lundi 27 septembre 2010
ENTRETIEN AVEC RACHID BOUDJEDRA: écrire c'est survivre.
Rachid Boudjedra, vous avez signé une vingtaine de romains, traduits dans une quarantaine de langues, sans parler d’écrits divers sur la peinture, le cinéma ou autres écrits d’engagement. Quand vous publiez au lendemain de l’indépendance votre recueil « Pour ne plus rêver », aviez-vous l’idée, le projet, l’ambition d’une telle œuvre à venir ?
Rachid BOUDJEDRA : Non, pas du tout. J'avais un besoin vital d'écrire pour survivre. J'ai toujours écrit et toujours déchiré. Les poèmes de "Pour ne plus rêver" ont échappé à la destruction par hasard. Je ne voulais pas être un écrivain,je voulais écrire et quand j'ai publié"La Répudiation", l'ampleur du succès m'a dépassé. Je n'en reviens toujours pas, d'ailleurs.
Doit-on vraiment à la rébellion contre le Père, cette œuvre polyphonique ou faut-il nuancer cette approche ? D’autres circonstances moins personnelles ont-elles contribué à son élaboration ?
Rachid BOUDJEDRA : La rébellion contre le père était celle contre tous les pouvoirs, toutes les féodalités, dont celle du père; mais j'étais très fasciné par l'écriture elle même, la technique, la poétique. J'ai toujours été un dévorateur de la littérature des autres. Grâce à elle, j'étais dans la jubilation d'une façon permanente.
Vous dites souvent dans vos interventions qu’il ne faut pas mélanger l’art et l’idéologie. Or, l’histoire, ou du moins son questionnement est un matériau essentiel dans votre travail d’élaboration romanesque. N’y aurait-il pas une part de paradoxe ?
Rachid BOUDJEDRA : Bien sûr qu' il ne faut pas mélanger l'art et l'idéologie. Et la littérature algérienne a souffert de cette confusion des genres: nocive et détestable qui a généré une littérature de propagande de très mauvaise qualité.
Mais l'Histoire n'est pas de l'idéologie! Au contraire elle est un refus de la politique immédiate, de l'actualité brûlante. Elle est "contournement" et distanciation des faits bruts et trompeurs. J'ai toujours utilisé l'Histoire comme adossement fondamental de mes romans. Cela leur donne une ouverture, une amplitude et une charge émotionnelle irremplaçable.
Il n'y a donc pas de paradoxe. Il y a complémentarité.
Votre dernier roman, « Les Figuiers de Barbarie » est une « revisitation » lancinante du passé historique et individuel des Algériens. Toute révolution est-elle vouée à dévorer ses enfants?
Rachid BOUDJEDRA : Oui! Mais pas seulement "Les Figuiers de Barbarie". Tous mes romans sont des" revisitations" lancinantes du passé et du présent de mon pays dont on ne dit pas assez l'histoire cruelle et catastrophique. Moi je la ressasse parce que j'ai mal à L'Algérie que j'aime passionnément parce qu'elle a trop souffert. Et c'est un fait que toute révolution est vouée à dévorer ses enfants parce qu'elle est faite par des hommes, tout simplement. Et aussi parce que toute révolution qui a réussi doit être dépassée par une autre. C'est la dialectique de l'histoire! Et une telle vérité est fascinante pour un écrivain et un terreau inépuisable pour mettre en branle la condition humaine si pathétique...
Peut-on dire alors que « Les Figuiers de Barbarie » est le roman du désenchantement final, de la trahison et de l’imposture ? Ou faut-il le lire plutôt comme une réplique critique à la mythologie guerrière dans laquelle la guerre de libération nationale a été engoncée?
Rachid BOUDJEDRA : "Les Figuiers de Barbarie" est vraiment le roman de la désillusion, de l'imposture et de la trahison; et c'est aussi une remise en cause du mythe de la révolution de la guerre de libération, non seulement en Algérie mais dans le monde entier. Car toute action politique est toujours déviée de da véritable vocation première. L'Histoire est là pour nous le prouver tous les jours. C'est un constat universel. C'est pourquoi les luttes sont toujours à faire et refaire.
Vous attachez aux petits détails de la vie une grande importance . Est-ce là que se nichent en fait les grandes leçons de l’histoire et partant la vérité romanesque ?
Rachid BOUDJEDRA : Oui,c'est vrai. J'ai toujours dit et répété que l'Histoire ( et donc la littérature) est une accumulation de futilités, de petits faits de la vie ordinaire et de lamentables mesquineries humaines. Les "grandes " leçons de la vie et de l'Histoire découlent de ce principe là qui est simple et évident. Et le roman y puise sa substance. Il se nourrit du perpétuel ratage humain; hélas!
Vous n'hésitez pas à dire que l’on écrit le même livre. Dans « Les Figuiers de Barbarie », vous revenez sur des thèmes que vous avez déjà traité dans des romans précédents (par exemple « Fascination », « Le vainqueur de coupe »). Vous changez d’angle et d'embrayage dénote-t-il votre affinité avec le « Nouveau roman » ? Où faut-il remonter encore plus loin, vers une tradition des « Mille et une nuits » ?
Rachid BOUDJEDRA : J'ai toujours répété dans cesse cette idée. On n'écrit toujours le même roman avec des angles différents, des changements latéraux foudroyants, etc. C'est comme au football. Et cette technique, je l'ai apprise dès mon enfance dans "Les 1001 Nuits" puis ,beaucoup plus tard, dans le Nouveau Roman qui s'est inspiré lui-même du Livre de Schahrazad. Depuis Flaubert, Proust et tant d'autres. En plus écrire toujours le même roman, cela nécessite une vision du monde sincère, un fantasme central essentiel et des capacités techniques de haut niveau, sans lesquels il n'y a pas littérature. En un mot il faut "une souffrance".
Vous avez été parmi les premiers à vous attaquer dans la littérature arabe et d’expression française à cette fameuse trinité des tabous relatifs à la sexualité, la politique et la religion. Vous avez dû faire face souvent l'incompréhension de votre monde d'origine et à une tenace adversité des bien-pensants et des pouvoirs. Pensez-vous pas que la réception de votre œuvre-amplement suivie par la critique universitaire- a atteint aujourd'hui un large public?
Rachid BOUDJEDRA : Oui, je le crois. J'ai été le premier et je continue à l'être parce que le fameux triangle taboutique continue à inhiber les écrivains arabes. Parceque , dans nos pays, l'artiste continue à subir la pression de la tradition et de l'archaïsme. Il s'autocensure d'une façon féroce et cela l'empêche de créer. Il est entravé. Moi j'ai toujours subi l'interdit mais je n'en ai jamais tenu compte parce que écrire c'est survivre.
Non je n'ai pas vraiment un large public. Je suis lu par une élite exigeante qui est constamment à la recherche de la qualité. Et cette élite se trouve effectivement dans les universités où mon œuvre est très étudiée, à mon grand étonnement.
Sauf erreur, dans la création littéraire dans le monde arabe , l'approche romanesque psychanalytique reste rare. Vos livres interrogent de façon constante le refoulé en même temps qu'ils articulent une approche dialectique . Comment Boudjedra assure-t-il son compagnonnage intellectuel avec Freud et Marx?
Rachid BOUDJEDRA : Cette absence de la psychanalyse est une lacune dans la sphère Arabo-musulmane où le refoulé est encore très fort et avec ça on ne peut pas créer. Il en va de même pour la dialectique dont la fonction aide à installer l'oeuvre artistique et à la structurer d'une façon rigoureuse et implacable. Ma formation philosophique et mathématique m'a certainement beaucoup aidé dans l'écriture de mes romans dont la complexité ne fait que refléter celle de la vie elle-même.
Vous vous méfiez en même temps des discours idéologiques. Et vous puisez volontiers dans votre propre parcours la matière de vos livres. Les personnages de votre dernier roman son tirés de votre propre expérience. La progression du récit obéit à la fameuse règle des trois unités, temps, lieu et action. Des pages d’une grande poésie ponctuent aussi le roman. Ne peut-on pas conclure de tout cela que Rachid Boudjedra au final , tout en se démarquant du roman traditionnel, est du côté du classicisme contemporain ?
Rachid BOUDJEDRA : Parce que j'adhère totalement à l'idéologie marxiste depuis l'âge de 17 ans, j'ai toujours eu peur de confondre art et idéologie. Ce qui est souvent la règle chez les écrivains du tiers-monde qui perdent,souvent de vue, la subjectivité et le forage de la mémoire. le roman devient alors un tract , une leçon et il rate sa vocation.
Si vous pensez que je suis un " classique contemporain", je vous en laisse la responsabilité car je ne sais pas vraiment ce que je suis.
Comment travaille Boudjedra ses romans? A-t-il des secrets de fabrication? des marottes personnelles? Enfin comment vit-il au quotidien et comme créateur dans un pays où écrivain n'est pas un métier?
Rachid BOUDJEDRA : Non je n'ai ni secrets ni talismans. Je porte longtemps mes projets dans ma tête (Plusieurs années!) puis quand ils sont mûrs, je me mets à écrire très vite(Entre une et trois semaines) dans une tension extrême et un isolement total. C'est, peut-être, pourquoi je peux vivre de mon métier d'écrivain et de scénariste.Dans la vie quotidienne, je suis quelqu'un d'ordinaire, un citoyen comme les autres.
Vous n’hésitez pas dans vos entretiens publics à dire vers quels écrivains porte votre admiration. Non sans dire également vos réserves vis à vis d’autres. En particulier des auteurs algériens dont vous dites qu’ils pratiquent une
« littérature de loisirs » ou de « vision pour ceux de l’autre côté ».N’est-ce pas une appréciation par trop sévère ?
Rachid BOUDJEDRA : J'ai toujours dit et redit mon admirations pour les maîtres qui m'ont influencé; ce qui n'est pas le cas des autres écrivains algériens et j'ai toujours donné mon POINT DE VUE, min simple point de vue les autres écrivains algériens quand les journalistes me le demandent. En ce qui concerne les écrivains qui vivent à l'étranger, je les critique quand ils dénigrent politiquement l'Algérie dans les medias étrangers, pour avoir"l'absolution" de l'autre et profiter de ses prébendes. J'en veux à cette catégorie d'intellectuels(très minoritaires!) parce qu'elle a la haine et le mépris de soi. Il ne s'agit donc pas de "sévérité" mais du droit d'affirmer sincèrement ce que je crois.
Une dernière question: On sait que le doute est le sel de la littérature. Ecrire apporte-il l’apaisement à Rachid Boudjedra?
Rachid BOUDJEDRA : Oui le "Doute" est un élément fondamental dans la littérature qui ne m'apporte aucun apaisement. Au contraire, elle ne fait qu'aiguiser ce doute qui me ronge et me fait souffrir.
Entretien réalisé par Abdelmadjid,
paru dans le quotdien Algérie News
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