Chronique des 2Rives
Par Abdelmadjid KAOUAH
Poésie : le plus
beau surnom de la vie
Les dernières révélations sur les véritables causes du décès
de Pablo Neruda en 1973, à la suite du coup d’État du général Pinochet contre
le président Salvador Allende et le gouvernement légal d’Unité populaire,
confortent les doutes émis par sa famille y a une quarantaine d’années. Selon
des experts médicaux internationaux, Pablo Neruda n’a pas succombé au cancer
mais aurait été empoisonné. Opposant à
Pinochet, il devait rejoindre le Mexique pour prendre la tête de l’opposition
chilienne. Au-delà de ces révélations
qui conduiront à une réécriture du récit historique jusqu’à là impose,
c’est toute la place et le pouvoir du
poète dans l’histoire qui revient au premier plan. Pablo Neruda, poète a été
fait Prix Nobel de littérature en 1971. Il était à la tête d’une œuvre poétique
militante monumentale dont laquelle se
distingue : "El Canto
General", ‘’Chant général’’.Il clamait : ‘’Je ne suis qu'un poète/ Je ne suis
rien venu résoudre/ Je suis venu ici chanter’’.
Et ses chants étaient des armes .De son vivant et d’outre-tombe.
Rainer Maria Rilke: " pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes,
d'hommes et de choses... Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays
inconnus, à des départs que l'on voyait depuis longtemps approcher, à des jours
d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits
de voyage... Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs, il faut savoir les
oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre
qu'ils reviennent »
Aujourd’hui, il est un
fait, la poésie si elle reste sortable demeure guère vendable…Ainsi va la vie
pour la poésie. Et cela vaut dans tous
les recoins du monde. A titre d’exemple, dans le pays, où a été conçu le
printemps des poètes, selon « Livres Hebdo » d’il y a quelque temps,
en France, seulement 1% du lectorat lit de la poésie. Avec le théâtre, ces
genres ne représentent que 0,2 à 0,4% du marché du livre. Il semblerait que les
anthologies de poésie arrachent davantage d’audience. Chez nous le tableau, en
dépit de quelques percées méritoires, relève de l’anémie éditoriale. Combien de
recueils seront au rendez de la nouvelle édition du Sila ? Et combien même
quelques hirondelles perceraient les
nuages noirs, elles n’annonceront pas pour autant, hélas, un vrai printemps de la poésie.
Pourtant la diversité linguistique nationale autorise
un potentiel expressif impressionnant, pour peu qu’elle trouve les truchements
nécessaires à son avènement littéraire. Il reste que la poésie n’est pas
seulement affaire de mots. C’est avant tout une attitude, une représentation du
monde. A ceux et celles qui s’interrogent sur l’utilité de la poésie, on
pourrait répliquer par quelques citations des poètes eux-mêmes et de leur
perplexité : "Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne
sais pas à quoi" , avouait Jean Cocteau.
Jacques Prévert lui n’y va pas
trente-six chemins :
« La poésie c'est le plus vrai, le plus utile
surnom de la vie".
Rainer Maria Rilke confessait
que " pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes,
d'hommes et de choses... Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays
inconnus, à des départs que l'on voyait depuis longtemps approcher, à des jours
d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits
de voyage... Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs, il faut savoir les
oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre
qu'ils reviennent ». Pour Julio Cortazar :
«Aucun poète ne tue les autres poètes, il les range simplement d'une autre
façon dans la bibliothèque vacillante de la sensibilité».
Arthur Rimbaud l’homme
aux semelles de vent, Rimbaud a prédisait que «
La poésie ne rythmera plus l’action. Elle sera en avant ». Rappelons que
le jeune Rimbaud, en 1869 lors d’un concours général de vers latins a rendu
hommage à la figure de Jugurtha dans 75 vers prémonitoires.
.A certains moments historiques, la prédiction rimbaldienne s’est vérifiée. Il est vrai que le travail de la poésie est
dans la langue et par la langue… Il suffit de penser aux « Châtiments » de Victor Hugo, au
poème Liberté de Paul Eluard au temps de l’Occupation allemande de la France, à
« Incitation au nixonicide et éloge de
la révolution chilienne » de Pablo Neruda écrit quelques jours avant le coup
d’Etat de Pinochet et la disparition du poète. Neruda avait écrit : « Je n’ai
pas d’autre issue : contre les ennemis de mon peuple, ma chanson est offensive
et dure comme la pierre araucane. Cette fonction peut-être éphémère. Mais je
l’assume. Et j’ai recours aux armes les plus anciennes de la poésie, au chant
et au pamphlet dont se servirent classiques et romantiques pour détruire
l’ennemi ».
Djamel Amrani, le marathonien de la poésie algérienne, qui fut
arrêté, torturé et incarcéré par l'armée coloniale en 1957 signa en 1960
aux Éditions de Minuit, « Le Témoin » où il raconte sa
descente en enfer. Et En exil, il rencontra Pablo Neruda. Plus tard en Algérie
indépendante, en 2004, il recevra l reçoit la médaille-Pablo Neruda, haute
distinction internationale de la poésie. Et quelle parole que celle de cet athlète du verbe anticolonialiste
Aimé
Césaire qui forgera ses "armes miraculeuses" en
rupture avec la " poésie de décalcomanie : " Et l'on nous
marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et on nous vendait
sur les places et l'aune de drap anglais et la viande salée d'Irlande coûtaient
moins chers que nous’’. … Sans oublier chez nous « Nedjma » de Kateb Yacine. Ou
pour les Palestiniens :
« Awrâq al-Zaytûn » (Rameaux d’olivier) de Mahmoud
Darwich.
La poésie algérienne a été
une parole de l'opprimé. Si à un certain moment de l’histoire, elle a emprunté
sa langue au colonisateur, elle s'est voulu avant tout le ferment d'une
identité. A l'époque du combat pour la décolonisation, elle s'adressait surtout
à l'Autre. Sommée par l'histoire, elle a
entretenu des liens étroits avec les évènements marquants du processus
anti-colonialiste qui nourrira ses inspirations diverses jusqu’à
l’avènement de l’indépendance nationale.
Dans ce vaste mouvement d’émancipation nationale, on aurait tort de penser que
la création littéraire fut un monopole
masculin, bien que par le fait de l’histoire (faible scolarisation, encore plus
restreinte pour les filles), il y eut
davantage d’écrivains connus et reconnus. Mais ces « Ombres gardiennes » pour
reprendre l’expression de Mohamed Dib à
propos de la place de la femme algérienne dans le combat libérateur n’ont pas
manqué sur le front littéraire : Assia Djebar dont recueil : « Poèmes
pour l’Algérie heureuse » a fait date .
Dans la préface à « La grotte
éclatée » de Yamina Mechakra., Kateb Yacine, écrivait :
«A l'heure actuelle,
dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.», et d’ajouter
: « « ce n’est pas un roman, et c’est beaucoup mieux : un long poème en prose
qui peut se lire comme un roman ». Myriam Ben, militante dès son plus jeune
âge, elle fut de tous les combats du peuple algérien, condamnée à 20 ans de
travaux forcés pour sa participation à la guerre de libération, auteure de ‘’Sur le chemin de nos pas » …
Ainsi dans certaines
circonstances historiques, le devoir du poète est de se prononcer et de
dénoncer l’injustice et ses horreurs. Mais ce n’est pas là la vocation exclusive de
la poésie.
Question désarmante : « Que cherchez-vous à dire dans vos poèmes ? ». On peut
se réfugier derrière un grand poète,
Paul Valéry « Si l’on s’inquiète de ce que j’ai « voulu dire », dans tel poème,
je réponds que je n’ai pas voulu dire, mais voulu faire, et que ce fut
l’intention de faire qui voulu ce que j’ai dit… »… La poésie, c’est la capacité
à dire métaphoriquement le monde, à
transcender le quotidien et ses liens, nous ouvrir à la force de l’imaginaire.
Et partant, nous
assurer de la promesse des rivages
fraternels. Abdellatif Laâbi, poète au long cours, réaffirmait récemment :
La poésie est tout ce qui reste à l'homme pour proclamer sa dignité”.
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Chronique parue le 26 10 2017 dans le quotidien national
algérien : REPORTERS
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