dimanche 27 novembre 2011

Kateb Yacine (1929-1989) Le Sémaphore: Toute colère dehors

On ne parlera jamais assez de Kateb Yacine*. On prête à Dostoïevski cette formule : « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol ». On peut soutenir qu'il en fut relativement de même pour Kateb Yacine.Nombre d’écrivains maghrébins sont redevables d’une manière ou d’une Notons au passage que Kateb Yacine qui ne cachait pas son admiration à Staline (surtout, celui de la Grande Guerre patriotique contre le fascisme s’intéressait à Dostoïevski à contre-courant de la doxa soviétique ambiante. Un lien complexe, sinon ombilical, s’établira entre les écrivains fondateurs d’une nouvelle littérature, tel Kateb Yacine. Dès lors, ceux qui viendront après eux écriront comme sous leur regard des précurseurs. Passion et ressentiment ne manqueront pas, émaillés ici et là de petites phrases provocantes ou mesquines. La révolte contre le Père peut être une pièce sordide. N’est pas Raskolnikov qui veut. Kateb Yacine, lui aussi a eu certainement ses admirations et ses détestations. Comme es malentendus et ses ruptures douloureuses avec de vieux compagnons (tels Jean Sénac et Malek Haddad). Il n’était cependant jamais dans la mesquinerie… La divergence politique primait dans ses désaccords. Pareil au scorpion Toute colère dehors J'avance avec le feu du jour Et le premier esclave que je rencontre Je le remplis de ma violence Je le pousse en avant ma lance déployée Et que la verve des scorpions le prenne Et que le vent l'enlève Chaque jour plus léger Kateb Yacine, on peut l’affirmer est désormais entré dans la légende algérienne. Au-delà de la littérature, du théâtre, il participe de notre quête identitaire qui embrasse dans un même élan dialectique Jugurtha, l’Emir Abdelkader et les dockers du port d’Alger. Mais l’homme était plus simple que sa légende. Tant de gens du petit peuple ont pu le rencontrer en toute simplicité. Dans les « cafés maures » et les villages les plus reculés du pays où il donnait à voir sur les tréteaux de saltimbanque génial la tragédie millénaire d’un peuple tantôt au sommet des périls, tantôt figé dans une muette résistance à l’imposture. Il prenait le temps de discuter avec les plus humbles des choses les plus complexes. Contradictoire, il l’était, car épris de dialectique et de questionnement, il n’en était pas moins avant tout un poète. Dans le songe et la démesure. Sans verser dans l’effusion vaniteuse, il nous revient en mémoire des moments fulgurants où nous pûmes l’approcher au milieu des années soixante-dix Souvenir d’une conférence de son ami Messaour Boulanouar de Sour El Ghozlane sur la littérature qu’il lui avait organisée à Alger : Kateb nous exhortant « à tirer sur le quartier général » dans les colonnes de « L’Unité » auquel il donnera plus tard un inédit ou paraitra l’un de ses rares entretiens à l’époque où il faisait flèche de tout bois contre le pouvoir…Aux présentations de ses pièces, il y avait toujours un « panier à salade » de la police. On avait sans doute peur que les drapeaux rouges brandis sur la scène gagnent les rues. Souvenir aussi de cette longue journée de 1er mai passée avec l’ami Arezki Metref en sa compagnie à son théâtre de Bab El Oued où nous avions accompagné un compatriote immigré envoyé par ses camarades suivre un stage chez Kateb Yacine. Souvenir de rares visites vers la fin de sa vie où nous parlions de tout sauf de la maladie qui l’avait entamé. Curieuse coïncidence, il mourra de la leucémie à l’hôpital de la Tronche à Grenoble où j’avais accompagné une sœur durant plusieurs mois. Il faut lire ou relire : « Kateb Yacine le cœur entre les dents »de Benamar Médiene (Robert Laffont, 2006), cette « biographie hétérodoxe ». En particulier les premières pages- si émouvantes- consacrées à sa disparition et sa rencontre post-mortem. Et une sorte d’inventaire à la Prévert des maigres objets qui avaient accompagné Kateb dans son dernier voyage. Quelques livres de chevet. Notamment, Faulkner et Hölderlin. « Chaque livre est un sémaphore », écrit Benamar Mediene. Dans « La Ville » de Faulkner : « …soulignée d’un feutre gras rouge : « Ombres insomnieuse qui, bien qu’elles participent de la nuit même, repoussent les ténèbres, parce que les ténèbres participent de cette petite mort que nous appelons le sommeil ». C’est avec l’histoire que Kateb Yacine avait surtout eu rendez-vous. A lui seul, il symbolise la littérature algérienne et la résonance de son œuvre a dépassé les frontières de son pays. L'homme autant que l'écrivain déroute toujours les approches traditionnelles. Pour Kateb Yacine, l'aventure poétique a commencé avec le grand séisme du 8 mai 1945 qui vit la répression de milliers d'algériens à Sétif et Guelma. Arrêté, témoin des massacres, Kateb Yacine trouvera dans les événements du 8 mai la matière d'une inspiration qui se hissera au rang d'un mythe. "L'œuvre de Kateb Yacine est un lieu singulier où se mêlent, se perdent et s'enchevêtrent thèmes et images empruntées simultanément aux obsessions d'une sensibilité par l'étrange personnage de Nedjma, aux épreuves, précisément évoquées, du combat national et du passé historique ou mythique de l'Algérie : rarement un destin individuel, un moment de l'histoire d'une nation et les traditions les plus lointaines d'un peuple ont été aussi intimement liés". Ces lignes ont été écrites en 1967. Elles ne seront pas démenties jusqu'à sa mort en 1989.Dans ses romans comme dans son théâtre, c'est la vision poétique qui l'emporte. Dès 1946, il avait publié un premier recueil de poésie Soliloques. Dans Nedjma ou le poème du couteau, (Mercure de France, 1948), on trouve les éléments constitutifs de l'œuvre à venir. De là naîtront romans et pièces de théâtre : Nedjma, en 1956, Le cercle des représailles en 1959.Pendant longtemps les œuvres de Kateb Yacine n'ont été connues que sous forme d'extraits poétiques. L'œuvre -phare restera cependant Nedjma autour de laquelle s'organisent ses autres productions. Nedjma est à la fois la mère, la "femme sauvage", "la rose de Blida" (sa mère de a sombré dans la folie après les événements du 8 mai 1945), "l'Algérie", patrie frappée par le malheur et hantée par les ancêtres qui "redoublent de férocité". Nedjma est au centre de l'œuvre katébienne. C'est la "métaphore matricielle qui médiatise accès au passé mythique et à l'événement historique, elle ne cesse pas d'être une figure centrale qui suscite les énoncés lyriques, l'amour fragile, les discours flamboyants et les désirs apaisés"("Kateb Yacine" par Saïd Tamba. Poètes d'aujourd'hui. Seghers, 1992).Tous ses récits sont imprégnés d'une poésie qui libère un imaginaire débridé construit de façon touffue et récusant la chronologie. Abdelkader Khatibi, dans Le roman maghrébin parle de "délire poétique". C'est la violence de l'homme et du monde que Kateb Yacine s'est constamment efforcé de dire et de traduire à travers la forme d'un dialogue dramatique. "C'est toujours la même œuvre que je laisserai, certainement comme je l'ai commencé". Multiforme et polysémique. ‘’Et même fusillés Les hommes s’arrachent la terre Et même fusillés Ils tirent la terre à eux Comme une couverture Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir Et sous la couverture Aux grands trous étoilés Il y a tant de morts Tenant les arbres par l racine Le cœur entre les dents Il y a tant de morts Crachant la terre par la poitrine Pour si peu de poussière Qui nous monte à la gorge Avec ce vent de feu ‘’ Kateb Yacine est mort la veille d’un Premier Novembre, juste à la conjonction d’un monde en dépérissement et l’éclosion tragique d’un Octobre aux espérances perverties et ensanglantées. A.K. __________________________________________ * C'est ce que martèle Hmida Ayachi , auteur du récent ouvrage : «Le prophète de l’insoumission – Dix ans avec Kateb Yacine » (Editions Socrate ,) en édition arabe -dans l’attente de l’attente de la parution prochaine de la version en langue française . " Hmida Ayachi dit faire partie de toute une génération de jeunes dont la vie a été bouleversée par « l’homme sans cravate » .

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