lundi 17 mars 2008

CAVE-VIGIE



MAQUAM


ELOGE EN TROIS MOUVEMENTS
DE L’UN ET L’AUTRE




I


Présentement j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens



Quelque part entre les hanches en transe
d’Elvis Presley
Et les roucoulades nilotiques
d’Abdelhalim Hafez
Nous avons grandi
un improbable emblème
Entre les dents

Nous sommes de deux rives
De mille rivages
Des oursins nous avions dressés
Nos banquets solaires
Le printemps craquait sous nos lèvres
Comme une fève fraîche
Des femmes nous ne connaissions que la légende
leurs bouches brûlantes de souwak caroube
Au sortir du bain
Nous guettions l’éclair d’une jambe
Sous le haïk voile blanc coquin

Quelque part entre les hanches en transe
d’Elvis et les roucoulades nilotiques
d’Abdelhalim nous avons grandi
un improbable emblème entre les bras



Nous sommes de deux songes
De plaine et de montagne
De mer et de désert
De la ville et des Hauts-plateaux
D’écume et d’alfa
Dans notre ignorance de la géographie
Rétifs à notre destin administré

Quelques livres nous tenaient lieu d’univers
Quelques brassées dans la mer d’odyssée
Dans nos petits villages aux églises-mosquées




Nous restions gais
Autour de la meïda
ignorant les croissants au beurre
Mais au dessert nous avions Hugo
et sous le manteau Baudelaire




Kateb Yacine était l’égal
Du plus insigne footballeur
Nedjma était notre talisman



Nous étions de mille confluences
Dans l’uniformité de nos contradictoires espérances
Khouya frère était le mot de passe
Enfants nous nous le lancions à tue-tête
comme une balle ronde
Dans nos jeux sans stades
Avant l’ère des stériles slogans
- pour une vie meilleure-
Et la pénurie du savon


Nous sommes de deux rives
Nous sommes de force songes utiles
De mille rivages en effervescence
de mille milliards de vagues d’écume
Calligrammes sur le sable des mémoires noueuses
Oriflammes de signes mêlés au cœur
d’un soleil noir


*

Maintenant j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens




II




Je dirais juste qu’ici le soleil oscille
comme un soupir
Echappé d’une mémoire surnuméraire
comme articulé entre parenthèses
Par un dieu trop nourri
Qui caresse son ventre
Encore tout ébahi par le miracle de ses orteils
Un soleil enfariné comme un beau bébé de publicité
Dont les plis et les replis sont autant de pièges
A l’œil empressé de surprendre ses secrets


Ici le soleil étale ses promesses
comme un chasseur embusqué à la lisière
De forêts giboyeuses
Passent et repassent volatiles paisibles rapaces désarmés
Ils portent sur leurs ailes les reflets immuables des sabliers
Ici le temps a toute l’éternité
Pour se reposer des siècles
D’ailleurs il se mesure à l’épaisseur des murs
A la grosseur des habitacles divers
Que les hommes se sont érigés
Tantôt pour conjurer leurs frayeurs
Tantôt pour célébrer les fastes
de leurs soumissions ou leurs révoltes


Ici le soleil n’est pas une marque de fabrique
Une hérédité maléfique qui renvoie aux jugulaires
Aux spectres immémoriaux qui jettent encore la jeunesse
A l’assaut de ses désespoirs dans les abysses des frontières
Cœurs et lames dégainés
Contre elle-même sa propre chair
Contre une indicible âpre amertume
Dont elle a fondés ses signes adventices


Je dirai juste qu’ici le ciel peut-être un clavecin
Tantôt subtil tantôt sournois
Percutant la terre à juste mesure
Des palettes de nuances studieuses
Sur des toiles nubiles que des mains andalouses
Font accoucher d’une vigueur iconoclaste
Ici e ciel continue à ordonner les orages
En phrases à la Chateaubriand

Ici le soleil et le ciel
S’accordent comme un vieux couple lassé
De trop de caresses et de connivences
Et peuvent de leur vivant s’acheter à crédit
Des apocalypses annoncées à la une des journaux

De temps à autre quelques Numides
y scellent leurs passions et parlent
au premier passant d’un improbable Nerval
que l’on prend pour un lieu-dit d’Aquitaine

Et des chiens déments
Qui éperonnent leurs songes
Et leurs errances


Or ici le ciel et le soleil
Se reposent désormais de la ténèbre
Et des chiens déments
Qui talonnent les solitudes
Et les errances


Ici le ciel et le soleil
Se reposent dans le sacre de l’automne



**



Ici maintenant j’habite rue Léonie Toulouse
En la résidence dite de l’Odéon
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens



III

Je dirai juste qu’il faut se garder de l’Autun
Parfois quand il achève
De carder les nuages
Un silence en flocons pourpres
Tombe sur les tuiles et les électrise
Toulouse tourne ses tourments
ses toits courbent leur majesté
Sous la brûlure du soleil
S’ inclinent devant l’Autun
Pour mieux aiguiser leur insoumission


Toulouse
Rose rose rouge noire
Entre les deux mers


Le soleil s’aplatit
Le vent se couche
Les nuages ont fui
Les tuiles prolongent les ombres
Les tourments deviennent obsessions
et miaulent comme des chats de caniveau



J’habite rue Léonie-Toulouse
Face à deux palmiers eux-mêmes
Vraisemblablement en exil
Ils poussent en face dans le jardin du voisin
Entourés de mimosas semblables à ceux
Du pays d’où je viens

Sur une plaque discrète il est écrit
Que c’est une poétesse d’Occitanie
Je crains juste qu’à mon corps défendant
Je sois le seul à le croire au pays d’Isaudaure




Abdelmadjid Kaouah

(Présenté le 16 mars 2008 à la Cave Poésie René Gouzenne)





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