jeudi 20 mars 2014

Témoins du temps

A propos d'une 
 Une exposition de Salah Oudahar   
  
La pierre telle qu’en-elle-même
La pierre est une matière de survie à tous les égards. Elle est selon le regard ruine ou vestige. C’est aussi un voyage immobile dans la mémoire des choses et des êtres. Elle avant tout ce catalyseur formidable de la mémoire fertile de Salah Oudahar qui lui permet de rassembler  dans une exposition -  se  déclinant  par degré  comme le soleil levant du pays natal- les différents plans d’une quête métaphorique. Un soleil qui se lève  ainsi sur les fragments  ravivés et rassemblés d’un itinéraire à la fois pétri par l’expérience personnelle et la rencontre la plus ouverte sur les autres et le monde.
Salah Oudahar brasse avec poésie et savoir une mémoire qui plonge ses racines à la fois dans l’enfance et l’histoire. Chaque plan de l’évocation participe de la chorégraphie des « Témoins du temps ». Inexorable travail du temps sur la durée et l’espace qu’annoncent et prolongent  les petites comme les grandes choses. C’est un vrai parti-pris des choses pour évoquer en l’occurrence Francis Ponge. « Il ne s'agit pas d'arranger les choses (le manège) [...]. Il faut que les choses nous dérangent. Il s'agit qu'elles nous obligent à sortir du ronron. » (Méthodes, 1961), écrivait ce dernier.                            
 Ici il ne s’agit pas seulement des objets et des lieux. En ruines ou en mouvement. Les images évanescentes du passé y trouvent  place et espace à des recompositions qui empruntent à la nature et à la nostalgie une vivacité renouvelée et un sens où le pluriel n’est plus un péché. Celui dont le père fut un tailleur de pierres retaille par son regard les panoramas du passé  - et les blessures sécrètes ou enfouies de l’enfance qui s’y déployaient avec innocence ou imprudence. Passé de confrontations et de chocs sur une terre que l’histoire depuis des millénaires a rendu fascinante et le rendez-vous de luttes et de conquêtes  éphémères devant les résistances autochtones.  Ce que l’on pourrait croire n’être que des ruines témoigne de l’exploit de ses guerriers et de ses aèdes. La ruine est ailleurs. En témoignent les colliers de pierre qui parsèment les terres profondes et qui répondent dans une correspondance étourdissante aux portes et aux fenêtres ébréchées des maisons de pierre encore debout, comme des corps saignant à l’encan. Pierres, demeures et lieux comme orphelins que Salah Oudahar restitue par-delà leurs cicatrices et leurs fêlures  dans la noblesse de leurs lignages. Ils témoignent et interpellent le passant.                                         Ici qui passe  ou monte le chemin ?
Un air d’absence et d’abandon imprègne l’atmosphère. Les images auraient-elles suffi au témoignage ? Le poète qui agence les vues et les icones en appelle aussi à la parole. Econome et emblématique : Les êtres/Les choses/Et leur nom.
Qui est l’Ombre gardienne des lieux en ces terres ? Toujours  "La pierre / Telle qu'en elle-même / Insouciante / Gardienne des lieux / Témoin du temps", Mais l’enfant que fut le poète avait-il le loisir ou la protection de l’insouciance du temps et de l’espace ? Résonnent  depuis la nuit des temps le bruit et la fureur qui ont transformé  son vert paradis en un atelier de l’enfer.
Le dieu de la guerre a fait souffler le feu et le fer et  dont la famille du poète fut l’une des victimes propitiatoires. Des victimes qui ont relevé le défi de l’histoire. Et qui ont fait le rêve d’un monde nouveau. Quelques photos de famille suffisent à Salah pour évoquer toute une épopée dont les nouveaux pharisiens ont machiné un discours à la fois  tonitruant  et bien creux maintenant. Le silence en l’occurrence est comme une réinvention d’une résistance à taille humaine.
 
Sur ces terres de Kabylie maritime,  l’exposition de Salah Oudahar nous donne à saisir  le ciel, la terre et la mer  dans de perpétuelles noces   solaires et   nocturnes. Sans grandiloquence. Au ras des vagues, des tissures, des blessures  et des exils. Eternité d’un songe en devenir.
 
A.K.
 
 

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