dimanche 10 mai 2015

M’Hamed AOUNE, l’homme enfin en vue !


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CHRONIQUE DES DEUX RIVES
Parue dans Algérie News du dimanche 15 juin 2014            


 
Un poète peut-il porter l’uniforme ? Vaste question qui eut ses défenseurs et ses contempteurs.   Sans remonter à Alfred Vigny, on peut citer le cas plus étonnant du Nicaraguayen Ernesto Cardenal, poète, prêtre de la théologie de la libération, commandant de la révolution sandiniste, ministre de la Culture de 1979 à 1987.On a vu en direct comment, lors de son pontificat, le Pape Jean-Paul II le tança à sa descente d’avion à Managua. Cardenal quittera par la suite le Front sandiniste Libération nationale, en protestation contre la direction « autoritaire » du président Daniel Ortega. Mais il gardera toujours ses convictions progressistes. C’est d’un autre cas d’espèce que nous traiterons dans la présente chronique. « Un gamin de 82 ans», écrivait, à juste titre, Kaddour M'Hamsadji à son propos en 2009 !

Ce dernier, rare parmi les rares, hommage et reconnaissance pour avoir accompagné, évoqué, écrit, visité, honoré M’hamed Aoune. Sa présentation dans « Poésie vivante », en 1967, a fait date dans la connaissance du poète M’hamed Aoune. Les ans ont ralenti les pas de cet albatros terrien, en perpétuel mouvement depuis sa primeen fance, mais sa passion du monde et de son pays restent si vives.

J'ai eu encore une fois à le constater récemment. Nous avons parlé de Shakespeare, de Sénac, d’Abou El-Kacem Chabi, de Massignon, d'Ibn- Khaldoun, de   Mammeri... et de tant d'autres. J'attends… sans avoir besoin de terminer sa phrase, m'a-t-il confié l'année passée et redit l’été dernier. Et pourtant, c’est bientôt un autre été qu iva à sa rencontre. Miracle de la vie. Même si, m’a-t-il avoué, ma main ne répond plus à la plume. Il a tant écrit. Et sa poésie est ailleurs dans sa parole, comme l’a bien observé Arezki Metref. Il dit. Parle. Rit. Se tait. Voyage dans l’invisible poétique. Comme disait Lacheraf, le langage est la seule jeunesse. M’hamed Aoune c'est une parole avant tout. Langage d'un homme qui fait 86 ans et dont la voix et le rire résonnent comme ceux d'un jeune homme à l'orée de la vie. C’est John Ford, le cinéaste-poète, qui affirmait :

« Quand la légende dépasse la réalité, alors, on publie la légende. »
On ne sait s’il a pris le Sidi Okba ou le Ville d’Oran  pour débarquer à Marseille, un matin de 1950 …. M’hamed Aoune n’est pas très précis sur ses pérégrinations. Un premier départ vers Tunis où il est allé fréquenter la Zitouna. Dans ses propos, revient souvent la bonne ville de Strafford-upon- Avon et Shakespeare, souvenirs d’un voyage en Angleterre. Bien sûr, Paris. Paris qui se refaisait une santé. La Tour Eiffel toujours debout, même si, sur son faîte, la croix gammée avait flotté durant longtemps, à peine cinq ans plus tôt. M’hamed Aoune à Paris fera le manoeuvre et, parfois, peintre en bâtiment. Et fréquentera les langues O., orientales, bien sûr. Elève de Massignon, d’AlbertMemmi, de Berque. En autodidacte. Quand il le peut, il pénètre dans le temple de la Comédie française. Ainsi, bavardera-t-il durant l’entracte avec un Polonais, dont le visage lui disait quelque

chose... Tout simplement Cybulski, « le James Dean polonais », l’acteur fétiche de Wadja. Le héros tragique de « Cendre et diamant»et dont le visage était affiché sur les boulevards de Paris.                                                                       
  Mais M’hamed Aoune y avait jeté un regard distrait. Si distrait qu’il perdra le manuscrit de sa pièce dans la cohue du métro ! Une pièce qui retient un moment l’attention du metteur en scène, Jean-Marie Serreau… Ce dernier, finalement, montera en 1958 « Le Cadavre encerclé » de Kateb Yacine. Il fera la connaissance de prestigieux

écrivains. Comme ces Noirs-Américains exilés à Paris. Il rencontrera ainsi le grand Richard Wright au foyer de l’Ugema autour du poêle par un hiver rigoureux.

 Il ne fut pas le seul à être surpris par le coup de tonnerre du 1er Novembre dans un ciel prétendument serein… Les militants, dontM’hamed, étaient fatigués de vendre les journaux du parti sans que l’on passe à l’action, fait-il  remarquer… Le 1er Novembre sera le credo de sa poésie. Né en 1927, à Aïn Bessem, ayant grandi àSour El- Ghozlane (qui le relie à Kaddour M’hamsadji, Djamal Amrani, Messaour Boulanouar ainsi qu’à Mostefa Lacheraf de Sidi-Aïssa*), il fut un orphelin précoce, fils de paysans de la plaine d’Aïn-Bessem, dépossédés par la colonisation. Marqué aussi par les massacres de Dechmya, en 1947, après une protestation contreune élection à la Naagelen. La pauvreté, l’injustice résonneront dans ses poèmes. Il parviendra à rejoindre l’ALN en Tunisie, après une mémorable pérégrination marquée notamment par un passage par Strafford-upon-Avon. Sous l’uniforme, il parlera sur les ondes de la radio qui émettra à Souk Ahras. Puis, le commissariat politique, l’organe El-Djeïch  sous les ordres général Hachemi Hadjerès (dans les années 70, l’un des rares officiers supérieurs qu’on pouvait croiser dans une librairie d’Alger, soit dit en passant).
M. Aoune serait le seul ou l’un des rares  journaliste algérien à avoir interviewé « le commandant « Ché »Guevara… Une retraite anticipée. Et le début d’une autre traversée du désert. Un poète, desurcroît militaire, que pouvait-il comprendre aux jeux et enjeux impénétrables des civils. Dans une caserne, les choses sont plus simples, la hiérarchie sert de philosophie. « Khaldoun », puisque c’était son « nom de guerre », goûta plus qu’il ne faut aux maquis de la bureaucratie civile.



 

On raconte que l’ancien président de la République, Chadli Bendjedid, venant inaugurer une maison de la culture, le héla par son « nom de guerre » Khaldoun et conversa un moment avec lui sans façon. Le président le connaissait. Les bureaucrates moins. Lui et, encore moins, sa poésie. Or, sa double culture, son statut d’ex-militaire faisaient de lui un inclassable. Poète, il pouvait être encombrant pour sa tribu, sa famille. Lui, était partisan de « la tribu des mots ». Son écriture entre les psaumes de Claudel, l'hermétisme de Mallarmé et les kacidate antéislamiques l'ont réduit à tort au cliché de poète symboliste à contre-temps. Si symbolisme et hermétisme il y avait, c’était initialement comme un stratagème poétique, nécessaire au militant nationaliste. Malentendu aggravé par son patriotisme échevelé. Poète de la parole tellurique, surtout.
Il suffit de relire « Après les grottes » (1959) :

 
‘’… Le cauchemar d’une vie sans rivières – chants véritables
Le promène sur un cactus.

Dans la cohue des échos des efforts nuls,

Devant le mépris et la douleur verdâtre des murs

Malades à l’écoute des fontaines si rares

Mais si belles que les jasmins et les roses’’

 

A la fin des années soixante, «El-Djeïch» publiait en page 4 de couverture l’un de ses poèmes. « La nuit dynamitée », en quadrichromie ! Une consécration, pouvait-on déduire. Or, il y a quelque chose de pathétique dans cette fausse apparente consécration. Pour preuve : dans le « Diwan algérien » de J. Lévi-valensi et J-E. Bencheikh (qui fut pour la génération de poètes en herbe une sorte de Bourse des valeurs poétiques de la génération qui nous a précédés ou de celle que nous côtoyons) à M’hamed Aoune, il est écrit « né à Aïn Bessem, le 27septembre 1927. N’a publié aucun recueil ». Une présentation laconique et d’une implacable
actualité … M’hamed Aoune n’a toujours pas vu de sa poésie profuse paraître le moindre florilège!

 Passez-le voir et il vous entretiendra de la guerre du Péloponnèse, de Thucydide et d Takfarinas (**) dont le tombeau négligé se trouve non loin de Sour El- Ghozlane.

 


A.K.

_____________________

*Poésie de Sour El-Ghozlane, texte ronéoté et, en hors-texte, le fac-similé du manuscrit de Jean-Sénac, avec un dessin de couverture de Denis Martinez, Sour El-Ghozlane, L'Orycte, 1981.

**Retour à Sour par Arezki Metref, Le Soird’Algérie, 02/03/2008.

 
PS : Merci à l’ami Bey qui vient de consacrer un article à M’Hamed Aoune paru dans le quotidien Liberté du 10 mai 2015.

Iconographie
Photos
: M'Hamed Aoune jeune parmi les jeunes à Sour  El Ghozlane (fin des années quarante-début cinquante ?) dans un "café maure".
Le poète à Paris . dans les années cinquante.
Le poète en treillis
M'Hamed Aoune aujourd'hui aux côtés de sa sœur  


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