dimanche 16 mars 2008


Le laboureur du verbe

par Djamal Amrani


Lorsque Abdelmadjid Kaouah vient à vous, à la suite d’une longue séparation,il manifeste une émotion souriante à laquelle on ne peut résister. La cordialité qu’il met aux retrouvailles, la gentillesse qui émane de lui, la chaleur de sa parole, autant de signes qui font de ce poète un être fraternel.
J’ai désiré les motsÀ l’image de mes amitiésEt des soirs bavardsQui aident les oiseaux…
Il y a dans son visage (à la barbe chenue) une invite permanente à l’échange amical, voire à la confidence. Dès l’abord, bien plus des vicissitudes que traverse le pays, il vous parle de poésie. Comme si ce type de recherches que pratiquent encore chez nous quelques élus, revêtaient une quelconque importance aux yeux de la multitude. C’est que Kaouah est poète jusque dans la chair de son cœur. Presque trop poète, oserai-je prétendre, l’envie me montant à la tête.
Tandis que j’écris ces lignes, j’entrouvre son recueil Par quelle main retenir le vent. À tous les coups, une vision de nature s’impose, tout juste et non moins transcendée. On croirait que son regard possède le pouvoir de saisir le détail qui fait mouche et qui, grâce à un art – ô combien subtil ! – s’élargit, s’approfondit, prend une allure inattendue pour en définitive, nous donner un frisson délectable, une sorte de jouissance provoquée par des accords qui tintent au plus intime de soi :
Je plante mon arbrelà où l’eau broie la chevelure du soleilécartelé entre deux ateliers de violenceet c’est l’amour sur les chemins parallèlesdes hommes
Homme de ce jourLa pluie n’est que silenceQui trompe son entourageUn nuage de bruitQui pénètre par tes yeux
Ce qui me touche particulièrement en Kaouah, c’est son sens intime de la nature. Il la vit au long des heures, des jours, des saisons ; il célèbre les liens qui unissent l’homme aux éléments du monde : ciel et terre, bêtes et plantes, sources et demeures.
Il repose sa flûte sur la croupe d’un nuageEt récité son présent aux bêtesQui s’aiment dans les buissonsAux approches de l’aubeIl escalade la haute tensionPour hurler à son peupleLa mort du jasmin
Ma vive admiration pour les très brèves stances de Par quelle main retenir le vent s’explique peut-être par mon goût de l’extrême concision du langage, y voyant une sorte de limite à atteindre, où le mot acquiert un surcroît d’éclat, où chante le silence, où la phrase se tait, rompue, où toutes les valeurs semblent renversées.
Et ce que j’aime encore dans les poèmes de Kaouah, c’est qu’il ne suit aucun autre chemin que celui, à flanc d’abîme, qui nous conduit d’un itinéraire toujours plus difficile, où la parole Poétique exige un air toujours plus pur, une plus haute solitude- sans référence à toute autre poésie.
Où il n’est plus questionQue de vos corps allongés faceà la mercomme des rames ayant bien servi
[…]
L’arrière mémoireOù l’on va nuPour ne pas effrayer les oiseaux
Sa constance dans l’arpentage d’un m^me domaine naturel, la symbiose que l’on redécouvre toujours entre l’être et l’environnement, une harmonie gracieuse, voilà qui mérite qu’on s’attache à cette poésie d’une fracture personnelle. Kaouah n’est un chercheur des formes, le message ici impose l’écriture et c’est en ce sens que je parle d’harmonie. Souvent le poème ne capte qu’un instant furtif, un éclair de vie, un reflet qui passe.
Le bonheur nous l’inventonsAu ras de nos brûluresA la crête de nos feux d’artifice clandestins
Ou encore :
Vous avez entendu son chantIl est passé à l’aubeA tracé sur vos portes un signe clairVoyageur de l’espérance ouvrière
La pensée et la démarche kaouahiennes s’inscrivent tout entières dans l’exploration et l’écoute : – coquelicot de la victoire / rouge blessure du peuple – dont les sourdes résonances se retrouvent à chaque page d’un beau livre qui sait toucher l’esprit et le cœur.
Lieu ouvert, Par quelle main retenir le vent se lit comme une patiente leçon sur un chemin qui, sans artifice et avec le naturel d’une source, nous ramène toujours vers l’homme.
Pénétrant avec pudeur dans le domaine de notre destinée, Kaouah garde presque « magiquement » cette distance, jamais silencieuse, d’un regard dont la lucidité n’est pas dénuée de tendresse.

Djamal Amrani

( Octobre 1994)

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