Par Abdelmadjid KAOUAH ( Le Soir d'Algérie)
André Brink, le romancier sud-africain vient de nous
quitter le 6 février dernier (et
quelques heures après, nous parvenait le décès d’Assia Djebar). Au hasard de la
fortune littéraire, nous eûmes la chance d’aller à sa rencontre. La littérature africaine, et plus singulièrement celle du pays de Nelson Mandela, était à l’honneur
du festival littéraire « Marathon des
mots » de Toulouse. Pouvait-il en être autrement à la veille d’une coupe
du monde de football se déroulant en
Afrique du Sud en 2010? Parmi tant
de rencontres avec des écrivains du continent noir et du monde, celle avec
l’écrivain sud-africain André Brink a eu une
ample résonnance. La salle des conférences de La Renaissance - une
librairie fondée au lendemain de la Libération qui eut à accueillir les grands
écrivains engagés, tel Aragon et qui reste l’une des rares dans u quartier polaire-arrivait à peine à contenir
le public nombreux venu entendre l’écrivain anti-apartheid l’entretenir de
« l’engagement de l’écrivain ».
« Savoir,
ce n’est pas assez. On doit essayer de comprendre » fait dire André Brink à l’un de ses
personnages dans son roman « Une
saison blanche et sèche ». Le roman obtint le Prix Médicis 1980, et
Martin Luther King Memorial Prize pour la version anglaise du roman. Au départ,
Ben Du Toit ne se pose pas de questions superflues, dérangeantes. Comme
la majorité, il se satisfaisait de la place qui lui était assignée dans la
société sud-africaine. Pas de doute, pas d’incursion hors du cercle familier.
Ben Du Toit, un nom aussi banal que l’homme qui le porte. Un homme sans
qualités exceptionnelles, se suffisant à lui-même et se délectant même de sa
propre solitude. En somme, un bon père de famille, s’adonnant au bricolage, tenant à jour ses journaux
intimes avec l’efficacité d’un comptable. Un homme barricadé derrière la
surface d’une image. Mais la cinquantaine venue, tout bascule. Si Ben Du Toit
n’est pas un homme singulier, le pays qu’il habité n’est pas ordinaire. C’est
un communiqué laconique qui l’arrachera à sa léthargie : un certain Gordon
détenu selon les termes de l’Acte sur le terrorisme a été retrouvé mort dans sa
cellule….. C’est la goutte qui va entraîner l’Afrikaner discipliné dans un
courant irrépressible et balayer au passage sa vie ordinaire..Jusqu’ici, il
avait accepté « tout ce qu’on a l’habitude de prendre pour argent comptant,
avec tant d’assurance qu’on ne cherchait même pas à vérifier ». Mais la
mort de cet autre homme tranquille,
Gordon, « honnête, décent, qui se rend régulièrement à l’église »
mais qui avait juste le tort ou la malchance d’avoir une peau noire le fera
sortir de sa maison aux murs blancs et
découvrir un « pays mythique, ce pays
plus vrai que le vrai » …Il fera d’amères connaissances : la
loi n’est qu’un visage derrière lequel il n’ y a plus de tête : elle
couvre autre que la chose qu’elle nomme tout en n’ayant pas changé de sens.
Tout n’est que vernis, masque pour donner bonne conscience au diktat blanc...Et
le cynisme n’est pas on reste quand à propos de savoir s’il s’agissait d’un
crime ou d’un suicide, le ministre affirme avec le sourire : »chaque
homme a le droit démocratique de mourir » !
Avec « Au plus noir de la nuit », André Brink nous accule à une véritable descente aux enfers. Roman après roman, il n’aura de cesse de démonter méticuleusement les apparences de l’édifice raciste. Littérature engagée ou engagement de la littérature ? La question semblait oiseuse car « dans ce pays d’enterrement multicolore amer et triste tout discours est politique.
Avec « Au plus noir de la nuit », André Brink nous accule à une véritable descente aux enfers. Roman après roman, il n’aura de cesse de démonter méticuleusement les apparences de l’édifice raciste. Littérature engagée ou engagement de la littérature ? La question semblait oiseuse car « dans ce pays d’enterrement multicolore amer et triste tout discours est politique.
André
Brink est né dans une famille afrikaner, descendant de colons boers
arrivés en Afrique depuis trois siècles et fervente adepte de l’Apartheid. Dans un français
impeccable, André Brink reviendra sur son itinéraire personnel sans fard ni prétention. Il avoue sans
ambages que jusqu’à son séjour en France
à la fin des années cinquante, en pleine
guerre d’Algérie, il ne connaissait pas d’autre réalité que l’Apartheid,
n’ayant aucun échange avec les noirs. C’est donc à cette occasion qu’il
rencontrera pour la première fois de sa vie des étudiants noirs et prend conscience des effets décasteurs de
l’apartheid sur ses concitoyens noirs... Homme de principe, André Brink, tout
en disant sa vérité, reste d’une grande courtoisie. Ecrivain d’engagement, il
ne cache pas pour autant les doutes qui l’ont saisi quand il écrivait justement
son roman. Au moment où il écrivait depuis six mois son manuscrit sur l’horreur
de l’oppression raciale eut lieu dans la ville où il vivait et enseignait
l’assassinat de Stève Biko, l’une des figures de la lutte anti-apartheid. Pour
lui, la réalité dépassait la fiction et il devenait vain de la transcrire dans
un récit. Les faits étaient plus « parlants » et la littérature un
inutile exercice. Il a fallu toute la force de persuasion de ses amis pour
qu’il achève le roman. Ses doutes disparaitront définitivement quand il
rencontrera Nelson Mandela qui lui
confiera que ses œuvres l’ont aidé dans sa captivité et ses méditations. Sur Mandela, André Brink qui lui voue
admiration et amitié, est intarissable. Il en parle comme une sorte de
saint qui n’arrête pas d’étonner son
entourage. A ce propos, il raconte la tendresse particulière que voue Mandela
aux enfants. Parmi les privations qu’il a eu à subir, Brink note
que ce dernier n’a pu voir durant 27 ans
des enfants ! Aussi, à chaque fois qu’il en rencontre, il se met
littéralement à genoux pour converser avec eux, car ils sont l’avenir d’un
monde meilleur, précise l’écrivain. De là à évoquer les réalités et les enjeux
de l’après-Apartheid, il ne fallait qu’une question à propos de l’ANC actuelle.
André Brink rappela que le courage et
les sacrifices des leaders et des militants de l’ANC qu’il avait connu pour la
plupart en exil. En majorité des homes cultivés et qui avaient connu la
ségrégation. Avec de telles données, André Brink était convaincu que le
nouvelle Afrique du Sud serait meilleure sous leur direction. Or, entre ces
élites qui constituent l’appareil politique et le peuple, le fossé s’est
creusé et la gangrène de la
corruption a fait son apparition.
« Je ne reconnais plus certains de mes amis » dit-il avec tristesse
et un peu de colère. Il en appelle
surtout au parcours exemplaire de
Nelson Mandela et de Mgr Desmond Tutu.
Sa
prise de conscience il la place aussi sous le signe de sa fréquentation
intellectuelle de l’œuvre de Camus pour lequel il nourrit une admiration
durable. Dans la foulée, il évoque son voyage en Algérie où il a pu aller sur les traces algériennes
de l’écrivain. Une telle évocation ne pouvait passer inaperçue sans se soulever
des remarques. Dans le débat qui suivit la causerie d’André Brink, un
intervenant lui demanda tout de go
quelle lecture faisait-il de la position de Camus durant la guerre d’Algérie,
lui André Brink qui avait osé aller courageusement à contre-courant de sa communauté ?
L’auteur d’ »Une saison blanche et sèche » s’employa à décrire la complexité de la
pensée camusienne à propos de la violence et du terrorisme, tout en relevant « la malheureuse phrase »
qui avait schématisé le rapport du Prix Nobel à l’Algérie et à son peuple
auquel il n’avait manqué pas de marquer très tôt sa solidarité. On
sentait qu’André Brink, était conscient qu’il ne levait pas « le parallèle paradoxal » pointé par l’intervenant. Aussi, finement, conclura-t-il que Camus après tout n’était qu’un être
humain… De l’Algérie, il en sera aussi question, en aparté ; en dédicaçant à une compatriote, Leïla Boutaleb, son livre, il aura ces mots : l’Algérie est un beau pays.
La
salve finale, pour ainsi dire, de l’écrivain sera réservée à l’oppression subie
par les Palestiniens. Au lendemain de l’abordage sanglant contre la flottille
de pour la liberté de Gaza, pouvait-on
ne pas « bifurquer » (une notion chère à l’auteur qui venait de publier ses mémoires sous le titre Mes bifurcations, Actes Sud(2010) sur la
question palestinienne ? Il ne s’agissait pas bien entendu d’un meeting
politique mais ‘une rencontre littéraire
mais ayant pour thème « l’engagement de l’écrivain ». André
Brink parla donc en écrivain engagé. En
ayant recours à la parabole. Il rappela d’abord que les camps d’extermination
de la deuxième guerre mondiale restent des réalités des plus « stupéfiantes,
ahurissantes » des horreurs commises contre les juifs. Il fit état des
échanges et des témoignages qu’il tint à
suivre. A cet égard, il relata un voyage qu’il effectua en Tchécoslovaquie
et la visite qu’il fit à un camp
d’extermination où les bourreaux nazis
avaient poussé le cynisme jusqu’ à demander à des enfants de relater les
impressions de leur vécu. L’un d’eux écrivit qu’il n’y avait pas de papillons
dans le camp... Sans élever la voix, André Brink s’écria : je ne comprends pas comment les
Israéliens peuvent-ils faire aux Palestiniens ce qu’ils ont subi…Les Israéliens
assassinent aujourd’hui les papillons ! Une salve
d’applaudissements lui fit écho. André Brink
avait parlé en poète. En retournant
par l’image aux victimes d’hier
leurs responsabilités d’aujourd’hui. Debout, la salle lui faisait un
triomphe. J’ai cru voir des rougeurs
monter au visage d’André Brink. Dans « Un
instant dans le vent » (Stock) , André Brink écrit « Quand tous
les instruments ont été détruits par le vent, quand tous les journaux de bord
ont été abandonnés au vent, quand plus aucune alternative ne subsiste que celle
de poursuivre sa route. Ce n’est pas une question d’imagination mais de
foi ».Cela se passe de commentaire.
A.K.
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