mardi 18 mars 2008

D'OUTRE MEMOIRE




Mon camarade flamboyant


L’émotion, c’est d’abord ce que l’on ressent en entrebâillant délicatement la porte de "La maison livide" construite par Abdelmadjid Kaouah.

Dès l’entrée, on recueille « la sève des jours », jours dédiés à la mémoire de notre camarade Lounès Djaballah (que nous appelions "Staline", un peu par esprit taquin, beaucoup pour sa fermeté) exécuté au moment où il allait rentrer chez lui, là où

« la raison et l’habitude / mes semblables victimes / notre quotidien est tragique ».

Le poète se demande

Qu’écrire / après que les balles / aient tracé la mort / sur la poitrine de mon frèreé".

Tragique, oui, ce quotidien en ce Pays, où des mains sanguinolentes brandissent des cadavres d’enfants en criant de leurs voix caverneuses : victoire ! Victoire ! Ce "pays d’enfants crucifiés, / au bord des routes nationales."

L’auteur pense tout haut à ce territoire où

"on affûte les lames / contre le béton / et l’on arme la haine / à coups de versets inversés."

Pour éviter le péage de l’écriture académique et les labyrinthes de l’ode hermétique, Abdelmadjid Kaouah fait de la poésie. Ce tâcheron de l’écriture, pour qui, à l’instar de Abdelkader Alloula, la poésie est la seule issue , persiste et signe ses textes en bas de casse :

"j’écris / le dos courbé de désir / et de malentendus (…)

j’écris/ pour ne pas perdre la vie en spirales de stupeur".

Il sait aussi être fidèle et fraternel :

"Salut soleil camarade des distances

nous nous étions fixé rendez-vous

au centre de la lumière

je suis à l’heure".

Abdelmadjid Kaouah préfère ainsi prendre la lumière et la chaleur à leur source. C’est aussi dans cette "maison livide" que, venus d’Algérie, se donnent rendez-vous et se rencontrent, en une ineffable juxtaposition, l’écriture et la poésie, mais aussi la passion et la sensualité, à l’ombre d’un figuier :

"son rire glisse sur l’herbe rare / et se jette dans mes bras: / père je rêve d’un femme de la ville / Chair accomplie comme fruit de saison / nuage fécond comme femelle ardente".

Abdelmadjid Kaouah prend la poésie par les hanches pendant qu’il nous invite à mettre de l’ordre dans nos saisons car "notre terre est en flammes / et l’orange se donne / aux becs des étourneaux".

Cet homme au visage mangé par la barbe et à l’esprit dévoré par Néruda lui rend hommage dans des chants terribles d’humanité et de tendresse :

"j’ai reconnu la grappe de rire translucide / qui tressaille sous l’aisselle de la lune :

c’est ton visage ô mon aîné/ mon camarade flamboyant"

Comme pour faire un clin d’œil à cet immense poète qu’est Bachir Hadj Ali, ancien résistant anticolonialiste, camarade de l’auteur, qui écrit dans un de ses livres : « je jure que nous n’avons pas de haine contre le peuple Français, Abdelmadjid Kaouah, qui doit vivre dans un paisible enfer, affirme que

"la haine n'habitera pas / notre demeure"

Il faudrait peut-être le dire partout pour que cela soit .

Le vin dans les caves de Médéa, ville perdue de Abdelmadjid Kaouah et son enfant terrible sur les rives de la Garonne se bonifient avec le temps, depuis le temps où le journal qu’il dirigeait et où je sévissais en qualité de reporter, subit tant de fois l’autodafé par les intégristes et le pilon par les autorités. Sa poésie ressemble à une promenade fraternelle, dans des jardins où le pied ne se pose pas.


Djamal Benmerad
2006-07-20






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