A propos d'une
Une exposition de
Salah Oudahar
La pierre telle qu’en-elle-même
La pierre est une matière de survie à tous les
égards. Elle est selon le regard ruine ou vestige. C’est aussi un voyage
immobile dans la mémoire des choses et des êtres. Elle avant tout ce catalyseur
formidable de la mémoire fertile de Salah Oudahar qui lui permet de rassembler dans une exposition - se déclinant par degré
comme le soleil levant du pays natal- les différents plans d’une quête
métaphorique. Un soleil qui se lève ainsi sur les fragments ravivés et rassemblés d’un itinéraire à la
fois pétri par l’expérience personnelle et la rencontre la plus ouverte sur les
autres et le monde.
Salah Oudahar brasse avec poésie et savoir une
mémoire qui plonge ses racines à la fois dans l’enfance et l’histoire. Chaque plan
de l’évocation participe de la chorégraphie des « Témoins du temps ».
Inexorable travail du temps sur la durée et l’espace qu’annoncent et prolongent
les petites comme les grandes choses.
C’est un vrai parti-pris des choses pour évoquer en l’occurrence Francis Ponge.
« Il ne s'agit pas d'arranger les choses (le manège) [...]. Il faut que
les choses nous dérangent. Il s'agit qu'elles nous obligent à sortir du ronron. »
(Méthodes, 1961), écrivait ce dernier.
Ici il ne
s’agit pas seulement des objets et des lieux. En ruines ou en mouvement. Les
images évanescentes du passé y trouvent
place et espace à des recompositions qui empruntent à la nature et à la
nostalgie une vivacité renouvelée et un sens où le pluriel n’est plus un péché.
Celui dont le père fut un tailleur de pierres retaille par son regard les
panoramas du passé - et les blessures
sécrètes ou enfouies de l’enfance qui s’y déployaient avec innocence ou
imprudence. Passé de confrontations et de chocs sur une terre que l’histoire
depuis des millénaires a rendu fascinante et le rendez-vous de luttes et de conquêtes éphémères devant les résistances
autochtones. Ce que l’on pourrait croire
n’être que des ruines témoigne de l’exploit de ses guerriers et de ses aèdes.
La ruine est ailleurs. En témoignent les colliers de pierre qui parsèment les
terres profondes et qui répondent dans une correspondance étourdissante aux portes
et aux fenêtres ébréchées des maisons de pierre encore debout, comme des corps
saignant à l’encan. Pierres, demeures et lieux comme orphelins que Salah
Oudahar restitue par-delà leurs cicatrices et leurs fêlures dans la noblesse de leurs lignages. Ils
témoignent et interpellent le passant. Ici qui
passe ou monte le chemin ?
Un air d’absence et d’abandon imprègne l’atmosphère.
Les images auraient-elles suffi au témoignage ? Le poète qui agence les
vues et les icones en appelle aussi à la parole. Econome et emblématique :
Les êtres/Les choses/Et leur nom.
Qui est l’Ombre gardienne des
lieux en ces terres ? Toujours
"La pierre / Telle qu'en elle-même / Insouciante / Gardienne des
lieux / Témoin du temps", Mais l’enfant que fut le poète avait-il le
loisir ou la protection de l’insouciance du temps et de l’espace ?
Résonnent depuis la nuit des temps le
bruit et la fureur qui ont transformé son vert paradis en un atelier de l’enfer.
Le dieu de la guerre a fait
souffler le feu et le fer et dont la
famille du poète fut l’une des victimes propitiatoires. Des victimes qui ont
relevé le défi de l’histoire. Et qui ont fait le rêve d’un monde nouveau.
Quelques photos de famille suffisent à Salah pour évoquer toute une épopée dont
les nouveaux pharisiens ont machiné un discours à la fois tonitruant
et bien creux maintenant. Le silence en l’occurrence est comme une
réinvention d’une résistance à taille humaine.
Sur ces terres de Kabylie
maritime, l’exposition de Salah Oudahar
nous donne à saisir le ciel, la terre et
la mer dans de perpétuelles noces solaires et
nocturnes. Sans grandiloquence. Au ras des vagues, des tissures, des
blessures et des exils. Eternité d’un
songe en devenir.
A.K.
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