samedi 29 janvier 2011

Poètes choisis, poèmes croisés: Mahmoud DARWICH





La terre nous est étroite

Désert !
J'ai vu le jour il y a mille ans.
Ils ont ouvert la porte de ma cellule et je me suis écroulé sur le jour.
Ma foulée est courte, blanches blanches sont les distances et la porte est un fleuve.
Pourquoi élève-t-on les prisons au bord du fleuve dans un pays qui se languit de l'eau ?
Ils ont ouvert la porte de ma cellule et je suis sorti.
J'ai trouvé un chemin et je l'ai pris.
Où aller ?

J'ai commencé par dire :
J'enseignerai la marche à ma liberté.
Elle s'est penchée vers moi,
je me suis adossé à elle et je l'ai étayée.
Nous sommes alors tombés sur le vieux marchand d'oranges,
je me suis relevé et j'ai entassé ma liberté sur mon dos,
ainsi que l'on charge les pays sur les chameaux ou les camions,
et j'ai marché.

Sur la place des orangers,
la fatigue m'a gagné et j'ai crié :
Hé la police militaire ! Je n'arrive pas à partir pour Cordoue.
Et au seuil d'une porte, je me suis courbé,
J'ai déposé ma liberté comme un sac de charbon et j'ai couru vers le souterrain.
Le souterrain ressemble-t-il à ma mère et à la tienne ?
Désert Désert.

Quelle heure est-il ?
Pas le temps pour le souterrain.
Quelle heure est-il ?
Pas le temps...
Sur la place des orangers, les marchandes de vieilles épées font foi à nos propos,
et ceux qui partent à leur journée entendent le chant et ne mentent pas au pain,
désert au cœur,
Déchire les veines de mon vieux cœur avec la chanson des gitans en route pour l'Andalousie.
Chante ma séparation du sable et des poètes anciens et d'arbres qui n'étaient pas femme.
Mais ne meurs pas maintenant, je t'en conjure !

Ne te brise pas comme les miroirs, ne t'éclipse pas comme
la patrie
Et ne répands pas comme les toits et les vallées.
Tu pourrais, comme moi, leur servir de martyr.

Ils pourraient deviner les liens entre la colombe et les souterrains.
Pressentir que les oiseaux sont, sur terre, le prolongement du matin,
Et le fleuve, l'épingle à cheveux d'une dame qui se suicide.
Et attends-moi attends-moi, que j'entende la voix de mon sang
Traversant la rue véhémente.
- Je m'en sortais ...
- Mais tu n'étais pas victorieux !
- Et je m'en irai.
-Où l'ami ?
- Où les colombes se sont envolées, où les blés les ont acclamées
Pour étayer cet espace avec un épi qui attend.
En mon nom, poursuis ton chant
Et ne pleure pas, l'ami, un air perdu dans les souterrains.

C'est une chanson,
Une chanson !

M.D.

" La terre nous est étroite et autres poèmes "
Traduit de l'arabe par Elias Sanbar, NRF Poésie/Gallimard

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