vendredi 6 novembre 2009
HAMID TIBOUCHI POETE ET PEINTRE : A L'ECOUTE DE SON LOINTAIN INTERIEUR
Algérie News : Hamid Tibouchi, tu as fait partie des artistes dont les œuvres ont été exposées dans le cadre de “ Paris-Damas : regards croisés ” qui s’est tenu en décembre 2008 à l’Institut du Monde arabe. On ne compte plus tes expositions personnelles à travers la France et dans le monde, tu es approché par le British Museum, on te charge de la création de vitraux, etc. Hamid Tibouchi est-il enfin, à juste titre, en voie de consécration ?
Hamid Tibouchi : Je n’avais qu’une seule peinture – un diptyque – dans l’exposition “ Paris-Damas : regards croisés ”. Il ne faut donc pas exagérer ma participation à cette exposition. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un du British Museum qui est venu voir mon travail, l’a trouvé intéressant et l’a proposé à la commission d’achat ; c’est ainsi, tout simplement, qu’un de mes travaux est entré dans les collections du Musée. Quant aux vitraux, c’est un ami architecte qui m’a embarqué dans cette aventure passionnante et enrichissante. J’ai toujours travaillé dans mon petit coin sans jamais chercher ni à exposer, ni à vendre. Tout ce que j’ai pu réaliser comme expositions ou autres projets, je le dois à quelques amis attentionnés ou bien au hasard des rencontres. Cela ne fait pas de moi un homme riche et célèbre pour autant. Et d’ailleurs ce n’est pas dans mon tempérament de chercher la célébrité à tout prix ni de courir après le Veau d’or. Ce qui m’importe avant tout, c’est l’instant de création, et c’est de continuer à faire ce qui me plaît quand ça me plaît, même si c’est souvent avec les moyens du bord, tout en vivant très modestement. C’est ainsi que je me sens en accord avec moi-même. La consécration, elle viendra ou ne viendra pas, honnêtement cela n’a pas la moindre importance.
Pendant longtemps, le poète Hamid Tibouchi a plus ou moins occulté l’artiste-peintre. Et puis, lentement, il s’est effacé sans disparaître, devant le peintre ? Comment s’est faite, pour toi cette métamorphose ou osmose ?
Il n’y a jamais eu de métamorphose. J’ai toujours mené les deux de front. Le mot “ osmose ” convient mieux. Pour moi, même si elles ont recours à des moyens d’expression différents, la poésie et la peinture sont une seule et même chose. Du moins, on pourrait dire que ce sont deux “ sœurs jumelles ”, selon l’expression de mon ami Tahar Djaout qui me manque terriblement. Sa disparition tragique – tout comme celles de Sénac et de Sebti – m’a laissé aphone et désemparé. J’ai ressenti un grand vide et me suis mis à douter de ces deux activités qui m’ont parues alors tellement dérisoires. Et de fait, elles sont dérisoires à côtés de toutes les catastrophes dont les échos nous parviennent au quotidien. Mais la nature est ainsi faite (la forêt repousse toujours après l’incendie, n’est-ce pas ?), on revient toujours à ses passions, par nécessité, pour tenir le coup, continuer à vivre malgré tout. Cependant, tu le sais bien, ce n’est pas parce que l’on ne publie pas qu’on n’écrit plus, et ce n’est pas parce que l’on n’expose pas que l’on a arrêté de peindre. Souviens-toi, à Alger, dans les années 70, la situation était telle qu’il était très difficile pour un peintre ou un sculpteur de montrer son travail. Il n’y avait en tout et pour tout dans la capitale que deux ou trois lieux d’expositions gérés par le parti unique, et aucune galerie privée. De plus, à cette époque-là, j’étais étudiant et ne disposais pas d’un atelier. J’étais donc connu surtout comme poète grâce à des plaquettes hors commerce que nous fabriquions nous-mêmes, modestement, quelques amis et moi, et que nous diffusions de manière très confidentielle. Ces plaquettes circulaient presque sous le manteau et cela suffisait pour nous assurer une certaine audience auprès d’un public d’amateurs composé surtout d’intellectuels. J’ai dû quitter l’Algérie en 1981 au bord de l’asphyxie, avec un besoin urgent de respirer un autre air. Mon installation en France a donc eu un effet bénéfique sur mon activité de peintre : malgré les difficultés matérielles, j’ai trouvé là de meilleures conditions pour peindre et surtout une meilleure disposition d’esprit et un meilleur accueil de la part d’un public restreint mais connaisseur. L’exercice d’une activité artistique réclame une ouverture aux autres, aux autres cultures, aux autres modes de vie, de pensée. Loin de me sentir déraciné, j’ai réalisé que c’est en prenant ses distances par rapport à ses racines qu’on y voit plus clair, qu’on s’enracine plus solidement dans sa propre culture et qu’on peut, par là-même, prétendre à l’universel. Pour revenir à la poésie, je dois dire que je n’ai jamais eu aucune ambition en écriture, je n’ai jamais vraiment cherché à “construire une œuvre”, en m’efforçant de publier régulièrement recueil après recueil. La littérature – celle que l’on fabrique pour répondre à la demande ou pour se faire voir – ne m’intéresse pas : je continue à écrire quand ça vient, comme ça vient, sans chercher à tout prix à me faire éditer. Ce qui m’importe avant tout, c’est de vivre et d’avancer dans la jungle des villes, à la rencontre de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, d’où qu’il vienne.
Dans ta poésie comme dans tes créations graphiques et plastiques, tu mets à distance la grandiloquence. Le méditerranéen que tu es aurait-il repris à son compte la leçon de Jean Amrouche : mesure et profondeur ?
Là aussi, c’est affaire de tempérament. Je n’aime pas tout ce qui est clinquant, tape-à-l’œil. Je ne suis pas non plus du genre “ m’as-tu vu ”. Cela tient à ma nature profonde et à l’éducation très stricte que j’ai reçue de mes parents qui étaient plutôt modestes et très réservés et qui ont vécu non loin du village de naissance de Jean Amrouche. Il faut voir le village de montagne d’où je viens, la maison quasi biblique où je suis né pour comprendre. La Méditerranée est vaste, et le type méditerranéen excentrique, volubile et hâbleur, c’est un cliché, tu en conviendras. Il existe des régions en Méditerranée où les gens sont posés et peu enclins au bavardage. Cela ne les empêche pas d’être toujours souriants et accueillants. C’était le cas des miens qui ne parlaient jamais pour ne rien dire. Donc, mesure, oui, assurément. Profondeur, je l’espère, mais ce serait présomptueux de l’affirmer à propos de mon propre travail. La lecture des poètes soufis, celles de Lao Tseu, Saint François d’Assises, Gibran, Castaneda, Krishnamurti…, a sans doute accentué cette retenue héritée de mes parents, elle m’a aussi amené très certainement à plus de dépouillement. De même que la fréquentation des œuvres de certains peintres et poètes.
Dans cette optique, tu ne crains pas de travailler sur des matières modestes, sans prétendue noblesse, pour leur donner transfiguration et destination durable. Ce goût de l’économie, te vient-il de tes racines paysannes ou est-ce une adhésion à quelque courant artistique contemporain ?
Je travaille bien évidemment sur toutes sortes de supports. Mais j’ai, en effet, une prédilection pour les supports dits pauvres. Le choix du support est pour moi très important. Je n’utilise pas le papier, le bois, la toile, j’utilise une enveloppe kraft, un fond de cageot, un sac postal... Plus les matériaux sont pauvres, plus je les trouve riches. Ils sont destinés au rebut parce qu’ils ont servi. Mais je considère pour ma part que c’est justement parce qu’ils ont vécu qu’ils ont quelque chose d’important à révéler. Leur mémoire se confond un peu avec la mienne. Et la source de mon travail, sa matière première en somme, c’est la mémoire. Les matériaux qui ont subi l’usure du temps, qui présentent des traces de leur passé, de leurs pérégrinations, me parlent davantage que ceux qui sortent tout neufs des boutiques Beaux-Arts. Ces derniers m’intimident ; je les trouve peu engageants et j’ai beaucoup de mal à les aborder. Les traces contenues dans les vieux papiers, les draps raccommodés, les stores de collège usagés, etc., sont un peu comme les rides chez les personnes âgées : elles inspirent confiance et respect et ont souvent beaucoup de choses passionnantes à raconter. Il suffit de s’y intéresser, de les interroger, et alors tu n’as plus à chercher, ce sont elles qui t’indiquent la piste à suivre. À l’inverse, les supports neufs, déjà apprêtés, parfaitement blanchis, me font penser à des personnes maquillées, un peu guindées ; ils m’apparaissent fermés, voire suffisants. Or, je n’aime pas beaucoup le maquillage, je préfère le naturel avec tous les défauts qu’il peut présenter.
Donc, j’écris avec peu de vocabulaire comme je peins avec peu de couleurs et sur des matériaux souvent modestes, en effet. Je tiens beaucoup à cette économie de moyens. Economie que l’on retrouve aussi dans ma vie de tous les jours. “ Pas de gaspillage ”, nous disait le vieux. Cela m’est resté. En poésie comme en peinture, cela sert beaucoup. Cela contraint à plus de justesse, de précision, cela conduit à l’essentiel. En fin de compte, ce que l’on a à exprimer peut toujours tenir en peu de mots, en peu de formes et de matières. On a tendance à diluer ce que l’on a à dire dans trop de mots, une abondance de matières. Un écueil auquel il est parfois difficile d’échapper, surtout quand on travaille en pensant à autrui. Une des règles que je me suis fixées justement est de ne jamais penser aux autres quand j’écris ou peins, d’être toujours à l’écoute de soi, à l’écoute de son “lointain intérieur”. Sans prétendre adhérer à un quelconque courant artistique contemporain en particulier, mon goût pour la simplicité m’a toujours poussé vers les artistes dont le travail est dépouillé, sobre, voire minimaliste, ou dont la palette est limitée à quelques couleurs naturelles, au blanc, au noir. Je pense entre autres à Soulages, Debré, Hantaï, Degottex, Ryman, Tobey, Aksouh, certains artistes de Supports/Surfaces… N’étant pas d’un tempérament exubérant, c’est instinctivement que j’écarte les couleurs criardes. S’il m’arrive d’en utiliser, j’ai tendance à vouloir les atténuer avec du blanc. Alors que d’autres utilisent la couleur pure pour elle-même, je tente de la recréer à l’aide du noir, du blanc et un zeste d’ocre et de terre. Je pense vraiment que la couleur est souvent trompeuse, qu’elle est flatteuse. Flattez le regard et vous le détournez de l’essentiel, qui n’est ni la couleur ni la forme, et qui se situe précisément dans le no man’s land entre ces deux entités.
En jetant un regard rétrospectif sur ton parcours, quels sont les moments charnières que tu retiendrais dans ta maturation artistique en Algérie ?
Je crois que certaines “ nourritures ” sensorielles dans mon enfance ont contribué à façonner le peintre en moi, mes goûts comme mes aversions. Je pourrais citer des tas de petites choses qui ont été formatrices dans mon enfance et mon adolescence, mais ce serait trop long.
Je me contenterais de mentionner ici certaines rencontres marquantes, au début des années 70 notamment, qui ont fait évoluer l’autodidacte que je suis. Tout d’abord, il y a eu la rencontre particulièrement stimulante du poète Jean Sénac dont la lecture a à coup sûr influencé mon écriture, tout comme celle des poètes de “ Poésie pour vivre ” que je lisais à peu près au même moment, Daniel Biga, Franck Venaille, Pierre Tilman, Jean Breton, Guy Chambelland et sa revue “ Le Pont de l’Épée ”, mais aussi les poètes de la revue “ Chorus ”. Sénac, qui avait beaucoup apprécié mes recueils “ Mer Ouverte ” et “ Soleil d’herbe ” que je lui avais fait lire avant leur publication en France, m’a introduit auprès de Lorand Gaspar qui m’a largement ouvert les pages de sa revue tunisienne “ Alif ”. Sénac s’intéressait aussi aux peintres et c’est lui qui m’a fait découvrir entre autres Baya, Zérarti et Maisonseul. Ce dernier m’a accordé une attention particulière, de celles qui vous fortifient et vous tiennent debout.
Je crois que la rencontre la plus décisive a été celle de Michel-Georges Bernard, philosophe et poète discret, critique assidu, bienveillant et perspicace, animateur à Sour-El-Ghozlane des éditions de l’Orycte, éditions artisanales dont la sobriété, la rareté et la gratuité n’ont d’égale que l’immense générosité d’un homme hors du commun au service de l’art et de la poésie de son temps. Il m’a fait découvrir des poètes et des peintres (notamment ceux de l’Ecole de Paris) que je ne connaissais pas, mais que lui-même avait fréquentés. Ceux qui l’ont approché connaissent sa simplicité et son humilité, deux qualités essentielles chères à mes yeux, en désuétude de nos jours.
Ensuite, j’ai eu le plaisir de rencontrer, à Blida, le peintre Denis Martinez alors professeur à l’École des Beaux-Arts d’Alger. Je me souviens encore de la première fois où je suis allé le voir chez lui avec un recueil que j’avais confectionné avec des poèmes manuscrits et quelques uns de mes dessins ; il l’avait feuilleté et, à la fin, il m’a regardé et m’a dit : “ Tu as bien fait de n’avoir pas fait les Beaux-Arts ”. Encourageant, non ? C’est chez lui que j’ai rencontré le poète Abdelhamid Laghouati et les peintres Oussama Abdeddaïm et Ali Silem, puis Mohamed Medjahed, poète gastronome. Peu de temps après, tous ensemble, à Blida, chez Martinez et avec lui et sa compagne Dominique Devigne, nous avions créé les “ Auto-éditions ” : tous les week-ends, dans une ambiance festive, l’atelier de Denis se transformait en atelier de sérigraphie et de façonnage de nos petites plaquettes de poèmes aux couvertures sérigraphiées. C’est à l’occasion de l’une de ces rencontres que nous nous sommes rencontrés, toi et moi, tu t’en souviens ? Tu étais venu avec Arezki Métref.
D’autres rencontres importantes ont suivi : celle du peintre-graveur Mohammed Khadda dont les plombs gravés m’ont donné envie de faire de la gravure, et celle du poète Tahar Djaout que je voyais presque tous les jours (seul ou avec d’autres poètes comme Ben Mohamed, Salah Guemriche, Saïd Yacine, Youcef Sebti, Rachid Bey, Hamid Skif, Hamid Nacer-Khodja, Habib Tengour, et bien d’autres encore) et avec qui j’avais d’interminables discussions passionnantes sur la poésie et la littérature. Tahar Djaout, mon frère en poésie, avec qui j’ai grandi en “insurrection permanente” dans une société sclérosée et contradictoire, entre tradition et modernité, capable d’engendrer à la fois des enfants géniaux et des rejetons fratricides.
Malgré la censure et l’austérité réaliste-socialiste de l’époque, ces années 70 ont été pour nous tous formidablement créatrices ; il y avait alors un bouillonnement intellectuel sans précédent et une envie irrépressible de bousculer les interdits et de changer la société.
Deux artistes m’ont je crois le plus apporté à cette époque : Oussama Abdeddaïm et Abdelwahab Mokrani. C’est avec Oussama que j’ai eu les échanges les plus fructueux dans des domaines aussi divers que le graphisme, la photo, la B.D., la peinture, la littérature, la poésie, le cinéma, la philosophie, l’histoire, la musique, la cuisine ! Oussama, l’Africain à l’œil de lynx, le frère colérique féru de justice, m’a réellement ouvert les yeux. Il m’a appris à regarder, à porter un regard neuf sur les êtres et les choses et sur la vie, hors des sentiers battus. Oussama est l’exemple même de l’honnête homme, d’une grande ouverture d’esprit et d’une générosité sans limites. Quant à Mokrani, peintre génial mais torturé, cinéphile hors pair et grand amateur de poésie, le peu de temps qu’on a passé ensemble à boire et à nous réciter des poèmes, et à peindre quand même un peu avec les moyens du bord les plus triviaux, il a réussi à me réconcilier avec moi-même et à me redonner confiance dans mes moments de doute. Il m’a enseigné à sa façon une certaine philosophie de la folie créatrice et de l’anticonformisme en art. La première exposition de groupe digne de ce nom à laquelle j’ai participé, avec Oussama Abdeddaïm, Denis Martinez et Salah Slama, s’est tenue à Tunis, à la galerie Attaswir, en janvier 1981, peu de temps avant mon départ d’Algérie. Cette exposition, intitulée tout simplement “ 4 peintres algériens ” a rencontré un vif succès, puisque presque toutes les pièces présentées ont été vendues. Elle marque véritablement le début de mon itinéraire de peintre “ professionnel ”. Je mets des guillemets à ce mot pour en atténuer le côté prétentieux et pédant qu’il véhicule lorsqu’il est employé dans le milieu artistique.
Quels ont été pour toi les rencontres et évènements marquants sur le plan artistique depuis ton arrivée en France au tournant des années 80 ?
Je suis arrivé en France à l’âge de 30 ans avec un bagage d’influences diverses mais sûres. J’en aurais bientôt 58. Presque la moitié de ma vie, je l’ai donc passée loin de ma terre natale. La liste serait longue si je citais toutes celles et tous ceux qui, en France, à des degrés divers, ont marqué d’une façon ou d’une autre mon travail. Ce ne sont pas seulement des poètes ou des artistes, mais des femmes et des hommes ordinaires de tous bords, des jardiniers de l’amitié, des cuisiniers de la tendresse, des enseignants d’humanité, des libertaires et des “ clochards célestes ”. Grâce à eux, à aucun moment je ne me suis senti ni dépaysé ni exilé, je les en remercie tous du fond du cœur.
Voulant m’initier aux techniques de la gravure, j’ai fréquenté l’atelier de gravure de l’Université Paris VIII en 1983. Après avoir fait le tour des différentes techniques, j’ai préféré m’attarder sur le monotype (moins laborieux, plus spontané, aux résultats immédiats) que j’avais déjà pratiqué avec des moyens rudimentaires à la fin des années 60. Profitant des presses taille-douce de l’atelier, j’ai eu l’idée de créer des monotypes en reliefs, en appliquant des objets de faible épaisseur sur mes plaques. Le résultat était encourageant, et ma production abondante.
En 1984, j’ai été admis, en section gravure, au Salon des Réalités Nouvelles, qui se tenait alors au Grand Palais à Paris. Les peintres Louis Nallard et Maria Manton faisaient partie du jury, de même que le peintre Mohamed Aksouh devenu depuis un ami. A partir de 1988, j’y exposerai régulièrement en section peinture et ce, jusqu’en 1997.
Il y a eu en 1985 la manifestation “ Voix et chants du Maghreb ” organisée par le Centre Georges Pompidou qui m’en a confié la conception de l’affiche. L’année suivante, s’y déroulera une autre manifestation, “ Algérie, Expressions contemporaines ” à laquelle j’ai été également convié.
À Paris, j’ai retrouvé Paulette Queille que j’avais connue à Alger. C’est elle qui m’a organisé ma première exposition personnelle, en 1987, au centre socio-culturel Anne Frank de Bagnolet qu’elle dirigeait alors. Michel-Georges Bernard a rédigé la préface de cette exposition et Tahar Djaout en a fait le compte-rendu dans “ Actualité de l’immigration ” (N° 81 du 18 mars 1987).
Ma deuxième exposition personnelle importante, “ Matière(s) à redire ”, préfacée par mon amie Laurence Gründ-Farès, s’est tenue en 1989 au Centre culturel algérien à Paris. J’ai eu la chance d’avoir la visite de Gabrielle, commissaire d’expositions, qui m’a invité l’année suivante au 8ème Salon d’Art Contemporain de Bourg-en-Bresse où j’ai rencontré plusieurs personnes avec qui je me suis lié d’amitié. Au cours d’un voyage à New-York, elle a parlé de moi à la galeriste Anne-Marie Dannenberg. Celle-ci, à l’occasion d’un voyage à Paris, peu de temps après, est venue voir mon travail qu’elle a beaucoup apprécié. En 1992, elle m’a donc organisé dans sa galerie new-yorkaise une expo personnelle qui, à ma grande surprise, a bien marché. C’est que ma peinture était aux antipodes de ce qui était alors montré là-bas en galeries. Toujours en 1992, j’ai été invité à participer (avec Aksouh et Khimoune) à une expo importante organisée à Sabadell, près de Barcelone, par Françoise et Michel Bernard. La même année, ce dernier a préfacé mon expo de monotypes sur cartons d’invitations de galeries, “ Ludographies ”, à la Galerie Régine Deschênes à Paris. L’année 92 été pour moi très productive. C’est en avril 92 que j’ai créé, avec deux amis artistes, Menotti De Vincenzi et Philippe Nicolas, l’association “ L’Art Chauve ”. Nous en avions assez du bric-à-brac des salons des artistes locaux, de leurs petits maîtres du dimanche et de leurs organisateurs souvent prétentieux et incultes. Nous cherchions un succédané, avec à la fois plus de rigueur, de qualité et d’humour. Très vite, l’idée de fonder une association d’artistes libres s’est imposée, avec pour devise : “ Pour un art chauve, c’est-à-dire nu, dénué de tout artifice et refusant tout compromis ”. Malgré les ventes quasi nulles, durant une quinzaine d’années, nous nous sommes bien amusés avec Menotti qui aime bien rappeler le mot de Dubuffet : “ Appliquez-vous à faire des œuvres qui soient vraiment totalement invendables. Si elles ne sont pas telles, c’est alors qu’elles défèrent encore plus ou moins aux normes culturelles et c’est par conséquent que leur apport est faible ”.
1992 est également l’année de ma rencontre avec Rica et Serge Mallet dont l’association, en dehors des circuits artistiques traditionnels, a montré mon travail dans de nombreux lieux professionnels du Sud de la France, notamment à Aix-en-Provence et Marseille.
L’année 1994 a été pour moi marquée par trois évènements importants : l’acquisition de deux œuvres par le Musée d’Art Moderne d’Amman en Jordanie, l’obtention du Prix du Public au Salon Découvertes 94, et enfin ma rencontre avec l’architecte François Chatillon qui m’a confié la réalisation du 1% artistique pour un Collège du Pays de Gex qu’il venait de construire. François m’a fait sortir de mon atelier pour me confronter à d’autres problématiques que celles de la toile. C’est lui, indirectement, qui m’a amené à réfléchir avec Roland Deville à la création d’un plateau de scène pour “ Les Fils de l’Amertume ” de Slimane Benaïssa, pièce créée par la Compagnie Jean-Louis Hourdin au Festival d’Avignon 96. C’est également lui, avec Hervé Loichemol, qui m’a permis de réaliser en 1998 trente œuvres à partir des 30 articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans 30 langues différentes pour fêter le cinquantenaire de ladite Déclaration. Notre collaboration continue, puisqu’en 2007/2008 il m’a permis d’explorer un autre domaine que je ne connaissais pas, en créant cinq vitraux pour une Église des Ardennes.
Une de mes plus grandes expositions – organisée par mon amie Françoise Bernard – s’est tenue en 1997 à la Chapelle des Pénitents Bleus à La Ciotat, puis en Espagne à l’Alliance Française de Sabadell.
1998 a été marquée par ma participation à l’exposition “ Peintres du Signe ” à la fête de l’Humanité et par la réalisation pour le Théâtre Italiques d’un décor sur toile à parachute de 5 x 12 m pour la pièce “ 1962 ” de Mohamed Kacimi, créée au Festival des Francophonies de Limoges.
Mon amie Lucette Albaret, présidente de l’ADEIAO (Association pour la Défense Et l’Illustration des arts d’Afrique et d’Océanie), m’a offert pour l’an 2000 une exposition personnelle dans le hall de la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Michel-Georges Bernard – encore lui – en a préfacé le catalogue. Cette préface est sans doute ce qu’on a pu écrire de mieux sur mon travail.
Marie-Geneviève Guesdon, une ancienne collègue-professeure de Boumerdès, devenue bibliothécaire au département des Manuscrits orientaux à la Bibliothèque nationale de France, me retrouve et m’invite à participer à l’exposition “ L’art du livre arabe, du manuscrit ancien au livre d’artiste ” qui s’est tenue en 2001 à la Bnf, Site Richelieu à Paris.
2003, c’est l’année de l’Algérie en France. J’ai scrupuleusement évité toute participation aux manifestations officielles. Cela ne m’a pas empêché de marquer ma présence en prenant part à plusieurs manifestations en marge de l’Organisation officielle. C’est ainsi que le Centre d’Art Contemporain d’Hérouville-Saint-Clair m’a consacré une salle entière dans le cadre de sa manifestation “ Cultures du Maghreb ”. Le peintre Paul Rebeyrolle a ouvert son Espace muséal d’Eymoutiers à quelques artistes algériens “dissidents” dont j’ai fait partie, avec Kamel Yahiaoui, autour d’une exposition sans tambours ni trompettes, intitulée simplement “ Silence(s) ”. J’ai également participé à l’exposition “ Mère Algérie, couleurs du Sud ” au Musée de Gajac de Villeneuve-sur-Lot, qui a regroupé, à l’initiative de Françoise et Michel Bernard, des artistes algériens, autochtones et pieds noirs, de différentes générations. Enfin, j’ai été invité à participer à l’exposition “ Regards croisés sur l’Algérie d’aujourd’hui ” par le peintre O. Mohand que la Ville de Saint-Denis avait chargé d’organiser.
En prolongement de l’année de l’Algérie, j’ai également participé en 2004 à l’exposition “ Algérie, peintres d’aujourd’hui ”, organisée par l’association Averroes, avec l’aide de Lucette Albaret, à l’Espace Cosmopolis à Nantes. La même année, la “ Biennale d’arts plastiques ” de Villeneuve-la-Garenne a choisi comme invité d’honneur Paul Rebeyrolle. Celui-ci a tenu à s’entourer de quelques peintres algériens dont je fus.
En 2005, j’ai réalisé deux expositions personnelles importantes dans deux lieux prestigieux : “ Peindre comme on jardine ” à La Corderie Royale de Rochefort (grâce à mon amie poète Josyane De Jesus-Bergey) et “ Palimpsestes ” à La Tonnellerie de Brouage, sur invitation de Robert Orémus du Conseil Général des Deux-sèvres.
L’année 2008 a été riche en rencontres et expositions : “ Word into Art ”, exposition internationale organisée par le British Museum à Dubai, “ Rencontres africaines ” au Château de Villiers à Draveil , “ La Poste inspire des artistes ” au Musée de la Poste à Paris… Et enfin la toute dernière expo personnelle au Moulin du Roc de Niort (que je dois à mon ami peintre Slimane).
Comme tu peux voir mon itinéraire de peintre et poète est jalonné de rencontres avec des personnes qui presque toutes étaient ou sont devenues des amies. J’ai besoin de tisser des liens amicaux voire fraternels avec des gens vrais avec qui je peux échanger et partager des moments privilégiés. Le “public relation” ou le “business relation” ne sont pas pour moi et ne me satisfont guère.
Comme d’autres artistes-peintres tu travailles sur le Signe. Mais chez toi, il n’est point question de fétichisme, de fixation sur une écriture donnée qui porterait par elle-même essence et sens. Et partant une propension illimitée à l’abstraction. Au risque de me tromper, je crois que ta recherche est surtout orientée vers une identité universelle et plurielle plutôt que sur un particularisme culturel donné. En un mot, ta quête du singulier ne s’inscrit-elle pas dans le divers ?
Je m’intéresse au signe en tant que trace. Et si l’on considère que toute trace est le début d’une écriture, on peut dire avec Abû Ya’qûb Sejestânî qu’il n’est rien dans le monde qui ne puisse être considéré comme une écriture : le bois, l’argile, et toutes les espèces naturelles, minéraux, [végétaux], animaux, étant donné que le sens ésotérique est à extraire de chaque chose, et qu’il y a un indice à tirer de toute chose.* Le signe et l’écriture (au sens large), qui sont récurrents dans mon travail, je les dois en grande partie à l’artisanat maghrébin et à l’art rituel africain. Mais aussi à ceux des peuplades anciennes (souvent dites primitives), qu’elles soient d’Asie, de Mésopotamie, d’Océanie, des Amériques, de Scandinavie ou d’ailleurs. Toutefois, ces signes et ces écritures apparaissent rarement dans mon travail tels que je les ai observés. Après digestion, il ne reste de la lettre que l’esprit, la forme ayant subi une espèce de métamorphose, de sorte que chaque spectateur à travers le monde peut prendre mes “écritures” à son compte. Même en abstraction, on peut tomber dans le naturalisme, en reproduisant les signes et les symboles de la réalité. C’est un écueil qu’instinctivement j’ai évité, je crois, sauf peut-être à de très rares occasions. Il me faut tout de même apporter une petite précision : ce n’est pas parce que je m’intéresse à la trace, aux signes et aux écritures que je suis un “calligraphe”. Ce qualificatif, que l’on me prête assez souvent, ne me convient pas. En effet, je ne suis pas un calligraphe dans la mesure où je ne calligraphie ni mots ni textes dans aucune langue et dans aucun style d’écriture comme le ferait un calligraphe professionnel. Même si, par leurs formes, elles font parfois penser à des écritures existantes comme l’arabe ou le chinois, mes propres “écritures” – que je préfère désigner par le terme de “désécritures” – sont absolument aléatoires et illisibles. En ce sens, oui, partant de la diversité des écritures existant de par le monde, en les confrontant et les défaisant, j’en arrive à recomposer et réinventer une forme d’“écriture” personnelle dont la singularité réside dans le fait qu’elle n’est pas destinée à être lue (au sens linguistique du terme), mais à être regardée tout simplement comme on regarderait un tableau. Je suis heureux quand la forme créée ne s’arrête pas à un seul sens possible, mais s’ouvre à diverses interprétations.
Parallèlement à ton travail de peintre, ta poésie semble s’orienter de plus en plus vers une méditation sur les processus de la création plastique ; est-ce à dire que peinture et poésie sont sœurs jumelles – et parfois rivales ?
S’il est bien vrai que peinture et poésie sont sœurs jumelles, comme on l’a dit, elles ne sauraient être rivales. Toutes deux touchent à la sensibilité, à l’émotion, à la mémoire, à l’intuition. Toutes deux s’intéressent à ce qui se cache derrière les apparences, derrière la réalité la plus banale. Mais chacune utilise des moyens qui lui sont propres, les matières pour l’une, les mots pour l’autre. Elles sont donc complémentaires. La frontière entre les deux est si ténue que l’une ne s’interdit pas d’aller voir ce qui se passe chez l’autre, de tenter de comprendre comment l’autre fonctionne. Et il arrive que l’une invite l’autre à sa table pour un festin de roi, ou dans son lit pour des ébats sensuels et festifs, fantaisistes parfois, car ni l’une ni l’autre ne dédaigne le ludique, l’humour vital.
Ce qui pourrait confirmer cette recherche, c’est l’importance que tu as accordée durant de nombreuses années à accompagner d’autres poètes en créant couvertures et “ illustration ” (je sais que tu n’aimes pas ce mot que tu juges réducteur) de leurs recueils. Ce qui paraît couler de source n’est pourtant pas simple. Comment rendre dans un graphisme l’intime de la poésie d’un autre ?
Je pense que la poésie, comme la peinture, se suffit à elle-même. En tout cas, elle n’a nullement besoin d’être “ illustrée ” par des images redondantes. Elle s’illustre elle-même, avec ses propres images qui ne se laissent pas enfermer dans des cadres et qui accordent, en principe, toute liberté à l’imagination du lecteur. À ce propos, je pense qu’un bon poème est celui qui a autant d’interprétations que de lecteurs ; un poème qui offre un sens unique à tous ses lecteurs est un poème pauvre. S’il m’est souvent arrivé d’accompagner de dessins ou de peintures des livres de poètes, il se trouve que ces poètes sont pour la plupart des amis avec qui j’ai beaucoup d’affinités. Chacun d’eux a une écriture qui m’est familière, et c’est alors pour moi un réel plaisir que d’accompagner cette écriture. Je dis bien “ accompagner ” et non pas “ illustrer ”. Je n’essaie pas de rendre par un graphisme l’intime de la poésie de l’autre – ce serait prétentieux, voire irrévérencieux pour l’autre qui n’a nullement besoin de béquilles pour tenir tout seul. Ce que je tente, chaque fois, c’est de partager modestement quelques instants avec l’autre, c’est de mêler, l’espace d’un recueil, nos expressions singulières, un peu comme si nous faisions une petite promenade au bord de la mer en se racontant quelques bonnes histoires à tour de rôle. Je ne dis pas que ça marche à tous les coups, mais c’est chaque fois une joie.
Un vieil adage dit que “ le poète ne nourrit pas le maçon ”. Et la vie d’artiste-peintre ?
Je ne connaissais pas cette expression. Je suppose que tu fais allusion à ce que la poésie ne nourrit pas son homme, une évidence pour tout le monde, qui n’est pas qu’une simple idée reçue. Je ne te surprendrais sans doute pas si je te disais qu’à quelques rares exceptions près la peinture non plus ne suffit pas à elle seule à faire bouillir la marmite, à plus forte raison lorsqu’elle rechigne à flatter les goûts du plus grand nombre. Alors, quand des petits boulots se présentent, pourvu qu’ils soient honnêtes et dans nos compétences, on ne crache pas dessus… D’autant que toute expérience est susceptible, elle, de nourrir la poésie ou la peinture !
Un dernier mot ?
Carpe diem et vogue la galère !
Entretien réalisé par Abdelmadjid Kaouah
et paru dans ALGERIE NEWS N° 251 (du mardi 10 février 2009) et N° 252 (du mercredi 11 février 2009)
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* Abû Ya’qûb Sejestânî, Xè-XIè siècles de l’ère chrétienne, (“ Kitab al-Yanâbi’ ” [Le Livre des Sources], in Henry Corbin, “ Trilogie Ismaélienne ”, Verdier, 1994 [1961]).
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Bio express :
Hamid TIBOUCHI est né en 1951 à Tibane, dans la vallée de la Soummam.
Peintre et poète, il vit et travaille en France depuis 1981.
En tant que plasticien, il compte une soixantaine d’expositions personnelles et près de trois cents participations à des expositions de groupes en France et à travers le monde.
Sa production, abondante, est protéiforme : peintures, dessins, gravures, photos, livres d’artiste, livres-objets, décors de théâtre, vitraux, illustrations de livres et revues, …
Auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes, notamment : Mer ouverte (Éd. Caractères, Paris, 1973), Soleil d’herbe (Éd. Chambelland, Paris, 1974), Parésie (Éd. de l’Orycte, Paris, 1982), Nervures (Éd. Autres Temps, Marseille, 2004), Par chemins fertiles (Le Moulin du Roc, Niort, 2008).
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