplies, je citerai le transport dans sa voiture d’une partie des armes détournées par l’aspirant Henri Maillot, le transfert de Maurice Laban au maquis de Chlef, les liaisons qu’elle assurait entre le groupe de Chlef et la direction CDL à Alger, celles entre elle et un capitaine de l’ALN dans la région de Aïn Defla. Militante dans la clandestinité après avoir abandonné son poste d’institutrice, elle a pu effectivement échapper aux autorités coloniales et fut condamnée, par contumace, à 20 ans de prison ».
Mais revenons à la littérature. Autodidacte, l'apprenti littéraire désigné était surtout nourri du fatras de la critique littéraire du XIXe siècle. Avec retard, il découvrait le structuralisme, la linguistique générative et consorts, le "triomphe et rupture de l'écriture bourgeoise". Barthes, bien sûr, à moins que vous ne soyez encore au "degré zéro de l'écriture". Fabuleuses et toniques ouvertures critiques. Mais la phonétique, ça faisait grincer des dents...Bref, il y avait aussi dans ces découvertes savantes, une partie assez ingrate. Les étudiants étaient incités à relever systématiquement dans un texte un faisceau de « catalyses » et autres « noyaux », dynamiques aurait ajouté un ami…Et ce travail fastidieux en apparence donnait lieu à de pénétrantes lectures du texte. Myriam Ben, pour revenir au véritable propos de cette chronique
Native d’Alger, Myriam BEN avait pour père un descendant de la tribu des Ben Moschi qui furent les premiers à quitter la prise de Constantine pour aller fonder la ville de Ain-Beida dans les Aurès. Par ailleurs, sa mère était une descendante des rescapés de l’Andalousie arabe qui trouvèrent asile en Algérie en 1492. Dans ". « Diwan d’inquiétude et d’espoir » (ENAG, 1991), sous la direction de Christiane Achour, on y évoque ses premiers essais littéraires en ces termes : «… Au milieu des années soixante, elle s’attelle à un roman resté inédit et à trois pièces de théâtre. "Après [Karim] une première pièce mettant en scène un moment précis et ponctuel de la lutte (avec la mise en scène des contradictions de l’individu pris entre ses sentiments et son devoir de patriote), puis [Leila] un second texte sur le présent des lendemains qui grincent et déchirent, Prométhée s’extirpait, en quelque sorte, d’un cadre historique pour réaliser le désir d’universalité commun à de nombreux dramaturges". Plus tard, elle publiera, notamment Sur les Chemin de nos pas, L’Harmattan, 1984, Au carrefour des sacrifiés, L’Harmattan, 1992. Elle est aussi l’auteure de Quand les cartes sont truquées des Mémoires où elle restitue à travers sa vision d’enfant « une Algérie française où, par un sanglant parjure, la France abrogea le " décret Crémieux ", laissant libre cours à l'antisémitisme, déjà ancien, de nombreux européens. Elle nous fait vivre le rôle que joua son père dans son engagement anti-colonialiste et l'enseignement qu'il lui donna sur les rapports qui existaient entre sa propre liberté et celle du peuple algérien ».
Mais j’aimerais surtout citer quelques vers de la puissante poétesse qu’elle était également. Singulièrement, le poème Le puits des justes paru dans Ecrits d’Algérie, (éditions Autres Temps/Les Ecrits des Forges, 1996) et reproduit en couverture une de ses toiles :

Toi qui chemines par chez nous
Ne cherche plus le saphir noir
Dans la mémoire de ses yeux
Ils avaient la brillance
Impérissable de l’espoir
La couleur du ciel de Saturne
Né de la clarté nocturne
De l’Intelligence Première
Et du Cavalier Noir
De l’Apocalypse
Qui chevauche aujourd’hui
La terre de nos pères

Elle tirait le fil de soie
De son âme
Pour tisser le chant d’espoir
De sa Vie

Ainsi vécut Myriam en tissant ses chants et ses toiles jusqu’aux étoiles.
Lecteurs, il ne faut pas être Prométhée pour faire un tour à La Maison des Livres.

A.K.

* Juillet 2009

1 commentaire:

Unknown a dit…

Vous avez de la chance d'avoir trouvé cette première édition de Ainsi naquit un homme (1982). Vous serait-il possible de scanner la couverture et de m'envoyer l'image ?
Avec mes remerciements. Michèle Bitton